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Les Opalines/Le soir de lune

La bibliothèque libre.
L. Vanier (p. 25-27).

LE SOIR DE LUNE

i


Des fresques, un lutrin, des chandeliers gothiques,
D’énormes parchemins aux habits monastiques,
De vieux ors endormis sur des blasons de ducs,
Des marbres patinés et des bahuts caducs !…
La pièce grande ouverte en l’ombre se recueille :
On entend au dehors, qui frissonnent, des feuilles.

ii


La lune, visiteuse au pas silencieux,
En long épanchement s’achemine des cieux,

Et pour mieux enivrer la sérénité pâle
Où roule, exorbité, son gros disque d’opale,
De sa robe qui traîne elle accroche en passant
Le parfum des tilleuls dans l’ombre rêvassant.

III



Elle vient, comme vient en visite accordée
Une femme fautive et quelque peu fardée,
Apportant, inquiet, encor qu’il soit serein,
Le sourire aguichant d’un geste adultérin.

IV



Avec elle être seul comme avec une amante,
Boire le baiser frais de sa clarté dormante,
Emmêler quelque rêve à ses rayons d’émail,
L’avoir comme une lampe auguste de travail,
Ôh que cela m’émeut et que les nuits sont belles
Où je n’ai, pour veiller, d’autre compagne qu’elle !

V


Lune, symbole exquis des songes délicats
Qui parent notre vie et qu’on ne touche pas,
Toi qui, surnaturelle, as des pouvoirs de fée,
Somptueuse parure à la nuit agrafée,
Belle bulle irisée aux vêtements changeants,
Je t’aime, ô curieux masque étonné d’argent !
Je t’aime parce que tout doucement tu passes,
Je t’aime parce que, solitaire en l’espace,
L’on te dirait l’œil blême au long regard sans bruit
Des siècles trépassés qui rôdent dans la nuit.