Les Pêcheurs de Cancale, récit des côtes de la Manche

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Les Pêcheurs de Cancale, récit des côtes de la Manche
Revue des Deux Mondes2e période, tome 45 (p. 919-952).


LES
PÊCHEURS DE CANCALE
RÉCIT DES CÔTES DE LA MANCHE


I. — LE SILLON.

Le roc escarpé sur lequel s’élève la ville de Saint-Malo, serrée dans d’épaisses et hautes murailles qui semblent, en l’étreignant de toutes parts, la forcer à monter en spirale autour de son unique église, ne tient à la terre ferme que par une longue chaussée qu’on nomme le Sillon. Il n’existe point d’autre route par laquelle piétons, chevaux et voitures puissent pénétrer dans cette cité essentiellement maritime, qui aurait aussi bien que le Mont-Saint-Michel le droit de prendre pour devise ces mots hardis : in periculo maris, si elle ne leur préférait les paroles plus orgueilleuses de son vieux blason : Malo au riche duc ! Quand le temps est beau et la mer calme, pendant les chaudes soirées de l’été surtout, le Sillon offre un lieu de promenade des plus attrayans. D’un côté s’étend, paisible comme un lac, le vaste bassin qui sert de port aux deux villes rivales de Saint-Malo et de Saint-Servan ; de l’autre, l’Océan sans bornes, toujours agité, vient battre le pied de l’antique citadelle, puis rouler ses flots écumeux sur une plage de sable fin qui s’allonge à perte de vue et se confond avec les dunes lointaines. Une rangée de pieux profondément enfoncés dans le sol défend la chaussée contre les incessantes attaques de la mer, dont cet obstacle continu redouble la fureur. Aussi, lorsque la marée est haute, les bruits de la terre sont-ils constamment dominés par la grande voix de l’Océan, qui ne se tait jamais. On est là comme sur le pont d’un navire, partout entouré d’eau, avec cette différence toutefois qu’on a le pied solide et qu’on peut rêver en paix sans craindre de faire naufrage. Néanmoins dans la mauvaise saison, lorsque le vent du large augmente la violence du flot qui monte, les vagues déferlent avec tant de force sur le Sillon, qu’on ne peut y passer sans courir le risque d’être renversé ou tout au moins trempé jusqu’aux os par un déluge d’eau salée.

Tel était précisément l’état de la mer lorsque, par une froide matinée du mois de février 185., la brise soufflant par bourrasques du nord-est, une jeune paysanne sortit de la ville au grand trot de son âne. C’était une laitière attardée qui revenait du marché ; elle s’efforçait de rejoindre ses compagnes, qui avaient traversé le Sillon avant que la mer ne fût toute haute, et poursuivaient gaîment leur route. La jeune fille avait noué sous son menton un fin mouchoir de madras pour défendre contre les assauts de la brise et contre l’écume des flots les blanches ailes de son clairin[1]. Le manteau noir bordé de velours était serré sur sa poitrine, et ses pieds, chaussés de petits souliers à boucles, s’appuyaient contre les paniers à claire-voie remplis des pots en grès noir dans lesquels elle avait coutume d’apporter à la ville le lait de ses vaches. Sous ses simples habits de paysanne, elle était fort jolie ; il y avait de la grâce et comme un air de noblesse dans son profil doux et sérieux à la fois.

Au premier pas que la jeune fille voulut faire faire à son âne vers le Sillon balayé par la vague, la bête sagace dressa les oreilles et refusa d’avancer. — Aïe ! va donc ! disait la jeune fille en frappant sa monture avec un fouet orné de houppes en laine rouge, et l’âne secouait la tête. Il s’établit donc entre la jeune fille impatiente et la bête obstinée une lutte dont l’issue devenait douteuse. Cette scène un peu grotesque n’avait pour spectateurs que deux marins ; encore étaient-ils à quelques centaines de pas en arrière, auprès du pont-levis de la grosse porte que l’on a baptisée du nom de Saint-Vincent en l’honneur du diacre martyr auquel est dédiée l’église de Saint-Malo. Le costume d’ordonnance dont les deux matelots étaient revêtus indiquait qu’ils revenaient du service. Ils portaient leurs papiers enfermés dans un rouleau de fer-blanc suspendu en sautoir et marchaient gaîment, bras dessus, bras dessous, comme deux amis qui ont longtemps partagé les mêmes dangers, le chapeau sur la nuque, le col nu, chantant à tue-tête et fort indifférens aux difficultés que leur offrait le passage du Sillon : ils en avaient vu bien d’autres ! Cependant la jeune fille, qui entendait derrière elle ces chants joyeux, craignant d’être accostée par des marins en goguette, secoua si vivement la bride à son âne et lui distribua sur la croupe tant de coups de fouet, que la bête rebelle partit au galop. À ce moment, une lame énorme, frappant les pieux rangés le long de la chaussée, retentit comme un coup de canon, se dressa menaçante et écumeuse au-dessus du parapet, puis s’abattit en trombe sur toute la largeur du Sillon. Dans sa chute, la lourde masse d’eau avait renversé l’âne, brisé en éclats les pots à lait et jeté à terre la pauvre jeune fille, qui gisait sur le pavé, honteuse et meurtrie. Les deux marins s’étaient empressés de voler à son secours. Ils la prirent délicatement dans leurs bras robustes et la portèrent sur un petit banc placé devant le bureau de l’octroi. À peine la laitière avait-elle repris ses sens, que l’âne vint la rejoindre, l’oreille basse et marchant d’un pas inégal.

— Ma belle enfant, demanda l’un des marins, qui portait de gros favoris noirs, où demeurez-vous ?

— Dans la commune de Paramé, répondit la paysanne, au-delà du bourg, sur la route de Saint-Coulomb.

— Eh bien ! reprit le marin, c’est à Cancale que nous allons, nous autres… Je suis le fils de Daniel le pêcheur d’huîtres, qui commande la barque l’Aimable-Aglaé ; le père de mon camarade est le grand Laurent, qui a perdu une jambe au service : vous voyez que nous sommes presque voisins. Rien ne nous est plus facile que de vous reconduire chez vous, puisque votre maison se trouve sur notre chemin. — Laurent, ajouta-t-il en s’adressant à son camarade, va chercher un cabriolet de louage, et dès que la mer en se retirant laissera le passage libre, nous partirons.

Laurent fit marché avec le cocher d’un de ces coucous comme on en voyait tant autrefois sur la route de Paris à Versailles, et qui stationnent à toute heure devant la porte Saint-Vincent. Tandis que le cheval mangeait l’avoine, la mer, qui monte et baisse si rapidement sur cette côte, cessa de couvrir la chaussée. Le cabriolet s’avança vers le banc où était assise la jeune fille, qui pleurait et sanglotait, troublée par les soins que lui prodiguaient à l’envi les deux marins, et tout émue encore de l’effroi et de la douleur que lui avait causés sa chute.

— Allons, ma belle enfant, lui dit Daniel, n’ayez pas peur… ce n’est rien que cela !… Tâchez de vous hisser dans le fond de ce carrosse. Il y a longtemps qu’on n’a remis du crin dans les sièges ; mais c’est égal, vous n’y serez pas mal assise. Là, doucement, levez le pied et la main en même temps comme si vous montiez aux enfléchures d’un navire…

La jeune fille se glissa avec effort dans le fond du cabriolet, et Daniel, prenant place à côté d’elle, cria au cocher comme s’il se fût adressé au patron d’une barque : — Poussez ! poussez hors !…

— Mais moi, dit l’autre marin, il faut donc que je monte sur la bourrique… Elle cloche, la pauvre bête… Est-ce qu’elle ne suivrait pas si je l’attachais derrière la voiture ?…

— Oh ! non, répondit la jeune fille ; il vaudrait mieux la laisser aller toute seule, elle trouverait son chemin…

— Essaie de monter dessus, Laurent, dit Daniel ; elle n’a pas l’air d’être blessée ; si nous la laissons s’en retourner seule chez elle, quelque vaurien pourra la voler.

— Mon Dieu ! dit la jeune fille, quel mal je vous donne ! Si je n’avais point été retardée en ville par une emplette dont ma mère m’a chargée, tout cela ne serait point arrivé.

— Oh ! il n’y a pas de mal, répliqua Laurent ; aussi bien j’aurais fait la route à pied !… Tenez, voilà le bourriquet qui trotte comme si le diable le poussait !…

Laurent se tenait en écuyer cavalcadour auprès du marchepied, tandis que le cabriolet roulait avec un bruit de ferraille sur le pavé encore humide. De temps à autre, quelques embruns qui se détachaient du sommet des vagues irritées venaient encore mouiller l’âne et son cavalier. La jeune fille frissonnait de tous ses membres au fond du cabriolet, car la brise soufflait toujours avec violence.

— Vous avez froid, mademoiselle, lui dit Daniel ; voilà mon caban, mettez-le sur vos épaules… C’est chaud, ces vêtemens-là, et on est bien content de les enverguer quand on est de quart la nuit !… n’est-ce pas, Laurent ? — Laurent trottait toujours, une main appuyée sur son chapeau ciré que le vent semblait vouloir lui enlever à toute force, l’autre passée dans la bride de l’âne. Il avait beaucoup de mal à se tenir d’aplomb sur la selle, et la largeur du bât l’obligeait à ouvrir démesurément les jambes. Dans cette position gênante, il ne pouvait prendre part à la conversation que son camarade conduisait tout à son aise du fond du cabriolet.

— Eh ! Laurent, disait celui-ci, tu vas tomber si tu t’obstines à faire ainsi courir la bourrique ; plus tu tireras la bride, et plus la bête ira vite…

— Je le vois bien, répondit Laurent ; je ne saurais plus y tenir ; mieux vaut sauter à terre et marcher à pied. — Parlant ainsi, il se précipita à bas de sa monture, et grimpa derrière le cabriolet, tenant toujours la bride du baudet, qui ne suivait qu’avec une extrême répugnance. De temps à autre, Laurent se retournait pour jeter un coup d’œil à travers la vitre encadrée dans la capote du cabriolet, et il contemplait avec envie son compagnon, assis commodément auprès de la jeune fille et causant avec elle. Il est vrai que celle-ci semblait peu empressée de répondre aux questions de son voisin : il lui était pénible de se voir ainsi reconduite chez elle par deux jeunes gens inconnus. Quant au cocher, habitué à mener toute sorte de gens, il se faisait un devoir de garder en toute occasion un morne silence.

— Il me semble, disait Daniel à la paysanne, il me semble que votre visage ne m’est pas inconnu. Comment appelle-t-on la ferme où vous demeurez ?

— La Petite-Marouillère, répondit la jeune fille, et moi je me nomme Jenny Lambert.

— Très bien, votre nom me revient à présent. Est-ce que vous allez comme ça tous les jours à Saint-Malo porter du lait ?,.. Moi, je m’ennuierais bien vite à faire si souvent la même route… Quand on est marin, voyez-vous, on aime à changer de pays. Pourtant, à l’été, quand il fait un beau soleil et que la mer vient de se retirer, c’est drôle de voir toutes les femmes qui s’en reviennent par la grève en tricotant, assises de côté sur leurs bourriques ; le sable mouillé fait l’effet d’un miroir dans lequel bêtes et gens paraissent renversés, la tête en bas… Eh ! Laurent, es-tu bien là ?

— Pas trop, dit Laurent, qui s’accrochait d’une main aux ressorts du cabriolet.

— Tant pis ! moi je suis à merveille !… Ma voisine commence à se trouver tout à fait bien… Allons, cocher, plus vite que cela… Le froid pique, il ne fait pas bon sur les routes dans ce temps-ci, quand on a vent debout… L’hiver a-t-il été dur cette année, mademoiselle Jenny ?

— Pas beaucoup, fit la jeune fille.

— C’est que nous avons passé la ligne au milieu de décembre, nous autres, et dans ces parages-là on ne distingue point l’hiver de l’été. Oui, c’était le 15 décembre que nous quittions l’hémisphère sud, n’est-ce pas, Laurent ?

Mais Laurent ne fit cette fois aucune réponse ; il avait été contraint d’abandonner le siège incommode sur lequel il s’était installé en désespoir de cause. Le cocher, se penchant sur le devant du cabriolet, l’aperçut bien loin en arrière, qui traînait l’âne à la remorque. — Faut-il l’attendre ? demanda l’automédon, qui marchait à l’heure.

— Fouettez, fouettez toujours ! dit Daniel. Je sais bien que je ferais mieux de le laisser monter à son tour ; mais, ma foi, je ne me soucie pas de traverser les rues de Paramé en uniforme de marin de l’état et conduisant un âne comme un marchand de chiffons. Mon camarade n’a pas tant d’amour-propre, lui ; il est si bon garçon !… Allons, cocher, passons crânement dans le bourg !

La jeune fille n’était pas fâchée non plus de traverser rapidement le gros village de Paramé, où tout le monde la connaissait. Cachée dans le fond du cabriolet et abritée par son voisin, qui avançait la partie supérieure de son corps hors de la voiture et regardait autour de lui d’un air allègre et triomphant, Jenny Lambert se déroba facilement à la curiosité des habitans du bourg. Quand le véhicule s’arrêta devant la ferme de sa mère, celle-ci, surprise de voir un marin mettre pied à terre devant le seuil de sa porte, lui demanda d’un ton brusque : — Qu’y a-t-il pour votre service, jeune homme ?

— Il y a que je vous ramène votre fille, un peu meurtrie, mais pas du tout blessée… Un coup de mer sur le long Sillon… La marée était haute, voyez-vous, et la pauvre enfant se trouvait un peu en retard ; elle a voulu passer tout de même… Vous cherchez votre bourriquet… oh ! il n’est pas loin ; mon camarade le ramène par la bride… Adieu, ma bonne dame ; adieu, mademoiselle Jenny !

La fermière insista pour que le marin voulût bien entrer sous son toit et accepter quelques rafraîchissemens. Le cocher, payé et expédié par Daniel, reprit la route de Paramé, où il espérait trouver un chargement de retour. Tandis que Jenny, retirée dans une pièce voisine, racontait à sa mère, en changeant de vêtemens, les détails de sa mésaventure du matin, Laurent était arrivé, et l’âne avec lui. Les deux marins, assis devant un bon feu sur le grand banc en bois de chêne placé autour de l’âtre, se réchauffaient en vidant un pot de cidre. Après une halte d’une demi-heure, ils se levèrent, et, comblés de remercîmens par la mère de la jeune paysanne, ils continuèrent à marcher dans la direction de Cancale.

— Ah çà ! dit Laurent à son compagnon, tu as donc payé le cocher ?

Daniel répondit par un signe de tête affirmatif.

— En ce cas, je te dois la moitié de la course. Tiens, voilà trente sous…

— Non, non, fit Daniel ; tu n’es pas monté dans le cabriolet, toi, tu n’as rien à payer.

— En conscience, répliqua Laurent, les choses ne se passeront pas comme cela… Est-ce que tu voudrais faire le fier avec moi ?… J’entends être de moitié dans le petit service que nous avons rendu à la jeune personne…

— Eh bien ! tu paieras quelque chose à Cancale, et nous serons quittes… Elle est jolie, la petite Jenny, va ! et avec cela bien aimable, point fière…

— C’est peut-être pour mieux causer avec elle que tu m’as laissé courir à pied la moitié du chemin en tramant par la bride ce maudit âne, qui ne voulait plus trotter ?

— Dame ! répliqua Daniel avec un sourire, il y a des momens où l’on n’a pas besoin de camarade…

— Voilà une parole qui ne me plaît guère, murmura Laurent ; on est ami ou on ne l’est pas !

— Vas-tu te fâcher ? reprit Daniel. À qui puis-je donc parler franchement, si ce n’est à toi ?… Tu sais que mon père a quelque chose : eh bien ! je pense à me faire recevoir maître au cabotage dans deux ans, et puis à me marier. Il n’y a donc rien d’étonnant que je fasse un peu attention aux jeunes filles qui se trouvent sur mon chemin…

Laurent baissa la tête et ne répondit rien. Il était pauvre, lui ; une partie de ce qu’il gagnait servait à soutenir son père infirme, qui touchait une petite pension de l’état, et à soulager la misère de ses deux sœurs, veuves de marins et mères de famille. Servir comme simple matelot sur les navires de guerre ou sur les navires du commerce, ne jamais connaître le repos, ne jamais jouir de son indépendance, telle était la triste perspective qui s’offrait à lui. Une expression de mélancolie résignée se peignait sur ses traits halés par le soleil, et cependant il était content de revoir ceux auxquels il sacrifiait la moitié d’un salaire si laborieusement acquis. Son compagnon Daniel, roulant dans sa tête des projets d’avenir, marchait le front haut, et tous les deux ils continuaient leur route en silence, occupés des sentimens divers que leur inspirait le retour au pays natal. Ils ne s’arrêtèrent pas même au cabaret de Saint-Coulomb, qui porte pour enseigne un beau bateau de Cancale gréé en lougre, filant au plus près du vent, toutes voiles dehors. Leurs regards distraits erraient sur la campagne dépouillée de verdure, sur les collines couvertes de pommiers aux rameaux noirs et d’ajoncs épineux, sur les guérets humides où déjà les moissons commençaient à germer. Quel intérêt présentait l’aspect des champs à ces hommes dont toute la vie se passait à parcourir l’Océan ? Que leur importait la future récolte, à eux qui ne seraient plus là pour la voir mûrir ? Indifférens à tout ce qui préoccupe les gens voués aux travaux champêtres, les deux marins foulaient donc sans émotion la terre féconde qui nourrit les hommes. Leur cœur ne s’épanouit que lorsqu’ils arrivèrent sur les collines qui entourent la partie haute de Cancale. À la vue de cette baie profondément creusée dans les terres, bornée au nord par de sombres masses de rochers, décrivant de l’est au sud une vaste courbe au milieu de grèves blanches au-delà desquelles se profile, à de grandes hauteurs, toute la côte de la Basse-Normandie, Avranches, le Mont-Dol, le Mont-Saint-Michel, Tombelaine ; à la vue de toutes les villes, de tous les villages, de tous les édifices, de tous les rochers, de tous les bois, qui se déroulent en un immense amphithéâtre, et dont ils savaient les noms depuis leur enfance, un cri de joie s’échappa de leur poitrine.

Ils avaient enfin touché le port et posé le pied sur le seuil de la maison paternelle. Pendant trois jours entiers, les deux jeunes gens s’abandonnèrent aux douceurs du far niente. Ils furent parfaitement, complètement heureux. La famille les accueillait avec tendresse ; les amis écoutaient avec une attention sympathique le récit de leur récente campagne. Il y eut pour eux, en compensation de deux années de périls et de fatigues, quelques heures de repos absolu et de causeries animées dans les cafés, devant une table chargée de bouteilles : heures délicieuses pour le marin rendu à la liberté, et qui oublie si vite inter pocula les dangers de la veille et ceux du lendemain. Le quatrième jour, le prestige du retour étant effacé, Daniel et Laurent commencèrent à ressentir les premières atteintes de l’ennui. Impatience d’arriver et impatience de repartir, tels sont les deux sentimens qui absorbent la vie du matelot. D’ailleurs, au milieu de gens qui travaillent, il n’y a guère place pour l’homme oisif, et le mouvement régulier de la mer, qui abandonne incessamment la plage qu’elle vient de toucher, inspire au marin le besoin d’une activité constante.


II. — DEUX MARINS EN RETRAITE.

La fin de l’hiver est l’époque où les navires destinés à la pêche de la morue dans les parages de Terre-Neuve commencent à recruter leurs équipages. Il règne alors une grande activité dans les ports d’armement, car cette pêche lointaine occupe, sur le littoral des seuls arrondissemens de Saint-Malo et de Saint-Brieuc, plusieurs milliers de travailleurs. Les uns font à bord le service de marins, les autres amorcent les lignes, les tendent, prennent le poisson, le fendent et le salent ; d’autres encore, plus faibles ou moins habiles, sont employés à retourner sur les galets les morues que l’on fait sécher au grand air. Selon que les navires vont pêcher au large, — sur le grand banc ou auprès de l’île Saint-Pierre, — ou bien aux abords du continent américain, — dans le golfe Saint-Laurent et sur les côtes de Terre-Neuve et de l’est, — ils mettent à la voile dès les premiers jours de mars, ou ne quittent le port que dans les mois d’avril et de mai. Les glaces forment d’infranchissables barrières à l’entrée de ces mers inhospitalières durant tout l’hiver et les deux tiers du printemps. Lorsqu’elles se détachent par masses énormes des caps où le froid les tenait comme soudées, elles s’en vont flottant à travers l’Atlantique : de là l’impossibilité où se trouvent les navigateurs d’aborder les parages de la pêche avant certaines époques que l’expérience a fait connaître. Enfin, plus tard encore, quand une certaine quantité de morues a été prise et préparée pour de longs voyages, d’autres navires, plus forts de tonnage et fins voiliers, vont chercher à Saint-Pierre des cargaisons qu’ils transportent dans la Méditerranée, aux Antilles et jusqu’aux Indes orientales. Combien de bras acharnés contre ce poisson inoffensif ! Sur un espace de plusieurs centaines de lieues, partout où il y a des bancs, des millions de lignes flottent dans la mer. Sur une longueur de côtes aussi étendue, de l’embouchure du Saint-Laurent jusqu’aux parages où se montre l’ours blanc, des milliers de filets bloquent l’entrée des rades, des criques et des ruisseaux. Chaque année, les bandes innombrables de morues que la Providence dirige vers les mêmes localités y reparaissent fidèlement, poussées par l’instinct de la migration. Les mines d’or du Pérou sont épuisées ; les placers de la Californie et de l’Australie, fouillés en tous sens par des mains avides, ne produiront pas longtemps ces trésors dont l’exploitation a peuplé les solitudes des continens nouveaux, et voilà des siècles que la France et l’Angleterre trouvent dans la pêche de la morue, nourriture des classes indigentes, une source de richesses toujours renaissante et une précieuse école pour leurs marins.

Les deux jeunes Cancalais, débarqués dans la première semaine de février, après une longue campagne à bord d’un navire de l’état, arrivaient donc chez eux juste à temps pour trouver de l’emploi à bord des bâtimens pêcheurs. Daniel était pressé de faire encore deux ou trois voyages qui lui permettraient de se perfectionner dans l’art de la navigation avant de se présenter aux examens pour le grand cabotage ; son camarade Laurent sentait l’impérieux besoin de gagner au plus tôt quelques centaines de francs, dont son père infirme et ses sœurs restées veuves devaient toucher la meilleure part. Ce fut donc à bord d’un navire armé à Saint-Servan pour la pêche du grand banc,— sur un banquier, comme on dit dans le pays, — qu’ils prirent du service. La nécessité où ils se trouvaient de faire provision de vêtemens cirés, de bottes imperméables, de gilets de laine, de tout l’attirail indispensable à ceux qui doivent braver pendant six mois et en plein Océan les intempéries d’un climat froid et brumeux, les obligea à visiter plus d’une fois les magasins de Saint-Servan et de Saint-Malo. Le plus ordinairement ils allaient ensemble ; une étroite amitié unissait ces deux marins depuis leur enfance, et elle était d’autant plus solide que leurs caractères offraient des différences plus tranchées. Laurent, un peu plus jeune que son compagnon, d’une nature plus douce et plus docile, subissait en toute occasion l’ascendant de Daniel, que ses façons un peu rudes, sa taille athlétique et une certaine assurance avaient habitué à être le maître parmi ses égaux. Daniel protégeait son ami, mais à la condition de le dominer toujours un peu.

Un jour qu’ils retournaient à Cancale, la mère de Jenny Lambert, les voyant passer sur la route, les pria de venir partager son dîner. Daniel paraissait peu disposé à se rendre à l’invitation de la fermière ; mais celle-ci insista de si bon cœur qu’il dut accepter.

— Je vois bien que vous allez partir, dit la fermière ; vous avez sous le bras des vêtemens qui ne sont point faits pour aller aux assemblées… Ah ! Les marins !… Et pourtant les filles de chez nous ne veulent épouser que des gens de mer !,.. Ce jeune homme-là, ajouta-t-elle en regardant Laurent de plus près, est celui qui était avec vous le jour que vous m’avez ramené ma pauvre Jenny. Il n’était point encore venu nous revoir, lui…

— Il n’est pas hardi, ce garçon-là, répondit Daniel en passant la main dans ses gros favoris, mais il a bon cœur !…

Laurent, un peu humilié de voir son camarade prendre avec lui des airs de protection, promena ses regards autour de l’appartement, et il aperçut, à droite du bahut sur lequel étaient rangés les belles assiettes et les plats à fleurs jaunes et rouges, un coco du Brésil que son ami Daniel avait sculpté dans leur dernière campagne. Cette découverte lui donna beaucoup à penser. Daniel avait donc fait plus d’une visite à la ferme sans le lui dire… Pourquoi ce coco si finement sculpté, objet des prédilections de son camarade, se trouvait-il là, suspendu à la place d’honneur ?… Si Daniel avait hésité à entrer ce jour-là, c’était donc parce que lui, Laurent, était de trop et pouvait le gêner ! Secourir une jeune fille blessée était une action toute naturelle ; mais, si simple qu’elle fût, pourquoi Daniel cherchait-il à en tirer le profit au préjudice de son ami ?…

L’arrivée de Jenny vint arracher Laurent aux idées attristantes qui se pressaient dans son esprit. Après les avoir salués tous les deux en rougissant un peu, la jeune fille vint s’asseoir auprès de sa mère, et la conversation s’anima par degrés ; mais Laurent osait à peine y prendre part. Les airs d’assurance et de satisfaction que se donnait Daniel le déconcertaient et lui causaient un malaise indéfinissable. Honteux et décontenancé, il levait à peine les yeux sur la jeune fille, qui lui semblait si gentille, si fraîche, qu’il croyait rêver en la regardant. Celle-ci parlait doucement, avec mesure, sans mêler à ses paroles les éclats de rire bruyans que Daniel cherchait à provoquer par ses saillies. Elle se tournait souvent du côté de Laurent, qui mangeait peu, buvait moins encore, et paraissait souffrir. Si ce pauvre marin eût été plus perspicace, il eût pu remarquer qu’il inspirait à Jenny plus d’intérêt qu’il ne le supposait : il eût compris aussi que son compagnon, trop sûr de lui-même et trop enhardi par le bon accueil qu’il trouvait chez la mère de Jenny, pourrait bien faire fausse route et toucher cet écueil redoutable que l’on nomme le caprice d’une jeune fille ; mais il ignorait les mystères du cœur féminin, et, trop timide pour se croire l’objet de la plus banale bienveillance, il se renfermait dans une muette douleur, ne sachant pas lui-même quelle en était la cause, et comment il se trouvait être jaloux d’une jeune fille qu’il n’avait jamais songé à aimer.

— Ah çà ! dit la fermière Lambert, j’ai été à la ville aussi, moi, et à votre intention, Daniel. Tenez, voilà une cravate de laine rouge que j’ai choisie pour vous… Ça n’est pas grand’chose, dame ! et vous en avez peut-être de plus belles, vous qui êtes d’une famille où l’on a de quoi… Mais j’avais à cœur de vous offrir un petit cadeau.

— Merci, merci, répondit Daniel ; je vous promets de la mettre à mon cou toutes les fois que je serai en toilette. Elle est d’un si bon goût, que l’on dirait que c’est votre fille qui l’a choisie !

— Ah ! oui, la jeunesse d’à présent a du goût, s’écria la fermière ; les filles de campagne voudraient toutes porter du velours et de la dentelle comme les grandes dames !… Dieu merci, je n’ai qu’une fille, et nous avons affaire à un maître qui a un bon cœur. Il n’est pas bien riche ; mais comme il vit simplement et qu’il ne dépense guère, il ne cherche point à tirer de la terre plus qu’elle ne peut donner, comme font tant de gros bourgeois !… Vous le connaissez peut-être, c’est M. Kelmère de Cancale.

— Le commandant Kelmère ? demanda Laurent ; c’est un ami de mon père ; ils ont longtemps navigué ensemble, et j’ai fait mon premier voyage avec lui.

— Il est l’ami de tous les marins, interrompit Daniel ; j’ai bien des fois ramé dans sa yole quand il allait faire des parties de pêche aux îles Chausey. Voyons, Laurent, ajouta-t-il en attachant à son cou la grosse cravate, présent de la fermière ; il est tard, en route !

Les deux amis reprirent leurs paquets et dirent adieu à Ta’fermière. — Où donc est votre filles demanda Daniel en s’arrêtant sur le seuil ; je ne veux pas partir sans la revoir.

— Me voici, répliqua Jenny, qui ouvrait la porte de sa petite chambre, et s’adressant à Laurent : — Monsieur, lui dit-elle, vous plairait-il d’accepter ce petit cache-nez en laine blanche que j’ai tricoté cet hiver à la veillée ? Il paraît que c’est bien la mode aujourd’hui parmi les marins, car ils en portent presque tous…

— Vous êtes trop bonne, mademoiselle, murmura Laurent, qui restait immobile et ébahi, tenant sur son bras la blanche écharpe de laine…

— Je l’avais commencé pour un de mes frères qui est en apprentissage à Saint-Malo, ajouta la jeune fille en se retirant ; mais j’ai bien le temps de lui en faire un autre.

La mère de Jenny lança à sa fille un regard de mauvaise humeur qu’elle accompagna de cette exclamation : — Petite sotte, va ! — Mais les deux amis ne l’entendirent point ; ils étaient déjà sur la grand’route.

— Veux-tu changer avec moi ? dit Daniel à son camarade. — Celui-ci secoua la tête en signe de refus.

— Je te donne trois francs de retour !…

— Non, répliqua Laurent, qui serrait le cache-nez au fond de sa poche.

— Bien, bien, fit Daniel après un moment de réflexion ; je m’explique la chose. C’était pour moi que Jenny avait tricoté ce cache-nez ; mais comme sa mère m’avait déjà fait un cadeau, tu comprends ?… La jeune fille s’est crue obligée de te donner son propre ouvrage, ne voulant pas faire de jaloux !

— Peut-être bien, répondit Laurent d’un air distrait.

Ils continuèrent à marcher vers Cancale, et le jour commençait à baisser quand ils arrivèrent chez eux. Ils habitaient dans la partie basse du bourg que l’on nomme La Houle ; c’est là véritablement le quartier des pêcheurs. Au bas des rochers à pic, hauts de quelques centaines de pieds, s’étend, le long d’un quai spacieux, une ligne non interrompue de maisons à un et deux étages, toutes occupées par les patrons des barques et leurs familles. Sur la plage, couverte de débris d’huîtres fit de coquillages de toute sorte broyés par le flot et blanchis par la salure de la mer, on ne voit que dragues et filets appuyés sur les pierres et accrochés aux bords du quai. À ce moment, la marée montait ; mais le vent qui soufflait de terre forçait les barques à louvoyer. On les voyait courir des bordées pour aller s’amarrer sur leurs bouées, qui commençaient à flotter. Les cultivateurs, qui tous possèdent comme dépendance de leurs fermes quelqu’un de ces carrés entourés de claies où sont parquées les huîtres, quittaient la plage après avoir visité ce champ de coquillages et regagnaient par des sentiers à pic les terres qu’ils labourent avec la pioche et la charrue. Les femmes et les enfans des pêcheurs se rapprochaient de la rive pour assister à l’arrivée des bateaux. Peu à peu les barques regagnaient leur mouillage, et de chacune d’elles se détachait un canot qui venait apporter le produit de la journée. Les hommes débarquaient, silencieux, fatigués, tramant sur les pierres du quai leurs hautes et larges bottes, coiffés du grand chapeau ciré, empaquetés dans d’épais vêtemens de laine, et portant sur l’épaule le petit baril à l’eau-de-vie. Chacun d’eux regagnait sa demeure, celui-ci donnant la main à de petits enfans qui avaient couru sur la plage pour embrasser leur père, celui-là soutenant avec effort ces gros poissons aux formes étranges, aux vives couleurs, au goût savoureux, que la mer recèle en ses abîmes et que le bras de l’homme en a su arracher pour les envoyer vendre à la criée sur les marchés de Paris. Quand il fut nuit, la lune vint éclairer la vaste rade, remplie de barques dont les mâts dépouillés de leurs voiles se balançaient doucement à la vague et se reflétaient en longues spirales dans le miroir des flots.

Le père de Laurent, — on l’appelait vulgairement Jambe-de-Bois depuis qu’il avait été obligé de remplacer par un morceau de chêne le membre qu’un boulet lui avait enlevé à Mogador, — se promenait alors sur le quai devant La Houle en compagnie du commandant Kelmère, C’était leur habitude de venir chaque soir faire leurs cent pas au bord de la mer, et cela durait depuis quinze ans. Ils se parlaient de leurs campagnes, des pays lointains, toujours du passé, car le présent de l’homme de mer en retraite est souvent plein d’ennui et son avenir plein de tristesse. Cependant ce soir-là le commandant Kelmère entretenait son vieil ami de projets assez nouveaux.

— Écoute, lui disait-il, c’est un secret que je te confie… Tu sais que je n’ai jamais été porté pour le mariage, et pourtant, depuis que j’ai eu la sotte idée de prendre ma retraite, les jours me semblent longs, quoique les années passent plus vite. Voilà que j’ai cinquante-sept ans sonnés, mais ma santé est bonne, je n’éprouve aucune infirmité, si ce n’est ma blessure à l’épaule qui me fait souffrir par les changemens de temps… Eh bien ! l’envie m’a pris de me marier. Qu’en penses-tu ?

— Vous feriez bien, commandant, dit Jambe-de-Bois.

— Oui, de me marier, reprit le commandant Kelmère, mais avec qui ?… Les demoiselles d’ici et celles des environs aiment trop la toilette ; il leur faut des jeunes gens élégans, des gants jaunes, des Parisiens ; moi, je ne puis plus me faire à ces manières-là depuis que j’ai pris de l’embonpoint, n’est-ce pas, mon ami ? Donc je ne vois personne autour d’ici, ni à Cancale, ni à La Houle, ni dans les environs, à qui je puisse m’adresser !,.. J’ai pourtant une jolie pension et du bien au soleil. Ne t’ai-je pas parlé quelquefois de ma ferme située auprès de Paramé ?

— La Petite-Marouillère ? Oh ! bien souvent.

— Eh bien ! c’est un joli morceau de terre ; le tabac y réussit à merveille, les pommes y sont magnifiques… Moi qui aime les fleurs de passion, je me plairais là, je ferais valoir mes terres, j’en tirerais un bon profit.

— Elle n’est donc pas affermée ? demanda Jambe-de-Bois.

— Si fait, mon ami, mais à très bas prix… Le fermier est mort il y a six ans ; ses garçons étaient des fainéans qui ont mieux aimé prendre des états dans les villes que de labourer les terres, de sorte que ma propriété est restée entre les mains de la veuve, qui l’exploite au moyen de journaliers dont les services se paient cher. Cette veuve a une fille travailleuse, sage et fort gentille… Tu m’entends, hein ?… Je me demande pourquoi je ne m’établirais pas à la campagne, pourquoi je ne donnerais pas mon bien et mon nom à une jeune fille qui…, par malheur, a trente et quelques années de moins que moi ! C’est là l’écueil, mon ami !…

— Dame ! les âges ne sont guère assortis, dit Jambe-de-Bois ; mais quand il s’agit de devenir l’épouse d’un homme riche, décoré, d’un commandant !

C’est là le côté brillant de ma position, reprit le commandant en se redressant avec quelque fierté, et comme si le bruit de la mer, qui lui rappelait ses belles et fortes années, l’eût subitement rajeuni. Puis, baissant la voix, il ajouta : — Elle aurait tout à gagner en unissant son sort au mien. Je lui laisserais ce que je possède, et quand je quitterais cette vie, elle se trouverait indépendante et encore jeune… Mais chut, voici ton fils !…

C’était en effet Laurent qui venait rejoindre son père. Il salua respectueusement le commandant, qui lui prit la main d’une façon affectueuse : — Eh bien ! mon garçon, tu vas repartir ? À la bonne heure ; quand le paletot est sec, un bon marin doit reprendre la mer. Ah !… je sais bien que j’avais encore quelque chose à te dire, reprit-il en s’adressant au père du jeune matelot, et je le dirai devant ton fils, à la condition qu’il nous garde le secret…

— Il n’y a pas de danger que je vous trahisse, commandant Kelmère, répondit le jeune homme.

Eh bien ! écoutez-moi tous les deux. Tu sais, Jambe-de-Bois, qu’en 94 un petit cutter anglais a sombré devant le gros rocher qu’on nomme le Groin ; mon père m’a bien des fois montré l’endroit. Les anciens disaient qu’il y avait à bord du cutter des émigrés qui apportaient aux Vendéens des lettres et de l’argent ; on n’a jamais su au juste ce qu’il y avait de vrai dans cette supposition. Il vint à la plage une demi-douzaine de cadavres ; mais quant au cutter, il fut mis en pièces par la mer… Cependant, à l’époque des grandes marées, quand le pied des roches se découvre, j’ai cru parfois apercevoir quelque chose… Le mois prochain, il y a une de ces grandes marées qui atteindra au moins cent huit degrés ; si tu veux, nous irons voir ce qui se passe par là… C’est dommage que ton fils ne puisse être de la partie, je l’aurais emmené avec nous.

— Commandant, dit Jambe-de-Bois, j’ai plus de foi dans les pièces de cent sous que mon fils va gagner que dans le trésor dont vous parlez !…

— Soit, reprit le commandant Kelmère, un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ; mais il n’en coûte guère d’essayer… Bien entendu que la moitié sera pour toi, si nous trouvons quelque chose ? Là-dessus, bonsoir, mes amis ; il est temps d’aller souper. — Puis, se retournant vers le vieil invalide, il ajouta d’un ton mystérieux : L’autre affaire doit rester entre toi et moi ; si les commères de La Houle venaient à jaser sur mon compte, je serais un homme perdu !


III. — UN EFFET DE BROUILLARD.

Dans les premiers jours de mars, le brick le Dauphin, sur lequel étaient embarqués les deux Cancalais, profitait d’une jolie brise de nord-est pour prendre le large. Le voyage de retour, des parages de Terre-Neuve aux côtes de France, qui ne demande communément pas plus de quinze à vingt jours, ne s’accomplit jamais aussi vite en sens inverse, même avec une brise favorable. Probablement des courans contraires opposent une résistance considérable aux navires qui s’avancent vers l’ouest, ce qui fait dire aux marins qu’il faut toujours monter pour atteindre la côte d’Amérique. Ce ne fut donc qu’après six semaines de navigation que le Dauphin jeta l’ancre devant Saint-Pierre de Terre-Neuve. Dès que le capitaine eut pris dans cette île sa provision de capelans et autres petits poissons qui servent à amorcer les lignes, il revint sur le banc pour y faire sa pêche. Mouillé par quatre-vingts brasses au moyen d’un long câble revêtu d’une épaisse couche de goudron, le Dauphin serra ses voiles et mit ses chaloupes à la mer. Alors commencèrent pour l’équipage les pénibles travaux, les corvées incessantes qui ne laissent aux équipages ni trêve ni repos. Deux fois par jour, les marins du bord descendent dans de grosses chaloupes munies de deux voiles et de lourds avirons ; ils s’en vont porter à un ou deux milles du navire des câbles garnis dans toute leur longueur de lignes auxquelles pendent les hameçons. Lorsque cette interminable corde a été déroulée et qu’elle plonge dans la mer avec ses innombrables haims, il s’agit d’en maintenir l’extrémité à une profondeur moindre que celle des eaux, de manière que les lignes puissent flotter sans toucher le fond. Une bouée en liège, signalée par un pavillon, marque le point où vient aboutir la corde le long de laquelle des centaines de morues voraces se prennent nuit et jour. L’Océan est toujours houleux dans ces parages battus par tous les vents ; il y souffle presque continuellement une bise piquante dont le voisinage des glaces augmente l’âpreté. Souvent aussi la pluie tombe, les tempêtes se succèdent durant des semaines entières, et il s’étend sur la surface de la mer des brouillards tellement intenses qu’on ne peut rien distinguer à quatre pas de soi.

Un soir, — au milieu du mois de mai,— le vent, qui soufflait par bourrasques, ne permettant plus au capitaine du Dauphin de laisser ses lignes dehors, l’ordre fut donné aux hommes de service d’aller les relever. Les deux Cancalais, Daniel et Laurent, se trouvaient de corvée : ils prirent place côte à côte dans la même chaloupe avec quatre autres marins de l’équipage. À peine s’étaient-ils éloignés de cent mètres qu’une brume épaisse s’abattit sur les flots. La brise ne se calmait qu’insensiblement, et la mer continuait à être furieuse. Secouée par les vagues, la chaloupe roulait péniblement ; les hommes qui la montaient ramaient avec courage, cherchant du regard le pavillon fixé sur la bouée. Pendant une heure, ils s’avancèrent ainsi lentement, au hasard, espérant découvrir le petit drapeau planté sur le morceau de liège ; mais sur la mer aussi bien que dans une forêt, quand on a perdu sa route, on s’éloigne presque toujours du but vers lequel on tend, quels que soient les efforts que l’on fasse pour l’atteindre. Bientôt la nuit vint ; les coups de fusil que l’on tirait à bord du Dauphin pour guider dans leur retour les gens de la chaloupe arrivaient aux oreilles de ceux-ci. Tantôt hissant une voile, tantôt ramant avec leurs pesans avirons, les marins égarés croyaient se rapprocher du navire ; puis, après un quart d’heure d’angoisse, ils entendaient du côté opposé le bruit de la cloche que l’on agitait par intervalles sur le pont du brick. On eût dit que le vertige s’était emparé de ces pauvres gens ; tant que dura la nuit, ils cherchèrent à se maintenir à courte distance du navire, qui semblait avoir disparu dans l’ombre. Cependant ils étaient exténués ; une brume glacée avait pénétré leurs vêtemens, et leurs mains raidies ne pouvaient plus saisir la rame. Quand le jour parut, chacun d’eux attendit avec une impatience fébrile le moment où la clarté de l’aurore se répandant jusqu’aux extrémités de l’horizon leur permettrait de reconnaître la position probable du Dauphin, mais à peine la pâle lumière du matin blanchissait la cime des vagues que le brouillard, se détachant des nuages, vint couvrir de nouveau la surface de l’Océan, ramenant sur l’espace immense d’autres ténèbres presque aussi épaisses que celles de la nuit. Les marins, errant au hasard, n’entendaient plus ni la cloche ni les détonations qui avaient soutenu leur énergie la veille au soir ; plusieurs d’entre eux s’étaient endormis par l’effet de la fatigue.

— Laurent, dit tout bas Daniel à son camarade, Laurent, le navire est perdu !

— Je tombe de sommeil, répondit celui-ci ; j’ai faim, j’ai soif… Les vivres que nous avons là ne peuvent pas nous durer plus d’un jour…

— Il faut toujours commencer par reprendre des forces, répliqua Daniel.— Holà ! vous autres ! ajouta-t-il en secouant les marins qui sommeillaient étendus sur les bancs, réveillez-vous !… Cassons un peu de biscuit, et avalons un petit verre d’eau-de-vie. J’ai là dans ma poche une bouteille de cognac que j’ai eu la chance d’embarquer en cachette.

Les marins se mirent à manger silencieusement ; leurs regards plongeaient sur la vague glauque et écumeuse qui bornait leur horizon ; ils ne distinguaient pas même les goélands, qui, par des cris aigus, semblaient s’appeler les uns les autres dans la brume. L’eau-de-vie leur redonna cependant un peu de courage. Le malheur qui leur arrivait n’était après tout qu’une de ces mésaventures assez ordinaires dans les parages de Terre-Neuve. Sur ce banc, long de plus de cent lieues, où tant de navires passent et repassent incessamment en toute saison, n’avaient-ils pas la chance d’être rencontrés et sauvés ? Ces pensées rassurantes, qu’ils se communiquaient les uns aux autres, les empêchaient de s’abandonner au désespoir, et durant tout le jour ils crurent reconnaître dans le bruit des flots, dans le cri des oiseaux aquatiques, jusque dans le sifflement du vent qui secouait leurs voiles, le son d’une cloche, l’appel d’une voix humaine, le sillage d’un navire coupant l’eau avec sa proue. Le soir vint : pour la seconde fois, la nuit redoubla l’intensité des ténèbres, et les marins de la chaloupe gardèrent un profond silence. Ils mangèrent, mais sans appétit, malgré la faim qui les dévorait, les derniers restes de leurs vivres, et tourmentés par la perspective terrible du sort qui les menaçait, si leur mauvaise étoile n’amenait aucun navire auprès d’eux. Peut-être en passait-il beaucoup, peut-être eux-mêmes, tout en courant des bordées à droite et à gauche, approchaient-ils fréquemment de quelque bâtiment pêcheur ! Ils l’ignoraient, et les heures succédaient aux heures, emportant dans leur vol quelque chose des fragiles espérances qu’ils conservaient encore.

— Vers minuit, un matelot bas-breton, qui avait paru plus accablé que les autres, se prit à chanter, à pleurer, à sauter, puis, le délire augmentant, il se jeta par-dessus le bord.

— Voilà qui va mal ! dit Laurent ; si la fièvre allait nous gagner tous !

— Courage, ami ! répondit Daniel. Et vous, ajouta-t-il en s’adressant aux autres, est-ce que vous allez vous désespérer ? Il y a plus de trois cents bâtimens autour de nous : voyons, levons-nous, jetons un grand cri qui pourra être entendu à un mille à la ronde.

Les marins crièrent le plus haut qu’ils purent ; mais leur voix était comme étranglée, et la vague parlait plus haut qu’eux.— Bah ! dit en grasseyant un grand Normand de Saint-Vaast, triste métier que celui de péqueux[2] ! Nous ne boirons plus de cidre dans les cabarets de Granville !… — Et le marin aux formes athlétiques se mit à pleurer comme un enfant ; les morceaux de biscuit qu’il avait mangés la veille ne suffisaient pas à soutenir ce grand corps qui tombait en défaillance.

Les deux Cancalais demeuraient assis sur un banc de la chaloupe côte à côte, comme deux amis qui cherchent à se défendre contre le danger. — Coquin de sort ! murmurait Daniel, moi qui faisais de si beaux projets sur la route de Paramé à Saint-Coulomb !…

Son compagnon leva sur lui ses yeux abattus. — Je pensais aussi, moi, à la petite Jenny, dit-il à demi-voix ; la cravate tricotée qu’elle m’a donnée est là, sur ma poitrine…

— Est-ce que tu l’aimes ? reprit Daniel.

— Dame ! je crois que oui, dit Laurent ; mais qu’importe ? je vais mourir, et toi, tu vivras, tu es si robuste !

— Non, tu ne mourras pas, fit Daniel en se redressant avec effort. Nous sommes amis à la vie, à la mort ! Viens, matelot[3], appuie ta tête sur ma poitrine et tâche de dormir. Qui sait ? peut-être que Jenny te trouvait à son goût ?…

— Oh ! murmura Laurent, si je le savais… Mon dernier sommeil serait plus tranquille… Moi qui suis pauvre, moi qui ai ma famille à soutenir, on me regrettera, parce que j’étais utile ; mais personne ne m’aura aimé ! C’est ce qui m’attriste !… Si une jeune fille qui n’a rien à attendre de moi devait seulement verser une larme en apprenant où je suis et ce que je souffre à cette heure, je serais consolé, Daniel.

— Calme-toi, reprit celui-ci ; tu as de la fièvre.

— Non, non, continua Laurent, je sais ce que j’ai dit, je n’ai pas de délire ; mais, vois-tu, je me sens attendri jusqu’au fond de l’âme… Quand on n’a pas été heureux dans la vie, il faut bien qu’on dise au moment de mourir tout ce qu’on a sur le cœur…

Laurent s’était affaissé dans les bras de son ami ; son œil était terne, sa langue épaisse, et ses lèvres restaient entr’ouvertes. Daniel, bien affaibli lui-même par la fatigue et par l’inquiétude, humecta la bouche de son compagnon avec quelques gouttes d’eau-de-vie restées au fond de la bouteille, lui frictionna les tempes et se mit à le bercer comme une nourrice. Les trois autres matelots, — ils étaient cinq en tout, — les regardaient d’un œil stupide.

Vingt-quatre heures s’écoulèrent encore au milieu des angoisses ; la brume persistait à obscurcir l’horizon, et la chaloupe, voguant au gré des flots, ne contenait plus un seul homme capable d’agir. Le froid avait engourdi leurs membres ; les uns étaient à genoux, la tête appuyée sur les bancs, dans l’attitude de la prière ; les autres, étendus au fond de la barque, laissaient leur barbe et leurs cheveux tremper dans l’eau de la sentine, qu’ils ne songeaient plus à vider. Il ne leur restait depuis la veille ni une goutte d’eau douce, ni une miette de biscuit. La vie semblait avoir abandonné complètement ces corps, affaiblis par la faim, la soif et les souffrances. Parfois des blocs de glace détachés des grandes banquises heurtaient les parois de la chaloupe, et il en résultait un choc qui causait aux marins expirans un ébranlement douloureux. Ils ne voyaient plus et n’entendaient plus ; la seule perception qui leur fût restée était celle d’une lente agonie, dont le terme reculait toujours. Réduits à cette cruelle extrémité, ils n’espéraient plus rien ; aussi demeurèrent-ils insensibles à l’approche d’un navire qui passait si près d’eux que la chaloupe frôla ses porte-haubans. Ceux qui montaient ce navire comprirent aussitôt quel malheur était arrivé aux marins abandonnés. Ils les prirent à bord, à l’exception du Normand, dont le corps rigide était privé de vie depuis la veille. Les quatre autres furent pendant plusieurs jours en proie à une fièvre délirante ; ils se voyaient encore délaissés et errans dans la petite barque au milieu des brouillards et de la mer agitée. Quand ils se trouvèrent hors de danger et en état de comprendre leur nouvelle situation, le capitaine du navire qui les avait sauvés leur parla ainsi : « Vous appartenez à un bâtiment pêcheur, n’est-ce pas ?… Depuis que je vous ai recueillis, nous avons toujours marché au sud, et nous sommes à plusieurs centaines de milles du banc de Terre-Neuve. Notre destination est le cap de Bonne-Espérance, nous venons de Boston, et je désire ne relâcher nulle part en route. Il faut donc que vous restiez à mon bord jusqu’au Cap, à moins que je ne rencontre sur mon chemin quelque navire français qui se charge de vous rapatrier. »


IV. — RÊVES ÉVANOUIS.

La mer a englouti tant de richesses depuis les temps anciens, qu’il n’y a pas une plage qui n’ait sa légende de trésors enfouis dans le sable, et l’espérance de découvrir ces trésors vit toujours dans le cerveau de quelques vieux marins en retraite. Le commandant Kelmère, nous l’avons dit, croyait à l’existence de coffres remplis d’or apportés en 94 par un cutter anglais qui avait péri au pied du gros rocher nommé le Groin de Cancale. Le jour de la grande marée de mars, peu après le départ du brick le Dauphin, qui emportait les deux jeunes marins cancalais, le commandant avait pris avec lui le père Laurent, dit Jambe-de-Bois, et ils étaient allés de compagnie dans un canot explorer le lieu où gisaient les coffres mystérieux. La mer, qui s’était considérablement retirée, laissa à sec des pointes de roc ébréchées à travers lesquelles le commandant et son compagnon traînèrent leurs dragues. Après plusieurs heures d’un travail opiniâtre accompli sous une pluie battante, ils amenèrent à la surface de l’eau quelques ferremens rouilles ; un débris de planche peinte, et enfin une boite en fer d’un assez fort volume, hermétiquement close au moyen de vis.

— Mon ami ! s’écria le commandant Kelmère, nous l’avons !… Jambe-de-Bois prit en tremblant le coffre tant convoité, et parvint, non sans peine, à le déposer dans le fond du canot. Transportés de joie, pleins d’espérance, les deux marins retraités se dirigèrent vent arrière vers le quai de La Houle. Il faisait presque nuit quand ils débarquèrent ; mais le fardeau qu’ils soulevaient avec de grandes précautions n’échappa point à la curiosité des pêcheurs. Le bruit se répandit aussitôt que Jambe-de-Bois, l’invalide, était de moitié dans la possession d’un trésor, et chacun envia la chance de ce pauvre infirme, que l’on croyait déjà riche à millions. La réalité est que ce coffre, ouvert avec soin par le commandant Kelmère en présence de son compagnon, n’offrit à leurs regards avides qu’une demi-douzaine de lettres écrites en chiffres et à peu près réduites en pâte, plus une liasse énorme d’assignats fortement avariés : ces assignats étaient faux et fabriqués à l’étranger par les puissances en guerre avec nous, qui achevaient de ruiner ainsi la république française.

— Du papier, s’écria le commandant Kelmère, du papier, et rien de plus !… Ça représentait pourtant un million il y a soixante ans, et aujourd’hui je le donnerais pour deux liards ! — C’est égal, j’avais raison, mon ami, quand je te disais que le cutter était richement chargé.

— Voilà ce que c’est que de venir trop tard, répondit Jambe-de-Bois. Aussi bien je n’ai jamais eu de chance.

— Maudites paperasses ! reprit le commandant. Jette-les au feu jusqu’à la dernière, et emporte le coffre ; je ne veux plus le voir.

— Merci, commandant. Quand je l’aurai dérouillé et fourbi, j’y serrerai mes états de service et mon titre de pension.

Une pareille déconvenue jeta un profond découragement dans l’âme du commandant, qui voyait s’envoler en un instant ses rêves dorés. Il demeura pendant plusieurs semaines comme étourdi, et incapable de reprendre l’autre projet dont Jambe-de-Bois avait été le seul confident. Peu à peu cependant sa mauvaise humeur s’effaça sous l’influence des premiers beaux jours, et puis il se disait que peut-être il y avait un autre coffre rempli de valeurs plus solides ; mais pour s’en assurer il lui fallait attendre l’équinoxe de septembre, et d’ici là le temps lui semblait bien long. Quand le mois de mai eut couvert la terre de verdure et les arbres de fleurs, le commandant Kelmère songea de nouveau à sa ferme de la Petite-Marouillère et à la jeune fille qui l’habitait. Résolu à entamer la grande affaire qui devait changer sa vie, il se mit en route par un soleil resplendissant. Le ruban rouge passé à sa boutonnière était tout neuf ; il portait un large chapeau de paille de Manille, une cravate de soie des Indes négligemment attachée et un pantalon de nankin ; sa main droite s’appuyait sur un jonc de Java, et sa main gauche tenait une fleur d’églantier, symbole de la jeunesse et de l’innocence. La matinée étant assez chaude, le visage du commandant Kelmère se trouva aussi rouge qu’une cerise, quand il arriva à la porte de la ferme.

— Bonjour, la compagnie, dit-il en frappant sur le seuil avec le bout de sa canne. Mère Lambert, et vous, Jenny, je vous salue.

— Monsieur Kelmère ! s’écrièrent les deux femmes en lui présentant une chaise. En vérité, c’est monsieur Kelmère !… On a si rarement l’honneur de vous voir !

— C’est vrai, dit le commandant ; j’ai mes habitudes à Cancale, et puis les marins aiment à rester au bord de la mer… Il fait pourtant beau dans la campagne aujourd’hui !

Jenny avait déposé sur la table, devant M. Kelmère, un pot de vieux cidre et un verre. — Prenez donc un peu de ce cidre, monsieur Kelmère, lui dit-elle, vous êtes rouge comme un homard. Quand on est gros comme vous, on se fatigue à marcher.

— N’y faites pas attention, répliqua le commandant.

Et, s’adressant à la jeune fille d’un air souriant : — En vérité, Jenny, dit le commandant, vous avez encore embelli depuis que je ne vous avais vue !… N’est-ce pas, mère Lambert ?… Ah ! vous avez là une fille charmante.

— Vous êtes bien honnête, monsieur Kelmère, répondit la fermière ; ma fille a une bonne santé, Dieu merci !

— Elle a mieux que cela : je lui trouve de la grâce, de la fraîcheur… Elle me plaît beaucoup… Voyons, Jenny, avez-vous quelquefois pensé à vous marier ?

— Dame ! je ne dis pas que j’y ai renoncé, répliqua la jeune fille.

— Eh Bien ! voudriez-vous d’un homme d’un certain âge, qui aurait de l’aisance, une bonne position ?

— Une fille de campagne ne cherche pas si haut, dit Jenny, qui allait et venait par la chambre.

Pourquoi ne pas chercher là où l’on peut atteindre, mon enfant ?… Par exemple, si je vous demandais en mariage, est-ce que vous me refuseriez ?

— Allons, dit Jenny, M. Kelmère est en train de rire ce matin.

— Mais non, je parle tout de bon… Voulez-vous de moi pour votre mari ?

— Mon Dieu ! ma mère, qu’est-ce qu’a donc le commandant à être si farceur aujourd’hui ?… Il est gai comme un jeune homme ! dit Jenny en riant aux éclats. Ah ! monsieur Kelmère, vous épouser, moi qui ne suis qu’une paysanne !

— Vous êtes d’une meilleure famille que vous ne le pensez. Votre grand-père était riche, mon enfant ; la révolution l’a ruiné… Vous êtes mon égale…

— Eh bien ! votre grand-père à vous, monsieur Kelmère, était un pauvre matelot enrichi par la course, et vous n’êtes pas mon égal… Ah ! ah !… Vous voilà pris à votre propre raisonnement !… Les grands-pères n’ont rien à faire ici. Le bonheur ne se règle point sur les choses du temps passé, mais sur l’accord présent des cœurs et des…

— Et des âges ! s’écria le commandant en baissant tristement la tête. Allons, je suis arrivé trop tard, et le choix de cette enfant est déjà fait !…

Il tira un cigare de sa boîte, l’alluma aux tisons du foyer, et appuyant sa main sur son genou : — Jenny, reprit-il, vous avez raison ; je reconnais que ma demande a dû vous sembler étrange.

— En conscience, reprit la mère Lambert, je suis désolée de ce qui se passe, monsieur. Ça n’est pas ma faute si Jenny vous a répondu comme elle a fait… Elle vous doit bien des excuses, car en vérité ce mariage-là m’aurait fait plaisir !

— Non, non, répondit le commandant, elle a parlé franchement, comme c’était son droit. Que voulez-vous ? je porte si lestement mes cinquante… et quelques années, que je croyais les dissimuler à la vue de tout le monde ! Mais non ; la jeunesse attire la jeunesse, et la vieillesse la repousse… Adieu, mes bonnes gens. Vous ne m’en voulez pas, Jenny ?

— Loin de là, monsieur Kelmère : je suis flattée que vous ayez pensé à moi, et je serais très confuse de vous avoir parlé à cœur ouvert, si je ne me rappelais les bontés que vous avez pour nous.

— Soyez certaines que je vous les continuerai, répliqua le commandant en se retirant.

— Et, se parlant à lui-même : — Allons, dit-il, le coffret était rempli de paperasses inutiles ; dans la ferme, il y a bien un objet précieux, mais qui ne peut être à moi !… Kelmère, tu n’as pas de bonheur ! Tu as pris ta retraite trop tôt, la pensée de te marier t’est venue trop tard ! Te voilà comme le poisson échoué sur le sable, qui bâille tristement au soleil !… Et pourtant il me semble n’être qu’à peine à la moitié de la vie !

Le fait est que si le commandant Kelmère avait pu se parer de tout ce que le souvenir des pays prestigieux visités par lui durant ses lointains voyages avait accumulé dans son esprit d’images riantes et de splendides tableaux, il eût apparu comme transfiguré et rayonnant de jeunesse ; mais quand les années ont enlevé à notre corps la souplesse, la vigueur, l’élasticité du premier âge, c’est en vain que notre imagination nous trompe par un mirage menteur. Tandis que nous regardons en arrière, les yeux fixés sur les horizons éloignés, le temps, qui coule comme un fleuve rapide, nous mine par d’incessantes attaques. Nous nous croyons solidement enracinés dans le sol, et déjà nous chancelons sur notre base. Par malheur aussi, ce travail des années que nous ne voyons pas n’échappe point aux regards d’autrui. Voilà pourquoi le commandant Kelmère, piqué au vif, quoiqu’il n’en eût rien laissé paraître, marchait d’un pas assuré, frappant la terre de sa canne et comme s’il eût voulu se prouver à lui-même que la petite paysanne se repentirait un jour de ne pas avoir mieux accueilli sa demande ; voilà pourquoi aussi Jenny Lambert, qui se sentait extrêmement flattée de la démarche que le commandant venait de faire auprès d’elle, n’avait pas hésité un instant à repousser ses propositions. Si elle eût appartenu à une autre classe de la société, peut-être eût-elle répondu autrement ; mais, élevée aux champs, elle obéissait aux instincts de son cœur, sans arrière-pensée comme sans calcul.

Ses voisines prenaient plaisir à la taquiner à propos de la visite du commandant Kelmère ; elles s’amusaient aussi pour la tourmenter à lui, demander des nouvelles des deux Cancalais, car dans les campagnes on sait tout, on voit tout. Et puis il faut bien que ces jeunes filles jasent et babillent quand elles portent à Saint-Malo les produits de leurs fermes, tantôt par le Sillon, tantôt par la grève, selon l’état de la marée, trottant sur leurs ânes et tournant vers la mer des yeux attentifs qui expriment cette naïve pensée du poète breton :

Goëlands ! goëlands !
Rendez-nous nos amans !

Vers le milieu du mois de juin de cette même année, comme elles venaient de passer sous la porte Saint-Vincent, Jenny Lambert et ses compagnes remarquèrent dans les rues de Saint-Malo un mouvement inaccoutumé. Des femmes de tout âge, les unes vieilles et infirmes, les autres portant des nourrissons dans leurs bras, suivaient obstinément les facteurs de la poste, qu’elles harcelaient de leurs demandes : « Avez-vous une lettre de mon fils ?… Mon mari m’a-t-il écrit ?… Monsieur le facteur, est-ce que vous n’avez rien pour moi ?… » — Le facteur répondait avec un calme désespérant : « Laissez-moi faire ma tournée ; s’il y a une lettre pour vous, c’est à votre domicile que je la remettrai. » Les commères alors, revenant sur leurs pas, interrogeaient celles qui tenaient déjà en main les nouvelles attendues : « Votre homme vous parle-t-il du mien ?… Sait-il quelque chose du navire où est mon fils ?… » Et le bruit dura ainsi jusqu’à ce que chaque famille eût reçu la missive qui lui était destinée, car c’est un grand jour dans les ports d’armement que celui où arrive le courrier de Saint-Pierre ! À ce seul mot, des larmes coulent ; on se réjouit, on espère ; jour attendu avec anxiété où trop souvent de tristes nouvelles viennent porter dans les familles la désolation et le deuil ! Puis, après la lecture des lettres, viennent les commentaires qui se font, dans les rues étroites de Saint-Malo, d’une fenêtre à l’autre. Une de ces conversations qui volent, comme l’hirondelle, par-dessus la tête du passant, vint frapper l’oreille de Jenny. Il était question du brick le Dauphin, de chaloupes disparues, d’hommes égarés dans les brumes.

— Mon Dieu ! dit-elle à l’une de ses voisines qui demeurait tout près de chez elle, j’ai peur ! Va donc demander au bureau du port si on sait le nom de ceux qui montaient la chaloupe… — Elle attendit avec anxiété son retour : — Eh bien ! parle donc !

— Il y avait à bord, répondit la jeune fille, un Normand, un Bas-Breton du Binic, deux gars de Pleurtuis ; et puis…

— Et puis ? fit Jenny en pâlissant.

— Deux jeunes gens de Cancale…

— Mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria Jenny, ils sont morts !

— On n’en est pas sûr, Jenny ; il en revient beaucoup de ceux qui disparaissent dans la brume.

— C’est vrai, murmura Jenny ; mais combien aussi ne reviennent jamais !… Elle courut acheter un cierge qu’elle fit allumer devant l’autel de la Vierge.

Avant que les deux jeunes filles fussent de retour à leurs fermes, la fatale nouvelle s’était répandue dans la partie haute de Cancale et à La Houle. Jambe-de-Bois supporta vaillamment le nouveau coup qui le frappait ; après lui avoir enlevé ses deux gendres, la mer lui prenait son fils ! Une larme s’échappa des yeux de l’invalide, mais il l’essuya vite : il y a des gens que l’habitude du malheur a rendus comme insensibles. Il eut assez de courage pour aller faire sa visite de condoléance au père de Daniel, qui revenait au port avec sa barque, l’Aimable-Aglaé. Celui-ci fut plus rudement remué en apprenant la mort probable de son fils, pour lequel il avait amassé quelque bien ; mais, moins habitué à être maltraité par le sort, le patron Daniel s’obstina à conserver l’espoir que son enfant se retrouverait sain et sauf. Un mois plus tard, un second courrier de Saint-Pierre arriva à Saint-Malo. Le capitaine du Dauphin écrivait à ses armateurs : « Je n’ai plus du tout entendu parler de la chaloupe ni de ceux qui la montaient. En changeant de mouillage, j’ai eu occasion d’interroger plus de cent navires, et je n’ai pu recueillir aucune nouvelle sur mes malheureux matelots. Il est à peu près certain qu’ils ont péri en pleine mer. »

Ces paroles, venues en droite ligne du grand banc de Terre-Neuve et signées par le capitaine du navire, ébranlèrent la confiance de ceux qui voulaient espérer encore. Les deux jeunes gens furent tenus pour morts par toute la population de Cancale et des environs, et on fit célébrer des messes de requiem à leur intention. Le deuil porté par leurs familles au jour de la cérémonie funèbre acheva de convaincre les plus incrédules. On les eût vus reparaître tous les deux que l’on eût refusé de les reconnaître. Jenny avait versé plus d’une larme en apprenant la fatale nouvelle, et comme elle confiait ses chagrins à la même voisine qui s’était chargée de prendre pour elle des renseignemens au bureau du port :

— Lequel était-ce donc ? demanda celle-ci.

— Qu’importe ? répondit Jenny ; puisqu’ils ont péri tous les deux, je veux garder mon secret.

La mère Lambert, fatiguée de voir sa fille triste et abattue, lui dit un jour avec aigreur : — Il ne tenait qu’à toi d’être la femme du commandant, et tu ne Tas pas voulu ! Il s’agissait cependant de mon bonheur autant que du tien !… Mais non, tu avais l’idée ailleurs. Vous ne voulez épouser que des gens qui naviguent, vous autres paysannes !

Jenny ne répondit que par un soupir. — Pour comble de malheur, continua la fermière, il faut que la mer enlève d’un seul coup deux jeunes gens sur qui tu pouvais te rabattre !… Dame ! ils ne valaient pas à eux deux la moitié de M. Kelmère ; mais enfin le grand brun possédait quelque chose par son père, et le petit blond devait avoir sa part du trésor…

Il restait donc généralement admis que le coffret retiré du fond de la mer renfermait un trésor. Bien que l’on vît le père Laurent, dit Jambe-de-Bois, aussi pauvrement vêtu que par le passé et coiffé, les dimanches et fêtes, d’un vieux chapeau qu’il tenait de la générosité de son ami le commandant Kelmère, on s’obstinait à le considérer comme riche. Quand une erreur est accréditée dans le public, elle persiste en dépit de toute raison.


V. — LES DEUX AMIS.

La franchise de Jenny avait affligé le commandant Kelmère ; il n’en voulait pas à la jeune fille, mais il ne se souciait point de retourner à la ferme. Le vieux marin ne quittait plus La Houle ; il éprouvait un redoublement de tendresse pour la mer, à laquelle il se reprochait de n’être pas demeuré fidèle jusqu’à la fin. Quelques-uns de ses anciens camarades étant parvenus au grade d’amiral, il se persuadait qu’il aurait pu, lui aussi, arriver à commander une escadre, s’il ne se fût si tôt retiré du service, et pourtant il n’avait jamais eu sous ses ordres qu’un petit cutter garde-côte ! Toutes ses conversations avec le père Laurent roulaient sur les promotions passées et présentes. C’est à la fois le chagrin et la consolation des gens en retraite de croire qu’ils auraient pu être ce que sont les mieux doués ou les plus favorisés d’entre leurs contemporains. À défaut de vaisseau de ligne, le commandant Kelmère se décida un jour à armer un bateau de pêche qu’il baptisa du nom sonore de Foudroyant en souvenir du bâtiment sur lequel il avait servi avec le grade d’enseigne. L’espoir de trouver au pied du Groin un vrai trésor composé de belles guinées sonnantes ne l’abandonnait pas : c’était désormais la seule, la dernière expédition qu’il lui fût permis d’accomplir. À la grande marée d’équinoxe, au mois de septembre, il s’en alla draguer dans les rocs d’où il avait retiré le coffret plein de faux assignats ; mais cette fois il ne put rien trouver, pas même un vieux clou. Forcé d’ajourner sa troisième tentative au printemps de l’année suivante, il ne perdit pas entièrement cou-’ rage ; mais au lieu de revenir à La Houle, où les commères auraient pu rire de sa mésaventure, il s’avança au large jusqu’à l’archipel de Chausey. Dans ce labyrinthe de petits îlots cher aux naturalistes, le poison est abondant, et, pour qui aime à pêcher, nul endroit ne peut être mieux choisi.

La journée avait été belle et très chaude pour la saison. Vers le soir, de grosses nuées d’orage s’accumulèrent du côté du nord, la brise devint plus faible. Le commandant Kelmère, empêché par le calme de revenir à Cancale, prit le parti de passer la nuit dans l’île de Chausey ; il amarra le Foudroyant le long du quai, et descendit à terre en compagnie de Jambe-de-Bois et de son mousse. La mer, unie comme un miroir, paraissait plus blanche encore sous le sombre voile de nuages qui obscurcissait le ciel. Quelques barques de pêche se montraient dans l’espace compris entre Chausey et les côtes de la Manche ; dans la direction de Jersey, cinq bu six cutters dressaient au-dessus des flots apaisés leurs mâts chargés de voiles, et bien loin au large, vers l’ouest, les huniers d’un grand navire à demi gonflés par le dernier souille de la brise se détachaient vaguement comme une vapeur diaphane. Un peu avant le coucher du soleil, un éclair sillonna la nuée qui montait toujours sur l’horizon, un violent coup de tonnerre retentit dans le lointain, et le vent se mit à souffler avec un bruit strident. En un instant, les vagues se soulevèrent, couronnées à leur sommet d’un panache d’écume ; la pluie tomba à grosses gouttes d’abord, puis par torrens, et cette immense étendue de l’Océan, s’assombrissant aussitôt, ne présenta plus que le lugubre aspect de flots verts roulant les uns contre les autres dans un désordre terrible. Tout ce qu’il y avait de voiles au large disparut dans l’obscurité ; seulement, quand l’éclair lançait à travers l’espace son éblouissante clarté, on distinguait çà et là. les barques et les cutters fuyant la tempête dans toutes les directions, et bondissant sur les lames comme on voit les brebis frappées d’une terreur subite bondir à travers les guérets. Tous ces petits bâtimens eurent bientôt trouvé un abri dans quelque crique, au fond d’une anse ; mais il n’en était pas de même du grand navire que l’orage avait surpris entre l’île de Jersey et Saint-Malo, tout près des écueils dangereux nommés les Minquiers. Ceux qui le montaient connaissaient parfaitement ces parages, car le navire appartenait au port de Granville, et il se disposait à y rentrer, après une traversée de deux mois. L’Orion, — c’était son nom, — armé pour la pêche de la baleine, venait en dernier lieu du cap de Bonne-Espérance ; sur sa route, il avait rencontré le navire de Boston à bord duquel les deux marins de Cancale, Daniel et son ami Laurent, avaient été recueillis au sud du banc de Terre-Neuve, et il s’était chargé de les rapatrier.

Les deux marins que l’on croyait morts allaient donc toucher la terre de France le lendemain matin. Ils allaient reparaître pleins de vie devant ceux qui les avaient pleures !… Mais la mer a des caprices terribles, et tout est hasard pour qui navigue ! Quand l’orage éclata, l’Orion cinglait au sud des Minquiers, dont les roches noires, laissées à sec par la marée, se montraient distinctement aux regards de l’équipage. Contraint par la violence du vent de carguer les voiles et de mettre en cape, le capitaine tenta de s’éloigner des récifs en rétrogradant du côté du large. La nuée remplie d’éclairs l’environnait de toutes parts ; la foudre ne cessait de gronder autour du navire, que le fluide électrique vint frapper à plusieurs reprises. Un mât fut fendu du haut en bas, une vergue se rompit ; mais l’Orion se tint bravement la proue au vent, comme s’il n’eût reçu aucune blessure. Quand le tonnerre eut cessé de gronder et que les éclairs blafards rayonnant à travers la pluie s’en allèrent s’éteindre vers le cap Fréhel, le capitaine reprit sa route. La nuit était complètement sombre, aucune étoile ne brillait au ciel ; il n’y avait sur l’étendue de la mer nulle autre clarté que celle de la lampe de l’habitacle éclairant la boussole.

— Grâce à Dieu, dit Daniel à son ami, l’orage est passé ; demain nous serons à Granville !

— C’est vrai, répliqua Laurent, mais avons-nous paré les Minquiers ?… N’est-ce pas le feu de Fréhel que je vois là, à notre gauche ?…

— À notre gauche ?… reprit vivement Daniel. C’est impossible…

Les deux Cancalais allongèrent la tête par-dessus le bord ; d’autres marins regardaient comme eux ce feu tournant et à éclipses, qui ne pouvait être que celui du cap Fréhel. Le capitaine à son tour interrogea des yeux ce phare qui semblait lui dire : Prenez garde ! Puis, montant d’un pas rapide sur la dunette, il considéra avec attention l’aiguille de la boussole. Alors retentit à la proue du navire ce cri sinistre : « Des brisans devant nous ! »

Le capitaine sauta sur la roue du gouvernail en repoussant du poing le timonier, et il la fit tourner rapidement. — Carguez, carguez tout !… criait-il d’une voix émue ; la foudre a touché la boussole, elle ne marque plus !

L’équipage tout entier s’était précipité sur les cordages : les poulies grinçaient, les voiles se repliaient sur les vergues, et l’Orion, exécutant son mouvement de rotation, traçait à sa poupe un sillon phosphorescent ; mais il était trop tard. La quille et le gouvernail du navire heurtèrent les récifs, et un horrible craquement apprit aux vingt-cinq hommes réunis sur le pont que l’Orion venait de recevoir un coup mortel.

— À la mer les chaloupes ! cria le capitaine.

L’une des baleinières s’était brisée par l’effet de la secousse qu’avait éprouvée le navire en touchant le roc ; l’autre fut amenée à grand’peine, et douze marins s’y jetèrent à la hâte. Quant à la chaloupe proprement dite, elle avait été défoncée sur le pont même par la chute du mât foudroyé. Restait encore le canot du capitaine dans lequel on embarqua les mousses, les novices et les officiers ; ces derniers avaient ordre de se diriger au plus vite sur l’île de Chausey pour y demander des secours. Le capitaine demeura sur son navire avec les deux Cancalais et quelques vieux marins décidés à ne quitter leur chef qu’à la dernière extrémité.

Cependant l’Orion s’entr’ouvrait, et les vagues qui le faisaient talonner sur les pointes aiguës des récifs commençaient à l’envahir.

— Il est de mon devoir de rester ici, dit le capitaine à ceux qui l’entouraient ; gagnez le rocher, vous autres…

Les marins se retirèrent donc sur le récif aux parois glissantes, qu’ils gravirent péniblement, et là, réunis en un groupe serré sur l’étroit espace que la mer menaçait de toutes parts, ils s’assirent les genoux au menton.

— La mer monte, n’est-ce pas ? demanda Laurent à son ami.

— Peut-être, répondit Daniel ; quelle heure est-il ?

Quand le capitaine a fait sonner sa montre, dit un des naufragés, j’ai entendu deux coups.

— Deux heures, reprirent les autres, la mer monte !

— Ah ! si ceux qui sont dans les embarcations ramaient bien !… dit Laurent.

— Il leur faut plus de deux heures pour aller à Chausey et autant pour revenir… Nous sommes en grande marée, et le flot marche si vite !…

Comme ils échangeaient ces tristes paroles sur le récif, un bruit sourd frappa leurs oreilles : c’était la mâture de l’Orion qui tombait à la mer. La lumière de l’habitacle s’éteignit, et la poupe du navire sombra lentement, pareille à la tête d’une baleine qui se cache sous la vague. Un sourd gémissement se fît entendre au milieu du bruit de la mer ; une forme humaine se débattant à travers les cordages et les vergues entraînés à la dérive se montra vaguement sous les flocons d’écume, et puis tout disparut ; le capitaine de l’Orion venait d’être englouti avec les débris de son navire. Et la mer montait rapidement ; les lames arrivaient comme au galop, tumultueuses et pressées, escaladant les flancs abrupts du rocher sur lequel une demi-douzaine de malheureux se tenaient cramponnés.

— Laurent, cria Daniel, gagnons la pointe du rocher avant que les autres ne s’en emparent.

Les deux Cancalais se plantèrent debout, le plus haut qu’ils purent, enfonçant leurs pieds dans les interstices du roc fendu par les vagues. Ainsi établis, ils se serrèrent l’un contre l’autre, pareils à deux statues de bronze coulées dans le même moule. Les autres naufragés se groupèrent autour d’eux en faisceau, de sorte que le sommet du récif se trouva couvert d’un revêtement de corps humains ; mais ceux qui étaient en bas, menacés de plus près par les lames, quittèrent bientôt les flancs du roc pour saisir les épaves du navire, et ils essayèrent de se maintenir à flot. Les uns, à cheval sur un mât, faisaient de vains efforts pour l’empêcher de rouler : ils se fatiguaient à ressaisir la pièce de bois, que sa rondeur faisait incessamment tourner. Les autres se soutenaient sur des planches assez solides pour porter le poids de leur corps ; mais le courant, si rapide sur ces côtes, les entraînait au large, et les dispersait sur l’abîme comme des algues flottantes. Il ne resta bientôt plus sur le rocher que les deux Cancalais, dont l’écume salée de la mer effleurait les pieds.

— Daniel, dit Laurent, nous sommes perdus !

— Courage, ami, courage… J’entends des voix !…

— Non, non, ce sont des goélands qui crient, ou bien les dernières plaintes de nos compagnons.

— Courage, Laurent ! Tiens, pose le pied sur mon genou et accroche-toi à mes cheveux.

— Mais toi, Daniel !

— Moi ! qu’importe ? Mon père n’a pas besoin de mes bras pour vivre… Je n’ai pas, comme toi, deux sœurs veuves à soutenir… Et puis est-ce bien moi qu’attend Jenny ?… D’ailleurs, en t’appuyant sur moi, vois-tu, tu me rends plus solide…

— Non, fit Laurent, je ne veux pas que tu meures pour me sauver.

— Entêté ! s’écria Daniel. Et, l’enlevant de son bras robuste, il le plaça dans la position qu’il venait d’indiquer.

Le flot montait toujours aussi rapide, mais moins bruyant, parce que les pointes des récifs avaient presque toutes été envahies par la marée. — Entends-tu ? dit Daniel. Des voix, des voix qui nous appellent !… Et il cria de toute sa force : — Par ici ! à nous ! à nous !…

C’était en effet le secours promis qui leur arrivait. Une barque accourait à grands coups d’aviron, et celui qui la commandait n’était autre que le commandant Kelmère. Il convenait à un vieil officier de la marine militaire de se dévouer pour le salut de ses frères ; en pareil cas, un sauvetage offre d’autant plus de périls que les naufragés, comme affolés par la terreur de la mort, peuvent se jeter dans la chaloupe qui leur vient en aide et la faire couler. La mer d’ailleurs était encore houleuse, et la brise soufflait par bourrasques : les autres bateaux partis de Chausey en même temps que celui du commandant Kelmère étaient encore loin des Minquiers.

— À nous ! par ici ! criaient à la fois les deux Cancalais. Déjà Daniel plongeait dans l’eau jusqu’à la ceinture et tenait toujours son ami au-dessus des vagues.

— Tu vas être sauvé, lui disait-il, tu reverras ta famille… Est-ce que tu pleures, Laurent ?

— Laisse-moi descendre, répondit celui-ci.

— Pourquoi cela ? Tu ne pourrais pas me porter, toi, mon garçon ! Eh bien ! ne vaut-il pas mieux qu’il n’y en ait qu’un à mourir ?…

— Lâche-moi ! lâche-moi ! cria Laurent. Parlant ainsi, il se débattit avec tant de force qu’il s’arracha aux étreintes de son ami et tomba dans la mer.

— Sauvez-le ! s’écria Daniel, que le flot soulevait malgré tous les efforts qu’il faisait pour se maintenir sur le récif. Sauvez-le, sauvez Laurent !

Ce fut son dernier cri ; la vague l’emporta au milieu de ce généreux élan de l’amitié. Le canot touchait déjà la cime du récif, et les gens qui le montaient entendirent cet appel. Au moment où il allait disparaître à son tour, Laurent, qui se débattait en nageant, tournoyait dans le remous formé par la mer autour du rocher ; sa main put saisir le bras que lui tendait le commandant Kelmère : celui-ci le déposa à demi mort au fond de la barque. Pendant plusieurs heures, le bateau sauveteur explora les abords de ce lugubre récif entièrement caché sous la vague ; mais la marée avait tout balayé, et la houle ondulait sur la verte surface liquide comme pour effacer jusqu’au dernier vestige du sinistre. Des sept hommes qui étaient restés sur le navire naufragé avec le capitaine, le commandant Kelmère n’avait pu en sauver qu’un seul ; il s’acharnait donc à chercher encore, et ne pouvait se résigner à retourner à Chausey.

— Tout est fini, commandant, lui dit enfin l’un des marins de l’Orion sauvés dans la chaloupe et qui l’avait accompagné sur le lieu du naufrage.

Sans rien répondre, le commandant vira de bord et fit route vers la petite île où l’attendaient ses deux compagnons Jambe-de-Bois et le mousse. Tandis que le canot voguait à pleines voiles, le commandant Kelmère regardait avec attendrissement le matelot qu’il venait de sauver : il lui semblait le reconnaître.

— D’où viens-tu ? lui demanda-t-il ; qui es-tu ?

— Je viens de Terre-Neuve, en passant par la ligne, dit Laurent ; je suis de Cancale, et si l’eau de la mer qui m’est entrée dans les yeux ne m’a donné la berlue, vous êtes monsieur Kelmère… Ah ! le pauvre Daniel ! ajouta-t-il en sanglotant, il a voulu me sauver malgré moi, mais que Dieu me pardonne !… j’ai tout fait pour l’en empêcher.

— Écoute, Laurent, répondit le commandant Kelmère, tu vas venir à Chausey ; mais tu resteras dans mon canot…

— Comme vous voudrez, commandant ; aussi bien j’ai le cœur gros !… Mon père va bien ?…

— Oui, oui ! toujours le même… On vous a crus morts tous les deux !… Vous étiez vivans, Daniel et toi, hier au soir, et ce matin il n’en reste plus qu’un !… C’est un fameux garçon de moins !…

— Et que j’aimais comme un frère ! Il faisait de moi ce qu’il voulait, commandant, et pourtant je ne pouvais me passer de lui…

Le canot arriva bientôt près de l’île de Chausey ; le commandant sauta à terre, et s’adressant à Jambe-de-Bois, qui l’attendait sur le rivage : — Mon vieux Laurent, lui dit-il, prends ton courage à deux mains et ne pleure pas !

— Quoi donc, commandant ? demanda le vieillard qui pâlissait.

— J’en ai sauvé un, un seul, hélas !

— Ah ! les Minquiers !… les Minquiers !…

— Un seul, Laurent, et c’est ton fils !…

L’invalide chancela, et s’appuyant sur l’épaule du commandant : — Monsieur Kelmère, vous ne plaisantez pas au moins !… Ce serait mal à vous de tromper un pauvre père… Où est-il ?… Où est mon cher enfant ?…

Le jeune homme, averti par un signe du commandant, se précipita sur le rivage et se jeta au cou de son père. Ils pleuraient l’un et l’autre comme des femmes. — Allons, embarque pour Cancale ! dit le commandant Kelmère. Jambe-de-Bois, mon ami, tu as fait dire une messe de requiem, il y a trois mois, pour ton fils qui se portait à merveille ; maintenant fais en dire une seconde pour remercier Dieu de l’avoir retrouvé…

— Je m’inquiète de revoir le père de Daniel, interrompit le vieux Laurent, la mer ne lui a point rendu son fils !… Il m’en voudra d’être plus heureux que lui !


VI. — LE TRESOR.

À quelques jours de là, comme Jenny Lambert, revenant de Saint-Malo avec ses compagnes, traversait le bourg de Paramé, elle apprit le naufrage du baleinier l’Orion et toutes les circonstances de ce fatal événement.

— Quel malheur ! dit Jenny en essuyant une larme, ils revenaient tous les deux sains et saufs, et voilà que la mer prend sa revanche au moment où ils allaient toucher le port !…

— Il paraît que Daniel était un vaillant jeune homme, répliqua sa voisine.

— Oh ! oui, un garçon plein de cœur, courageux…

— Et un bel homme ? continua la voisine en fixant sur Jenny un regard attentif.

— Sans doute, répondit celle-ci ; la figure un peu dure, les yeux hardis… Son père sera bien affligé…

— Tiens, Jenny, tu pleurerais plus que cela, si c’était celui des deux… Mais c’est ton secret,… et pourtant tu ne l’as pas si bien gardé que je ne l’aie deviné… Ah ! c’est Laurent que tu préfères… Voilà qui est clair comme le jour…

Jenny continua son chemin troublée et inquiète. Elle était si émue qu’à peine arrivée à la ferme elle fondit en larmes. — Allons, lui dit sa mère, calme ton chagrin, Jenny ; le pauvre Daniel est mort, c’est vrai, et j’en ai de la peine, moi aussi ; mais son camarade est sauvé, la chose est certaine, on me l’a dit tout à l’heure, et si c’est toujours ton idée d’épouser un marin, celui-là en vaut bien un autre depuis que son père a partagé un trésor avec M. Kelmère.

— Qui sait s’il songe à moi ? murmura Jenny, mais si bas que sa mère ne l’entendit point.

La jeune fille se trouvait en effet dans une situation assez embarrassante : elle avait refusé le commandant Kelmère ; Daniel, qui s’était ouvertement posé en prétendant, venait de périr, et rien ne lui prouvait que le jeune marin sauvé du naufrage songeât sérieusement à elle. Toutes les fois qu’ils s’étaient rencontrés sur la route, Laurent l’avait regardée comme on regarde une madone, avec un respect mêlé d’admiration ; mais à peine lui avait-il parlé, à peine avait-il passé une heure auprès d’elle dans la ferme ! Parfois elle essayait de douter des sentimens affectueux qu’elle éprouvait pour lui, mais aussitôt elle s’accusait de se mentir à elle-même : la franche et honnête figure de Laurent se présentait sans cesse à son souvenir. Celui-ci de son côté mourait d’envie d’aller faire une visite à la ferme ; mais il lui répugnait de paraître marcher sur les brisées de son pauvre ami Daniel, et puis sa timidité naturelle le retenait, car il y a des gens capables d’affronter tous les périls de la mer et qui se trouvent sans force devant un gracieux visage de jeune fille.

Un soir pourtant, trois semaines après son retour à Cancale, Laurent vint bravement frapper à la porte de Jenny Lambert. Celle-ci pâlit en le voyant, puis une vive rougeur colora ses joues, et son cœur battit avec force. Laurent, interdit et troublé, restait sur le seuil sans oser faire un pas en avant.

— Entrez donc, jeune homme, dit la mère Lambert ; vous revenez de si loin qu’on a besoin de vous voir pour être sûr que c’est bien vous.

— C’est vrai, dit Laurent ; je peux dire que je reviens du fond de la mer. Je n’ai sauvé de mes deux naufrages que cette écharpe tricotée… par vos mains, mademoiselle Jenny.

— Vous êtes bien aimable de vous être souvenu de moi, répliqua la jeune fille d’un ton sérieux.

— Oh ! reprit le marin, quand on navigue, on pense à la terre et à ceux qui y vivent en sécurité… Pauvre Daniel ! il parlait de vous bien des fois aussi, lui…

— Son père est bien à plaindre ! interrompit la mère Lambert.

— Oh ! oui, dit Laurent, et il a tant de chagrin qu’il va’ vendre tout, barques, dragues, filets…

Ici Laurent fit une pause, alluma un cigare, toussa à plusieurs reprises, et, se tournant vers Jenny : — Mademoiselle, j’ai une commission à vous faire de la part de M. Kelmère…

— Parlez, dit Jenny un peu alarmée.

— Vous savez qu’il est bien bon pour nous…

— Oh ! oui, reprit la fermière ; il a partagé avec votre père le trésor…

— Quel trésor ? demanda Laurent ; est-ce que vous croyez à ce trésor-là, vous, mère Lambert ?

La fermière faillit tomber sur sa chaise, et elle regarda sa fille d’un air consterné.

Un trésor, reprit Laurent ; ah ! bien ! oui ! Il a fait cadeau à mon père d’un vieux coffre vide, voilà tout… Mais attendez ! hier il est venu à la maison, et dans ce coffre il a glissé un papier qu’il m’a fait lire. Or ce papier, qui est timbré et écrit par-devant notaire, constate que le commandant vous donne, à vous et à votre fille, en héritage, la propriété de la ferme que vous occupez.

— Vrai, vous ne me trompez pas, jeune homme ? demanda la fermière en tremblant.

— Foi d’honnête homme, et la preuve, c’est qu’il m’a chargé de vous l’annoncer. Il n’a pas voulu venir lui-même à cause de certaines raisons qu’il ne m’a pas fait connaître. Maintenant voici la suite. À moi, Laurent, il me donne dès aujourd’hui une somme de dix mille francs que je vais employer, vous devinez bien à quoi ?

— À vous faire de bonnes rentes, dit la fermière.

— Des rentes ! oh ! que non ! J’achète le bateau et tous les ustensiles de pêche du pauvre père Daniel, et me voilà l’un des gros bonnets de La Houle… Ah ! je serais plus content si je ne prenais pas la place de mon défunt ami, qui voulait périr pour me sauver ; mais au moins j’ai la conscience en paix : plutôt que de le laisser se sacrifier, j’ai sauté dans l’eau la tête la première. Tenez, mère Lambert, un ami comme cela vaut son pesant d’or !… Il m’aurait fait passer par le trou d’une aiguille quand il était fâché… Quel homme que Daniel !

Après cette courte oraison funèbre, Laurent essuya ses yeux humides de larmes, et, s’adressant à Jenny : — Mademoiselle, j’ai fait la commission de M. Kelmère ; si vous le permettez, je reviendrai dans quelques jours pour une autre affaire qui nous concerne aussi tous les deux. Alors seulement je saurai si je dois me réjouir de ce qui m’arrive.

Ayant ainsi parlé, il s’esquiva, tout surpris de la hardiesse avec laquelle il s’était exprimé. C’est que l’on devient moins timide à mesure que l’on sent la pauvreté plus loin de soi, et le Laurent qui venait de faire connaître aux deux habitantes de la ferme les dispositions généreuses du commandant Kelmère n’était plus le pauvre matelot libéré du service qui allait faire voile pour le banc de Terre-Neuve. Lui qui avait été le soutien de sa famille, il en devenait le protecteur, et l’aisance qu’il espérait acquérir en travaillant lui permettrait de donner plus que du pain à ceux de ses proches qui étaient tombés dans l’indigence.

Les derniers mots prononcés par Laurent avaient retenti jusqu’au fond du cœur de Jenny. La jeune fille se sentait enfin délivrée des agitations qui troublaient son esprit ; elle savait à quoi s’en tenir sur ses propres sentimens et sur ceux de Laurent…

Six mois après, Laurent épousait Jenny Lambert. Le commandant Kelmère conduisit lui-même la jeune mariée à l’église : n’était-il pas comme le père de ces époux qu’il avait choisis pour ses héritiers ? Ainsi, en arrachant deux fois le pauvre marin à une mort imminente, la Providence lui avait préparé une destinée digne d’envie. Devenu patron et propriétaire de l’Aimable-Aglaé, Laurent a déjà réalisé de beaux bénéfices ; mais le bonheur ne l’a point rendu ingrat, et il a donné à son premier enfant le nom de Daniel en souvenu, du généreux ami englouti aux Minquiers en cherchant à le sauver lui-même. La ferme de la Petite-Marouillère est triste depuis que Jenny ne l’habite plus. Le commandant Kelmère avait eu la pensée de s’y faire arranger une chambre pour y passer quelques jours pendant la belle saison ; mais, hélas ! dans une troisième tentative qu’il a faite pour retirer du fond de la mer le trésor tant rêvé, il s’est blessé en tombant sur les rocs. Désormais le pauvre homme n’est guère plus valide que son ami Jambe-de-Bois, et les jeunes époux ne tarderont pas beaucoup, selon toute probabilité, à entrer en possession de la ferme qui leur a été promise en héritage.


TH. PAVIE.

  1. Le clairin est la coiffe à grandes ailes plates que portent les femmes des environs de Saint-Malo et de Saint-Servan.
  2. Pêcheur, en patois normand.
  3. Matelot a dans la bouche des marins le sens de camarade, d’ami intime.