Les Pensées d’une reine/La Politique

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Calmann Lévy (p. 141-148).

XIV

LA POLITIQUE


I

Nous nous hâtons d’implanter dans un nouveau pays la civilisation des anciens. C’est comme si l’on remplaçait les dents de lait par le râtelier d’une vieille personne.


II

Dans certaines conditions, on est si souvent obligé d’avaler sa langue, qu’elle en devient paralysée et ne peut plus bredouiller que les vieilles phrases convenues.


III

À tous les mortels on accorde une langue, et même une plume pour se défendre. Des souverains seuls on exige qu’ils soient comme Dieu, qui se laisse injurier sans mot dire.


IV

La contradiction anime la conversation ; voilà pourquoi les cours sont si ennuyeuses.


V

Les princes sont élevés à vivre avec tout le monde : on devrait élever tout le monde comme les princes.


VI

Pour être l’ami d’un souverain, il faut être sans passion, sans ambition, sans égoïsme, clairvoyant et prévoyant, enfin pas un homme.


VII

On cite souvent les paroles de la Bible : Ne vous fiez pas aux princes ! et l’on oublie la fin de la phrase : parce que ce sont des hommes !


VIII

Les femmes qui se mêlent de politique sont des poules qui se font vautours.


IX

La haute politique se compose de petitesses, formant des échelons pour monter.


X

La politique ressemble au désert : un coup de vent forme une montagne énorme, et les mirages y sont fréquents et dangereux.


XI

Un prince n’a besoin, à la rigueur, que des yeux et des oreilles ; la bouche ne lui sert que pour sourire.


XII

Le métier de souveraine n’exige que trois qualités : la beauté, la bonté, la fécondité.


XIII

La foule est comme la mer : elle vous porte et elle vous engloutit, selon le vent.