Les Pâmoisons de Margot/10

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Éditions Prima (Collection Gauloise ; no 190p. 34-36).

X

Le représentant

Lorsque tout le monde fut sorti et que la porte eut retrouvé son herméticité. Margot dit à son amoureux décontenancé qui récupérait toutes ses timidités :

— Voilà ce qui arrive. C’est grâce à vous.

— Pourquoi cela ?

— C’est vous, je vous ai entendu le dire, qui conseillez au patron de ne pas mettre de plaque sur la porte, parce que c’est plus aristocratique…

— Je croyais…

— Oui, mais c’est on ne peut plus andouille. S’il y avait eu une plaque, ces gens ne seraient pas entrés comme dans un moulin. Et nous n’aurions pas failli avoir des embêtements.

— Oh ! cela ne pouvait rien être.

Mais Margot ne riait plus du tout :

— Comment cela ne pouvait rien être. Vous êtes donc bouché à l’émeri ? Si le singe était venu durant que le commissaire était là, il lui aurait tout raconté, et nous étions fichus dehors dans la minute suivante. Moi je veux bien faire… tout ce qu’on voudra… et même un peu plus, ou comme on le veut, mais je tiens à gagner ma vie et je vous aurais crevé les yeux, aussi vrai que je me nomme Margot, si c’était arrivé. L’individu, commençait, sous ces paroles vives à se retrouver en train.

Il fit :

— On y retourne ?

— Ah ! non, alors. Merci ! Et puis il vous faudra prendre des leçons, car vous êtes un peu trop neuf.

Il rougit :

— C’est peut-être vous qui en savez trop long.

— Je ne vous ai pas demandé de venir m’instruire. Et dans cette matière-là, il est meilleur de tout connaître que de tout ignorer…

Le type boudait.

Elle conclut :

— En tout cas, c’est fini.

— Bien ! fit-il vexé. Et il s’en alla dans la pièce voisine avec une dignité parfaite.

Margot ramassa sa petite culotte :

— Ce que tu m’en fais voir, murmura-t-elle avec tendresse en la mettant dans sa poche.

Et elle se mit à rire.

Mais la porte s’ouvrait.

Un homme entra, rapide, cheveux au vent — il était nu-tête — et l’air heureux de vivre.

— Mademoiselle Margot, fit-il dès son premier pas, j’ai besoin de vous. Vite !

— Pourquoi faire ? demanda la jeune fille.

— Pour prendre note de sept commandes urgentes.

— Eh bien, vous les mettrez sur le bureau du patron.

— Non, je viens de le voir. Il ne viendra qu’à dix heures. Il m’a prié de venir vous les transmettre et de vous faire écrire les lettres de confirmation.

Cette fois, Margot avait à travailler de son métier de dactylo et elle s’inclina :

— Venez me dicter le détail.

— Non, pas sur votre machine. Elle n’aligne pas bien. Sur celle qui est dans le bureau du patron.

— Ça, je m’en fiche ! Allons chez lui !

Ils pénétrèrent tous deux dans la pièce où s’était passé le demi-drame précédent, et elle s’assit devant sa Noiseless.

Le représentant tira de sa serviette des pièces et allait commencer à dicter, lorsqu’il se pencha sur la secrétaire, et dit :

— Comme vous êtes délicieusement parfumée, mademoiselle.

— Moi, fit-elle en feignant l’étonnement.

— Oui ! vous. Pas la reine Pomaré, je pense.

— Bah ! je sens comme tout le monde.

— Le représentant, très allumé, renifla à petits coups rapides.

— C’est vraiment épatant, ce parfum-là. Comment le nommez-vous donc ?

— C’est l’Amour dans la Pagode.

— Eh bien, j’en suis ébaubi. Tenez, j’en perdrais presque la tête, si…

Et, d’un geste rapide, il enlaça Margot, puis se mit à l’embrasser avec une ardeur belliqueuse.

Ses baisers allaient au début sur la nuque et sur l’oreille droite, puis ils tournèrent, touchèrent le menton. Enfin, oh ! horreur ! Margot sentit sa bouche goulûment prise, et même elle rendit le baiser si ardemment offert.

Et, ma foi ! Margot qui, le matin à son lever, s’était promise de se livrer à l’amour, allait enfin voir son désir et son espoir satisfaits, quand la porte une fois de plus s’ouvrit… Et le patron entra…