Les Pensées d’une reine/L’Esprit

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Calmann Lévy (p. 113-121).

X

L’ESPRIT


I

Les grands penseurs et les hautes montagnes vous élèvent à vos propres yeux.


II

Quand deux femmes intelligentes ne parviennent pas à tirer quelque chose d’un homme, soyez sûr qu’il n’y a rien.


III

Un être borné ne dit jamais : « Je suis une bête ! » Sa timidité naturelle lui fait craindre d’avoir raison.


IV

Lorsque, dans une conversation, vous apercevez l’arrière-pensée de l’autre, il vous semble que vous cherchez ses mains à travers un mur.


V

Les conversations deviennent pénibles lorsqu’on répond, non plus aux paroles dites, mais aux paroles pensées.


VI

L’imagination est une gaie compagne qui gambade le long de la route en nous racontant des histoires. La réalité est une vieille femme qui ne parle que d’elle, et qui, toujours lasse, demande à être portée.


VII

Les comparaisons gâtent les impressions, comme les ressemblances gâtent les visages.


VIII

Vous ne pouvez être spirituel que lorsque ceux qui vous entourent le sont aussi. Le coq a beau chanter aux canards ; ils ne l’entendent pas.


IX

Nous craignons l’originalité comme un habit trop neuf, et nous faisons nos plus grands efforts pour être comme tout le monde.


X

À force d’écrire sur les écrits des autres, on finit par se croire plus d’esprit qu’eux ; et si l’on n’était pas convaincu que Jésus est Dieu, les prédicateurs ne lui trouveraient qu’un esprit médiocre.


XI

À force de parler, on change l’or de ses pensées en petite monnaie, jusqu’à ce qu’on semble pauvre.


XII

Dans un moment tragique et dans une situation difficile, on dit des bêtises. — Le chien aboie quand il a peur.


XIII

Pour mesurer l’esprit, nous mesurons les crânes. C’est comme si l’on mangeait des peaux de raisin pour trouver le bouquet du vin.


XIV

Lorsqu’on se moque d’une personne que vous aimez, on fait de la gelée dans votre jardin.


XV

La plume console mieux que la religion et torture mieux que l’Inquisition.


XVI

Les penseurs gouvernent le monde, sans s’en douter, et les puissants sont gouvernés par le monde, sans s’en douter davantage.


XVII

Il faut autant de réflexions pour produire une pensée qu’il faut de générations pour produire un penseur.