Les Patriotes de 1837-1838/37

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Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 193-197).

EXPIATION ET VENGEANCE


Bureaucrates, volontaires et soldats parcoururent en tous sens les comtés situés au sud du Saint-Laurent, pillant, dévastant et brûlant les maisons et les granges des patriotes, accablant les femmes et les enfants de mauvais traitements et les lançant sur le chemin public par des temps affreux, obligeant de pauvres mères d’aller, pendant la nuit, suivies de leurs enfants, mendier l’hospitalité. On pouvait suivre Colborne et ses farouches soldats à la lueur des incendies qui illuminait leur marche triomphale. Ils furent sans pitié et d’autant plus braves et insolents que les hommes ayant fui pour ne pas tomber entre leurs mains, ils ne rencontraient partout que de pauvres femmes et d’infortunés enfants sans défense et sans protection.

Que de larmes ! Que de scènes de désolation !

Tous les jours, pendant le mois de novembre, des escouades de dix à trente prisonniers traversaient les rues de Montréal.

Ces braves gens, des hommes respectables en général, l’élite de la population, étaient accueillis par des vociférations, des menaces de mort d’une populace enragée que la force armée était obligée de contenir pour l’empêcher de se porter à des voies de fait.

Il y avait trois bâtisses servant de prisons : une à la Pointe-à-Callières près du couvent des Sœurs-Grises, était une espèce de hangar malpropre, froid, où l’air était insupportable ; une autre — l’ancienne prison — était située sur la place Jacques-Cartier, à peu près à l’endroit où se trouve maintenant le Palais de justice ; et la troisième était la nouvelle prison au Pied-du-Courant où presque tous les prisonniers furent transportés après un certain temps. On en mit une centaine dans les cachots, et on logea les deux à trois cents autres dans les étages supérieurs de la prison.

Dans les commencements, les prisonniers furent traités durement ; ils souffrirent du froid, et le pain — leur seule nourriture — était peu abondant. Plus tard on adoucit le régime, on leur permit de se voir et de se parler dans les corridors, de recevoir leurs parents et leurs amis, et d’en accepter des secours. Quelques personnes charitables, s’intéressant au sort de ceux qui n’avaient personne pour les soulager, allaient de porte en porte dans la ville demander pour eux des vivres, du linge et de l’argent qu’elles leur portaient. Il en est deux surtout qui méritent une mention spéciale et que les prisonniers de 1838 n’ont jamais oubliées : — Mme Gamelin, qui devient plus tard fondatrice de la Providence, et Mme Gauvin, mère du Dr Gauvin qui prit part aux événements de 1837, et fut un des membres les plus actifs de l’association des Fils de la liberté.

Le shérif, à cette époque, était M. de Saint-Ours. M. A.-M. Delisle, était greffier de la Couronne, M. Leclerc, magistrat, M. Wand, geôlier, et le vieux Dr Arnoldi, médecin de la prison.

On n’a jamais pardonné aux Canadiens-français qui se trouvèrent obligés par leurs positions de sévir contre leurs compatriotes. Il n’y a pas de doute qu’il y eut alors, ainsi qu’il arrive toujours en temps de révolution, des délateurs, des lâches ou des traîtres, mais on s’accorde à dire qu’à moins de renoncer à leurs charges, ceux que nous venons de nommer ne pouvaient agir autrement qu’il n’ont fait. Mais si on ne doit pas trop les blâmer, on peut les plaindre d’avoir été obligés de remplir des devoirs si pénibles. Ajoutons que plusieurs, M. Leclerc en particulier, profitèrent de leur position pour favoriser en certaines circonstances les patriotes, que souvent ils fermèrent les yeux pour ne point voir ce qui se passait.

Le mois de novembre 1838 fut triste pour les pauvres prisonniers.

Ils ne savaient pas ce qu’ils allaient devenir ; mais les cris de mort qui retentissaient partout, les écrits sanguinaires des journaux anglais, l’organisation de la cour martiale, les sinistres proclamations de Colborne faisaient assez prévoir le sort qui leur était réservé. À ces angoisses venait se joindre la pensée de leurs demeures incendiées, de leurs propriétés détruites, de leurs femmes et de leurs enfants sans pain, sans abri, sans protection. Et ces pauvres femmes, ces enfants infortunés naguère si heureux, aujourd’hui errant sur les chemins publics, mendiant un asile et du pain, combien leur situation était lamentable ! On vit des femmes dévouées partir de quinze ou vingt lieues par des temps et des chemins affreux, arriver à la prison, attendre des heures à la porte, essuyer tous les affronts, pour voir leurs maris, un instant, connaître leurs besoins et leur donner le peu d’argent ou de hardes qu’elles avaient obtenus de la charité publique.

Les entrevues étaient tristes, la séparation cruelle. On n’était jamais sûr de se revoir.

Nous avons dit que la loi martiale avait été proclamée le 4 novembre. Le 8, Colborne lançait une proclamation suspendant l’opération de la loi relative au writ d’Habeas Corpus ; le 27, il constituait la cour martiale et nommait les avocats chargés de représenter la Couronne, et le 28 les procès commençaient.

La cour martiale était présidée par le major général Clitherow, et se composait de quinze des principaux officiers des régiments anglais venus dans le pays pour combattre l’insurrection. Il y avait parmi eux des jeunes gens peu en état d’apprécier la gravité de leurs devoirs et la responsabilité de leur position. Leur conduite pendant les procès, leur attitude insolente ou ironique et leurs cruelles plaisanteries montrèrent qu’ils n’avaient pas plus de cœur que d’intelligence. On assure que plusieurs s’amusèrent à faire au crayon, sur des morceaux de papiers qu’ils se passaient en riant, des échafauds où l’on voyait suspendus à des cordes, les malheureux qui subissaient leurs procès devant eux.

Les avocats de la Couronne ou les juges-avocats, ainsi qu’on les désignait, étaient l’honorable Dominique Mondelet (un Canadien-français !) Charles Dewey Day (devenu le juge Day) et le capitaine Edward Muller, un officier anglais.

Voici les noms des patriotes qui furent appelés les premiers à comparaître devant ce tribunal : — Joseph-Narcisse Cardinal, notaire ; Joseph Duquette, étudiant en loi ; Joseph L’Écuyer, cultivateur ; Jean-Louis Thibert, cultivateur ; Joseph Guimond, cultivateur ; Léon Guérin dit Dusault autrement appelé Blanc Dusault, cultivateur ; Édouard Thérien, cultivateur ; Antoine Côté, cultivateur ; François-Maurice Lepailleur, huissier de la Cour du Banc du Roi ; Louis Lesiége autrement appelé Louis Lesage dit Laviolette, — tous de la paroisse de Châteauguay, et Léon ou Léandre Ducharme, de Montréal.

Les patriotes eurent pour les défendre un jeune avocat, qui devint l’un des premiers hommes du pays, et dont le souvenir sera éternellement lié à celui de cette époque. Nous voulons parler de M. Drummond, qui après avoir fait tout ce qui était possible pour ses nobles clients, resta fidèle à leur mémoire et n’oublia jamais leurs familles.

Il ne put obtenir la permission de plaider devant la cour martiale, mais on lui permit de produire des plaidoyers écrits dans lesquels il s’applique à démontrer l’illégalité des procédures prises contre les patriotes.