Les Patriotes de 1837-1838/55

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Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 287-294).

CONCLUSION



Nous disions au commencement de ce livre que notre intention n’était pas de démontrer que les patriotes de 1837 avaient eu droit de se révolter, mais uniquement de prouver que leurs griefs étaient sérieux, leurs motifs honorables, leur patriotisme incontestable, leurs sacrifices et leur dévouement héroïques, le résultat de leurs actes utile à la liberté, à l’avenir de leur pays.

Nous croyons avoir établi notre thèse par des faits que jamais on ne pourra contredire sérieusement, par des citations dont la valeur n’est pas contestable.

Nous avons pris plaisir à nous appuyer autant que possible sur l’opinion d’hommes étrangers et souvent peu sympathiques à notre nationalité, d’ennemis déclarés même des patriotes, afin que jamais on ne puisse nous accuser d’exagération.

Nous nous sommes borné à raconter les faits, louant autant que possible les patriotes sans dénigrer leur adversaires, évitant de rappeler des souvenirs qui auraient pu être désagréables à des familles dignes de respect. Nous aurions même voulu passer sous silence le malheureux livre de M. Globenski et les deux ouvrages qu’il cite à l’appui de ces appréciations, mais nous en avons déjà dit un mot, et nous croyons devoir en parler encore en terminant. On pourrait nous reprocher plus tard de n’avoir pas mentionné des ouvrages dont nous devions avoir eu connaissance.

M. Globensky, pour réhabiliter la mémoire de son père auquel personne ne pensait, a tiré de la poussière deux écrits qui auraient dû y dormir éternellement. Nous voulons parler du fameux Journal des événements arrivés à Saint-Eustache en 1837 par un témoin oculaire, et des Mémoires de M. Paquin. On a toujours pensé que le témoin oculaire était M. Paquin lui-même, mais nous croyons avoir prouvé dans la Minerve que c’était M. Desève, alors vicaire à Saint-Eustache. Nous avons cité les propres paroles de M. Paquin qui dit dans ses Mémoires :

« Nous répéterons ici pour cette bataille ce qu’en a dit dans le journal des événements de Saint-Eustache un témoin oculaire, M. Desève, maintenant curé de Saint-Augustin, et alors vicaire de M. Paquin curé de Saint-Eustache. »

Pour persister à dire que ce n’est pas M. Desève, il faut supposer que M. Paquin aurait eu recours à un mensonge pour rejeter la responsabilité d’un ouvrage dont il avait honte. Il faut croire aussi que M. Paquin était capable de se contredire grossièrement du jour au lendemain sur les points les plus importants. En effet, voici ce qu’on lit dans le Journal :

« La conduite de sir John Colborne pendant toute cette campagne a été remplie d’une douceur admirable, et ses troupes, officiers et soldats, méritent de grands éloges. »

Voici maintenant ce qu’on lit dans les Mémoires de M. Paquin :

« Il en fut à Saint-Benoit comme à Saint-Eustache, encore plus, car pas une maison ne fut sauvée… Voilà ce que c’est que de recevoir la visite des Visigoths et des Vandales… Depuis ces jours de désolation et de calamité, nous n’avons cessé de réclamer et rien encore n’a été fait. Ce qui fait voir que sir John Colborne n’avait pas une âme d’homme ni un cœur anglais en causant des pertes si affreuses pour rien. »

Plus loin il le traite de génie malfaisant et lui applique les vers suivants de Rousseau :


Des remparts abattus, des palais mis en cendre,
Sont de ta cruauté les plus doux ornements ?
Tigre à qui la pitié ne peut se faire entendre,
Tu n’aimes que le meurtre et les embrasements
La frayeur et la mort vont sans cesse à ta suite,
Monstre nourri de sang, cœur abreuvé de fiel.


Comment prétendre sérieusement que le même homme ait pu se rendre coupable d’une pareille contradiction ?

D’ailleurs, que le Journal et les Mémoires aient été écrits ou non tous deux par M. Paquin, peu importe ; ces deux ouvrages ne valent guère mieux l’un que l’autre et portent la même marque, le même cachet, le cachet de l’esprit de parti le plus injuste. L’éloge que l’auteur des Mémoires fait de la générosité, de la douceur du vieux brûlot Colborne, devait seul faire condamner à mort ce livre.

Il est un spectacle que nous trouvons plus beau que celui de M. Paquin, c’est celui du noble et courageux curé de Saint-Charles bénissant les patriotes agenouillés à ses pieds avant le combat. Nous voulons parler de M. Blanchet que son patriotisme n’a pas empêché de devenir un saint évêque, un missionnaire dont la religion et la patrie sont fières.

Entre le prêtre qui prêche la paix et l’écrivain qui se laisse dominer par le ressentiment, il y a une distinction à faire. Nous respectons le premier, il remplissait un devoir ; nous condamnons le second, l’homme de parti, c’est notre droit.

S’il fallait en croire M. Globenski et ses autorités, le beau rôle en 1837 n’a pas été joué par les patriotes mais par les bureaucrates !

C’est le renversement de l’histoire, la contradiction monstrueuse de toutes les idées reçues, l’anéantissement des traditions les plus populaires. Ce ne sont pas les victimes qui auraient droit à nos sympathies, mais leurs bourreaux !

Ce ne sont pas les volontaires et les soldats qui ont brûlé les villages, jeté sur les chemins publics des centaines de femmes et d’enfants, pillé, tué et volé ; on dirait que ce sont les patriotes.

On s’enthousiasmait au récit de la mort héroïque de Chénier ; on pleurait en lisant le testament politique et national de de Lorimier ; on s’apitoyait sur le sort de l’infortuné Duquet.

Erreur ! erreur profonde !

C’étaient, paraît-il, des insensés, des ambitieux, des révoltés.

Les héros de l’époque, les bienfaiteurs de notre pays sont Colborne et ses braves soldats, les volontaires, les bureaucrates et tous ceux qui ont combattu par la parole ou les armes leurs compatriotes. C’est à eux qu’on devrait adresser nos hommages, élever nos monuments.

Pauvre de Lorimier ! Toi qui, à la veille de mourir, ne nous demandais, en retour de tes sacrifices, que de croire à la sincérité de ton patriotisme, tu ne t’attendais pas que des Canadiens-français refuseraient d’écouter ta prière, d’accepter l’offrande de ton sang. Mais ils sont si peu nombreux ces Canadiens-français, que leur opinion ne compte pour rien.

C’était une lutte inutile, insensée, dit-on.

À qui la faute ? Qui a rendu cette lutte inutile en empêchant le soulèvement d’être général ? Ceux mêmes qui aujourd’hui reprochent aux patriotes leur insuccès et se font une gloire de les avoir affaiblis !

Il y eut un moment où la cause de l’indépendance américaine ne tenait qu’à un fil ; aurait-on eu le droit de dire, si le fil eût cassé, que Washington était un fou, un imbécile ? Daulac et sa poignée de héros se vouent à une mort certaine pour sauver la colonie naissante de Montréal ? Était-ce de la folie ?

Notre histoire est pleine de ces actes héroïques enfantés par la folie du dévouement, du sacrifice.

N’appelle-t-on pas le plus grand sacrifice dont le monde et le ciel aient été témoins « la folie de la croix ? »

Jésus-Christ a été vaincu, lui aussi, vaincu par le nombre, par les bureaucrates, les soldats de César ? Il est le modèle, le patron, le soutien de tous ceux qui meurent pour une cause qu’ils croient juste, sainte, nationale.

Plus on blâme l’imprudence et la témérité des patriotes, plus on trouve absurde qu’ils aient songé à entreprendre une lutte aussi inégale, plus on devrait au moins louer leur courage et leur énergie.

Que resterait-il dans l’histoire, si on en faisait disparaître toutes les causes vaincues, tous les héroïsmes écrasés par la force ? Q’auraient à nous montrer la Pologne et l’Irlande ?

Si l’insurrection eût triomphé, dit-on, le Canada eût été annexé aux États-Unis, et l’annexion c’était la ruine de notre religion, la mort de notre nationalité.

Lorsque les patriotes américains invoquèrent l’aide de la France, des voix indignées s’élevèrent contre cet appel aux armes étrangères. On disait que c’était une honte, qu’on paierait cher les secours qu’on obtiendrait. Aujourd’hui, les fils des puritains et bureaucrates qui combattaient avec tant d’acharnement Washington, élèvent presque des autels à ce grand homme et proclament la sagesse de ses actions. On peut affirmer sans crainte que si l’insurrection de 1837-1838 eût réussi, ceux qui blâment si sévèrement les patriotes, seraient les plus ardents à bénir le résultat de leurs sacrifices.

Jusques à quand se servira-t-on dans notre pays du spectre de l’annexion pour faire excuser toutes les faiblesses, toutes les trahisons et flétrir les convictions les plus nobles ?

Les patriotes étaient, disent leurs détracteurs, des révolutionnaires, des hommes violents, imbus de mauvaises idées, ils organisèrent même des sociétés secrètes.

Quel enfantillage !

Quand et dans quel pays a-t-on vu des insurgés commettre aussi peu d’excès, traiter avec tant de douceur ceux qui les combattaient ?

M. Paquin et M. Desève qui essaient de faire croire que leur vie a été en danger, admettent que tous les jours ils allaient et venaient au milieu des patriotes qui se contentaient de les prier de rester avec eux pour leur donner l’absolution avant le combat. Dans quel pays, encore une fois, des insurgés auraient-ils ainsi traité des ennemis déclarés de leur cause ? Ignore-t-on que pendant des mois plusieurs centaines de familles anglaises se sont trouvées à la merci d’une population soulevée en grande partie et provoquée tous les jours par leur fanatisme et leur orgueil ?

N’est-il pas étonnant qu’il y ait eu aussi peu d’actes de violence ?

Nous les avons connus d’ailleurs ces hommes dangereux, il en vit encore plusieurs. Existe-t-il de meilleurs citoyens, des chrétiens plus sincères, des amis plus fidèles de leur religion et de leur patrie ? Les Morin, les Girouard, les Lafontaine, les Cartier et les Fabre étaient-ils des hommes bien dangereux ?

Le clergé lui-même ne les a-t-il pas reconnus comme les chefs du peuple pendant quarante ans ?

Ceux qui moins heureux ont péri dans la tourmente et ont poussé le sacrifice jusqu’à la mort, sont-ils moins dignes de notre estime ?

On pousse la malice jusqu’à faire un crime à de Lorimier et à quelques autres patriotes d’avoir essayé d’échapper aux fureurs de la cour martiale en niant la vérité des accusations portées contre eux. Est-ce raisonnable, et cette accusation mérite-t-elle d’être relevée ? Depuis quand, sous la loi anglaise, fait-on un crime à l’accusé de plaider « non coupable ? » Du reste, en supposant même que pour sauver leur vie, ils auraient eu un moment de faiblesse, ils ne seraient pas les premiers qui avant d’être tout à fait résignés à mourir auraient dit : « Éloignez de moi ce calice. »

On prétend aussi que plusieurs ont reconnu leur erreur et demandé pardon de s’être révoltés. On devrait avoir honte de faire un usage aussi scandaleux des déclarations faites, à la veille de mourir, par de pauvres gens qui abandonnés des hommes, ont dit tout ce qu’ils ont cru nécessaire pour mourir en paix avec Dieu.

Mais pourquoi les défendre davantage ? Il y a déjà longtemps que l’opinion publique et le sentiment national ont rendu jugement en leur faveur.

De Lorimier, Cardinal et Duquet ! vous avez offert à Dieu vos souffrances et votre martyre pour le bonheur et la liberté de votre patrie. Vous saviez que Dieu regarde avec complaisance les pays où le sang a coulé pour les causes saintes et nationales, et qu’il pardonne beaucoup aux nations qui ont beaucoup souffert.

Le sang que vous avez versé pour la liberté mérite d’être mêlé à celui que nos ancêtres ont répandu pour la foi et la civilisation. Vos sacrifices font partie de notre héritage national.

Acceptez l’offrande de ce livre.

Puissent les larmes que le récit de vos souffrances, fera couler et les sentiments généreux qu’il inspirera vous prouver que le patriotisme n’est pas éteint dans le cœur de vos compatriotes, et que votre souvenir vivra aussi longtemps que la nationalité canadienne-française sur les rives du Saint-Laurent. Pardonnez à ceux qui vous insultent, car ils ne savent ce qu’ils font.