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Les Opalines/L’art de demain

La bibliothèque libre.
L. Vanier (p. 99-102).

L’ART DE DEMAIN

Je songe quelquefois, aux soirs des vains efforts,
À cet art de demain, énigmatique encor,
Qui tressaille pourtant dans le fond de notre âme
Comme un proche avenir
Et la tourmente ainsi que tourmente une femme
L’enfant qui va venir.

Parés de quels habits, formules inconnues,
L’Art que nous attendons descendra-t-il des nues !
Je ne sais, mais déjà dans l’aube se levant
J’entends, plus léger qu’elle,
Quelque chose, confus, qui frémit dans le vent,
Comme un battement d’ailes.


Qu’est-ce que rabâcher toujours les mêmes chants !
Depuis bien trop longtemps nous paissons sur des champs
Qu’ont broutés avant les époques en allées !
Puissions-nous sans retard
Cesser d’errer en vain dans les vieilles allées
Ainsi que des vieillards.

Sans cesse rajeunir et rajeunir sans cesse,
Être un jardin en fleurs où les fleurs ne décessent,
Marcher, marcher toujours et se renouveler,
C’est un destin beau comme
Un rêve qu’un fou seul oserait formuler,
Et c’est celui de l’homme !

Oui, c’est celui de l’homme et qu’appellent nos cœurs !
À ce siècle qui s’ouvre en de fraîches splendeurs
Et s’en va le front ceint de promesses sans nombre,
Il faut, il faut un art,
Une neuve clarté, qui surgisse de l’ombre
Et qui soit son regard !

Chaque temps la connut, cette clarté superbe,
Depuis les plus lointains, enfants encore imberbes,

Chaque temps la connut, hors le temps d’aujourd’hui.
Le passé s’en décore,
Et des siècles défunts plus d’un dedans la nuit
En resplendit encore.

Chaque temps le connut, cet homme surhumain,
Qui le domina tout et le tint dans sa main,
L’homme qui résuma son siècle en son génie.
Serions-nous donc les seuls
Qui nous engloutirions, sans même une agonie,
Dans l’oubli du linceul !

Non, nous sommes trop grands pour périr de La sorte !
Notre art est dans son œuf : il faudra qu’il en sorte !
Et vous verrez alors, vous qui sonnez le glas,
Ce dont l’espoir m’enchante !
Un siècle aussi puissant, cygne au splendide éclat,
Ne meurt pas sans qu’il chante !

Non, nous n’avons pas d’art, non, nous n’en avons pas !
Nous bégayons à peine et nous comptons nos pas,
Nous attendons sans verve un avenir informe,
Epuisés, dites-vous,
Mais si nous attendons, c’est un colosse énorme
Qui soit digne de nous !


Ah ! quand t’abattras-tu, l’Homme encore hypothèse,
Qui porteras notre art sous ton aile, en synthèse ?
Quand t’abattras-tu donc, comme ceux d’autrefois,
Au sein de notre attente.
Et sur le temple en ruine où se meurent nos fois,
Bâtiras-tu ta tente ?

C’est ce que chaque soir je cherche au ciel écrit,
Ce que je cherche en vain, en étouffant un cri
D’angoisse !… en l’étouffant, tant la peur me tourmente
Que le plus léger bruit
Ne trouble, Énormité, ton Verbe qui fermente
Dans le calme des nuits.