Les Origines de la France contemporaine/Tome 1/Livre II/Chapitre 1

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Librairie Hachette et Cie (Vol. 1, L’Ancien régime, Tome 1er.p. -np--190).

LIVRE DEUXIÈME

LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


CHAPITRE I

Principe des mœurs sous l’ancien régime. — La cour et la vie de représentation. — I. Aspect physique et caractère moral de Versailles. — II. La maison du roi. — Personnel et dépenses. — Sa maison militaire, son écurie, sa vénerie, sa chapelle, sa faculté, sa bouche, sa chambre, sa garde-robe, ses bâtiments, son garde-meuble, ses voyages. — III. La société du roi. — Officiers de sa maison. — Invités de son salon. — IV. Les occupations du roi. — Lever, messe, dîner, promenades, chasse, souper, jeu, soirées. — Il est toujours en représentation et en compagnie. — V. Divertissements des personnes royales et de la cour. — Louis XV. — Louis XVI. — VI. Autres vies analogues. — Princes et princesses. — Seigneurs de la cour. — Financiers et parvenus. — Ambassadeurs, ministres, gouverneurs, officiers généraux. — VII. Prélats, seigneurs et petite noblesse en province. — L’aristocratie féodale est devenue une société de salon.

Un état-major en vacances pendant un siècle et davantage, autour du général en chef qui reçoit et tient salon : voilà le principe et le résumé des mœurs sous l’ancien régime. C’est pourquoi, si l’on veut les comprendre, il faut d’abord considérer leur centre et leur source, je veux dire la cour. Comme l’ancien régime tout entier, elle est la forme vide, le décor survivant d’une institution militaire ; quand les causes ont disparu, les effets subsistent, et l’usage survit à l’utilité. Jadis, aux premiers temps féodaux, dans la camaraderie et la simplicité du camp et du château fort, les nobles servaient le roi de leurs mains, celui-ci pourvoyant à son logis, celui-là apportant le plat sur sa table, l’un le déshabillant le soir, l’autre veillant à ses faucons et à ses chevaux. Plus récemment, sous Richelieu et pendant la Fronde[1], parmi les coups de main et les exigences brusques du danger continu, ils étaient la garnison de son hôtel, ils l’escortaient en armes, ils lui faisaient un cortège d’épées toujours prêtes. Maintenant encore ils sont comme autrefois assidus autour de lui, l’épée au côté, attendant un mot, empressés sur un signe, et les plus qualifiés d’entre eux font chez lui un semblant de service domestique. Mais la parade pompeuse a remplacé l’action efficace ; ils ne sont que de beaux ornements, ils ne sont plus des instruments utiles ; ils représentent autour du roi qui représente, et, de leurs personnes, ils contribuent à son décor.

I

Il faut dire que le décor est réussi, et que, depuis les fêtes de la Renaissance italienne, on n’en a pas vu de plus magnifique. Suivons la file de voitures qui, de Paris à Versailles, roule incessamment comme un fleuve. Des chevaux qu’on nomme « des enragés » et qu’on nourrit d’une façon particulière[2] y vont et en reviennent en trois heures. Au premier coup d’œil, on se sent dans une ville d’espèce unique, bâtie subitement et tout d’une pièce, comme une médaille d’apparat frappée à un seul exemplaire et tout exprès : sa forme est une chose à part, comme aussi son origine et son usage. Elle a beau compter 80 000 âmes[3], être l’une des plus vastes cités du royaume, elle est remplie, peuplée, occupée par la vie d’un seul homme ; ce n’est qu’une résidence royale, arrangée tout entière pour fournir aux besoins, aux plaisirs, au service, à la garde, à la société, à la représentation du roi. Çà et là, dans les recoins et le pourtour, sont des auberges, des échoppes, des cabarets, des taudis pour les ouvriers, les hommes de peine, pour les derniers soldats, pour la valetaille accessoire ; il faut bien qu’il y ait de ces taudis, puisque la plus belle apothéose ne peut se passer de manœuvres. Mais le reste n’est qu’hôtels et bâtisses somptueuses, façades sculptées, corniches et balustres, escaliers monumentaux, architectures seigneuriales, espacées et ordonnées régulièrement comme un cortège autour du palais immense et grandiose où tout aboutit. Les premières familles ont ici leur résidence fixe : à droite du palais, hôtel de Bourbon, hôtel d’Ecquevilly, hôtel de la Trémoille, hôtel de Condé, hôtel de Maurepas, hôtel de Bouillon, hôtel d’Eu, hôtel de Noailles, hôtel de Penthièvre, hôtel de Livry, hôtel du comte de la Marche, hôtel de Broglie, hôtel du prince de Tingry, hôtels d’Orléans, de Châtillon, de Villeroy, d’Harcourt, de Monaco ; à gauche, pavillon d’Orléans, pavillon de Monsieur, hôtels de Chevreuse, de Balbelle, de l’Hospital, d’Antin, de Dangeau, de Pontchartrain : l’énumération ne finirait pas. Ajoutez-y tous ceux de Paris, tous ceux qui, à dix lieues à la ronde, à Sceaux, à Gennevilliers, à Brunoy, à l’Isle-Adam, au Raincy, à Saint-Ouen, à Colombes, à Saint-Germain, à Marly, à Bellevue, en cent endroits, forment une couronne de fleurs architecturales d’où s’élancent chaque matin autant de guêpes dorées pour briller et butiner à Versailles, centre de toute abondance et de tout éclat. On en « présente » chaque année une centaine, hommes et femmes[4], cela fait en tout deux ou trois mille : voilà la société du roi, les dames qui lui font la révérence, les seigneurs qui montent dans ses carrosses ; leurs hôtels sont tout près ou à portée pour remplir à toute heure son antichambre ou son salon.

Un pareil salon comporte des dépendances proportionnées ; c’est par centaines qu’il faut compter les hôtels et bâtiments occupés à Versailles pour le service privé du roi et des siens. Depuis les Césars, aucune vie humaine n’a tenu tant de place au soleil. Rue des Réservoirs, l’ancien hôtel et le nouvel hôtel du gouverneur de Versailles, l’hôtel du gouverneur des enfants du comte d’Artois, le garde-meuble de la couronne, le bâtiment pour les loges et foyers des acteurs qui jouent au Palais, les écuries de Monsieur. — Rue des Bons-Enfants, l’hôtel de la garde-robe, le logement des fontainiers, l’hôtel des officiers de la comtesse de Provence. — Rue de la Pompe, l’hôtel du grand-prévôt, les écuries du duc d’Orléans, l’hôtel des gardes du comte d’Artois, les écuries de la reine, le pavillon des Sources. — Rue Satory, les écuries de la comtesse d’Artois, le jardin anglais de Monsieur, les glacières du roi, le manège des chevau-légers de la garde du roi, le jardin de l’hôtel des trésoriers des bâtiments. — Par ces quatre rues, jugez des autres. — On ne peut faire cent pas dans la ville sans y rencontrer un accessoire du palais : hôtel de l’état-major des gardes du corps, hôtel de l’état-major des chevau-légers, hôtel immense des gardes du corps, hôtel des gendarmes de la garde, hôtels du grand-louvetier, du grand-fauconnier, du grand-veneur, du grand-maître, du commandant du canal, du contrôleur général, du surintendant des bâtiments, hôtel de la chancellerie, bâtiments de la fauconnerie et du vol de cabinet, bâtiments du vautrait, grand chenil, chenil-dauphin, chenil dit des chiens verts, l’hôtel des voitures de la cour, magasin des bâtiments et menus-plaisirs, ateliers et magasins pour les menus-plaisirs, grande écurie, petite écurie, autres écuries dans la rue de Limoges, dans la rue Royale et dans l’avenue de Saint-Cloud, potager du roi comprenant vingt-neuf jardins et quatre terrasses, grand-commun habité par deux mille personnes, maisons et hôtels dits des Louis où le roi assigne des logements à temps ou à vie : avec des mots sur du papier, on ne rend point l’impression physique de l’énormité physique. — Aujourd’hui, de cet ancien Versailles mutilé et approprié à d’autres usages, il ne reste plus que des morceaux ; allez le voir pourtant. Considérez ces trois avenues qui se réunissent sur la grande place, larges de quarante toises, longues de quatre cents, et qui n’étaient point trop vastes pour la multitude, le déploiement, la vitesse vertigineuse des escortes lancées à fond de train et des carrosses courant « à tombeau ouvert[5] » ; voyez, en face du château, les deux écuries, avec leurs grilles de trente-deux toises, ayant coûté, en 1682, trois millions, c’est-à-dire quinze millions d’aujourd’hui, si amples et si belles que, sous Louis XIV lui-même, on en faisait tantôt un champ de cavalcades pour les princes, tantôt une salle de théâtre, et tantôt une salle de bal ; suivez alors du regard le développement de la gigantesque place demi-circulaire, qui, de grille en grille et de cour en cour, va montant et se resserrant, d’abord entre les hôtels des ministres, puis entre les deux ailes colossales, pour s’achever par le fastueux encadrement de la Cour de Marbre, où les pilastres, les statues, les frontons, les ornements multipliés et amoncelés d’étage en étage portent jusque dans le ciel la raideur majestueuse de leurs lignes et l’étalage surchargé de leur décor. D’après un manuscrit relié aux armes de Mansart, le palais a coûté 153 millions, c’est-à-dire environ 750 millions d’aujourd’hui[6] ; quand un roi veut représenter, c’est à ce prix qu’il se loge. — Jetez maintenant les yeux de l’autre côté, vers les jardins, et cette représentation vous deviendra plus sensible. Les parterres et le parc sont encore un salon en plein air ; la nature n’y a plus rien de naturel ; elle est tout entière disposée et rectifiée en vue de la société ; ce n’est point là un endroit pour être seul et se détendre, mais un lieu pour se promener en compagnie et saluer. Ces charmilles droites sont des murailles et des tentures. Ces ifs tondus figurent des vases et des lyres. Ces parterres sont des tapis à ramages. Dans ces allées unies et rectilignes, le roi, la canne à la main, groupera autour de lui tout son cortège. Soixante dames, en robes lamées et bouffantes sur des paniers qui ont vingt-quatre pieds de circonférence, s’espaceront sans peine sur les marches de ces escaliers. Ces cabinets de verdure pourront abriter une collation princière[7]. Sous ce portique circulaire, tous les seigneurs qui ont l’entrée de la chambre pourront assister ensemble au jeu d’un nouveau jet d’eau. Ils retrouvent leurs pareils jusque dans les figures de marbre et de bronze qui peuplent les allées et les bassins, jusque dans la contenance digne d’un Apollon, dans l’air théâtral d’un Jupiter, dans l’aisance mondaine et dans la nonchalance voulue d’une Diane ou d’une Vénus. Les dieux eux-mêmes sont de leur monde. — Enfoncée par l’effort de toute une société et de tout un siècle, l’empreinte de la cour est si forte, qu’elle s’est gravée dans le détail comme dans l’ensemble et dans les choses de la matière comme dans les choses de l’esprit.

II

Ceci n’est que le cadre ; avant 1789, il était rempli. On n’a rien vu, dit Chateaubriand, quand on n’a pas vu la pompe de Versailles, même après le licenciement de l’ancienne maison du roi ; Louis XIV était toujours là[8]. » C’est un fourmillement de livrées, d’uniformes, de costumes et d’équipages, aussi brillant et aussi varié que dans un tableau ; j’aurais voulu vivre huit jours dans ce monde ; il est fait à peindre, arrangé exprès pour le plaisir des yeux, comme une scène d’opéra. Mais comment nous figurer aujourd’hui des gens pour qui la vie était un opéra ? En ce temps-là, il faut à un grand un grand état de maison ; son cortège et son décor font partie de sa personne ; il se manque à lui-même s’il ne les a pas aussi amples et aussi beaux qu’il le peut ; il serait choqué d’un vide dans sa maison comme nous d’un trou dans notre habit. S’il se retranche, il déchoit ; quand Louis XVI fait des réformes, la cour dit qu’il agit en bourgeois. Dès qu’un prince ou une princesse est d’âge, on lui forme une maison ; dès qu’un prince se marie, on forme une maison à sa femme ; et par maison entendez une représentation à quinze ou vingt services distincts, écurie, vénerie, chapelle, faculté, chambre, garde-robe, chambre aux deniers, bouche, paneterie-bouche, cuisine-bouche, échansonnerie, fruiterie, fourrerie, cuisine-commun, cabinet, conseil[9] ; elle ne se sent point princesse sans cela. Il y a 274 charges chez le duc d’Orléans, 210 chez Mesdames, 68 chez Madame Élisabeth, 239 chez la comtesse d’Artois, 256 chez la comtesse de Provence, 496 chez la reine. Lorsqu’il s’agit de former une maison à Madame Royale, âgée d’un mois, « la reine, écrit l’ambassadeur d’Autriche, veut supprimer une mollesse nuisible, une affluence inutile de gens de service, et tout usage propre à faire naître des sentiments d’orgueil. Malgré le retranchement susdit, la maison de la jeune princesse se montera encore à près de 80 personnes destinées au service unique de sa personne royale[10] ». La maison civile de Monsieur en comprend 420 et sa maison militaire 179 ; celle du comte d’Artois 237 et sa maison civile 456. — Les trois quarts sont pour la montre ; avec leurs broderies et leurs galons, avec leur contenance dégagée et polie, leur air attentif et discret, leur belle façon de saluer, de marcher, de sourire, ils font bien, alignés dans une antichambre ou espacés par groupes dans une galerie ; j’aurais même voulu contempler les escouades des écuries et des cuisines ; ce sont les figurants qui remplissent le fond du tableau. — Par cet éclat des astres secondaires, jugez de la splendeur du soleil royal.

Il faut au roi une garde, infanterie, cavalerie, gardes du corps, gardes françaises, gardes suisses, Cent-Suisses, chevau-légers de la garde, gendarmes de la garde, gardes de la porte, 9 050 hommes[11], coûtant chaque année 7 681 000 livres. Quatre compagnies des gardes françaises et deux des gardes suisses font tous les jours la parade dans la cour des ministres, entre les deux grilles, et le spectacle est magnifique quand le roi sort en carrosse pour aller à Paris ou à Fontainebleau. Quatre trompettes sonnent à l’avant et quatre en arrière. Les gardes suisses d’un côté, les gardes françaises de l’autre[12] font la haie aussi loin qu’elle peut s’étendre. Devant les chevaux marchent les Cent-Suisses en costume du quinzième siècle, avec la pertuisane, la fraise, le chapeau à panache, l’ample pourpoint bariolé de couleurs mi-parties, à côté d’eux les gardes de la prévôté, à brandebourgs d’or et parements d’écarlate, avec des hoquetons tout hérissés de bouillons d’orfèvrerie. Dans tous les corps, les officiers, les trompettes, les musiciens, chamarrés de passementeries d’or et d’argent, sont éblouissants à voir ; la timbale pendue à l’arçon de la selle, toute brodée et surchargée d’ornements peints et dorés, est une pièce à mettre dans un garde-meuble ; le cymbalier nègre des gardes françaises ressemble à un soudan de féerie. — Derrière le carrosse et sur les flancs courent les gardes du corps, avec l’épée et la carabine, en culottes rouges, grandes bottes noires, habit bleu couturé de broderies blanches, tous gentilshommes vérifiés ; il y en a 1 200, choisis à la noblesse et à la taille ; parmi eux sont les gardes de la manche, plus intimes encore, qui, à l’église, aux cérémonies, en hoqueton blanc étoilé de papillotes d’argent et d’or, ayant en main leur pertuisane damasquinée, sont toujours debout et tournés vers le roi « pour avoir de toutes parts l’œil sur sa personne ». Voilà pour sa sûreté. — Étant gentilhomme, il est cavalier, et il lui faut une écurie proportionnée[13], 1 857 chevaux, 217 voitures, 1 458 hommes qu’il habille et dont la livrée coûte 540 000 francs par an ; outre cela, 38 écuyers de main, cavalcadours et ordinaires ; outre cela, 20 gouverneurs, sous-gouverneurs, aumôniers, professeurs, cuisiniers et valets pour gouverner, instruire et servir les pages ; outre cela, une trentaine de médecins, apothicaires, garde-malades, intendants, trésoriers, ouvriers, marchands brevetés et payés pour les accessoires de ce service : en tout plus de 1 500 hommes. On achète pour 250 000 francs de chevaux par an, et il y a des haras en Limousin et en Normandie pour la remonte. 287 chevaux sont exercés tous les jours dans les deux manèges ; il y a 445 chevaux de selle dans la petite écurie, 437 dans la grande, et cela ne suffit pas à la « vivacité du service ». Le tout coûte 4 600 000 livres en 1775 et monte à 6 200 000 livres en 1787[14]. Encore un spectacle qu’il faudrait voir avec les yeux de la tête, pages[15], piqueurs, élèves galonnés, élèves à boutons d’argent, garçons de la petite livrée en soie, joueurs d’instruments, chevaucheurs de l’écurie. C’est un art féodal que l’emploi du cheval ; il n’y a pas de luxe plus naturel à un homme de qualité ; pensez aux écuries de Chantilly, qui sont des palais. Pour dire un homme bien élevé et distingué, on disait alors « un cavalier accompli » ; en effet, il n’avait toute sa prestance qu’en selle et sur un cheval de race comme lui. — Autre goût de gentilhomme, qui est une suite du précédent : la chasse. Elle coûte au roi de 1 100 000 à 1 200 000 livres par an[16] et occupe 280 chevaux, outre ceux des deux écuries. On ne saurait imaginer un équipage plus varié ni plus complet : meute pour le sanglier, meute pour le loup, meute pour le chevreuil, vol pour corneille, vol pour pie, vol pour émerillon, vol pour lièvre, vol pour les champs. On dépense, en 1783, 179 194 livres pour la nourriture des chevaux et 53 412 livres pour celle des chiens. Tout le territoire, à dix lieues de Paris, est chasse gardée ; « on n’y saurait tirer un coup de fusil[17] ; aussi voyez-vous dans toutes les plaines les perdrix, familiarisées avec l’homme, becqueter le grain tranquillement et ne point s’écarter quand il passe ». Joignez-y les capitaineries des princes jusqu’à Villers-Cotterets et Orléans ; cela fait, autour de Paris, un cercle presque continu, ayant trente lieues de rayon, où le gibier, protégé, remisé, multiplie, fourmille pour les plaisirs du roi. Le seul parc de Versailles est une enceinte close de plus de dix lieues. La forêt de Rambouillet comprend 25 000 arpents. On rencontre autour de Fontainebleau des bandes de soixante-dix à quatre-vingts cerfs. En lisant les carnets des chasses, il n’y a pas de vrai chasseur qui n’éprouve un mouvement d’envie. L’équipage du loup court toutes les semaines et prend 40 loups par an. De 1745 à 1774, Louis XV force 6 400 cerfs. Louis XVI écrit le 31 août 1781 : « Aujourd’hui tué 460 pièces ». En 1780, il abat 20 534 pièces ; en 1781, 20 291 ; en quatorze ans, 189 251 pièces, outre 1 254 cerfs ; les sangliers, les chevreuils, sont en proportion ; et notez que tout cela est sous sa main, puisque ses parcs confinent à ses maisons. — Tel est en effet le caractère d’une « maison montée », c’est-à-dire munie de ses dépendances et de ses services ; tout y est à portée : c’est un monde complet qui se suffit à lui-même. Une grande vie se rattache et rassemble autour d’elle, avec une prévoyance universelle et un détail minutieux, tous les appendices dont elle use ou dont elle pourrait user. — Ainsi chaque prince, chaque princesse a sa faculté, sa chapelle[18] ; il ne convient pas que l’aumônier qui leur dit la messe, que le chirurgien qui les soigne, soient d’emprunt. À plus forte raison faut-il au roi les siens : pour sa chapelle, 75 aumôniers, chapelains, confesseurs, maîtres de l’oratoire, clercs, avertisseurs, sommiers de chapelle, chantres, noteurs, compositeurs de musique sacrée ; pour sa faculté, 48 médecins, chirurgiens, apothicaires, oculistes, opérateurs, renoueurs, distillateurs, pédicures et spagiriques. Notez encore sa musique profane, 128 chanteurs, danseurs, instrumentistes, maîtres et surintendants ; son cabinet de livres, 43 conservateurs, lecteurs, interprètes, graveurs, médaillistes, géographes, relieurs, imprimeurs ; le personnel qui orne ses cérémonies, 62 hérauts, porte-épées, introducteurs et musiciens ; le personnel qui pourvoit à ses logements, 68 maréchaux des logis, guides et fourriers. J’omets d’autres services, j’ai hâte d’arriver au centre, la bouche ; c’est à la table qu’on reconnaît une grande maison.

Il y a trois divisions de la bouche[19] : la première pour le roi et ses enfants en bas âge ; la seconde, nommée petit commun, pour la table du grand maître, pour celle du grand chambellan et pour celle des princes et princesses qui logent chez le roi ; la troisième, nommée grand commun pour la seconde table du grand maître, pour celle des maîtres d’hôtel, pour celle des aumôniers, pour celle des gentilshommes servants et pour celle des valets de chambre : en tout 383 officiers de bouche, 105 garçons et 2 177 771 livres de dépense ; outre cela 389 175 livres pour la bouche de Madame Élisabeth, et 1 095 547 livres pour celles de Mesdames, total 3 660 491 livres pour la table. Le marchand de vin fournit par an pour 300 000 francs de vin et le pourvoyeur pour un million de gibier, viande et poisson. Rien que pour aller à Ville-d’Avray chercher l’eau, et pour voiturer les officiers, garçons et provisions, il faut 50 chevaux loués 70 591 francs par an. Les princes et princesses du sang, ayant le droit « d’envoyer prendre du poisson à la recette les jours maigres, quand ils ne font pas à la cour de résidence suivie », ce seul article revient, en 1778, à 175 116 livres. Lisez dans l’Almanach les titres des offices, et vous verrez se développer devant vous une fête de Gargantua, la solennelle hiérarchie des cuisines, grands officiers de la bouche, maîtres d’hôtel, contrôleurs, contrôleurs-élèves, commis, gentilshommes panetiers, échansons et tranchants, écuyers et huissiers de cuisine, chefs, aides et maîtres-queux, enfants de cuisine et galopins ordinaires, coureurs de vins et hâteurs de rôts, potagers, verduriers, lavandiers, pâtissiers, serdeaux, porte-tables, gardes-vaisselle, sommiers des broches, maître d’hôtel de la table du premier maître d’hôtel, toute une procession de dos amples et galonnés, de ventres majestueux et rebondis, de figures sérieuses qui, devant les casseroles, autour des buffets, officient avec ordre et conviction. — Encore un pas et nous entrons dans le sanctuaire, l’appartement du roi. Deux dignitaires principaux y président, et chacun d’eux a sous ses ordres une centaine de subordonnés : d’un côté le grand chambellan avec les premiers gentilshommes de la chambre, avec les pages de la chambre, leurs gouverneurs et précepteurs, avec les huissiers de l’antichambre, avec les quatre premiers valets de chambre ordinaires, avec les seize valets de chambre par quartier, avec les porte-manteaux ordinaires et par quartier, avec les barbiers, tapissiers, horlogers, garçons et porteurs ; de l’autre côté, le grand-maître de la garde-robe, avec les maîtres de la garde-robe, avec les valets de la garde-robe ordinaires et par quartier, avec le porte-malle, le porte-mail, les tailleurs, les lavandiers, l’empeseur et les garçons ordinaires, avec les gentilshommes ordinaires, les huissiers et secrétaires de cabinet, en tout 198 personnes pour le service intime, comme autant d’ustensiles domestiques pour tous les besoins de la personne ou de meubles somptueux pour la décoration de l’appartement. Il y en a pour aller chercher le mail et les boules, pour tenir le manteau et la canne, pour peigner le roi et l’essuyer au bain, pour commander les mulets qui transportent son lit, pour gouverner les levrettes de sa chambre, pour lui plier, passer et nouer sa cravate, pour enlever et rapporter sa chaise percée[20]. Il y en a surtout dont tout l’office est d’être là et de remplir un coin qui ne doit pas rester vide. Certainement, pour le port et l’aisance, ils sont les premiers de tous ; si proches du maître, ils y sont obligés ; dans un tel voisinage, leur tenue ne doit pas faire disparate. — Telle est la maison du roi, et je n’ai décrit qu’une de ses résidences ; il y en a une douzaine, outre Versailles, grandes ou petites, Marly, les deux Trianon, la Muette, Meudon, Choisy, Saint-Hubert, Saint-Germain, Fontainebleau, Compiègne, Saint-Cloud, Rambouillet[21], sans compter le Louvre, les Tuileries et Chambord, avec leurs parcs et territoires de chasse, avec leurs gouverneurs, inspecteurs, contrôleurs, concierges, fontainiers, jardiniers, balayeurs, frotteurs, taupiers, gruyers, gardes à cheval et à pied, plus de 1000 personnes. Naturellement il entretient, plante et bâtit ; à cela il dépense 3 ou 4 millions par année[22]. Naturellement aussi il répare et renouvelle ses ameublements ; en 1778, qui est une année moyenne, cela lui coûte 1 936 853 livres. Naturellement aussi il y mène ses hôtes et les y défraye, eux et leurs gens : à Choisy, en 1780, outre les distributions, il y a 16 tables et 345 couverts ; à Saint-Cloud, en 1785, il y a 26 tables ; « un voyage à Marly de 21 jours est un objet de 120 000 livres de dépense extraordinaire » ; le voyage à Fontainebleau a coûté jusqu’à 400 000 et 500 000 livres. En moyenne, ses déplacements exigent par an un demi-million et davantage[23]. — Pour achever de concevoir ce prodigieux attirail, songez que « des artisans et marchands de tous les corps d’état sont obligés, par leur privilège, de suivre la cour » dans ses voyages, afin de la fournir sur place : « apothicaires, armuriers, arquebusiers, bonnetiers-vendeurs de bas de soie et de laine, bouchers, boulangers, brodeurs, cabaretiers, carreleurs de souliers, ceinturiers, chandeliers, chapeliers, charcutiers, chirurgiens, cordonniers, corroyeurs-baudroyeurs, cuisiniers, découpeurs-égratigneurs, doreurs et graveurs, éperonniers, épiciers-confituriers, fourbisseurs, fripiers, gantiers-parfumeurs, horlogers, libraires, lingers, marchands-vendeurs de vin en gros et en détail, menuisiers, merciers-joailliers-grossiers, orfèvres, parcheminiers, passementiers, poulaillers-rôtisseurs et poissonniers, proviseurs de foin, paille et avoine, quincailliers, selliers, tailleurs, vendeurs de pain d’épice et d’amidon, verduriers-fruitiers, verriers et violons[24] ». On dirait d’une cour d’Orient qui, pour se mouvoir, entraîne tout un monde : « quand elle va s’ébranler, il faut, si l’on veut passer, prendre la poste d’avance ». Au total, près de 4 000 personnes pour la maison civile du roi, 9 000 à 10 000 pour sa maison militaire, 2 000 au moins pour celles de ses proches, en tout près de 15 000 personnes avec une dépense de 40 à 45 millions, qui en vaudraient le double aujourd’hui et qui sont alors le dixième du revenu public[25]. Voilà la pièce centrale du décor monarchique. Si grande et si dispendieuse qu’elle soit, elle n’est que proportionnée à son usage, depuis que la cour est une institution publique et que l’aristocratie, occupée à vide, s’emploie à remplir le salon du roi.

III

Deux causes y maintiennent cette affluence : l’une qui est la forme féodale conservée, l’autre qui est la nouvelle centralisation introduite ; l’une qui met le service du roi entre les mains des nobles, l’autre qui change les nobles en solliciteurs. — Par les charges du palais, la première noblesse vit chez le roi, à demeure : grand aumônier, M. de Montmorency-Laval, évêque de Metz ; premier aumônier, M. de Bessuéjouls de Roquelaure, évêque de Senlis ; grand maître de France, le prince de Condé ; premier maître d’hôtel, le comte des Cars ; maître d’hôtel ordinaire, le marquis de Montdragon ; premier panetier, le duc de Brissac ; grand échanson, le marquis de Verneuil ; premier tranchant, le marquis de la Chesnaye ; premiers gentilshommes de la chambre, les ducs de Richelieu, de Durfort, de Villequier, de Fleury ; grand maître de la garde-robe, le duc de La Rochefoucauld-Liancourt ; maîtres de la garde-robe, le comte de Boisgelin et le marquis de Chauvelin ; capitaine de la fauconnerie, le chevalier de Forget ; capitaine du vautrait, le marquis d’Ecquevilly ; surintendant des bâtiments, le comte d’Angiviller ; grand écuyer, le prince de Lambesc ; grand veneur, le duc de Penthièvre ; grand maître des cérémonies, le marquis de Brézé ; grand maréchal des logis, le marquis de la Suze ; capitaines des gardes, les ducs d’Ayen, de Villeroy, de Brissac, d’Aiguillon et de Biron, les princes de Poix, de Luxembourg et de Soubise ; prévôt de l’hôtel, le marquis de Tourzel ; gouverneurs des résidences et capitaines des chasses, le duc de Noailles, le marquis de Champcenetz ; le baron de Champlost, le duc de Coigny, le comte de Modène, le comte de Montmorin, le duc de Laval, le comte de Brienne, le duc d’Orléans, le duc de Gesvres[26]. Tous ces seigneurs sont pour le roi des familiers obligés, des hôtes perpétuels et le plus souvent héréditaires, logés chez lui, en société intime et quotidienne avec lui, puisqu’ils sont « ses gens[27] » et font le service domestique de sa personne. Ajoutez-y leurs pareils, aussi nobles et presque aussi nombreux chez la reine, chez Mesdames, chez Madame Élisabeth, chez le comte et chez la comtesse de Provence, chez le comte et chez la comtesse d’Artois. — Et ce ne sont là que les chefs d’emploi ; si, au-dessous d’eux, dans les offices, je compte les titulaires nobles, j’y trouve, entre autres, 68 aumôniers ou chapelains, 170 gentilshommes de la chambre ou servants, 117 gentilshommes de l’écurie et de la vénerie, 148 pages, 114 dames de compagnie titrées, en outre tous les officiers jusqu’au plus petit de la maison militaire, sans compter 1 400 simples gardes qui, vérifiés par le généalogiste[28], sont admis sur ce titre à faire leur cour. Telle est la recrue fixe des réceptions royales ; c’est le trait distinctif de ce régime que les serviteurs y sont des hôtes, et que l’antichambre y peuple le salon.

Non que le salon ait besoin de cela pour se remplir. Étant la source de tout avancement et de toute grâce, il est naturel qu’il regorge ; dans notre société égalitaire, celui d’un mince député, d’un médiocre journaliste, d’une femme à la mode, est plein de courtisans sous le nom de visiteurs et d’amis. — D’ailleurs ici la présence est d’obligation ; on pourrait dire qu’elle est une continuation de l’ancien hommage féodal ; l’état-major des nobles est tenu de faire cortège à son général-né. Dans le langage du temps, cela s’appelle « rendre ses devoirs au roi ». Aux yeux du prince, l’absence serait une marque d’indépendance autant que d’indifférence, et la soumission, aussi bien que l’empressement, lui est due. — À cet égard, il faut voir l’institution dès son origine. Du regard, à chaque instant Louis XIV faisait sa ronde, « à son lever, à son coucher, à ses repas, en passant dans ses appartements, dans ses jardins… : aucun ne lui échappait, jusqu’à ceux qui n’espéraient pas même être vus ; c’était un démérite aux uns et à tout ce qu’il y avait de plus distingué de ne pas faire de la cour son séjour ordinaire, aux autres d’y venir rarement, et une disgrâce sûre pour qui n’y venait jamais ou comme jamais[29] ». Dorénavant pour les premiers personnages du royaume, hommes et femmes, ecclésiastiques et laïques, la grande affaire, le principal emploi de la vie, le vrai travail, sera d’être à toute heure, en tout lieu, sous les yeux du roi, à portée de sa parole ou de son regard. « Qui considérera, dit La Bruyère, que le visage du prince fait toute la félicité du courtisan, qu’il s’occupe et se remplit toute sa vie de le voir et d’en être vu, comprendra un peu comment voir Dieu fait toute la gloire et toute la félicité des saints. » Il y eut alors des prodiges d’assiduité et d’assujettissement volontaire. Tous les matins à sept heures, en hiver comme en été, le duc de Fronsac, par ordre de son père, se trouvait au bas du petit escalier qui conduit à la chapelle, uniquement pour donner la main à Mme de Maintenon qui partait pour Saint-Cyr[30]. « Pardonnez-moi, Madame, lui écrivait le duc de Richelieu, l’extrême liberté que je prends d’oser vous envoyer la lettre que j’écris au roi, par où je le prie à genoux qu’il me permette de lui aller faire de Ruel quelquefois ma cour ; car j’aime autant mourir que d’être deux mois sans le voir. » Le vrai courtisan suivait le prince comme l’ombre suit le corps ; tel fut sous Louis XIV le duc de La Rochefoucauld, grand veneur. « Le lever, le coucher, les deux autres changements d’habit tous les jours, les chasses et les promenades du roi tous les jours aussi, il n’en manquait jamais, quelquefois dix ans de suite sans découcher d’où était le roi, et sur pied de demander un congé, non pour découcher, car en plus de quarante ans il n’a jamais couché vingt fois hors de Paris, mais pour aller dîner hors de la cour et ne pas être de la promenade. » — Si plus tard, sous des maîtres moins exigeants et dans le relâchement général du dix-huitième siècle, cette discipline se détend, l’institution subsiste[31] ; à défaut de l’obéissance, la tradition, l’intérêt et l’amour-propre suffiraient pour peupler la cour. Approcher du roi, être domestique dans sa maison, huissier, porte-manteau, valet de chambre, est un privilège qu’on achète, même en 1789, trente, quarante et cent mille livres ; à plus forte raison sera-ce un privilège, et le plus honorable, le plus utile, le plus envié de tous, de faire partie de sa société — D’abord, c’est une preuve de race. Un homme, pour suivre le roi à la chasse, une femme pour être présentée à la reine, doit établir au préalable, devant le généalogiste et par pièces authentiques, que sa noblesse remonte à l’an 1400. — Ensuite c’est une certitude de fortune ; il n’y a que ce salon pour être à portée des grâces ; aussi bien, jusqu’en 1789, les grandes familles ne bougent pas de Versailles, et, nuit et jour, sont à l’affût. Le valet de chambre du maréchal de Noailles lui disait un soir en fermant ses rideaux : « À quelle heure Monseigneur veut-il que je l’éveille demain. — À dix heures, s’il ne meurt personne cette nuit[32] ». On trouve encore de ces vieux courtisans, qui « âgés de quatre-vingts ans, en ont bien passé quarante-cinq sur leurs pieds dans l’antichambre du roi, des princes et des ministres ». — « Vous n’avez que trois choses à faire, disait l’un d’eux à un débutant : dites du bien de tout le monde, demandez tout ce qui vaquera, et asseyez-vous quand vous pourrez. »

C’est pourquoi, autour du prince, il y a toujours foule. Le 1er  août 1773, la comtesse du Barry présentant sa nièce, « le cortège est si nombreux, partout où cette présentation passe, qu’on peut à peine traverser les antichambres[33] ». En décembre 1774, à Fontainebleau, où tous les soirs la reine tient son jeu, « l’appartement, quoique vaste, ne désemplit pas… La presse est telle, qu’on ne peut parler qu’aux deux ou trois personnes avec lesquelles on joue ». Aux réceptions d’ambassadeurs, les quatorze appartements sont pleins et combles de seigneurs et de femmes parées. Le 1er  janvier 1775 la reine « a compté au delà de deux cents femmes qui se sont présentées pour lui faire leur cour ». En 1780, à Choisy, il y a tous les jours une table de trente couverts pour le roi, une autre de trente couverts pour les seigneurs, outre quarante couverts pour les officiers de garde et les écuyers, outre cinquante couverts pour les officiers de la chambre. J’estime qu’à son lever, à son coucher, dans ses promenades, à sa chasse, à son jeu, le roi a toujours autour de lui, outre les gens de service, quarante ou cinquante seigneurs au moins, plus souvent une centaine, et autant de dames ; à Fontainebleau, en 1756, quoiqu’il n’y eût « cette année-là ni fêtes ni ballets, on comptait cent six dames ». Quand le roi tient « grand appartement », lorsqu’il donne à jouer ou à danser dans la galerie des glaces, quatre ou cinq cents invités, l’élite de la noblesse et de la mode s’ordonnent sur les banquettes ou se pressent autour des tables de cavagnole et de tri[34]. Voilà le spectacle qu’il faudrait voir, non par l’imagination et d’après des textes incomplets, mais avec les yeux et sur place, pour comprendre l’esprit, l’effet, le triomphe de la culture monarchique ; dans une maison montée, le salon est la pièce principale ; et il n’y en eut jamais de plus éblouissant que celui-ci. De la voûte sculptée et peuplée d’amours folâtres, descendent, par des guirlandes de fleurs et de feuillage, les lustres flamboyants dont les hautes glaces multiplient la splendeur ; la lumière rejaillit à flots sur les dorures, sur les diamants, sur les têtes spirituelles et gaies, sur les fins corsages, sur les énormes robes enguirlandées et chatoyantes. Les paniers des dames rangées en cercle ou étagées sur les banquettes « forment un riche espalier couvert de perles, d’or, d’argent, de pierreries, de paillons, de fleurs, de fruits avec leurs fleurs, groseilles, cerises, fraises artificielles » ; c’est un gigantesque bouquet vivant dont l’œil a peine à soutenir l’éclat. — Point d’habits noirs comme aujourd’hui pour faire disparate. Coiffés et poudrés, avec des boucles et des nœuds, en cravates et manchettes de dentelle, en habits et vestes de soie feuille morte, rose tendre, bleu céleste, agrémentés de broderies et galonnés d’or, les hommes sont aussi parés que les femmes. Hommes et femmes, on les a choisis un à un ; ce sont tous des gens du monde accomplis, ornés de toutes les grâces que peuvent donner la race, l’éducation, la fortune, le loisir et l’usage ; dans leur genre, ils sont parfaits. Il n’y a pas une toilette ici, pas un air de tête, pas un son de voix, pas une tournure de phrase qui ne soit le chef-d’œuvre de la culture mondaine, la quintessence distillée de tout ce que l’art social peut élaborer d’exquis. Si polie que soit la société de Paris, elle n’en approche pas[35] ; comparée à la cour, elle semble provinciale. Il faut cent mille roses, dit-on, pour faire une once de cette essence unique qui sert aux rois de Perse ; tel est ce salon, mince flacon d’or et de cristal ; il contient la substance d’une végétation humaine. Pour le remplir, il a fallu d’abord qu’une grande aristocratie, transplantée en serre chaude et désormais stérile de fruits, ne portât plus que des fleurs, ensuite que, dans l’alambic royal, toute sa sève épurée se concentrât en quelques gouttes d’arôme. Le prix est excessif, mais c’est à ce prix qu’on fabrique les très délicats parfums.

IV

Une opération semblable engage celui qui la fait comme ceux qui la subissent. Ce n’est point impunément qu’on transforme une noblesse d’utilité en une noblesse d’ornement[36] ; on tombe soi-même dans la parade qu’on a substituée à l’action. Le roi a une cour, il faut qu’il la tienne. Tant pis si elle absorbe son temps, son esprit, son âme, tout le meilleur de sa force active, et de la force de l’État. Ce n’est pas une petite besogne que d’être maître de maison, surtout quand, à l’ordinaire, on reçoit cinq cents personnes ; on est obligé de passer sa vie en public et en spectacle. À parler exactement, c’est le métier d’un acteur qui toute la journée serait en scène. Pour soutenir ce fardeau et travailler d’ailleurs, il a fallu le tempérament de Louis XIV, la vigueur de son corps, la résistance extraordinaire de ses nerfs, la puissance de son estomac, la régularité de ses habitudes ; après lui, sous la même charge, ses successeurs se lassent ou défaillent. Mais ils ne peuvent s’y soustraire ; la représentation incessante et journalière est inséparable de leur place et s’impose à eux comme un habit de cérémonie lourd et doré. Le roi est tenu d’occuper toute une aristocratie, par conséquent de se montrer et de payer de sa personne à toute heure, même aux heures les plus intimes, même en sortant du lit, même au lit. Le matin, à l’heure qu’il a marquée d’avance[37], le premier valet de chambre l’éveille : cinq séries de personnes entrent tour à tour pour lui rendre leurs devoirs, et « quoique très vastes, il y a des jours où les salons d’attente peuvent à peine contenir la foule des courtisans ». — D’abord on introduit « l’entrée familière », enfants de France, princes et princesses du sang, outre cela le premier médecin, le premier chirurgien et autres personnages utiles[38]. — Puis on fait passer la « grande entrée » ; elle comprend le grand chambellan, le grand maître et le maître de la garde-robe, les premiers gentilshommes de la chambre, les ducs d’Orléans et de Penthièvre, quelques autres seigneurs très favorisés, les dames d’honneur et d’atour de la reine, de Mesdames et des autres princesses, sans compter les barbiers, tailleurs et valets de plusieurs sortes. Cependant on verse au roi de l’esprit-de-vin sur les mains dans une assiette de vermeil, puis on lui présente le bénitier ; il fait le signe de croix et dit une prière. Alors, devant tout ce monde, il sort de son lit, chausse ses mules. Le grand chambellan et le premier gentilhomme lui présentent sa robe de chambre ; il l’endosse et vient s’asseoir sur le fauteuil où il doit s’habiller. — À cet instant, la porte se rouvre ; un troisième flot pénètre, c’est « l’entrée des brevets » ; les seigneurs qui la composent ont en outre le privilège précieux d’assister au petit coucher, et du même coup arrive une escouade de gens de service, médecins et chirurgiens ordinaires, intendants des menus-plaisirs, lecteurs et autres, parmi ceux-ci le porte-chaise d’affaires : la publicité de la vie royale est telle, que nulle de ses fonctions ne s’accomplit sans témoins. — Au moment où les officiers de la garde-robe s’approchent du roi pour l’habiller, le premier gentilhomme, averti par l’huissier, vient dire au roi les noms des grands qui attendent à la porte : c’est la quatrième entrée, dite « de la chambre », plus grosse que les précédentes ; car, sans parler des porte-manteaux, porte-arquebuse, tapissiers et autres valets, elle comprend la plupart des grands officiers, le grand aumônier, les aumôniers de quartier, le maître de chapelle, le maître de l’oratoire, le capitaine et le major des gardes du corps, le colonel général et le major des gardes françaises, le colonel du régiment du roi, le capitaine des Cent-Suisses, le grand veneur, le grand louvetier, le grand prévôt, le grand maître et le maître des cérémonies, le premier maître d’hôtel, le grand panetier, les ambassadeurs étrangers, les ministres et secrétaires d’État, les maréchaux de France, la plupart des seigneurs de marque et des prélats. Des huissiers font ranger la foule et au besoin faire silence. Cependant le roi se lave les mains et commence à se dévêtir. Deux pages lui ôtent ses pantoufles ; le grand maître de la garde-robe lui tire sa camisole de nuit par la manche droite, le premier valet de garde-robe par la manche gauche, et tous deux la remettent à un officier de garde-robe, pendant qu’un valet de garde-robe apporte la chemise dans un surtout de taffetas blanc. — C’est ici l’instant solennel, le point culminant de la cérémonie ; la cinquième entrée a été introduite, et, dans quelques minutes, quand le roi aura pris la chemise, tout le demeurant des gens connus et des officiers de la maison qui attendent dans la galerie apportera le dernier flot. Il y a tout un règlement pour cette chemise. L’honneur de la présenter est réservé aux fils et aux petits-fils de France, à leur défaut aux princes du sang ou légitimés, au défaut de ceux-ci au grand chambellan ou au premier gentilhomme ; notez que ce dernier cas est rare, les princes étant obligés d’assister au lever du roi, comme les princesses à celui de la reine[39]. Enfin voilà la chemise présentée ; un valet de garde-robe emporte l’ancienne ; le premier valet de garde-robe et le premier valet de chambre tiennent la nouvelle, l’un par la manche gauche, l’autre par la manche droite[40], et, pendant l’opération, deux autres valets de chambre tendent devant lui sa robe de chambre déployée, en guise de paravent. La chemise est endossée, et la toilette finale va commencer. Un valet de chambre tient devant le roi un miroir, et deux autres, sur les deux côtés, éclairent, si besoin est, avec des flambeaux. Des valets de garde-robe apportent le reste de l’habillement ; le grand maître de garde-robe passe au roi la veste et le justaucorps, lui attache le cordon bleu, lui agrafe l’épée ; puis un valet préposé aux cravates en apporte plusieurs dans une corbeille, et le maître de garde-robe met au roi celle que le roi choisit. Ensuite un valet préposé aux mouchoirs en apporte trois dans une soucoupe, et le grand maître de garde-robe offre la soucoupe au roi, qui choisit. Enfin le maître de garde-robe présente au roi son chapeau, ses gants et sa canne. Le roi vient alors à la ruelle de son lit, s’agenouille sur un carreau et fait sa prière, pendant qu’un aumônier à voix basse prononce l’oraison Quæsumus, Deus omnipotens. Cela fait, le roi prescrit l’ordre de la journée, et passe avec les premiers de sa cour dans son cabinet, où parfois il donne des audiences. Cependant tout le reste attend dans la galerie, afin de l’accompagner à la messe quand il sortira.

Tel est le lever, une pièce en cinq actes. — Sans doute on ne peut mieux imaginer pour occuper à vide une aristocratie : une centaine de seigneurs considérables ont employé deux heures à venir, à attendre, à entrer, à défiler, à se ranger, à se tenir sur leurs pieds, à conserver sur leur visage l’air aisé et respectueux qui convient à des figurants de haut étage, et tout à l’heure les plus qualifiés vont recommencer chez la reine[41], Mais par contre-coup le roi a subi la gêne et le désœuvrement qu’il imposait. Lui aussi, il a joué un rôle ; tous ses pas et tous ses gestes ont été réglés d’avance ; il a dû compasser sa physionomie et sa voix, ne jamais quitter l’air digne et affable, distribuer avec réserve ses regards et ses signes de tête, ne rien dire ou ne parler que de chasse, éteindre sa propre pensée s’il en a une. On ne peut pas rêver, méditer, être distrait quand on est en scène ; il faut être à son rôle. D’ailleurs, dans un salon, on n’a que des conversations de salon, et l’attention du maître, au lieu de se ramasser en un courant utile, s’éparpille en eau bénite de cour. Or toutes les heures de sa journée sont semblables, sauf trois ou quatre dans la matinée pendant lesquelles il est au conseil ou à son bureau : encore faut-il observer que, les lendemains de chasse, quand il revient de Rambouillet à trois heures du matin, il doit dormir pendant ce peu d’heures libres. Pourtant l’ambassadeur Mercy[42], homme fort appliqué, semble trouver que cela est suffisant ; du moins il juge que Louis XVI « a beaucoup d’ordre, qu’il ne perd pas de temps aux choses inutiles » ; en effet son prédécesseur travaillait beaucoup moins, à peine une heure par jour. — Ainsi les trois quarts de son temps sont livrés à la parade. — Le même cortège est autour de lui, au botté, au débotté, quand il s’habille de nouveau pour monter à cheval, quand il rentre pour prendre l’habit de soirée, quand il revient dans sa chambre pour se mettre au lit. « Tous les soirs pendant six ans, dit un page[43], moi ou mes camarades nous avons vu Louis XVI se coucher en public », avec le cérémonial décrit tout à l’heure. « Je ne l’ai pas vu suspendre dix fois, et alors c’était toujours par accident ou pour cause d’indisposition. » L’assistance est plus nombreuse encore quand il dîne et soupe ; car, outre les hommes, il y a les femmes, les duchesses sur des pliants, les autres debout autour de la table. Je n’ai pas besoin de dire que le soir, à son jeu, à son bal, à son concert, la foule afflue et s’entasse. Lorsqu’il chasse, outre les dames à cheval et en calèche, outre les officiers de vénerie, les officiers des gardes, l’écuyer, le porte-manteau, le porte-arquebuse, le chirurgien, le renoueur, le coureur de vin, et je ne sais combien d’autres, il a pour invités à demeure tous les gentilshommes présentés. Et ne croyez pas que cette suite soit mince[44] : le jour où M. de Chateaubriand est présenté, il y en a quatre nouveaux, et « très exactement » tous les jeunes gens de grande famille viennent deux ou trois fois par semaine se joindre au cortège du roi. — Non seulement les huit ou dix scènes qui composent chacune de ses journées, mais encore les courts intervalles qui séparent une scène de l’autre, sont assiégés et accaparés. On l’attend, on l’accompagne et on lui parle au passage, entre son cabinet et la chapelle, entre la chapelle et son cabinet, entre sa chambre et son carrosse, entre son carrosse et sa chambre, entre son cabinet et son couvert. — Bien mieux, les coulisses de sa vie appartiennent au public. S’il est indisposé et qu’on lui apporte un bouillon, s’il est malade et qu’on lui présente une médecine, « un garçon de chambre appelle tout de suite la grande entrée ». Véritablement le roi ressemble à un chêne étouffé par les innombrables lierres qui, depuis la base jusqu’à la cime, se sont collés autour de son tronc. — Sous un pareil régime, l’air manque ; il faut trouver une échappée : Louis XV avait ses petits soupers et la chasse ; Louis XVI a la chasse et la serrurerie. Et je n’ai pas décrit le détail infini de l’étiquette, le cérémonial prodigieux des grands repas, les quinze, vingt et trente personnes occupées autour du verre et de l’assiette du roi, les paroles sacramentelles du service, la marche du cortège, l’arrivée de « la nef », « l’essai des plats » ; on dirait d’une cour byzantine ou chinoise[45]. Le dimanche tout le public, même ordinaire, est introduit, et cela s’appelle le « grand couvert », aussi solennel et aussi compliqué qu’une grand’messe. Aussi bien, pour un descendant de Louis XIV, manger, boire, se lever, se coucher, c’est officier[46]. Frédéric II, s’étant fait expliquer cette étiquette, disait que, s’il était roi de France, son premier édit serait pour faire un autre roi qui tiendrait la cour à sa place ; en effet, à ces désœuvrés qui saluent, il faut un désœuvré qu’ils saluent. Il n’y aurait qu’un moyen de dégager le monarque : ce serait de refondre la noblesse française et de la transformer, d’après le modèle prussien, en un régiment laborieux de fonctionnaires utiles. Mais, tant que la cour reste ce qu’elle est, je veux dire une escorte d’apparat et une parure de salon, le roi est tenu d’être comme elle un décor éclatant qui sert peu ou qui ne sert pas.

V

En effet, quelle est l’occupation d’un maître de maison qui sait vivre ? Il s’amuse et amuse ses hôtes ; chez lui, c’est tous les jours une nouvelle partie de plaisir. Comptez celles d’une semaine. « Hier dimanche, dit le duc de Luynes, je trouvai en chemin le roi qui allait tirer dans la plaine Saint-Denis, et qui a été coucher à la Muette, où il compte continuer à tirer aujourd’hui et demain, et revenir ici mardi ou mercredi matin pour courre le cerf ce même jour mercredi[47]. » Deux mois plus tard, « le roi, dit encore M. de Luynes, a été tous les jours de la semaine dernière et de celle-ci à la chasse, hors aujourd’hui et les dimanches, et tué, depuis le commencement des perdreaux, trois mille cinq cents pièces ». Il est toujours en route et en chasse, passant d’une résidence à l’autre, de Versailles à Fontainebleau, à Choisy, à Marly, à la Muette, à Compiègne, à Trianon, à Saint-Hubert, à Bellevue, à Rambouillet, et, le plus souvent, avec toute sa cour[48]. À Choisy, notamment, et à Fontainebleau, tout ce monde est en liesse. À Fontainebleau, « dimanche et vendredi, jeu ; lundi et mercredi, concert chez la reine ; mardi et jeudi, les comédiens français ; samedi, ce sont les Italiens » : il y en a pour tous les jours de la semaine. À Choisy, écrit la Dauphine[49], « depuis une heure où l’on dîne, on est jusqu’à une heure du matin sans rentrer chez soi… Après le dîner, l’on joue jusqu’à six heures, que l’on va au spectacle qui dure jusqu’à neuf heures et demie, et ensuite le souper ; de là encore jeu jusqu’à une heure et même la demie quelquefois ». À Versailles, où l’on est plus modéré, il n’y a que deux spectacles et un bal par semaine ; mais tous les soirs il y a appartement et jeu chez le roi, chez ses filles, chez sa maîtresse, chez sa bru, outre les chasses et trois petits voyages par semaine. On a compté que telle année Louis XV ne coucha que cinquante-deux nuits à Versailles, et l’ambassadeur d’Autriche dit très bien que « son genre de vie ne lui laisse pas une heure dans la journée à s’occuper des affaires sérieuses ». — Quant à Louis XVI, on a vu qu’il dégage quelques heures dans la matinée ; mais la machine est montée et l’entraîne. Comment se dérober à ses hôtes, et comment ne pas faire les honneurs de chez soi ? Les convenances et l’usage sont aussi des despotes ; ajoutez-en un troisième, plus absolu encore, la vivacité impérieuse et folâtre d’une jeune reine qui ne peut supporter une heure de lecture. À Versailles, trois spectacles et deux bals par semaine, deux grands soupers, le mardi et le jeudi ; et, de temps en temps, l’Opéra à Paris[50]. À Fontainebleau, trois spectacles par semaine, les autres jours jeu et souper. L’hiver suivant, la reine donne chaque semaine bal masqué, où la « composition des habillements, les contredanses figurées en ballets et les répétitions journalières prennent tant de temps que toute la semaine y passe ». Pendant le carnaval de 1777, la reine, outre ses propres fêtes, a les bals du Palais-Royal et les bals masqués de l’Opéra ; un peu plus tard, chez la comtesse Diane de Polignac, j’en trouve un autre où elle assiste avec toute la famille royale, sauf Mesdames, et qui dure depuis onze heures et demie du soir jusqu’à onze heures du matin. Cependant, les jours ordinaires, le pharaon fait rage ; dans son salon, « le jeu n’a plus de bornes » ; en une soirée, le duc de Chartres y perd huit mille louis. Véritablement cela ressemble au carnaval italien ; rien n’y manque, ni les masques, ni la comédie de société : on joue, on rit, on danse, on dîne, on écoute de la musique, on se costume, on fait des parties champêtres, on dit des galanteries et des médisances. « La chanson nouvelle[51], dit une femme de chambre instruite et sérieuse, le bon mot du jour, les petites anecdotes scandaleuses formaient les seuls entretiens du cercle intime de la reine. » — Pour le roi, qui est un peu lourd et qui a besoin d’exercice corporel, la chasse est sa grande affaire. De 1775 à 1789[52], récapitulant lui-même ce qu’il fait, il trouve « cent quatre chasses au sanglier, cent trente-quatre au cerf, deux cent soixante-six au chevreuil, trente-trois hourailleries, mille vingt-cinq tirés », en tout quinze cent soixante-deux jours de chasse, c’est-à-dire une chasse au moins tous les trois jours ; outre cela, cent quarante-neuf voyages sans chasse, et deux cent vingt-trois promenades à cheval ou en voiture. « Pendant quatre mois de l’année[53], il va à Rambouillet deux fois par semaine et n’en revient qu’après avoir soupé, c’est-à-dire à trois heures du matin ». — Cette habitude invétérée finit par se tourner en manie et même en quelque chose de pis. « Il n’y a pas d’exemple, écrit Arthur Young, le 26 juin 1789, d’une nonchalance et d’une stupidité pareilles à celles de la cour ; le moment demanderait la plus grande décision, et hier, pendant qu’on discutait s’il serait doge de Venise ou roi de France, le roi était à la chasse. » Son journal semble celui d’un piqueur. Lisez-le aux dates les plus importantes, et vous serez stupéfait de ce qu’il y note. Il écrit rien aux jours où il n’a pas chassé ; c’est que pour lui ces jours-là sont vides. « 11 juillet 1789, rien, départ de M. Necker. 12, vêpres et salut, départ de MM. de Montmorin, de Saint-Priest et de la Luzerne. 13, rien ; 14 juillet, rien ; 29 juillet, rien, retour de M. Necker… 4 août, chasse au cerf à la forêt de Marly, pris un, aller et revenir à cheval… 13 août, audience des États dans la galerie. Te Deum pendant la messe en bas ; l’équipage a pris un cerf à Marly… 26 août, audience de compliment des États, grand’messe avec les cordons rouges, serment de M. Bailly, vêpres et salut, grand couvert… 5 octobre, tiré à la porte de Châtillon, tué quatre-vingt-une pièces, interrompu par les événements ; aller et retour à cheval. 6 octobre, départ pour Paris à midi et demi, visite à l’hôtel de ville, soupe et couché aux Tuileries. 7 octobre, rien, mes tantes sont venues dîner. 8, rien… 12, rien, le cerf chassait à Port-Royal. » — Enfermé à Paris, captif de la multitude, son cœur suit toujours sa meute. Vingt fois, en 1790, on lit sur son journal que tel jour le cerf chasse à tel endroit ; il souffre de n’y pas être. Nulle privation plus intolérable ; on retrouve la trace de son chagrin jusque dans la protestation qu’il rédigera avant de partir pour Varennes : transporté dans Paris, sédentaire aux Tuileries, « où, loin de trouver les commodités auxquelles il était accoutumé, il n’a pas même rencontré les agréments que se procurent les personnes aisées », il lui semblera que sa couronne a perdu son plus beau fleuron.

VI

Tel général, tel état-major ; les grands imitent le monarque. Comme une colossale effigie de marbre précieux érigée au centre de la France, et dont les copies réduites se répandent par milliers d’exemplaires dans toutes les provinces, ainsi la vie royale se répète, en proportions moindres, jusque dans la gentilhommière la plus reculée. On représente et on reçoit ; on fait figure et on passe son temps en compagnie. Je vois d’abord, autour de la cour, une douzaine de cours princières ; chaque prince ou princesse du sang a, comme le roi, sa maison montée, payée en tout ou en partie sur le Trésor, distribuée en services distincts, avec gentilshommes, pages, dames pour accompagner, bref cinquante, cent, deux cents et jusqu’à cinq cents charges. Il y a une maison de ce genre pour la reine, une pour Madame Victoire, une pour Madame Adélaïde, une pour Madame Élisabeth, une pour Monsieur, une pour Madame, une pour le comte d’Artois, une pour la comtesse d’Artois ; il y en aura une pour Madame Royale, une pour le petit Dauphin, une pour le duc de Normandie, tous les trois enfants du roi ; une pour le duc d’Angoulême, une pour le duc de Berry, tous les deux fils du comte d’Artois : dès six ou sept ans, les enfants représentent et reçoivent. Si je prends une date précise, en 1771[54], j’en trouve encore une pour le duc d’Orléans, une pour le duc de Bourbon, une pour la duchesse de Bourbon, une pour le prince de Condé, une pour le comte de Clermont, une pour la princesse douairière de Conti, une pour le prince de Conti, une pour le comte de la Marche, une pour le duc de Penthièvre. — Chacun de ces personnages, outre son appartement chez le roi, a son château et son palais où il tient cercle, la reine à Trianon et à Saint-Cloud, Mesdames à Bellevue, Monsieur au Luxembourg et à Brunoy, le comte d’Artois à Meudon et à Bagatelle, le duc d’Orléans au Palais-Royal, à Monceau, au Raincy, à Villers-Cotterets, le prince de Conti au Temple et à l’Isle-Adam, les Condés au Palais-Bourbon et à Chantilly, le duc de Penthièvre à Sceaux, Anet et Châteauvillain ; j’omets la moitié de ces résidences. Au Palais-Royal, toutes les personnes présentées peuvent venir souper les jours d’opéra. À Châteauvillain, tous ceux qui viennent faire leur cour sont invités à dîner, les nobles à la table du duc, les autres à la table de son premier gentilhomme. Au Temple, les soupers du lundi rassemblent cent cinquante convives. Quarante ou cinquante personnes, disait la duchesse du Maine, sont « le particulier d’une princesse[55] ». Le train des princes est si inséparable de leur personne, qu’il les suit jusque dans les camps. « M. le prince de Condé, dit M. de Luynes, part demain pour l’armée avec une grande suite : il a deux cent vingt-cinq chevaux, et M. le comte de la Marche cent. M. le duc d’Orléans part lundi ; il a trois cent cinquante chevaux pour lui et sa suite[56]. » — Au-dessous des parents du roi, tous les grands qui figurent à la cour figurent aussi chez eux, dans leur hôtel de Paris ou de Versailles, et dans leur château à quelques lieues de Paris. De tous côtés, dans les Mémoires, on aperçoit en raccourci quelqu’une de ces vies seigneuriales. Telle est celle du duc de Gesvres, premier gentilhomme de la chambre, gouverneur de Paris et de l’Île-de-France, ayant en outre les gouvernements particuliers de Laon, de Soissons, de Noyon, de Crépy en Valois, la capitainerie de Mousseaux et vingt mille livres de pension, véritable homme de cour, sorte d’exemplaire en haut relief des gens de sa classe, et qui, par ses charges, sa faveur, son luxe, ses dettes, sa considération, ses goûts, ses occupations et son tour d’esprit, nous représente en abrégé tout le beau monde[57]. Sa mémoire est étonnante pour les parentés et les généalogies ; il possède à fond la science précieuse de l’étiquette ; à ces deux titres, il est un oracle et très consulté. « Il a beaucoup augmenté la beauté de sa maison et de ses jardins à Saint-Ouen. » — « Au moment de mourir, dit M. de Luynes, il venait d’y ajouter vingt-cinq arpents qu’il avait commencé à faire enfermer dans une terrasse revêtue… Il avait une maison considérable en gentilshommes, pages, domestiques de toute espèce, et faisait une dépense prodigieuse… Il avait tous les jours un grand dîner… Il donnait presque tous les jours des audiences particulières. Il n’y avait personne à la cour ni à la ville qui ne lui rendît des devoirs. Les ministres, les princes du sang eux-mêmes lui en rendaient. Il recevait du monde pendant qu’il était encore dans son lit. Il écrivait, dictait au milieu d’une compagnie nombreuse… Sa maison à Paris et son appartement à Versailles ne désemplissaient point depuis qu’il était éveillé jusqu’à ce qu’il se couchât. » — Deux ou trois cents maisons à Paris, à Versailles et aux environs présentent un spectacle semblable. Jamais de solitude ; c’est l’usage en France, dit Horace Walpole, « de brûler jusqu’au lumignon sa chandelle en public ». L’hôtel de la duchesse de Gramont est assiégé dès le matin par les plus grands seigneurs et les plus grandes dames. Cinq fois par semaine, chez le duc de Choiseul, à dix heures du soir, le maître d’hôtel vient jeter un coup d’œil dans les salons, dans l’immense galerie pleine, et, au juger, fait mettre cinquante, soixante, quatre-vingts couverts[58] ; bientôt, sur cet exemple, toutes les riches maisons se font gloire de tenir table ouverte à tous venants. — Naturellement, les parvenus, les financiers qui achètent ou se donnent un nom de terre, tous ces traitants, et fils de traitants qui, depuis Law, frayent avec la noblesse, copient ses façons. Et je ne parle pas ici des Bouret, des Beaujon, des Saint-James, et autres bourreaux d’argent dont l’attirail efface celui des princes. Considérez un simple associé des fermes, M. d’Épinay, dont la femme modeste et fine se refuse à tant d’étalage[59]. Il vient de « compléter son domestique », et aurait voulu qu’elle prît une seconde femme de chambre ; mais elle a tenu bon ; pourtant, dans cette maison écourtée, « les officiers, les femmes et les valets se montent au nombre de seize… Lorsque M. d’Épinay est levé, son valet se met en devoir de l’accommoder. Deux laquais sont debout à attendre ses ordres. Le premier secrétaire vient avec l’intention de rendre compte des lettres qu’il a reçues et qu’il est chargé d’ouvrir ; mais il est interrompu deux cents fois dans cette opération par toutes sortes d’espèces imaginables. C’est un maquignon qui a des chevaux uniques à vendre… Ensuite c’est un polisson qui vient brailler un air et à qui on accorde sa protection pour le faire entrer à l’Opéra, après lui avoir donné quelques leçons de bon goût et lui avoir appris ce que c’est que la propreté du chant français. C’est une demoiselle qu’on fait attendre pour savoir si je suis encore là… Je me lève et je m’en vais. Les deux laquais ouvrent les deux battants pour me laisser sortir, moi qui passerais alors par le trou d’une aiguille, et les deux estafiers crient dans l’antichambre : « Madame, Messieurs, voilà Madame ! » — Tout le monde se range en haie, et ces messieurs sont des marchands d’étoffes, des marchands d’instruments, des bijoutiers, des colporteurs, des laquais, des décrotteurs, des créanciers, enfin tout ce que vous pouvez imaginer de plus ridicule et de plus affligeant. Midi ou une heure sonne avant que cette toilette soit achevée, et le secrétaire, qui sans doute sait par expérience l’impossibilité de rendre un compte détaillé des affaires, a un petit bordereau qu’il remet entre les mains de son maître pour l’instruire de ce qu’il doit dire à l’assemblée des fermiers. » — Oisiveté, désordre, dettes, cérémonial, ton et façons de protecteur, tout cela semble une parodie du vrai monde ; c’est que nous sommes au dernier étage de l’aristocratie. Et cependant la cour de M. d’Épinay ressemble en petit à celle du roi.

À plus forte raison faut-il que les ministres, ambassadeurs, officiers généraux, qui tiennent la place du roi, représentent d’une façon grandiose. Aucune circonstance n’a rendu l’ancien régime aussi éclatant et plus onéreux ; en ceci, comme dans tout le reste, Louis XIV est le principal auteur du mal comme du bien. La politique qui avait établi la cour prescrivait le faste. « C’était lui plaire, que de s’y jeter en habits, en tables, en équipages, en bâtiments, en jeu ; c’étaient là des occasions pour qu’il parlât aux gens[60]. De la cour, la contagion avait passé dans la province et aux armées, où les gens en quelque place n’étaient comptés qu’à proportion de leur table et de leur magnificence. » Pendant l’année que le maréchal de Belle-Isle passa à Francfort pour l’élection de Charles VI, il dépensa 750 000 livres en voyages, transports, fêtes, dîners, construction d’une salle à manger et d’une cuisine, outre cela 150 000 livres en boîtes, montres et autres présents ; par l’ordre du cardinal Fleury, si économe, il avait 101 officiers dans ses cuisines[61]. À Vienne, en 1772, l’ambassadeur prince de Rohan avait deux carrosses coûtant ensemble 40 000 livres, 40 chevaux, 7 pages nobles, 6 gentilshommes, 5 secrétaires, 10 musiciens, 12 valets de pied, 4 coureurs dont les habits chamarrés avaient coûté chacun 4000 livres, et le reste à proportion[62]. On sait le luxe, le bon goût, les dîners exquis, l’admirable représentation du cardinal de Bernis à Rome. « On l’appelait le roi de Rome, et il l’était en effet par sa magnificence et par la considération dont il jouissait… Sa table donnait l’idée des possibles… Dans les fêtes, les cérémonies, les illuminations, il était toujours au-dessus de toute comparaison. » Il disait lui-même en souriant : « Je tiens l’auberge de France dans un carrefour de l’Europe[63] ». — Aussi bien leurs traitements et indemnités sont-ils deux ou trois fois plus amples qu’aujourd’hui. « Le roi donne 50 000 écus pour les grandes ambassades. M. le duc de Duras a eu « jusqu’à 200 000 livres par an pour celle de Madrid, outre cela 100 000 écus de gratification, 50 000 livres pour affaires secrètes, et on lui a prêté 400 000 ou 500 000 livres de meubles ou effets dont il a gardé la moitié[64]. » — Les dépenses et les traitements des ministres sont pareils. En 1789, le chancelier a 120 000 livres d’appointements, le garde des sceaux 135 000 ; « M. de Villedeuil, comme secrétaire d’État, devait avoir 180 670 livres, mais il a représenté que cette somme ne couvrait pas ses dépenses, et son traitement a été porté à 226 000 livres tout compris[65] ». D’ailleurs la règle est que, lorsqu’ils se retirent, le roi leur fait une pension de 20 000 livres et donne 200 000 francs de dot à leur fille. — Ce n’est pas trop pour leur train. « Ils sont obligés de tenir un si grand état de maison, qu’ils ne peuvent guère s’enrichir dans leur place ; ils ont tous table ouverte à Paris au moins trois fois par semaine, et à Versailles, à Fontainebleau, table ouverte tous les jours[66]. » M. de Lamoignon étant nommé chancelier avec 100 000 livres d’appointements, on juge tout de suite qu’il se ruinera[67] ; « car il a pris tous les officiers de cuisine de M. d’Aguesseau, dont la table seule allait à 80 000 livres. Le repas qu’il a donné à Versailles au premier conseil qu’il a tenu a coûté 6 000 livres, et il lui faut toujours à Versailles et à Paris une table d’environ vingt couverts ». — À Chambord[68], le maréchal de Saxe a tous les jours deux tables, l’une de 60, l’autre de 80 couverts, 400 chevaux dans ses écuries, une liste civile de plus de 100 000 écus, un régiment de hulans pour sa garde, un théâtre qui a coûté plus de 600 000 livres, et la vie qu’il mène ou qu’on mène autour de lui ressemble à une bacchanale de Rubens. — Quant aux gouverneurs généraux ou particuliers en province, on a vu que, lorsqu’ils y résident, ils n’ont d’autre emploi que de recevoir ; à côté d’eux, l’intendant qui fait seul les affaires, reçoit aussi et magnifiquement, surtout dans les pays d’États. Commandants, lieutenants généraux, partout les envoyés du centre sont conduits de même, par les mœurs, par les convenances et par leur propre désœuvrement, à tenir salon ; ils apportent avec eux les élégances et l’hospitalité de Versailles. Si leur femme les a suivis, elle s’ennuie et « végète au milieu de cinquante personnes, ne disant que des lieux communs, faisant des nœuds ou jouant au loto, et passant trois heures à table ». Mais « tous les militaires, tous les gentilshommes des environs, toutes les dames de la ville », s’empressent à ses bals et célèbrent à l’envi sa grâce, sa politesse, son égalité[69] ». Jusque dans les grades secondaires, on retrouve ces habitudes somptueuses. En vertu de l’usage établi, les colonels et même les capitaines traitent leurs officiers et dépensent ainsi beaucoup au delà de leurs appointements[70] ». C’est même là une des raisons qui font réserver les régiments aux fils de bonne maison, et les compagnies aux gentilshommes riches. — Du grand arbre royal opulemment épanoui à Versailles, partent des rejets qui s’étendent par milliers sur toute la France, pour s’y épanouir, comme à Versailles, en bouquets de gala et d’appartement.

VII

Sur ce modèle, et par l’effet même de la température, on voit, jusque dans les provinces reculées, toutes les tiges aristocratiques aboutir à une floraison mondaine. Faute d’un autre emploi, les nobles se visitent, et le principal office d’un seigneur notable est de faire dignement les honneurs de sa maison ; je parle ici des ecclésiastiques aussi bien que des laïques. — Les cent trente et un évêques et archevêques, les sept cents abbés commendataires sont gens du monde ; ils ont de bonnes façons, ils sont riches, ils ne sont pas austères, et leur palais épiscopal ou leur abbaye est pour eux une maison de campagne qu’ils restaurent ou embellissent en vue de la résidence qu’ils y font et de la compagnie qu’ils y accueillent. À Clairvaux[71], Dom Rocourt, très poli envers les hommes, et encore plus galant envers les femmes, ne marche qu’en voiture à quatre chevaux avec un piqueur en avant ; il se fait donner du Monseigneur par ses moines et tient une vraie cour. La chartreuse du Val-Saint-Pierre est un somptueux palais au milieu d’un immense domaine, et le père procureur Don Effinger passe ses journées à recevoir les hôtes[72]. Au couvent d’Origny, près de Saint-Quentin[73], « l’abbesse a des domestiques, une voiture, des chevaux, reçoit en visite et à dîner les hommes dans son appartement. » — La princesse Christine, abbesse de Remiremont, et ses dames chanoinesses sont presque toujours en route ; et pourtant « on s’amuse à l’abbaye », on y reçoit quantité de monde « dans les appartements particuliers de la princesse et dans les appartements des étrangers[74] ». Les vingt-cinq chapitres nobles de femmes et les dix-neuf chapitres nobles d’hommes sont autant de salons permanents et de rendez-vous incessants de belle compagnie qu’une mince barrière ecclésiastique sépare à peine du grand monde où ils sont recrutés. Au chapitre d’Alix, près de Lyon, les chanoinesses vont au chœur en paniers, « habillées comme dans le monde », sauf que leur robe est de soie noire et que leur manteau est doublé d’hermine[75]. Au chapitre d’Ottmarsheim en Alsace, « nos huit jours, dit une visiteuse, se passèrent à nous promener, à visiter le tracé des voies romaines, à rire beaucoup, à danser même, car il venait beaucoup de monde à l’abbaye, et surtout à parler de chiffons ». Près de Sarrelouis, les chanoinesses de Loutre dînent avec les officiers et ne sont rien moins que prudes[76]. Quantité de couvents sont des asiles agréables et décents pour des dames veuves, pour de jeunes femmes dont les maris sont à l’armée, pour des filles de condition, et la supérieure, qui le plus souvent est demoiselle, tient avec aisance et dextérité le sceptre de ce joli monde féminin. — Mais nulle part la pompe, l’hospitalité, la foule ne sont plus grandes que dans les palais épiscopaux. J’ai décrit la situation des évêques : si opulents, possesseurs de pareils droits féodaux, héritiers et successeurs des anciens souverains de la contrée, outre cela, gens à la mode et habitués de Versailles, comment n’auraient-ils pas une cour ? Un Cicé, archevêque de Bordeaux, un Dillon, archevêque de Narbonne, un Brienne, archevêque de Toulouse, un Castellane, évêque de Mende et seigneur suzerain de tout le Gévaudan, un archevêque de Cambray, duc de Cambray, seigneur suzerain de tout le Cambrésis et président-né des États provinciaux, la plupart sont des princes ; ne faut-il pas qu’ils représentent en princes ? C’est pourquoi ils chassent, ils bâtissent, ils ont des clients, des hôtes, un lever, une antichambre, des huissiers, des officiers, une table ouverte, une maison montée, des équipages, et le plus souvent des dettes, dernier point qui achève le grand seigneur. Dans le palais presque royal que les Rohans, évêques héréditaires de Strasbourg et cardinaux d’oncle en neveu, se sont bâti à Saverne[77], il y a 700 lits, 180 chevaux, 14 maîtres d’hôtel, 25 valets de chambre. « Toute la province s’y rassemble » ; le cardinal a logé à la fois jusqu’à deux cents invités, sans les valets ; en tout temps on trouve chez lui « de vingt à trente femmes des plus aimables de la province, et souvent ce nombre est augmenté par celles de la cour et de Paris ». — « Le soir à neuf heures tout le monde soupait ensemble, ce qui avait toujours l’air d’une fête », et le cardinal lui-même en était le plus bel ornement. Superbement vêtu, beau, galant, d’une politesse exquise, le moindre de ses sourires était une grâce. « Son visage toujours riant inspirait la confiance ; il avait la vraie physionomie de l’homme destiné à représenter. »

Telle est aussi l’attitude et l’occupation des principaux seigneurs laïques, chez eux, en été, lorsque le goût de la chasse et l’attrait de la belle saison les ramènent sur leurs terres. Par exemple, Harcourt en Normandie et Brienne en Champagne sont deux des châteaux les mieux habités. « Il y vient de Paris des personnes considérables, des hommes de lettres distingués, et la noblesse du canton y fait une cour assidue[78]. » Il n’y a pas de résidence où des volées de beau monde ne viennent s’abattre à demeure pour dîner, danser, chasser, causer, parfiler, jouer la comédie. On peut suivre à la trace ces brillants oiseaux, de volière en volière ; ils restent une semaine, un mois, trois mois, étalant leur ramage et leur plumage. De Paris à l’Isle-Adam, à Villers-Cotterets, au Frétoy, à la Planchette, à Soissons, à Reims, à Grisolles, à Sillery, à Braine, à Balincourt, au Vaudreuil, le comte et la comtesse de Genlis promènent ainsi leur loisir, leur esprit, leur gaieté, chez des amis qu’à leur tour ils reçoivent à Genlis. — Un coup d’œil jeté sur les dehors de ces maisons suffirait pour montrer que le premier devoir en ce temps-là est d’être hospitalier, comme le premier besoin est d’être en compagnie[79]. En effet leur luxe diffère du nôtre. Sauf en quelques maisons princières, il n’est pas grand en meubles de campagne : on laisse cet étalage aux financiers. « Mais il est prodigieux en toutes les choses qui peuvent donner des jouissances à autrui, en chevaux, en voitures, en tables ouvertes, en logements donnés à des gens qui ne sont point attachés à la maison, en loges aux spectacles qu’on prête à ses amis, enfin en domestiques beaucoup plus nombreux qu’aujourd’hui. » — Par ce frottement mutuel et continu, les nobles les plus rustiques perdent la rouille qui encroûte encore leurs pareils d’Allemagne ou d’Angleterre. On ne trouve guère en France de squires Western et de barons de Thunderten Trunck ; une dame d’Alsace, qui voit à Francfort les hobereaux grotesques de la Westphalie, est frappée du contraste[80]. Ceux de France, même dans les provinces éloignées, ont fréquenté les salons du commandant ou de l’intendant, et rencontré en visite quelques dames de Versailles ; c’est pourquoi « ils ont toujours quelque habitude des grandes manières, et sont à peu près instruits des vicissitudes de la mode et du costume ». Le plus sauvage descend, le chapeau à la main, jusqu’au bas de son perron pour reconduire ses hôtes en les remerciant de la grâce qu’ils lui ont faite. Le plus rustre, auprès d’une femme, retrouve au fond de sa mémoire quelques débris de la galanterie chevaleresque. Le plus pauvre et le plus retiré ménage son habit bleu-de-roi et sa croix de Saint-Louis pour pouvoir, à l’occasion, présenter ses devoirs au grand seigneur son voisin ou au prince qui est de passage. — Ainsi l’état-major féodal s’est transformé tout entier, depuis ses premiers jusqu’à ses derniers grades. Si l’on pouvait embrasser du regard ses trente ou quarante mille palais, hôtels, manoirs, abbayes, quel décor avenant et brillant que celui de la France ! Elle est un salon et je n’y vois que des gens de salon. Partout les chefs rudes ayant autorité sont devenus des maîtres de maison ayant des grâces. Ils appartiennent à cette société où, avant d’admirer tout à fait un grand général, on demandait « s’il était aimable ». Sans doute ils portent encore l’épée, ils sont braves par amour-propre et tradition, ils sauront se faire tuer, surtout en duel et dans les formes. Mais le caractère mondain a recouvert l’ancien fond militaire ; à la fin du dix-huitième siècle, leur grand talent est le savoir-vivre, et leur véritable emploi consiste à recevoir ou à être reçus.

  1. Mémoires de Laporte (1632). « M. d’Épernon vint à Bordeaux, où il trouva Son Éminence fort malade. Il l’alla voir soigneusement tous les matins avec 200 gardes qui l’accompagnaient jusqu’à la porte de la chambre. » — Mémoires de Retz, « Nous vînmes à l’audience, M. de Beaufort et moi, avec un corps de noblesse qui pouvait faire 300 gentilshommes ; MM. les princes avaient près de 1000 gentilshommes avec eux. » — Tous les Mémoires du temps montrent à chaque instant ces escortes qui étaient nécessaires pour faire ou repousser un coup de main.
  2. Mercier, Tableau de Paris, IX, 3.
  3. Leroi, Histoire de Versailles, II, 21 (70 000 âmes de population fixe, et 10 000 de population flottante, d’après les registres de la mairie).
  4. Waroquier, État de la France (1789). Liste des personnes présentées de 1779 à 1789, 453 hommes et 414 femmes, t. II, 515.
  5. Il y avait alors, presque chaque jour, des passants roués à Paris par les voitures à la mode, et c’était l’habitude chez les grands d’aller très vite.
  6. 153 282 827 livres 10 sous 3 deniers. (Souvenirs d’un page de la cour de Louis XVI, par le comte d’Hézecques, 142.) — En 1690, avant la construction de la chapelle et de la salle de spectacle, il coûtait déjà 100 millions. (Saint-Simon, XII, 514. Mémoire de Marinier, commis des bâtiments du roi.)
  7. Cabinet des Estampes, Histoire de France par estampes, passim, notamment plans et vues de Versailles par Aveline, « et dessin de la collation donnée par M. le Prince dans le milieu du Labyrinthe de Chantilly, le 29 août 1687 ».
  8. Mémoires, I, 221. Il avait été présenté le 19 février 1787.
  9. Pour tous les détails suivants, cf. Waroquier, t. I, passim. — Archives nationales, O1,710 bis. Maison du roi, dépenses de 1771. — Marquis d’Argenson, 25 février 1752. — En 1771, on dépense 3 millions pour l’installation de la comtesse d’Artois. Un simple appartement pour Madame Adélaïde coûte 800 000 livres.
  10. Marie-Antoinette, Correspondance secrète, par Arneth et Geffroy, III, 292. Lettre de Mercy, du 25 janvier 1779. — Waroquier, en 1789, ne mentionne que 15 charges dans la maison de Madame Royale. Ceci, outre beaucoup d’autres indices, montre combien les chiffres officiels sont insuffisants.
  11. C’est le chiffre auquel on arrive après les réductions de 1775 et de 1776, avant celles de 1787. Voyez Waroquier, 1. 1. — Necker, Administration des finances, II, 119.
  12. Cabinet des Estampes, La maison du roi en 1786 (estampes coloriées).
  13. Archives nationales, O1, 758. Rapport de M. Teissier (1780) sur la grande et la petite écurie. — L’écurie de la reine comprend 75 voitures et 330 chevaux. Ce sont là les chiffres véritables, extraits des rapports secrets et manuscrits ; ils montrent l’insuffisance des chiffres officiels. Par exemple, l’Almanach de Versailles de 1775 compte seulement 335 hommes dans les écuries, et l’on voit qu’effectivement le nombre était quadruple ou quintuple. — « Avant toutes les réformes, dit un témoin, je crois que le nombre des chevaux du roi allait bien à 3 000. » (Comte d’Hézecques, Souvenirs d’un page de Louis XVI, 121.)
  14. La maison du roi justifiée par un soldat citoyen (1786), d’après les comptes publiés par le gouvernement. — La future maison du roi (1790). « Les deux écuries ont dépensé en 1786, la grande 4 207 606 livres, la petite 3 509 402 livres, total 7 717 008 livres, dont 486 546 livres en achats de chevaux. »
  15. « À mon arrivée à Versailles (1786) on y comptait 150 pages, sans compter ceux des princes du sang qui résidaient à Paris. Un seul habit de page de la chambre coûtait 1500 livres (velours cramoisi brodé d’or sur toutes les tailles, chapeau garni d’un plumet et d’un large point d’Espagne). » (Comte d’Hézecques, ib., 112).
  16. Archives nationales, O1, 778. Mémoire sur la vénerie de 1760 à 1792 et notamment rapport de 1786.
  17. Mercier, Tableau de Paris, I, 11 ; V, 62. — Comte d’Hézecques, ib., 253. — Journal de Louis XVI, publié par Nicolardot, passim.
  18. Waroquier, t. I, passim. Maison de la reine chapelle 28 personnes, faculté 6. Maison de Monsieur, chapelle 22, faculté 21. Maison de Madame, chapelle 20, faculté 9. Maison du comte d’Artois, chapelle 20, faculté 28. Maison de la comtesse d’Artois, chapelle 19, faculté 17. Maison du duc d’Orléans, chapelle 6, faculté 19.
  19. Archives nationales, O1, 738. Rapports par M. Mesnard de Chouzy (mars 1780). — Là-dessus une réforme suivit (17 août 1780). — La maison du roi justifiée (1789), 24. En 1788, la dépense de bouche est réduite à 2 870 000 livres, dont 600 000 livres données à Mesdames pour leur bouche.
  20. Comte d’Hézecques, ib., 212. Sous Louis XVI, il y avait deux porte-chaises du roi, qui tous les matins, en habit de velours, l’épée au côté, venaient vérifier et vider, s’il y avait lieu, l’objet de leurs fonctions ; cette charge valait à chacun d’eux 20 000 livres par an.
  21. En 1787, Louis XVI démolit ou ordonne de vendre Madrid, la Muette, Choisy ; mais ses acquisitions, Saint-Cloud, l’Isle-Adam, Rambouillet, ont de beaucoup surpassé ses réformes.
  22. Necker, Compte rendu, II, 452. — Archives nationales, O1, 738, p. 62 et 64 ; O1, 2805 ; O1. 736. — La maison du roi justifiée (1789). Bâtiments en 1775, 3 924 400 l. ; en 1780, 4 000 000 l. ; en 1788. 3 077 000 livres. — Garde-meuble en 1788, 1 700 000 livres.
  23. Voici quelques autres dépenses accidentelles (Archives nationales, O1, 2805). Pour la naissance du duc de Bourgogne, en 1751, 604 477 l. Pour le mariage du dauphin, en 1770, 1 267 770 l. Pour le mariage du comte d’Artois, en 1775, 2 016 221 l. Pour le sacre, en 1775, 855 862 l. Pour les comédies, bals et concerts, en 1778, 481 744 l. ; en 1779, 382 986 l.
  24. Waroquier, I, ib. — Marie-Antoinette, par Arneth et Geffroy. Lettre de Mercy du 16 septembre 1773. « La multitude du service qui suit le roi dans ses voyages ressemble à la marche d’une armée. »
  25. Maison civile du roi, de la reine, de Madame Élisabeth, de Mesdames, de Madame Royale, 25 700 000 l. — Aux frères et belles-sœurs du roi, 8 040 000 l. — Maison militaire du roi, 7 681 000 l. (Necker, Compte rendu, II, 119). — De 1774 à 1788, la dépense des maisons du roi et de sa famille flotte entre 32 et 36 millions, non compris la maison militaire (La maison du roi justifiée). En 1789, la maison du roi, de la reine, du Dauphin, des enfants de France, de Mesdames coûte 25 millions. — Celles de Monsieur et de Madame, 3 656 000 l. ; celles du comte et de la comtesse d’Artois, 3 656 000 l. ; ducs de Berry et d’Angoulême, 700 000 l. ; les traitements conservés aux personnes qui ont servi les princes montent à 228 000 l. Total 33 240 000 livres. — À quoi il faut ajouter la maison militaire du roi et les 2 millions en apanage des princes. (Compte général des revenus et dépenses fixes au 1er  mai 1789, remis par M. le premier ministre des finances à MM. du Comité des finances de l’Assemblée nationale.)
  26. Waroquier, ibid. (1789), t. I, passim.
  27. Mot du comte d’Artois en présentant à sa femme les officiers de sa maison.
  28. Le nombre des chevau-légers et des gendarmes a été réduit en 1775 et 1776 ; les deux corps sont supprimés en 1787.
  29. Saint-Simon, Mémoires, XVI, 456. — Ce besoin d’être entouré dure jusqu’à la fin ; en 1791, la reine disait amèrement en parlant de la noblesse : « Quand on obtient de nous une démarche qui la blesse, je suis boudée ; personne ne vient à mon jeu ; le coucher du roi est solitaire, on nous punit de nos malheurs ». (Mme Campan, II, 177.)
  30. Duc de Lévis, Souvenirs et portraits, 29. — Mme de Maintenon, Correspondance.
  31. M. de V., qui avait la promesse d’une lieutenance du roi ou d’un commandement, la cède à l’un des protégés de Mme de Pompadour, et obtient en échange le rôle d’exempt dans Tartuffe que des seigneurs de la cour jouaient dans les petits cabinets devant le roi. (Mme de Hausset, 168) « M. de V. remercia Madame comme si elle l’eût fait duc. »
  32. Paris, Versailles et les provinces au dix-huitième siècle, II, 160, 168. — Mercier, Tableau de Paris, IV, 150. — Comte de Ségur, Mémoires, I, 16.
  33. Marie-Antoinette, par Arneth et Geffroy. II, 27, 255, 281. — Gustave III, par Geffroy, novembre 1786. Bulletin de Mme de Staël. — Comte d’Hézecques, ibid., 231. — Archives nationales, O1, 736. Lettre de M. Amelot, du 25 septembre 1780. — Duc de Luynes, XV, 260, 367 ; XVI, 268. 163 dames, dont 42 de service, viennent faire la révérence au roi. 160 hommes et plus de 100 dames viennent rendre leurs devoirs au dauphin et à la dauphine.
  34. Cochin. Estampes, bal masqué, bal paré, jeu du roi et de la reine, salle de spectacle (1745). — Costumes de Moreau (1777). — Mme de Genlis, Dictionnaire des Étiquettes, article Parure.
  35. « Il y avait à peu près une différence aussi sensible entre le ton, le langage de la cour et celui de la ville qu’entre Paris et les provinces. » (Comte de Tilly, Mémoires, I, 153.)
  36. Exemple du désœuvrement imposé à la noblesse, dîner de la reine Marie Leczinska à Fontainebleau, « J’arrive dans une salle superbe où je vois une douzaine de courtisans qui se promenaient, et une table d’au moins douze couverts, qui pourtant n’était préparée que pour une seule personne… La reine s’assit et aussitôt les douze courtisans se placèrent en demi-cercle à dix pas de la table ; je me tins auprès d’eux, imitant leur respectueux silence. Sa Majesté commence à manger fort vite, sans regarder personne, tenant les yeux baissés sur son assiette. Ayant trouvé à son goût un mets qu’on lui avait servi, elle y revint, et alors elle parcourut des yeux le cercle devant elle… et dit : « M. de Lowendal ? » — « À ce nom, je vois un superbe homme, qui s’avance en inclinant la tête, et dit : Madame ? » — « Je crois que ce ragoût est une fricassée de poulet. » — « Je suis de cet avis. Madame. » — Après cette réponse faite du ton le plus sérieux, le maréchal reprend sa place à reculons ; la reine acheva de dîner sans dire un mot de plus, et rentra dans son appartement comme elle était venue. » (Casanova, Mémoires.)
  37. « Sous Louis XVI, qui quittait son lit à sept ou huit heures du matin, le lever était à onze heures et demie, à moins que des chasses ou des cérémonies n’en avançassent l’instant. » — Même cérémonial à onze heures du soir pour le coucher, et dans la journée pour le débotté. (Comte d’Hézecques, 161.)
  38. Waroquier, I, 94. Comparez le détail correspondant sous Louis XIV, dans Saint-Simon, XIII, 88.
  39. Marie-Antoinette, par Arneth et Geffroy, II, 217.
  40. Dans tous les changements d’habit, le côté gauche du roi est dévolu à la garde-robe, et le côté droit à la chambre.
  41. La reine déjeune dans son lit, et « il y a dix ou douze personnes à cette première entrée… ». Les grandes entrées faisaient leur cour à l’heure de la toilette. « Cette entrée comprenait les princes du sang, les capitaines des gardes, et la plupart des grandes charges. » — En tout trois entrées le matin chez la reine. — Même cérémonial que pour le roi au sujet de la chemise. Un jour d’hiver, Mme Campan présentait la chemise à la reine ; la dame d’honneur entre, ôte ses gants, prend la chemise. On gratte à la porte, c’est la duchesse d’Orléans ; elle ôte ses gants, reçoit la chemise. On gratte encore, c’est la comtesse d’Artois qui, par privilège, prend la chemise. Cependant la reine grelottait, les bras croisés sur sa poitrine, et murmurait : « C’est odieux ! quelle importunité ! » (Mme Campan, II, 217 ; III, 309-316).
  42. Marie-Antoinette, par Arneth et Geffroy, 11, 223 (15 août 1774).
  43. Comte d’Hézecques, ibid., 7.
  44. Duc de Lauzun, Mémoires, 51. — Mme de Genlis, Mémoires, ch. xii : « Tous nos maris allaient régulièrement coucher ce jour-là (le samedi) à Versailles pour chasser le lendemain avec le roi. »
  45. Le grand couvert a lieu tous les dimanches. La nef est une pièce d’orfèvrerie placée au centre de la table et contenant, entre des coussins de senteur, les serviettes à l’usage du roi. — L’essai est l’épreuve que les gentilshommes servants et les officiers de bouche font de chaque plat avant que le roi en mange. De même pour la boisson. — Il faut quatre personnes pour servir au roi un verre d’eau et de vin.
  46. Quand les dames de la cour et surtout les princesses passent devant le lit du roi, elles doivent faire la révérence. Quand les officiers du palais passent devant la nef, ils doivent faire le salut. — De même le prêtre ou le sacristain qui passe devant l’autel.
  47. Duc de Luynes, IX, 75, 79, 105 (août 1748, octobre 1748).
  48. Le roi étant à Marly, liste des voyages qu’il fera avant d’aller à Compiègne (duc de Luynes, XIV, 163, mai 1755) : « Le dimanche 1er  juin, à Choisy jusqu’au lundi soir. — Le mardi 3, à Trianon jusqu’au mercredi. — Le jeudi 5, retourne à Trianon, où il restera jusqu’à samedi après souper. — Le lundi 9, à Crécy jusqu’au vendredi 13. — Retourne à Crécy le 16 jusqu’au 21. — Le 1er  juillet, à la Muette ; le 2, à Compiègne. »
  49. Marie-Antoinette, par Arneth et Geffroy, I, 19 (12 juillet 1770) ; I, 265 (janvier 1772) ; I, 111 (18 octobre 1770).
  50. Ib., II, 270 (18 octobre 1774) ; II, 395 (15 novembre 1775) ; II. 295 (20 février 1775) ; III, 25 (11 février 1777) ; III, 119 (17 octobre 1777) ; III, 409 (18 mars 1780).
  51. Mme Campan, I, 147.
  52. Nicolardot, Journal de Louis XVI, 129.
  53. Comte d’Hézecques, ib., 253. — Arthur Young, I, 215.
  54. État des pensions payées aux personnes de la famille royale en 1771. Duc d’Orléans, 150 000 ; Prince de Condé, 100 000 ; Comte de Clermont, 70 000 ; Duc de Bourbon, 60 000 ; Prince de Conti, 60 000 ; Comte de la Marche, 60 000 ; Douairière de Conti, 60 000 ; Duc de Penthièvre, 50 000 ; Princesse de Lamballe, 50 000 ; Duchesse de Bourbon, 50 000. (Archives nationales, O1, 710 bis.)
  55. Beugnot, I, 77. — Mme de Genlis, Mémoires, ch. xvii. — E. et J. de Goncourt, la Femme au dix-huitième siècle, 52. — Chamfort, Caractères et anecdotes.
  56. Duc de Luynes, XVI, 57 (mai 1757). — À l’armée de Westphalie, le général en chef, comte d’Estrées, avait vingt-sept secrétaires et Grimm fut le vingt-huitième. — Quand le duc de Richelieu partit pour son gouvernement de Guyenne, il lui fallut sur toute la route des relais de cent chevaux.
  57. Duc de Luynes, XVI, 186 (octobre 1757).
  58. E. et J. de Goncourt, ibid., 73, 75.
  59. Mme d’Épinay, Mémoires, éd. Boiteau, I, 306 (1751).
  60. Saint-Simon, XII, 457, et Dangeau, VI, 408. Chez le maréchal de Boufflers, au camp de Compiègne (septembre 1698), il y avait tous les soirs et tous les matins deux tables de 20 à 25 couverts, outre les tables supplémentaires, 72 cuisiniers, 340 domestiques, 400 douzaines de serviettes, 80 douzaines d’assiettes d’argent, 6 douzaines d’assiettes de vermeil. 14 chevaux en relais apportaient tous les jours de Paris les liqueurs et les fruits ; chaque jour des exprès apportaient poisson, volaille et gibier de Gand, Bruxelles, Dunkerque, Dieppe et Calais. Dans les jours ordinaires on buvait 50 douzaines de bouteilles, et 80 douzaines pendant la visite du roi et des princes.
  61. Duc de Luynes, XIV, 149.
  62. L’abbé Georgel, Mémoires, 216.
  63. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, VIII, 63, textes de deux témoins, Mme de Genlis et Roland.
  64. Duc de Luynes, XV, 455 et XVI, 219 (1757). « Le maréchal de Belle-Isle avait 1 200 000 livres de dettes contractées, un quart pour ses bâtisses de plaisir, le reste pour le service du roi. Le roi, pour le dédommager, lui donne 400 000 livres sur le produit des salines, et 80 000 livres de rente sur la compagnie qui a le privilège d’affiner les métaux précieux. »
  65. Compte général des revenus et dépenses fixes au 1er  mai 1789, 633. — Notez qu’il faut doubler tous ces chiffres pour avoir leur équivalent actuel.
  66. Mme de Genlis, Dictionnaire des Étiquettes, I, 349.
  67. Barbier, Journal, III, 211 (déc. 1750.)
  68. Aubertin, l’Esprit public au dix-huitième siècle, 255.
  69. Mme de Genlis, Adèle et Théodore, III, 54.
  70. Duc de Lévis, 68. De même, avant la dernière réforme, les grades dans l’armée anglaise. — Cf. Voltaire, Entretiens entre A, B, C, 15e Entretien, « Un régiment n’est point le prix des services, c’est le prix de la somme que les parents d’un jeune homme ont déposée pour qu’il aille, trois mois de l’année, tenir table ouverte dans une ville de province. »
  71. Beugnot, I, 79.
  72. Merlin de Thionville, Vie et correspondance. — Récit de sa visite à la chartreuse de Val-Saint-Pierre en Thiérache.
  73. Mme de Genlis, Mémoires, ch. 7.
  74. Mme d’Oberkirch, I, 15.
  75. Mme de Genlis, ch. 1. — Mme d’Oberkirch, I, 62.
  76. Duc de Lauzun, Mémoires, 257.
  77. Marquis de Valfons, Souvenirs, 60. — Duc de Lévis, 156. — Mme d’Oberkirch, I, 127 ; II, 360.
  78. Beugnot, I, 71. — Hippeau, le Gouvernement de Normandie, passim.
  79. Mme de Genlis, Mémoires, passim. — Dictionnaire des Étiquettes, I, 348.
  80. Mme d’Oberkirch, I, 395. — Le baron et la baronne de Sotenville, dans Molière, sont des gens bien élevés, quoique provinciaux et pédants.