Les Patriotes de 1837-1838/35

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Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 185-188).

NELSON À NAPIERVILLE


Robert Nelson arriva à Napierville, le 3 novembre, vers neuf heures du matin. Il était accompagné de Touvrey et de Hindelang, deux officiers français qu’on avait décidés à prendre part au mouvement. Leur arrivée fut saluée avec enthousiasme par les patriotes réunis à Napierville. Le docteur Côte étant allé à leur rencontre, les présenta à la foule dans des termes éloquents. Il dit, s’adressant aux patriotes : « Messieurs, je vous présente l’homme que nous attendions avec tant d’impatience et de confiance, Robert Nelson, le chef des patriotes et le président de la future république canadienne. Voilà notre chef, messieurs ; il est venu au milieu de nous, comme il l’avait promis ; il vient se mettre à notre tête pour arracher le pays à la tyrannie et conquérir l’indépendance du Canada. Je vous présente aussi ses deux compagnons, deux nobles et vaillants officiers français qui seront vos généraux et vous conduiront à la victoire. »

Le Dr  Nelson répondit :

— Mes amis, je n’ai qu’un mot à vous dire : merci pour votre accueil. J’espère que je saurai mériter votre confiance ; la tâche que nous entreprenons est difficile, mais elle n’en sera que plus glorieuse. L’année dernière, vous avez été écrasés parce que vous n’aviez pas d’armes, mais cette année nous triompherons parce que nous aurons ce qu’il nous faut : de l’argent, des hommes et des fusils. Courage, mes amis, et soyez convaincus qu’avant longtemps nous aurons délivré notre pays de la tyrannie et conquis la liberté. »

Ces paroles furent accueillies par des hourras enthousiastes.

Il y avait alors à Napierville cinq ou six cents patriotes ; mais il en vint toute la journée et les jours suivants, et il y en eut jusqu’à deux ou trois mille.

Il fallait loger, nourrir, armer et discipliner ces hommes.

On les distribua comme on put dans les maisons du village, au presbytère, dans les magasins, les auberges et surtout chez les bureaucrates anglais, qui furent obligés de déguerpir. Pour les nourrir, on faisait des réquisitions de pain et de viande dans le village et la paroisse et on payait les gens avec des bons signés par C. Huot, au nom du gouvernement provisoire. Il existe encore de ces bons, mais ceux qui les possèdent aiment mieux, malgré tout, les billets de la banque de Montréal.

Côte était le général en chef, mais c’est Hindelang qui, en qualité de brigadier-général, fut chargé de l’organisation militaire. Il forma des compagnies de cinquante hommes, et cinq divisions composées chacune de neuf compagnies. Parmi ceux qui le secondaient avec le plus de zèle et d’efficacité, on remarquait les capitaines Frs Trépanier, Narbonne, Nicolas, Antoine Coupal dit Lareine, Joseph Marceau dit Petit-Jacques, Théodore Béchard, Pierre-Théophile Decoigne, Achille Morin, Joseph-Jacques Hébert et plusieurs autres.

Cette organisation faite à la hâte, ces généraux, ces officiers et ces soldats improvisés du matin au soir, offraient, il faut l’avouer, peu de garanties. Si encore on avait eu des armes ! Hélas ! comme en 1837, on avait compté sur les Américains pour en avoir. Lorsque, lundi, le 5 novembre, Nelson fit la revue de ses soldats, sur deux mille, il y en avait deux à trois cents qui avaient des fusils, et encore, quels fusils ! Les autres étaient armés de piques, de fourches et de bâtons pointus.

C’était 1837 qui recommençait.

Un certain nombre de citoyens américains avaient promis de l’argent et des armes, mais une proclamation du président des États-Unis et l’intervention énergique des autorités militaires refroidirent leur zèle et les empêchèrent de tenir leurs promesses.

L’affaire de Lacolle acheva de les décourager.

Ils avaient réussi à mettre deux cent cinquante fusils, un canon et des munitions à bord d’un schooner qui, descendant le lac Champlain, avait jeté l’ancre vis-à-vis de Rouse’s-Point, le 5 novembre au soir. Mais les volontaires d’Odelltown, s’organisant à la hâte, étaient allés prendre possession du moulin de Lacolle, de manière à empêcher toutes communications entre Rouse’s-Point et Napierville, et à intercepter les convois d’armes et de munitions destinés aux patriotes. Côte, Lucien Gagnon et les capitaines Grégoire et Morin, étaient partis aussitôt de Napierville, à la tête d’une centaine d’hommes, pour déloger les volontaires. Le sept, vers neuf heures du matin, ils tombaient sur ceux-ci qui occupaient une forte position. Les loyaux n’auraient pas résisté longtemps, si, pendant le combat, un corps considérable de miliciens de Hemmingford n’était venu à leur secours. Les patriotes, attaqués de tous les côtés, virent avec désespoir que la lutte était inutile et retraitèrent vers la frontière américaine. Ils eurent une dizaine d’hommes tués, entre autres, le brave capitaine Grégoire.

Cet échec, qui coupait les communications de Nelson avec les États-Unis et lui enlevait la dernière espérance qu’il avait de recevoir des secours — des armes surtout — était désastreux.

Nelson apprenait en même temps que Colbome marchait sur Napierville à la tête d’un corps de troupes considérable. Il n’y avait pas à hésiter, il fallait reprendre la position perdue, risquer le sort de l’insurrection dans un combat décisif. Il ne restait plus à Napierville que sept à huit cents hommes dont la moitié avaient de mauvais fusils, et le reste, des piques et des bâtons en forme de lances. Le 9 au matin, Nelson partit à la tête de ces pauvres et braves gens, et les dirigea du côté d’Odelltown.