Les Petites Filles modèles/17

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Hachette (p. 163-168).



XVII

LE LENDEMAIN


La journée du lendemain se passa assez tristement. Marguerite, honteuse encore de sa colère de la veille, se reprochait d’avoir causé la punition de Sophie ; Camille et Madeleine souffraient de la tristesse de Marguerite et de l’absence de leur amie.

Sophie passa la journée dans le cabinet de pénitence ; personne ne vint la voir qu’Élisa, qui lui apporta son déjeuner.

Sophie.

Comment vont mes amies, Élisa ?

Élisa.

Elles vont bien ; seulement elles ne sont pas gaies.

Sophie.

Ont-elles parlé de moi ? Me trouvent-elles bien méchante ? M’aiment-elles encore ?

Élisa.

Je crois bien, qu’elles parlent de vous ! Elles ne font pas autre chose : « Pauvre Sophie ! » disent-elles ; comme elle doit être malheureuse ! Pauvre Sophie ! comme elle doit s’ennuyer ! Comme la journée lui paraîtra longue !

Sophie, attendrie.

Elles sont bien bonnes ! Et Marguerite, est-elle en colère contre moi ?

Élisa.

En colère ! Ah bien oui ! Elle se désole d’avoir été méchante ; elle dit que c’est sa faute si vous vous êtes emportée ; que c’est elle qui devrait être punie à votre place, et que, lorsque vous sortirez de prison, c’est elle qui vous demandera bien pardon et qui vous priera d’oublier sa méchanceté.

Sophie.

Pauvre petite Marguerite ! c’est moi qui ai eu tous les torts. Mais, Élisa, savent-elles combien j’ai été méchante ici, dans le cabinet ; que j’ai tout déchiré, que j’ai refusé d’obéir à Mme de Fleurville ?

Élisa.

Oui, elles le savent, je le leur ai raconté ; mais elles savent aussi combien vous vous êtes repentie et tout ce que vous avez fait pour témoigner vos regrets, pour expier votre faute ; elles ne vous en veulent pas : elles vous aiment tout comme auparavant.

Sophie remercia Élisa et se mit à l’ouvrage.

Mme de Fleurville vint lui apporter des devoirs à faire, elle les lui expliqua ; elle lui apporta aussi des livres amusants, son ouvrage de tapisserie, et, la voyant si sage, si docile et si repentante, elle lui dit qu’avant de se coucher elle pourrait venir embrasser ses amies au salon et faire la prière en commun. Sophie lui promit de mériter cette récompense par sa bonne conduite, et la remercia vivement de sa bonté. Mme de Fleurville l’embrassa encore et lui dit en la quittant qu’avant la promenade elle viendrait examiner ses devoirs et lui en donner d’autres pour l’après-midi.

Sophie travailla tant et si bien qu’elle ne s’ennuya pas ; elle fut étonnée quand Élisa vint lui apporter son second déjeuner.

« Déjà, dit-elle ; est-ce qu’il est l’heure de déjeuner ? »

Élisa.

Certainement, et l’heure est même passée ; vous n’avez donc pas faim ?

Sophie.

Si fait, j’ai faim, et je m’en étonnais, je ne croyais pas qu’il fût si tard. Qu’est-ce que j’ai pour mon déjeuner ?

Élisa.

Un œuf frais, que voici, avec une tartine de beurre, une côtelette, une cuisse de poulet, des pommes de terre sautées, mais pas de dessert par exemple ; Mme de Fleurville m’a dit que les prisonnières n’en mangeaient pas, et que vous étiez si raisonnable que vous ne vous en étonneriez pas.

Sophie rougit de plaisir à ce petit éloge, qu’elle n’espérait pas avoir mérité.

« Merci, ma chère Élisa, dit-elle, et remerciez Mme de Fleurville de vouloir bien penser si favorablement de moi ; elle est si bonne, qu’on ne peut s’empêcher de devenir bon près d’elle. J’espère que dans peu de temps je deviendrai aussi sage, aussi aimable que mes amies. »

Élisa, touchée de cette humilité, embrassa Sophie et lui dit : « Soyez tranquille, mademoiselle, vous commencez déjà à être bonne ; vous allez voir ce que vous serez ; quand votre belle-mère reviendra, elle ne vous reconnaîtra pas. »

Cette idée du retour de sa belle-mère fit peu de plaisir à Sophie ; elle tâcha de n’y pas songer, et elle acheva son déjeuner. Élisa lui dit qu’elle allait remporter le plateau et qu’elle reviendrait ensuite la chercher pour la promener.

« Je vais vous faire marcher pendant une heure, mademoiselle, puis vous reviendrez travailler ; après votre dîner je vous promènerai encore pendant une bonne heure. »

La journée se passa ainsi sans trop d’ennui pour Sophie. Camille, Madeleine et Marguerite attendaient chaque fois Élisa à sa sortie de la chambre de pénitence pour la questionner sur ce que faisait Sophie, sur ce que disait Sophie.

Camille.

Est-elle bien triste ?

Madeleine.

S’ennuie-t-elle beaucoup ?

Marguerite.

Est-elle fâchée contre moi ? Cause-t-elle un peu ? »

Élisa les rassurait et leur disait que Sophie prenait sa punition avec une telle douceur et une telle résignation, qu’en sortant de là elle serait certainement tout à fait corrigée et ne se ferait plus jamais punir.

Le soir, Mme de Fleurville vint elle-même chercher Sophie pour la mener au salon, où l’attendaient avec anxiété Camille, Madeleine et Marguerite.

« Voilà Sophie que je vous ramène, mes chères enfants, non pas la Sophie d’avant-hier, colère, menteuse, gourmande et méchante ; mais une Sophie douce, sage, raisonnable ; nous la plaignions jadis, aimons-la bien maintenant : elle le mérite. »

Sophie se jeta dans les bras de ses amies ; elle pleurait de joie en les embrassant. Elle et Marguerite se demandèrent réciproquement pardon ; elles s’étaient déjà pardonné de bon cœur. Quand arriva l’heure de la prière, Mme de Fleurville ajouta à celle qu’elles avaient l’habitude de faire une action de grâces pour remercier Dieu d’avoir ouvert au repentir le cœur des coupables, et pour avoir ainsi tiré un grand bien d’un grand mal.

Après cette prière, qui fut faite du fond du cœur, les enfants s’embrassèrent tendrement et allèrent se coucher.