Les Pantins des boulevards, ou bordels de Thalie/06-2
SIXIÈME ET DERNIÈRE CONFESSION
Je suis enfin arrivé au but que je me suis proposé ; et de portes en portes, de sottises en sottises, me voici arrivé au bordel des Beaujolais, qui remplace celui des élèves de l’Opéra, où jadis Parisot et Texier ont opéré des merveilles, au moyen de la fameuse baguette d’Armide, tenue dans le temps par la célèbre Dauthier, danseuse au Théâtre-Français et concubine du libertin Duhais, maître de ballet. De ce même théâtre, j’ai passé à pieds joints sur l’optique de Prévost, parce que j’en ai vu de semblables au Pont-Neuf, et sur les ombres chinoises de Bertaud, parce que j’ai vu celles du mirmidon Moreau et de l’Ésope Séraphin au Palais-Royal. Je ne me suis pas même donné la peine de confesser Curtius, cet Allemand si paillard, ce sybarite personnage qui fout mesdemoiselles ses sœurs en tout bien et tout honneur. Eh ! à quoi bon, en effet, me serais-je amusé à écouter le tissu de ses égarements libertins ? Eh ! que m’aurait-il appris que toute la terre ne sache déjà ? Des vilénies et les moyens les plus honteux de faire fortune. Je dois cependant lui avouer que ses subterfuges commencent à ne plus prendre avec le public, et qu’indépendamment du sale commerce qu’il entretient avec ses sœurs, commerce à peu près semblable à celui de Loth foutant mesdemoiselles ses filles, la multitude se lasse d’être le jouet de ses friponneries réitérées ; car pourquoi remontrer au public les mêmes têtes qui composaient jadis son cabinet des voleurs, et qu’il avait recelées dans son grenier, sur les bustes des fameux personnages de la nation ! Encore passe s’il n’eût que de Cartouche formé Necker, et de Law formé Lebrun du comité des finances ; mais de la Lescombat former Marie-Antoinette, c’est une horreur impardonnable ! Si dans ces deux femmes règnent pareils sentiments, au moins les faits ne sont pas les mêmes. Mais la foule des comédiens des Beaujolais se présente à mes yeux. Noisel, le fameux Noisel, est à leur tête, et se charge sans doute de me les présenter. C’est à lui que j’en veux principalement, je vais le charger de me répondre en son propre et privé nom ; après quoi, interrogeant les principaux de ce spectacle, je mettrai de côté les hors-d’œuvre comme des automates dont l’extinction est déclarée prochaine.
Eh bien ! apôtre de Priape, sectateur des plaisirs de Vénus, la banqueroute est-elle déclarée ? Sera-t-elle bientôt consommée ? Comme ce n’est pas même la huitième, tu dois être au fait de la marche qu’il faut tenir. Réponds, dis-moi, qui a pu causer cette dernière ? Ah ! ce sont sans doute tes égarements, les suites du libertinage !
Vous avez deviné juste, compère. Aidé de la protection et de la faveur du duc d’Orléans, qui dans ce temps en avait beaucoup, après avoir été ruiné sept ou huit fois, comme vous l’avez dit, je me remontai en me mettant à la tête d’une maison de jeu au Palais-Royal et à celle du bordel des Beaujolais, dans les arcades que j’avais sous-louées à Neuville, le maquereau public et le mari secret de la Montensier.
Malepeste ! c’était là le cas de faire fortune : il ne peut y avoir que tes débauches qui t’en aient fait perdre les moyens.
Eh bien ! vous n’y êtes pas. Si j’ai mangé de l’argent avec les femmes que je me suis amusé à foutimasser, ce n’est pas là la cause principale de ma ruine : apprenez que ce sont au contraire les tributs que j’étais obligé de payer à son altesse sérénissime, pour avoir le droit de me déclarer, sans risque, maquereau privilégié d’un spectacle et joueur escroc. C’est un terrible homme que son altesse : il ne connaît que l’argent, sans s’embarrasser du choix des moyens.
Il me paraît que tu as même trompé le patron du Palais-Royal, puisque tu as été obligé d’aller t’établir dans un local déjà diffamé.
Oh ! c’est une histoire que vous apprendrez facilement par tout le monde. Revenons à ce que vous appelez mes paillardises. Je ne suis familier qu’avec une : j’y borne tout mon être et mon plus délicieux plaisir ; c’est particulièrement avec la petite Simonet, avec laquelle je l’ai plus employée.
Cette petite Simonet n’est-elle pas une de tes cantatrices des chœurs ?
noisel. Non, c’est une de mes figurantes. Elle me fut présentée par sa mère un matin où, sous prétexte de fatigue, j’avais fait défendre ma porte, mais au fait pour me soustraire aux importunités des pauvres diables que j’employais, et qui me harcelaient pour avoir du pain, Mère et fille forcèrent la consigne ; mais je leur en sus par la suite un gré infini. À leur aspect, je devinai le but de leur visite, et sans me faire prier, j’aveignis[ws 1] ma bourse et donnai libéralement ce qu’on me demandait ; puis, jetant un œil de convoitise sur la charmante Simonet, je louai ses talents, sa gorge, la vivacité de son jarret et la volupté de sa danse ; mais devineriez-vous bien le discours que sa mère, maquerelle renommée, m’adressa ?
Ma foi, non.
Le voici : « Ah ! mon cher Noisel, ce n’est rien que les appas voilés de ma fille, c’est son cul qu’il faut voir, oui, son cul à découvert ferait le charme d’un prince, et si vous vouliez… »
Que répondis-tu ?
En allant au fait et en faisant une offre de dix louis que je présentai. Sitôt que la vieille mégère les eut en sa puissance, elle dit à sa fille : « Vous voyez, mademoiselle, que votre directeur est un honnête homme, et qui fait bien les choses ; ainsi donc il faut le contenter. Obéissez en fille sage aux ordres d’une mère tendre, qui ne veut que votre bien. Il faut non-seulement montrer à monsieur Noisel votre cul si charmant, ce cul divin que Jupiter eût préféré à celui de Ganymède, mais encore lui en laisser la jouissance. »
Quelle mère, grand Dieu !
La petite Simonet, préparée à cet événement, se laissa poser par sa mère à peu près comme Fragonard pose ses modèles, quand il a dessein d’offrir au public, par le moyen de son pinceau, la vue d’une paire de fesses admirables. Alors sa digne mère, la troussant jusqu’au-dessus des reins, découvrit à mes yeux ce qu’elle m’avait annoncé, c’est-à-dire un cul superbe, croupe divine, cuisses à idolâtrer, et l’ensemble parfait et plus parfait même que celui de la Vénus aux belles fesses.
Et que fis-tu alors ?
Je mis un genou en terre, je braquai ma loupe sur ce cul sans pareil, et je l’adorai en prononçant ces mots : « Ô cul divin ! cul de déesse, reçois mon hommage et les baisers que je vais te donner. Quels délices de savourer ta vue enchanteresse ! Non, le ciseau de Praxitèle n’aurait pu former tant de beautés ! » Je bandais en énergumène : je le baisai avec transport. Alors la mère, faisant écarter les cuisses de sa fille, soumise et complaisante, me fit apercevoir les premières éminences du plus beau con qui soit sorti des mains de la nature.
Que tu foutis sans doute ?
Non pas ; je ne voulus pas ce même jour contenter la soif de mes désirs ; je me branlai seulement, toujours en examinant la chute des reins et le croupion de la miraculeuse divinité que j’avais devant les yeux, ce ne fut que quelques jours après que je consommai le grand œuvre.
Ainsi, débaucheur de jeunesse, par le moyen de quelques louis extorqués, tu fis d’une femme sans mœurs une infâme maquerelle, et d’une fille qui aurait peut-être porté à un amant digne d’elle le trésor de ses prémices, une exécrable putain !
Ce que j’ai fait, un autre sans doute l’aurait pu faire. N’entre-t-il pas dans la destinée d’une chauve-souris de coulisse de sacrifier son cul, son con, ses tétons et ses appas aux fouteurs généreux ?
Va, retire-toi de mes yeux, et prends garde, bas et crapuleux libertin que si le pilori ne réclame pas un jour sa proie, de devenir l’imitation exacte du débauché converti !
Ne peut-on pas être fouteur
Sans y réunir les bassesses ?
Quoi ! pour une paire de fesses,
Tu peux sacrifier l’honneur !
Tu ne veux d’autre sacrifice,
Tu ne veux d’autre sacrifice,
Que prendre un cul,
Que prendre un cul,
Un cul novice (bis) !
N’était-il pas dans ton bordel
Assez de méprisables garces,
Sans encore outrager les grâces,
Et de leur cul faire un autel !
Tu pouvais, sans craindre le blâme
Tu pouvais, sans craindre le blâme
Foutre le con,
Foutre le con,
De plus d’une femme (bis) !
Profite de la leçon et laisse-moi parler à Monrose, ta première haute contre, qui, tout suranné qu’il est, tranche encore de l’aimable.
Ah ! que vous avez bien prononcé le mot, compère ! Ah ! vous avez raison ! Oui, je suis suranné, blasé sur toutes les jouissances ; mes cheveux gris déposent contre l’air que je cherche à me donner ; mais, par la corbleu ! je possède encore un vit ferme que j’essaierai d’enfoncer dans tous les cons qui s’offriront à mes lubriques désirs. Mon épouse pourra peut-être en enrager ; mais, tant pis : je n’en fouterai pas moins. Ses soins uniques doivent être maintenant d’élever Lolo et Fanfan, les fruits qu’elle a obtenus de mes ardentes caresses, et de maintenir sa réputation. Je ne puis lui offrir d’autres consolations que celles de fermer les yeux sur ses fouteries avec le jeune Latour. La fouterie ce plaisir inexprimable, doit être encore de son âge, qu’elle en fasse usage, j’y consens.
C’est penser en cocu débonnaire.
Ce serait me donner un ridicule que de penser autrement : on peut être cocu sans cesser d’être un honnête homme. D’ailleurs, on ne fera que me rendre ce que j’ai prêté à usure.
Je vais entendre ce que pense là-dessus madame Monrose.
Et je vais, compère, vous dire mon sentiment avec franchise. Si le public de province m’accorde la réputation d’être pour le talent l’imitatrice parfaite de la Dugazon, je vous avouerai que je le suis pour la fouterie au moins tout autant. Tout Paris n’ignore sans doute pas que cette Messaline, aussi célèbre par son gosier de rossignol que par les différentes manœuvres de sa matrice, a gratifié de la vérole le fils d’Astley, ce fameux écuyer anglais, et que le père en est mort de chagrin, désespéré sans doute, de ce que ce cher fils ne pourrait plus, avec ce mal, dompter aussi facilement des chevaux d’Irlande qu’il avait monté une jument du Théâtre-Italien, dont le manège empoisonné lui avait été si funeste. Voulant en tout marcher sur ses traces, mon mari me donna la vérole à Toulouse ; je la donnai au capitoul Froment, qui la donna à la femme du colonel du régiment de Flandre, qui la donna à un sergent de grenadiers du même régiment, qui la donna à la femme d’un tambour, qui la donna à son mari, qui la donna à son tour à toutes les vierges du rempart de cette ville fameuse. Je ne sais si cette vérole, qui, comme vous le voyez, est sortie de quantité de canaux de l’urètre, pour infecter mille vagins toulousains, circule encore dans le Languedoc. Grâce aux soins d’un célèbre empirique, mon con n’en ressent plus aucune atteinte, et l’éloignement où je suis de cette partie de la province empêchera sans doute qu’elle ne retourne à sa source.
Ouf ! il faut bien l’espérer : ce serait dommage que le jeune Latour eut participé à cette volumineuse provision de virus.
Ah ! sans doute, quel meurtre c’eût été ! Ah ! compère Mathieu, Adonis n’est pas plus beau, n’est pas mieux formé que ce jeune Latour ! Si Narcisse, qui mourut de regret, de désespoir de ne pouvoir s’enculer lui-même, eut été formé sur ce modèle, au lieu de mourir une fois, il serait mort mille fois ! C’est bien le plus beau corps du monde : taille svelte et élancée, jambe bien prise, bras élégamment dessiné, vit ferme et long, présentant toujours une tête rubiconde, couilles retroussées, cul rond, ferme et à dévorer de baisers ! Il s’en faut de beaucoup que je sois aussi bien faite que lui ; mais la passion qu’il ressent pour moi lui ferme les yeux : il me trouve adorable. Aussi n’avons-nous jamais foutu ensemble que parfaitement nus l’un et l’autre. Nos corps, entrelacés ensemble, se confondent et se réunissent tellement, que les deux n’en forment plus qu’un. L’ivresse de la fouterie nous procurent ses plus délicieuses faveurs. Le croiriez-vous, compère Mathieu ? Huit fois sans déconner, cet aimable, jeune et vigoureux fouteur envoie mon âme aux régions célestes ! Un tel prodige n’est-il pas bien digne d’Hercule lui-même ?
Très-certainement, madame Monrose, et je vous fais compliment sur une aussi ample moisson de foutre ; mais croyez-moi, ou plutôt croyez-en le proverbe italien : Qui va piano va sano, et qui va lentement, ménage sa monture. Usez avec modération des coups de cul du jeune Latour. Puisqu’il est ici présent, je veux lui donner mes conseils. (Au jeune Latour.) Approchez, Jeune homme, coryphée des fouteurs des Beaujolais, et profitez de mon exhortation ; mais un mot avant : qui êtes-vous ?
Je l’ignore. Mes parents m’ont livré, dès l’âge le plus tendre, entre les mains de Latour, honnête homme parfait, qui prit de moi le plus grand soin, me donna les talents que je possède aujourd’hui ; mais, fils adoptif et ingrat, je l’abandonnai au moment où il pouvait recueillir le fruit de ses soins, pour me lancer avec ardeur dans la carrière du libertinage. Il blâmait en moi ce penchant impérieux que j’ai toujours dévoilé pour la créature. Avait-il aussi raison de prétendre que je conservasse éternellement un pucelage qui me devenait à charge !
Vous aviez tort l’un et l’autre : trop de sévérité mène à l’ingratitude ; mais c’est un vice affreux, et que je vous blâme de conserver ; mais comme ce n’est pas de cet article qu’il est maintenant question, je laisse à votre cœur le soin de vous inspirer, pour ne plus m’occuper de vos sens. Puisque Monrose consent que vous foutiez sa femme, puisque cette fouteuse le veut bien aussi, et puisque vous bandez toujours pour elle avec le même emportement, foutez-la donc, j’y consens ; mais, pour la foutre longtemps, il faut user de ménagements. Voici à cet égard quelles sont mes idées.
Non, foutre point trop il ne faut (bis),
Car par trop foutre est un défaut (bis) ;
Oui, lorsqu’un con, chaud comme braise,
Fait trop souvent l’emploi d’un vit,
Le fouteur n’est qu’un bandalaise,
Et c’est moi qui vous le prédis.
Non, foutre point trop il ne faut (bis),
Car par trop foutre est un défaut (bis).
Rarement, mais avec ivresse,
Retenez bien cette leçon,
Foutez votre belle maîtresse,
Mais gardez de blaser son con.
Non, foutre point trop il ne faut (bis),
Car par trop foutre est un défaut (bis).
Vous pouvez avoir raison, mais à cet égard nous ne consulterons que nos forces et notre ardeur.
En ce cas, je vous attends aux sinistres effets de ma prédiction.
Ah ! vous voilà pourtant ! C’est votre tour, madame Fusil. Vous qui me fûtes annoncée par le beau Després, du Théâtre-Lyrique, quoiqu’il m’ait dépeint l’historique mémorable de vos anciennes fouteries, vous aurez sans doute quelque chose de précieux à me raconter ; la fin de vos aventures, depuis que vous fûtes délaissée par le premier rôle Dubois, doit avoir quelque chose de bien piquant pour la curiosité.
Non, compère, non, l’ennui me ronge, et depuis le moment funeste que ce gredin, par son départ, auquel je ne devais pas m’attendre, me priva du doux plaisir de foutre avec celui qui me plaisait le plus, oui, depuis que je ne puis plus serrer sa pine enchanteresse entre mes cuisses charmantes, depuis que cet ingrat, que j’ai comblé de faveurs et de caresses, et avec lequel j’ai mangé l’argent que mon époux m’avait donné pour m’en retourner à Metz, à son départ pour Marseille, tout, ainsi que le prix de la vente de la voiture, je sèche et me consume de désirs. J’ai essayé, les premiers instants de sa fuite, à le remplacer par quelques vits fermes et de bon aloi ; mais, désespérée de ne rencontrer que des fouteurs à la glace, je me suis résignée à une réconciliation avec mon époux.
Qui a eu la sottise de vous reprendre ?
Ah ! le pauvre homme, il ne pouvait pas faire mieux ! D’ailleurs, ne suis-je pas son vrai ballot ? La petite fille que je lui ai donnée, à l’aide de plusieurs autres, le ramène tendrement dans mes bras, et je ne puis mieux faire de mon côté que de foutre avec mon mari, puisque cette fouterie m’est permise et que je ne peux foutre ailleurs ; mais, patience, patience, ce bon temps-là reviendra ; et quoique je sois maigre et desséchée, et tant soit peu étique, quand j’aurai repris encore quelque peu d’embonpoint, je ferai sans doute d’autres emplettes.
Honneur à vos bonnes dispositions ! Mais voici le cher Berville : il y a longtemps que ce célèbre paillard est sur mes tablettes.
Et il y a beaucoup d’apparence que je n’y serai pas encore longtemps. Les actionnaires ne paient plus ; Noisel ne s’amuse qu’à fournir à ses plaisirs et non à nos appointements. Il faudra donc me décider à foutre le camp, et chercher fortune dans un autre pays, puisque la misère la plus prochaine se déclare pour nous dans celui-ci.
Et tu pourras te résoudre à abandonner impitoyablement la petite Latour ?
Qui m’a elle-même abandonné. C’est un ange que cette charmante petite créature. Que de soupirs j’ai poussés pour elle, et infructueusement ! C’est en vain que je lui ai fait entendre que je bandais pour elle, que mon plus grand plaisir serait de le lui mettre, d’exciter en elle les frémissements de l’amour, enfin de lui procurer le suprême plaisir. Sourde à ma voix, aveugle sur mes signes, froide et immobile à mes attouchements, je n’ai rien pu obtenir d’elle, et ce charmant trésor a quitté ce spectacle, pour se réfugier au Théâtre-Lyrique, où quelque mortel plus fortuné que moi lui prendra sans doute le cul et pourra parvenir à la foutre.
C’est une perte irréparable pour les Beaujolais.
Aussi ce théâtre est-il foutu. Bientôt les élèves de l’Opéra vont encore mettre un écriteau d’hôtel garni à louer ! Voilà ce que c’est que d’avoir affaire à des coquins de directeurs qui se foutent de notre destin !…
C’est un grand gredin que ce Noisel.
Le plus infâme scélérat de tous les spectacles de la capitale. Le coquin chantait encore hier à son infernale gueuse de Simonet :
Adieu donc, jolie bougresse,
L’honneur de notre bordel,
Ne crains pas de sort cruel :
Tu pourras remuer la fesse
Dans un autre taudion
Où l’on chérira ton con.
Ta mère, brave maquerelle,
Chargée de ton beau destin,
Promènera sa putain
Comme une garce nouvelle,
Et bientôt le chaud plaisir
Contentera ton désir.
Adieu donc, jolie bougresse,
L’honneur de notre bordel.
Ces adieux sont énergiques, et bien dignes du fouteur qui les a faits… Mais quelle est cette bamboche ?
C’est un vétéran qui vient prendre congé de vous et de la compagnie ; jadis pantin d’Audinot, puis musicien d’orchestre et répétiteur dans ce maudit repaire, où je voudrais n’avoir jamais mis les pieds ; puisque la troupe déménage, il faut bien que je déménage aussi.
Eh ! que vas-tu devenir ?
Prendre ma basse et me transporter chez Audinot, où je trouverai ma sœur, qui vous a confessé ses gentillesses. C’est, foi de sobre musicien, une jeune garce bien achalandée ; elle aura sûrement pitié de son frère, et me donnera la fortune du pot. Siccon, mon épouse, femme active et laborieuse, courra le cachet en ma place et ira faire des pratiques. Je me fouts du préjugé et du qu’en dira-t-on : il n’y a pas de sots métiers, il n’y a que de sottes gens.
Tu prends ton parti bravement ; mais il.
faut pour cela se faire des connaissances ; car je crois bien que tu ne voudrais pas l’exposer, dans le temps dur où nous sommes, à se confondre parmi les barbotteuses du boulevard ?
Non, parbleu ! ce n’est pas là mon dessein ; mais je la recommanderai ici en bas à notre limonadière.
Serait-elle maquerelle ?
Allons, voici du nouveau ! Eh quoi ! compère, vous n’y êtes donc jamais descendu ? C’est cette célèbre Amand que l’on claqua sur son comptoir, dans ce temps fortuné pour elle où, en insolente putain, elle croyait que rien ne lui était comparable, Oui, c’est elle-même qui livra ses fesses charnues et publiquement, à la vérité malgré elle, à la discrétion des gardes du roi. Depuis qu’elle est vieille et rebutante, elle ne se mêle plus que de la production, et le courtage ou le maquerellage de la majeure partie de nos actrices et de nos danseuses lui rapporte bien plus que son café. Soyez bien persuadé qu’elle trouve beaucoup plus de profit à les y faire distribuer le postillon des boulevards et des bavaroises priapiques qu’à en préparer elle-même à l’eau chaude ; elle donne la préférence au sirop générique, et la bonne et brave commère a ses raisons pour cela ; mais je réjoins la bande joyeuse, et l’on va fermer les portes du théâtre ; si vous ne voulez rester ici, peut-être jusqu’au jour du jugement, il est temps que vous preniez le parti de la retraite.
Plus de confessions à entendre, tant mieux ; mes oreilles ne seront donc plus fatiguées du récit de tant d’horreurs !
AU PUBLIC
Si, lassant votre patience,
En publiant ces faits divers,
J’ai pu démasquer cette engeance,
Tous ces vils suppôts des enfers,
Ces pantins, ces gueux, ces tribades,
Si fertiles en tours nouveaux,
C’est obliger leurs camarades,
De Paris sublimes maquereaux (bis).
Ne voyez dans ce digne ouvrage,
Que de bien rares vérités
Si foutre anima mon langage,
Il est celui des voluptés ;
Le plaisir est la seule idole
À qui j’offris un pur encens :
Daignez-en croire ma parole,
Et sourire à tous mes accents (bis).