Aller au contenu

Les Patriotes de 1837-1838/49

La bibliothèque libre.
Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 237-263).

de lorimier


Marie-Thomas Chevalier de Lorimier descendait d’une noble famille française qui resta au Canada après la cession, et consentit même à accepter des emplois sous le gouvernement anglais.

Il naquit en 1805, à Montréal, eut des succès au collège, étudia la loi sous M. Ritchot et devint son associé, son ami et le protecteur de sa famille. En 1832, il épousait Mlle Henriette Cadieux, fille aînée de M. Cadieux, l’un des notaires les plus estimés de Montréal.

Nous pourrions répéter ce que nous avons dit de Cardinal : il avait tout ce qu’il faut pour aimer la vie, pour être heureux.

Tout lui souriait. Pas une ombre ne paraissait planer sur son avenir. Mais des natures chevaleresques comme celle de de Lorimier, des caractères aussi généreux, aussi ardents, des âmes aussi susceptibles de dévouement pour le triomphe d’une grande idée, d’un noble sentiment, sont toujours en danger.

De Lorimier était de cette éternelle famille des martyrs qui meurt, depuis que le monde existe, pour toutes les saintes causes, la religion, la patrie, la liberté, le bonheur et le progrès de l’humanité.

Il n’aurait pu, l’eût-il voulu, s’empêcher de prendre part à la lutte que la Chambre d’assemblée soutenait contre une bureaucratie violente et tyrannique. Présent à toutes les assemblées, toujours au premier rang dans les élections, les discours de Papineau l’exaltaient, les propositions les plus énergiques avaient son approbation. Dans l’élection du quartier ouest de Montréal en 1832, élection où les bâtons, les pierres et les balles jouèrent un si grand rôle, de Lorimier fut un des partisans les plus enthousiastes et les plus utiles du candidat des patriotes, M. Tracey. Plus d’une fois sa vie fut en danger, un jour une balle brisa le manche du parapluie qu’il portait à la main. Il prit encore une part encore plus active aux élections générales de 1834 en faveur des candidats qui approuvaient les 92 résolutions.

Nommé secrétaire de presque toutes les assemblées qui précédèrent l’insurrection et du comité central chargé de surveiller les actes du gouvernement et de diriger les comités de la campagne, il déploya une grande activité et un esprit remarquable d’organisation. Santé, repos, clientèle et fortune, il sacrifia tout à la cause libérale. Dans la bagarre qui eut lieu entre le Doric Club et les Fils de la liberté, il se conduisit bravement et reçut une balle dans la cuisse.

Lorsque les mandats d’arrestation furent émis, il s’en alla dans le comté des Deux-Montagnes se mettre sous les ordres de Chénier pour organiser la résistance. Il était à Saint-Eustache, le 14 décembre, mais voyant que la résistance était inutile, il fut un de ceux qui conseillèrent à Chénier de mettre bas les armes. Quand il vit que ses instances étaient inutiles, il partit pour Saint-Benoît, et de là se dirigea vers les États-Unis en passant par Trois-Rivières.

Il était l’un des chefs de l’expédition du 28 février que les autorités américaines firent avorter en arrêtant les armes et les munitions des patriotes. Il retourna à Plattsburgh où sa femme alla le rejoindre et vécut avec lui jusqu’au mois d’août.

Il rentra plusieurs fois dans le pays pour visiter les patriotes des Deux-Montagnes et de Beauharnois et préparer le mouvement du mois de novembre 1838. Personne plus que lui n’était convaincu du succès de ce mouvement, personne ne croyait avec plus d’enthousiasme à la réalisation du beau rêve qui lui faisait entrevoir l’indépendance du pays. Il communiquait aux autres sa confiance et leur inspirait l’ardeur qui l’animait.

Il était à Beauharnois, le 3 novembre, lorsque les bureaucrates de ce village furent arrêtés et que les patriotes s’emparèrent du bateau à vapeur Brougham. Il passa plusieurs jours au camp Baker où les patriotes reçurent l’ordre de se concentrer à Napierville. Mais rendus à Lapigeonnière, ils apprirent la défaite de Robert Nelson, à Odelltown, et décidèrent de se disperser. Les uns retournèrent à Beauharnois et les autres, sous la conduite de de Lorimier, se dirigèrent vers les États-Unis.

Près de la frontière, de Lorimier et ses compagnons passèrent à une portée de fusil d’un corps de garde qui tira sur eux. De Lorimier au lieu de continuer son chemin avec les autres, eut la malheureuse pensée de revenir sur ses pas, il s’égara et fut arrêté, le matin du 12 novembre. Conduit à pied à Napierville et de à la prison de Montréal, il comparaissait devant la cour martiale, le 11 novembre, avec les chefs du soulèvement de Beauharnois. C’étaient : Jean-Bte. Brien, médecin ; Ignace Gabriel Chevrefils, cultivateur ; Louis Dumouchel, hôtelier, de Sainte-Martine ; Toussaint Rochon, voiturier, et Jacques Goyette, tous deux de Saint-Clément ; F.-X. Prieur, marchand, de Saint-Timothé ; Joseph Watier, de Soulanges ; Jean Laberge, charpentier, et F.-X. Touchette, de Sainte-Martine.

Le procès dura du 11 au 20 ; pendant neuf jours les patriotes furent sur la sellette, au pilori, en butte à la mauvaise volonté des juges, à la vengeance des témoins, à la haine et au mépris de tous ceux qui les entouraient. Tous les matins, quand ils arrivaient à la cour, et, le soir, quand ils partaient, une foule de fanatiques enragés les accueillaient par des hurlements de bouledogues et des vociférations de cannibales.

C’est à de Lorimier qu’on en voulait surtout, c’est sur lui qu’on s’acharna pour le faire trouver coupable. Le juge-avocat, M. Day, le prit à partie, dans son adresse à la cour martiale, et le représenta comme un homme des plus dangereux, l’un des fauteurs de la rébellion, celui qui méritait le plus de mourir sur l’échafaud.

Les journaux bureaucrates annoncèrent avec plaisir que de Lorimier serait condamné. Ils ne se trompèrent pas. Tous les accusés furent condamnés à mort, mais de Lorimier seul fut exécuté.

Le 12 février, pendant la soirée, les condamnés qui, depuis trois semaines, s’attendaient tous les jours à ce qu’on les avertît de se préparer à monter sur l’échafaud, apprirent que les autorités avaient fait une commande de sept cercueils. Il y en aurait donc sept d’exécutés, les sept premiers sur la liste, savoir : de Lorimier, Brien, Dumouchel, Rochon, F.-X. Prieur, Wattier et Laberge.

Quoique habitués à l’idée de mourir sur l’échafaud, les prisonniers dormirent mal dans la nuit du 12 au 13. Ces cercueils leur firent faire de mauvais rêves.

Le lendemain, à 3 heures, ils apprirent que les juges-avocats venaient d’entrer au bureau du geôlier pour signifier aux victimes choisies que le jour de l’exécution était fixé au vendredi suivant. On était au mercredi ; l’avis était court.

Nous croyons devoir laisser maintenant M. Prieur raconter le dernier acte de ce drame émouvant :

« Quelques instants après, la porte de notre prison s’ouvrit et le geôlier, s’arrêtant au milieu de la porte ouverte par son aide, appela :

« — Charles Hindelang ! »

« Environ dix minutes après, la porte s’ouvrit de nouveau et le geôlier appela :

« — Chevalier de Lorimier ! »

« Celui-ci sortit avec les gardiens et la porte se referma une seconde fois.

« Une troisième fois, la porte s’ouvrit. J’étais occupé au fond de la salle à faire cuire quelque chose dans une casserole, je m’entendis appeler. Laissant là mon ustensile, je me rendis auprès du geôlier, en disant à mes compagnons :

« — C’est mon tour ! mais le geôlier me dit en anglais :

« — Ce n’est pas vous que j’ai appelé, c’est M. Lepailleur, et c’est simplement pour lui remettre des provisions que lui envoient ses parents.

« Nos deux malheureux compagnons, de Lorimier et Hindelang, revinrent bientôt vers nous, et nous dirent, en entrant dans le groupe que nous avions formé pour les recevoir :

« — Réjouissez-vous, nous sommes les deux seules victimes choisies dans cette section ; mais il y en a trois prises dans les autres parties de la prison, ce sont Rémi Narbonne, François Nicolas et Amable Daunais.

« Il y avait, en ce moment, au milieu de nous, deux dames parentes de l’infortuné de Lorimier, sa sœur et sa cousine, accompagnées d’un monsieur de la famille ; ces pauvres dames fondaient en larmes. La victime les consolait par des paroles angéliques, pleines de foi et de résignation :

« — Mon sacrifice est fait, disait-il, et j’ai l’espoir d’aller voir mon Dieu ; une seule chose assombrit mes derniers moments, c’est la pensée du dénuement de ma femme et de mes enfants ; mais je les confie à la divine Providence.

« Vers six heures du soir, les guichetiers vinrent nous dire qu’il fallait entrer dans nos cachots. Nos visiteurs se retirèrent alors, la douleur dans le cœur. J’ai déjà dit que nous étions deux par deux. Le compagnon de cachot de de Lorimier avait été, jusque là, le Dr Brien ; dans ce moment, celui-ci vint me prier de vouloir bien changer de cellule, disant qu’il ne se sentait pas la force de partager le cachot de la victime.

« Ah ! c’est que, voyez-vous, il y avait un remords dans la conscience de ce malheureux qui avait obtenu un demi-pardon au prix honteux de la délation, comme nous l’apprîmes plus tard. On conçoit, en effet, quel voisinage ce devait être pour lui que celui de l’homme qui allait mourir victime de sa trahison.

« Je devins donc le compagnon de cellule de Chevalier de Lorimier. Le soir, son confesseur vint le voir et demeura seul avec lui pendant une heure, durant laquelle je me retirai dans le corridor. En sortant de ce sublime tête à tête du chrétien repentant avec l’homme du pardon, de Lorimier était calme, sa figure semblait même respirer une douce gaieté. Nous fûmes de nouveau renfermés ensemble ; je priai avec lui une partie de la nuit, puis nous nous endormîmes paisiblement l’un à côté de l’autre.

« Le matin, je le trouvai tranquille et reposé ; il pria longtemps, puis il me parla longuement de sa femme et de ses enfants ; il les confiait à la Providence. C’est à peine si je pouvais répondre à sa parole si touchante, si résignée, si chrétienne, tant l’émotion me dominait.

« Lorsque les cellules furent ouvertes, le matin, à l’heure ordinaire de dix heures, tous les regards se tournèrent, avec un intérêt mêlé de tristesse, vers les deux victimes que le jeune Guillaume Lévesque, compagnon de cachot d’Hindelang, et moi compagnon de de Lorimier, conduisîmes par le bras vers les groupes discrètement formés de nos camarades d’infortune. De Lorimier était résigné et digne, Hindelang, courageux et bruyant. Je préparai quelque chose pour notre déjeuner ; mais de Lorimier mangea peu. Il se premenait d’un pas mesuré dans le corridor, et souvent nous parlait de sa femme qui devait le venir visiter dans l’après-midi ; il redoutait cette entrevue pour son infortunée compagne.

« Vers les trois heures de l’après-midi, Mme de Lorimier, accompagnée de la sœur et de la cousine de son mari, et conduite par un M. de Lorimier, cousin du condamné, entrèrent dans notre cellule. Mme de Lorimier portait sur sa figure une expression de douleur à fendre le cœur, mais elle ne pleurait pas ; ses deux compagnes fondaient en larmes.

« Nous avions pris des arrangements pour donner à nos deux malheureux amis, un dîner d’adieu. La table, chargée de mets préparés, sur notre ordre, par le geôlier, avait été placée dans une pièce située près de la porte et qui donnait sur le corridor. À quatre heures, on se mit à table. Hindelang présidait au banquet. De Lorimier n’occupa pas le siège qui lui était réservé ; mais il vint prendre avec nous un verre de vin. Pendant le repas, il se promenait dans le corridor ayant Mme de Lorimier au bras ; les autres membres de sa famille occupaient des sièges, tantôt dans sa cellule, tantôt dans le corridor. Les dames, de temps à autre, prodiguaient à la malheureuse épouse des paroles de consolation.

« Il régnait à notre table une certaine gaieté triste qu’Hindelang, pour sa part rendait parfois bruyante. Pendant ces instants de récréation, furent admis, par les autorités de la prison, six curieux, parmi lesquels, me dit-on, se trouvait le rédacteur du journal The Herald ; ils se tinrent en dedans, près de la porte, visiblement étonnés de l’aspect de cette scène. Après s’être fait indiquer ceux qui devaient, le lendemain monter sur l’échafaud, ils se retirèrent sans mot dire.

« Un instant après, on vint nous dire que Mme de Lorimier venait de perdre connaissance ; elle gisait, en ce moment, dans un état de complet évanouissement, dans le cachot de son mari.

« Le confesseur de de Lorimier vint, au commencement de la soirée, et passa quelque temps seul avec lui dans sa cellule ; puis il dit : « courage » aux deux victimes, offrit quelques paroles de consolation à Mme de Lorimier, et prit congé de tous.

« On nous avaient laissés, les deux condamnés, M. Lévesque et moi, en dehors de nos cellules plus longtemps que d’ordinaire ; à dix heures le geôlier vint nous dire qu’il fallait entrer. C’était le moment que ce pauvre de Lorimier redoutait tant, et que nous aussi, nous voyions venir avec un déchirement de cœur. Quelques parents et amis étaient venus s’ajouter aux trois personnes de la famille qui accompagnaient Mme de Lorimier, et qui devaient être chargées de la pénible mais charitable mission de la reconduire en ville.

« La pauvre jeune femme allait donc dire à son mari un éternel adieu ! À la suite de bien des hésitations, de sanglots et de larmes, elle se jeta à son cou et s’évanouit de nouveau. De Lorimier la souleva dans ses bras et, la tenant comme un enfant qu’on va déposer dans son berceau, il se dirigea vers la porte, les yeux attachés sur cette figure agonisante de la compagne de sa vie. Arrivé sur le seuil, il déposa un baiser sur le front décoloré de sa femme, la remit entre les bras de ses parents, et leur recommanda d’en avoir tous les soins possibles et la porte se referma sur nous.

« De Lorimier me dit, en regagnant l’entrée de notre cachot :

« — Le plus fort coup est donné !… Il était ferme, mais pâle comme la mort.

« Il passa une partie de la nuit en prières et à écrire une lettre qui était comme son testament politique ; puis il se coucha. Je veillai près de lui ; il dormit à peu près trois heures fort tranquillement.

« Vers les sept heures (vendredi 15 février 1839), son confesseur arriva ; il venait lui apporter le Saint-Viatique et devait attendre pour l’accompagner à l’échafaud. Le condamné reçut la divine communion avec ferveur dans son cachot, où il demeura jusqu’à huit heures, en actions de grâces avec son confesseur. Le temps était venu pour de Lorimier de se préparer à marcher au supplice ; le prêtre se retira pour quelque temps. Ce fut moi qui aidai mon malheureux ami à faire sa toilette de victime… Comme je lui fixais au cou une petite cravate blanche, il me dit :

« — Laissez l’espace nécessaire pour placer la corde.

« Les larmes me partirent en torrents des yeux.

« Aussitôt que sa toilette fut terminée, de Lorimier sortit du cachot, et s’adressant à tous les prisonniers, leur demanda de dire en commun la prière du matin. Ce fut lui-même qui la fit d’une voix haute, ferme et bien accentuée. À l’invitation de de Lorimier, Hindelang, qui jusque là était resté dans sa cellule, en sortit et se joignit à nous, pour assister à la prière ; il ne se mit pas à genoux comme les autres, mais il se tint, tout le temps, debout, la tête inclinée en avant et les mains jointes sur la poitrine. Oh ! comme nous le plaignîmes alors, et comme nous remerciâmes Dieu de nous avoir fait la grâce d’appartenir à son Église sainte !

« À la suite de la prière, les deux condamnés prirent une tasse de café.

« J’avais demandé à nos infortunés amis de me laisser comme souvenir quelque chose venant directement d’eux, ce fut alors que chacun me remit une mèche de ses cheveux ; ceux de de Lorimier étaient contenus dans un billet dont voici la copie :

« Prison de Montréal, 15 février 1839.
« Cher Prieur,

« Vous me demandez un mot pour souvenir. Cher ami, que voulez-vous que je vous écrive, je pars pour l’échafaud. Soyez courageux et je meurs votre ami.

Adieu,
« Chevalier de Lorimier. »


«  À huit heures trois quarts environ, le geôlier, accompagné de quelques officiers militaires, de plusieurs soldats et d’un bon nombre de curieux, vint chercher les deux victimes. De Lorimier, en voyant apparaître ce cortège, dit au geôlier, d’une voix ferme : « Je suis prêt ! » Il m’embrassa, salua tous les amis, auxquels il avait déjà dit adieu, et partit avec son compagnon Hindelang. »

« De grands efforts avaient été faits pour sauver de Lorimier. Tout avait échoué.

« De Lorimier avait adressé au gouverneur Colborne une requête lui demandant de retarder au moins de quelques jours l’exécution de sa sentence, afin de lui permettre de régler certaines affaires importantes qui lui avaient été confiées en sa qualité de notaire. Il disait, dans cette requête, que plusieurs riches familles avaient mis entre ses mains l’avenir de leur fortune, et qu’il ne voulait pas mourir sans justifier la confiance qu’elles avaient mise en lui.

« Ce n’est pas un pardon que je demande, disait-il, je sais que je ne puis y compter, c’est un répit, un délai de quelques jours. J’ai fait le sacrifice de ma vie, j’ai fait ma paix avec mon créateur et je suis prêt à paraître devant mon Dieu. Mais averti hier seulement que je n’avais plus que trois jours à vivre, je n’ai pas le temps de régler mes affaires, et cette pensée est la seule qui trouble ma conscience et mon esprit. Que Votre Excellence remette au jour qu’il lui plaira l’exécution de ma sentence, et je mourrai content et convaincu que je pars pour un monde meilleur où la tyrannie n’est pas connue. »

« Mme de Lorimier avait, elle aussi, adressé au farouche gouverneur une requête à laquelle il ne répondit pas. Elle disait, dans cette requête écrite en termes touchants, que l’affection qu’elle portait à son mari infortuné et l’intérêt de ses trois pauvres petits enfants, dont l’aîné n’avait que quatre ans, l’engageait à s’adresser à Son Excellence pour implorer sa pitié et sa miséricorde.

« Votre Requérante, disait-elle, n’avait pour vivre et supporter ses pauvres petits enfants que le produit du travail et de la profession de leur père ; elle ne peut, sans la plus grande anxiété penser au moment fatal où elle sera laissée seule sans aucuns moyens d’existence.

« Votre Requérante n’a pas l’intention de faire l’éloge des vertus de son mari, de parler des services que sa famille a rendus au gouvernement anglais pendant longtemps ; c’est comme épouse et comme mère qu’elle s’adresse à Votre Excellence, au moment où elle est menacée de perdre celui pour lequel elle a une affection dont ses paroles ne peuvent donner l’idée. »

« De Lorimier monta sur l’échafaud d’un pas ferme et ne donna jusqu’au dernier moment aucun signe de faiblesse. Lorsque Hindelang prononça le discours qu’il termina par le cri de « Vive la liberté ! » de Lorimier sourit plusieurs fois et approuva de la tête les paroles enthousiastes de son compagnon d’infortune.

« Hindelang avait à peine fini de parler que le signal était donné, et la trappe tombait.

« De Lorimier avait cessé de vivre. La patrie avait perdu l’un de ses plus nobles, de ses plus généreux enfants, un homme dont le nom vivra et sera honoré aussi longtemps qu’il y aura dans le cœur des Canadiens-français le sentiment de l’honneur, du patriotisme et de l’amour de la liberté. Le jour où notre population aura cessé d’admirer ce qu’il y avait de grand, de sublime dans l’âme de de Lorimier, elle ne méritera plus de vivre.


Dernières paroles et dernières volontés de de Lorimier.

Ayant appris qu’un de ses amis avait préparé pour ses restes mortels une tombe, dans un endroit du cimetière qui lui appartenait, il lui écrivit :


« Prison de Montréal,
« 15 février 1839, à 4 hrs.
« Mon cher ami,

« Je n’ai plus que quelques instants à vivre ; dans cinq heures, je monterai sur l’échafaud. J’ai encore un devoir précieux à remplir, c’est celui de la reconnaissance. Je suis plus calme que jamais. La seule chose qui m’attriste est de laisser ma famille dénuée de tout. Pourquoi me plaindre pour moi personnellement de ce qui arrive ? Mon pays me connaît, et j’ai la consolation, en mourant, de savoir que j’ai l’estime et l’approbation de mes compatriotes. Cette pensée remplit mon cœur de joie. On me condamne à mourir sur l’échafaud, mais mourir d’une façon ou de l’autre, par la corde, le feu, l’épée ou la guillotine, quelle est la différence ? Ce n’est pas le mode de mort, l’instrument du supplice qui crée le déshonneur.

« Je vous prie, mon cher ami, d’accepter mes plus sincères remerciements pour la faveur que vous êtes à la veille de faire à mes restes inanimés après qu’ils auront été descendus de l’échafaud, et veuillez croire que je serai jusqu’à mon dernier soupir,

« Votre ami infortuné. — Adieu.
« Chevalier de Lorimier. »

Lettre écrite par de Lorimier à sa femme, le matin de son exécution, et trouvée sur son cœur, après sa mort.
« Prison de Montréal, 15 février 1839,
à 7 heures du matin.
« Ma chère et bien-aimée femme,

« À la veille de quitter mon lugubre cachot pour monter sur l’échafaud déjà rougi du sang des nobles victimes qui m’ont précédé, mon cœur et le devoir m’engagent à t’écrire un mot, avant de paraître devant Dieu, le juge suprême de mon âme. Dans le peu de temps qui s’est écoulé depuis le jour de notre union sacrée jusqu’à ce jour, tu m’as rendu, ma chère femme, vraiment heureux. Ta conduite envers moi a toujours été irréprochable et dictée par l’amitié, la bonté et la sincérité.

« J’ai toujours su apprécier tes vertus. Aujourd’hui même des hommes altérés de sang, m’arrachent à tes bras ; mais ils ne réussiront jamais à effacer mon souvenir de ton cœur, j’en suis convaincu. Ils t’enlèvent ton appui et ton protecteur et le père de tes chers pauvres petits enfants. La Providence et des amis de mon pays en auront soin. Ils ne m’ont même pas donné le temps de voir mes chères petites filles, de les presser sur mon cœur et de leur dire un éternel adieu. Ô cruelle pensée ! Cependant je leur pardonne de tout mon cœur.

« Quant à toi, ma chère, tu dois prendre courage et te pénétrer de la pensée qu’il faut que tu vives pour l’amour de tes enfants infortunés qui auront grandement besoin des soins d’une mère tendre et dévouée. Pauvres enfants ! ils n’auront plus mes caresses et mes soins.

« Je t’assure, ma chère Henriette, que si des régions célestes, il m’est permis de veiller sur toi et de t’aider, je fortifierai ton cœur brisé. Mes chers petits enfants seront privés de mes caresses, mais tu leur donneras doublement les tiennes afin qu’ils ressentent moins la perte qu’ils auront faite. Je ne te verrai plus dans ce monde. Oh ! quelle pensée ! Mais toi, ma chère Henriette, tu pourras me voir encore une fois, mais alors mon corps sera froid, inanimé, défiguré. Je finis, ma chère Henriette, en offrant à Dieu les prières les plus sincères pour ton bonheur et celui de mes chers petits enfants. Hier soir, tu as reçu mes derniers embrassements, mes adieux éternels, — cependant du fond de mon cachot humide et sinistre, au milieu des appareils de la mort, je sens le besoin de te dire un dernier, dernier adieu. Ton tendre et affectueux mari enchaîné comme un meurtrier, dont les mains seront bientôt liées, te souhaite, ma chère Henriette, de jouir de tout le bonheur dont ton cœur brisé sera susceptible à l’avenir.

« Sois donc heureuse, ma chère et pauvre femme, ainsi que mes chers petits enfants, c’est le vœu le plus ardent de mon âme. — Adieu, ma tendre femme, encore une fois adieu ; vis et sois heureuse.

« Ton malheureux mari,
« Chevalier de Lorimier. »


Lettre de de Lorimier à M. Trefflé Cherrier.
« Prison de Montréal, 15 février 1839,
à 6¾ heures du matin.


« Mon cher Tréfilé,

« Vous m’avez demandé un mot, je vous l’ai promis, je ne puis manquer à ma parole. Je l’ai respectée en tous lieux, cher ami ; avant de mourir, je vous prie de penser à moi ainsi qu’à ma famille qui va perdre son protecteur et son appui. Veillez sur leur sort, c’est la prière de votre ami sincère qui va périr sur l’échafaud pour la cause commune de notre patrie.

« Adieu pour toujours,
« Chevalier de Lorimier. »

Testament politique de de Lorimier écrit la veille de son exécution.
« Prison de Montréal, 14 février 1839,
à 11 heures du soir.

« Le public et mes amis en particulier, attendent, peut-être, une déclaration sincère de mes sentiments ; à l’heure fatale qui doit nous séparer de la terre, les opinions sont toujours regardées et reçues avec plus d’impartialité. L’homme chrétien se dépouille en ce moment du voile qui a obscurci beaucoup de ses actions, pour se laisser voir en plein jour ; l’intérêt et les passions expirent avec sa dépouille mortelle. Pour ma part, à la veille de rendre mon esprit à son créateur, je désire faire connaître ce que je ressens et ce que je pense. Je ne prendrais pas ce parti, si je ne craignais qu’on ne représentât mes sentiments sous un faux jour ; on sait que le mort ne parle plus, et la même raison d’état qui me fait expier sur l’échafaud ma conduite politique pourrait bien forger des contes à mon sujet. J’ai le temps et le désir de prévenir de telles fabrications et je le fais d’une manière vraie et solennelle à mon heure dernière, non pas sur l’échafaud, environné d’une foule stupide et insatiable de sang, mais dans le silence et les réflexions du cachot. Je meurs sans remords, je ne désirais que le bien de mon pays dans l’insurrection et l’indépendance, mes vues et mes actions étaient sincères et n’ont été entachées d’aucun des crimes qui déshonorent l’humanité, et qui ne sont que trop communs dans l’effervescence de passions déchaînées. Depuis 17 à 18 ans, j’ai pris une part active dans presque tous les mouvements populaires, et toujours avec conviction et sincérité. Mes efforts ont été pour l’indépendance de mes compatriotes ; nous avons été malheureux jusqu’à ce jour. La mort a déjà décimé plusieurs de mes collaborateurs. Beaucoup gémissent dans les fers, un plus grand nombre sur la terre d’exil avec leurs propriétés détruites, leurs familles abandonnées sans ressources aux rigueurs d’un hiver canadien. Malgré tant d’infortune, mon cœur entretient encore du courage et des espérances pour l’avenir, mes amis et mes enfants verront de meilleurs jours, ils seront libres, un pressentiment certain, ma conscience tranquille me l’assurent. Voilà ce qui me remplit de joie, quand tout est désolation et douleur autour de moi. Les plaies de mon pays se cicatriseront après les malheurs de l’anarchie et d’une révolution sanglante. Le paisible canadien verra renaître le bonheur et la liberté sur le Saint-Laurent ; tout concourt à ce but, les exécutions mêmes, le sang et les larmes versés sur l’autel de la liberté arrosent aujourd’hui les racines de l’arbre qui fera flotter le drapeau marqué des deux étoiles des Canadas. Je laisse des enfants qui n’ont pour héritage que le souvenir de mes malheurs. Pauvres orphelins, c’est vous que je plains, c’est vous que la main ensanglantée et arbitraire de la loi martiale frappe par ma mort. Vous n’aurez pas connu les douceurs et les avantages d’embrasser votre père aux jours d’allégresse, aux jours de fêtes ! Quand votre raison vous permettra de réfléchir, vous verrez votre père qui a expié sur le gibet des actions qui ont immortalisé d’autres hommes plus heureux. Le crime de votre père est dans l’irréussite, si le succès eût accompagné ses tentatives, on eut honoré ses actions d’une mention honorable. » Le crime et non pas l’échafaud fait la honte. » Des hommes, d’un mérite supérieur au mien, m’ont battu la triste voie qui me reste à parcourir de la prison obscure au gibet. Pauvres enfants ! vous n’aurez plus qu’une mère tendre et désolée pour soutien ; si ma mort et mes sacrifices vous réduisent à l’indigence, demandez quelque fois en mon nom, je ne fus jamais insensible aux malheurs de mes semblables. Quant à vous, mes compatriotes, mon exécution et celle de mes compatriotes d’échafaud vous seront utiles. Puissent-elles vous démontrez ce que vous devez attendre du gouvernement anglais !… Je n’ai plus que quelques heures à vivre, et j’ai voulu partager ce temps précieux entre mes devoirs religieux et ceux dus à mes compatriotes ; pour eux je meurs sur le gibet de la mort infâme du meurtrier, pour eux je me sépare de mes jeunes enfants et de mon épouse sans autre appui, et pour eux je meurs en m’écriant : Vive la liberté, vive l’indépendance !


« Chevalier de Lorimier. »
Lettre de de Lorimier à sa sœur après son emprisonnement.


« Montréal, Prison Neuve, 20 décembre 1838.
« Ma chère sœur,

« Notre prison offre aujourd’hui un aspect terrible ; immédiatement sous nos yeux les valets altérés de sang d’un gouvernement cruel et despotique s’occupent joyeusement à dresser l’échafaud sur lequel doivent d’abord périr deux de nos braves compatriotes qui seront suivis d’un plus grand nombre. Les deux infortunés et généreux patriotes qui doivent être sacrifiés demain, sont messieurs Joseph-Narcisse Cardinal, notaire public, et Joseph Duquet. Francis Maurice Lepailleur et Maurice Thibert qui ont été condamnés dans le même temps, ont obtenu un sursis. Ils sont tous de Châteauguay. À chaque minute je m’attends à être séparé de mes compagnons de prison et d’être mis dans une autre pièce pour y attendre mon procès qui aura probablement lieu bientôt. L’échafaud dressé devant moi ne jette pas de terreur dans mon âme, car depuis longtemps je suis résigné à mon sort. La plateforme est érigée au-dessus de la porte principale de la prison. On la peut voir de la rue près des grands arbres qui sont au sud. J’espère que lorsqu’arrivera le jour où le sanguinaire gouverneur de cette province ordonnera qu’on m’ôte la vie sur l’échafaud, toute ma famille et tous mes amis viendront me voir rendre le dernier soupir, ce que je ferai avec joie peur relever mon pays de sa dégradation politique actuelle. Je prend la liberté de les inviter dès maintenant ; peut-être ne le pourrai-je pas plus tard. Je puis les assurer qu’ils n’auront pas lieu de craindre que je montre un signe de faiblesse, mais qu’au contraire ils me verront calme et serein, marcher avec courage vers ma tombe prématurément creusée. J’ai dit que depuis longtemps je suis préparé au sacrifice de ma vie ; oui, de ma part le sacrifice est volontairement fait ; mais il y en a un plus grand que je ne puis faire, et je crains de ne le pouvoir jamais, c’est d’avoir à abandonner une femme et des enfants que je chéris, que j’idolâtre et que j’estime mille fois plus que mon existence en ce monde. Comment puis-je volontairement renoncer à l’attachement qui me lie à eux ? c’est complètement impossible ! ! ! Hélas ! comment ma chère et bien-aimée Henriette va-t-elle recevoir le coup terrible qui l’attend ? Je souhaite, ma chère sœur, que vous essayiez tous les moyens de la consoler et de la porter à jeter le voile noir de l’oubli sur la mémoire d’un époux qui l’aimait si tendrement. Mais, Ô Dieu ! que dis-je ? Non, non, elle n’oubliera jamais son malheureux et tendre époux !  ! Non, non, elle gardera sacrée la mémoire de son compagnon bien-aimé. Mais que va-t-elle devenir, elle et mes chers petits enfants ? Quel sera leur sort ? Je vais les laisser sans fortune, sans protection ? Qui les soutiendra ? Ô Dieu ! ces pensées rendent mon agonie terrible. À qui puis-je recommander ces tendres objets de mon amour ? Ô mes compatriotes, je vous confie mes enfants. Je meurs pour la cause de mon pays, de votre pays ; ne souffrez donc pas que ceux que je suis obligé de quitter, souffrent de la pauvreté après ma mort ! C’est probablement ma chère sœur, la dernière fois que je pourrai vous écrire. Recevez donc, ma chère sœur, le dernier adieu de votre frère le plus affectionné et le plus infortuné. Mes tendres amitiés à tous mes amis. Soyez tous heureux — conservez votre courage. Quant à moi, je suis calme et plein de force. Adieu pour toujours !

« Votre tendre frère,
« Chevalier de Lorimier. »

Le 12 février 1839, un mardi, M. de Lorimier reçut l’avis qu’il serait exécuté, le vendredi suivant, et écrivit à un de ses cousins, à Montréal, la lettre que voici :


« Montréal, Prison Neuve, 12 février 1839.


« Mon cher cousin et ami,

« Quelque pénible que soit pour moi l’obligation de vous faire connaître la triste nouvelle qui m’a été annoncée aujourd’hui, je sens qu’il est de mon devoir de le faire sans hésitation. L’obligation dans laquelle vous m’avez mis par votre bonté et votre générosité et le souvenir des services que vous m’avez rendus me portent à vous faire connaître que ma fin est proche. Je m’acquitte d’un devoir, je le sais, qui va causer de la peine à votre cœur. M. Day, juge-avocat de la cour martiale, m’a dûment donné avis de me préparer à la mort pour vendredi prochain. Tous les efforts que vous avez faits pour arracher votre malheureux cousin au vil et odieux bourreau ont été vains. Mais à ce moment solennel de ma courte existence, je ne vous en suis pas moins reconnaissant de vos tentatives. Nous ne devons pas juger les choses d’après le succès ou le non succès qu’elles ont rencontré. Pour moi vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir, c’est ce que je considère, et ce pourquoi je vous prie d’accepter l’expression de ma plus vive reconnaissance. J’ai encore un service, allez sans délai, voir ma chère Henriette. C’est à vous qu’il convient de lui offrir les consolations qu’elle peut recevoir sur cette terre de malheur. Pauvre malheureuse femme ! De ma prison, il me semble voir son pauvre cœur brisé s’abandonner à la douleur et au désespoir. Mais à quoi serviront ses douleurs et ses larmes ? Mon sort est irrévocablement réglé. Ma mort est résolue et est très importante pour mes meurtriers. Il faut le mieux possible faire face à la mort. Plus un homme se montre faible, plus il trouve redoutables les horreurs de la mort. Est-ce que les hommes ne doivent pas tous mourir ? Je ne fais que ce que tous les hommes doivent faire un jour ou l’autre. Personne n’y peut échapper. Si ma mort arrive plus tôt que je n’étais en droit de l’attendre, c’est pour des motifs qui sont très honorables et dont je me glorifie. Je meurs, c’est un sacrifice sanglant à ma patrie. Je meurs martyr de la cause sacrée de la rédemption politique de mon cher pays ! Puisse la cause malheureuse retirer quelque bénéfice de ma mort violente !  ! Puissent les tyrans qui l’oppriment subir bientôt le sort cruel qu’ils infligent maintenant à des victimes comme Cardinal, Duquet, Hamelin, Robert et les deux Sanguinet et comme ceux qui le subiront avec moi vendredi prochain. Les motifs ont été honorables. Le ciel un jour ou l’autre couronnera nos efforts de succès ; et alors les tories hautains et oppresseurs quitteront ce malheureux pays pour toujours, et la paix régnera sur la terre fertile de mon pays bien-aimé. Ayez la bonté de présenter mon amitié constante, mon respect inaltérable à votre aimable femme. Quant à vous, mon cher cousin, vivez heureux et quelquefois pensez à un homme qui a été plus malheureux que coupable et qui a offert un sacrifice sanglant à son pays.

« Je demeure avec un tendre souvenir,
« Votre affectionné et votre fidèle ami,
« Chevalier de Lorimier. »
Lettre écrite par de de Lorimier à un ami.


« Montréal, Prison Neuve, 12 février 1839.


« Mon cher ami,


« Je n’ai plus que deux devoirs à remplir ; le premier c’est de me tenir prêt pour le long voyage de l’éternité, le second d’écrire à mes amis et de leur faire mes derniers adieux. Quand un homme est attaché à ce monde par des liens aussi forts que ceux qui m’y retiennent, il est bien dur pour lui de mourir avant sa fin naturelle. Mais le sacrifice n’est pas aussi pénible qu’on pourrait le croire, quand on n’a pas considéré sa mort très prochaine. Plus nous pensons que la mort est proche, moins nous trouvons dur de mourir, et plus nous nous sentons résignés à notre sort. Si beaucoup d’hommes craignent, c’est qu’il n’ont pas sérieusement pensé à mourir. Pour moi, mon cher ami, je suis résigné à mon sort aussi cruel que peu mérité. Je suis ferme et tout à fait déterminé à mourir comme un homme qui sacrifie sa vie à une bonne cause. Je remercie le Ciel de m’avoir donné autant de courage. Je ne pouvais entreprendre ce long voyage vers l’éternité sans vous remercier des nombreux services que vous m’avez rendus. Permettez-moi, avant de vous quitter pour toujours, de vous assurer, que je vous ai toujours estimé comme un ami, et de vous exprimer aussi ma reconnaissance des secours que vous m’avez apportés durant mon malheureux emprisonnement. Puisse la Providence vous donner sur cette terre de misère une carrière longue et heureuse ! Puissiez-vous voir le jour où le sort cruel des nombreux martyrs qu’a faits notre sanguinaire et barbare Gouverneur Sir John Colborne, aura sa complète revanche sur les coupables qui ont versé le sang innocent ? Puissiez-vous prospérer autant que vous le méritez et vous rappeler quelquefois la mémoire de votre ami malheureux mort sur l’échafaud pour racheter son pays opprimé.

« Adieu pour toujours.
« Votre ami sincère et dévoué,
« Chevalier de Lorimier. »

Lettre écrite par de Lorimier à un ami qui avait montré beaucoup de bienveillance et d’égards à sa femme et à ses enfants pendant son emprisonnement.


« Montréal, Prison-Neuve, 14 février 1839,
10 heures a. m.
« Cher monsieur et estimable ami,

« Vous et votre femme m’avez témoigné tant de bienveillance pendant ma cruelle captivité, que je me sens très obligé envers vous. Ce que je ne pourrai surtout oublier, même au-delà de la tombe, c’est votre bonté pour ma malheureuse femme et mon fils chéri. Veuillez accepter mes plus sincères remerciements. Dans quelques heures je ne serai plus ! Mais je me flatte que j’emporterai avec moi dans l’autre vie un cœur que l’ingratitude n’aura jamais souillé. Vous avez été pour moi un ami véritable et dévoué, et vous avez généreusement assisté la femme éplorée d’un homme qui souffre dans les cachots pour la cause sacrée de la liberté de son pays. Puisse le Dieu tout-puissant vous récompenser comme vous le méritez et vous accorder ses bénédictions et sa protection ! Mon dernier soupir sera pour ma patrie, ma femme et mes enfants et les bonnes âmes qui les ont secourus dans leur malheur. Si dans le monde des esprits, il m’est donné de voir vos mérites et votre bonté envers des orphelins, j’offrirai pour vous au roi du Ciel les prières les plus ardentes.

« Assurez votre belle-sœur et sa charmante fille de ma plus tendre amitié. Soyez heureux, vous et votre femme ; c’est le vœu d’une âme malheureuse mais patriotique qui dans quelques heures défiera les tortures des tyrans anglais et ira dans l’éternelle demeure des justes où les tyrans ne sont jamais admis.

« Adieu pour toujours ! Prenez courage ; notre pays sera délivré du joug de l’Angleterre. Vous verrez cela, mais moi !…

« Adieu encore une fois pour toujours ! Je ferme cette lettre. Gardez-la comme souvenir.

« Chevalier de Lorimier. »

Lettre écrite par de Lorimier, le jour de son exécution, à une dame qui lui avait demandé d’écrire dans son album quelques lignes qu’elle garderait comme souvenir.


« Montréal, Prison-Neuve, 15 février 1839,
5 heures a. m.


« Vous voulez, madame, que j’écrive un mot dans votre album. Que puis-je écrire, je vous le demande ? Vais-je abandonner mon âme à des sentiments de regret, à de tristes pensées ? Vous diriez que ces sentiments ne sont pas dignes d’un homme qui meurt pour la liberté de son pays. Vous dirai-je, pour vous attendrir, tout ce que j’ai souffert dans mon cachot depuis que je suis tombé dans les mains de mes cruels ennemis ? Ce serait, comme je viens de le dire, peu digne de la position que j’occupe devant le monde. Vous m’avez visité dans ces noirs cachots où les rayons du soleil sont inconnus aux pauvres victimes de la tyrannie anglaise. Il n’est pas nécessaire de parler ni d’écrire, pour faire comprendre l’état le plus misérable auquel la nature humaine puisse être réduit. Vous dirai-je tout le respect que j’ai pour vous, quand vous en avez eu tant de preuves ? Cependant ce serait honteux de ma part de ne pas me rendre à vos désirs. Permettez-moi alors, madame, de vous demander une faveur, c’est de garder une place pour moi dans vos pensées, après que l’heure terrible du sacrifice sera passée. Quand je serai parti, vous vivrez encore. Dans quatre heures, je mourrai sur l’échafaud érigé par les ennemis de notre chère patrie. Oh ! quels mots enchanteurs je viens de prononcer ! — « Ma patrie ! » Ô ma patrie ! à toi j’offre mon sang comme le plus grand et le dernier des sacrifices que je puisse faire pour te délivrer du joug odieux de tes traîtres ennemis. Puisse le Tout Puissant agréer mon sanglant sacrifice ! Vous verrez des jours meilleurs. Cette conviction intime et l’espoir que vous, madame, votre mari et tous mes amis, penserez quelquefois à moi, quand je ne serai plus, seront pour moi une source de consolation et de force dans les dernières tortures de l’agonie. La grande cause pour laquelle je suis à la veille de souffrir, triomphera.

« Adieu, madame ! Soyez heureuse ainsi que votre mari, vous le méritez tous deux. C’est le vœu d’un homme qui dans quelques heures aura sacrifié sa vie au salut de sa malheureuse patrie et à la liberté qu’il préfère à la vie. Je vous dis encore une fois adieu, madame.

« Votre malheureux mais sincère ami,
« Chevalier de Lorimier. »


De Lorimier avait eu pour compagnon de cellule, dans les premiers temps de son emprisonnement, le Dr Brien. Brien avait pris part au soulèvement de Beauharnois, mais il n’avait pas l’âme des Cardinal, des Duquet et des de Lorimier. C’était un homme à l’esprit distingué mais au cœur froid. Pour échapper à l’échafaud, il fit des révélations importantes qui compromirent les chefs patriotes plus que les témoignages qui furent rendus contre eux. De Lorimier ne sachant pas ce qui s’était passé, incapable d’ailleurs de croire à la trahison d’un ami, était sensible aux marques d’affection que Brien lui avait données, et lorsqu’après sa condamnation il apprit que Brien avait demandé qu’on le mît dans une autre cellule, il attribua à la sensibilité, ce qui n’était que le résultat du remords. Il lui écrivit donc à son ancien compagnon de cellule la touchante lettre qui suit :


« Montréal, Prison-Neuve, 15 février 1839,
6 heures a. m.
« Mon cher Brien,

« Il faut que je vous quitte ; le glas de la mort m’appelle sur l’échafaud. Le sort en est jeté ; il faut que je meure. Gardez la mémoire d’un ami fidèle. Je vous souhaite, si on vous épargne, de vivre longtemps et d’être heureux. Vous avez été mon compagnon dans les cachots ; nous avons habité la même cellule, nous avons longtemps partagé le même lit. Vous avez toujours été empressé à me donner des consolations dont j’avais tant besoin. Je vous en remercie ; le Ciel vous récompensera de votre charité chrétienne.

« Avant de mourir, je prie Dieu de vous accorder une vie longue et heureuse. Vous direz à mes amis comment je suis mort, vous leur direz que l’échafaud qui me fit perdre la vie ne m’enleva pas mon courage.

« Adieu, cher ami, adieu.

« Chevalier de Lorimier. »

Nous avons pensé que le meilleur moyen de faire connaître le patriotisme, le dévouement et la grandeur d’âme de Chevalier de Lorimier, était de publier ces lettres émouvantes — ces reliques glorieuses qu’on devrait garder comme des trésors.

L’histoire honore ceux qui sont morts pour la liberté de leur patrie, elle recueille leurs dernières paroles, leurs derniers soupirs, et offre tout ce qu’ils ont dit et fait à l’admiration des générations futures. Eh bien ! les lettres de Chevalier de Lorimier prouvent que jamais cœur plus tendre, plus dévoué, plus admirable ne battit dans une poitrine de patriote, que jamais victime ne fut plus pure, plus digne de la reconnaissance d’un peuple.

De Lorimier est mort consolé par la pensée que Dieu et les hommes lui tiendraient compte de son sacrifice. Dieu l’a déjà récompensé, et l’histoire dira, nous en sommes sûr, qu’il a eu raison d’espérer que son souvenir ne s’effacera jamais de la mémoire de ses compatriotes.