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Les Petits poèmes grecs/Pindare/Néméennes/I

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I.

A CHROMIUS, ETNÉEN,

Vainqueur à la course des chars.

Séjour sacré où l’Alphée respire enfin après sa course, Ortygie, noble rejeton de Syracuse, berceau de Diane et sœur de Délos, c’est par toi que je dois préluder à cet hymne harmonieux, qu’en l’honneur de Chromius je consacre à Jupiter Etnéen.

Aussi rapides que la tempête, les coursiers de Chromius ont franchi la carrière de Némée et attendent maintenant le tribut de louanges que j’ai promis à leur victoire. Brillant début, fondement de la félicité et de la gloire qu’avec l’aide des dieux obtient un héros orné déjà de toutes les vertus ! Les filles de Mémoire aiment à perpétuer dans leurs chants le souvenir des plus illustres combats. Célèbre donc, ô ma Muse ! célèbre au nom de Chromius cette île que le puissant maître de l’Olympe donna jadis à Proserpine lorsque, par un signe de sa tête immortelle, il lui en assura l’empire et lui promit que d’opulentes cités s’élèveraient dans ses campagnes fécondes. Fidèle à son serment, le fils de Saturne a peuplé la Sicile de citoyens amis de Bellone aux armes d’airain, non moins habiles à manier la lance qu’à former de légers coursiers, et souvent couronnés du feuillage d’or de l’olivier d’Olympie. Combien d’entre eux n’ai-je pas déjà célébrés par des chants que n’embellissent jamais d’ingénieux mensonges !

Aujourd’hui je m’arrête dans le palais d’un vainqueur généreux ; j’y viens célébrer son triomphe au milieu de la joie des festins et assis à la table où son hospitalité se plaît à recevoir une foule d’étrangers. En vain la calomnie voudrait-elle abreuver ses vertus ; les gens de bien la réduisent au silence : ainsi la fumée disparaît sous une ondée bienfaisante.

Tous les mortels n’ont point eu les mêmes dons en partage, mais tous doivent prendre la nature pour guide et marcher d’un pas assuré dans les sentiers de la droiture. Ici la force décide du succès ; ailleurs c’est le conseil de la sagesse, cet instinct de l’âme qui, dans les événemens du passé nous découvre l’avenir. Fils d’Agésidame, la nature t’a départi l’un et l’autre, et tu sais en faire un noble usage. Insensé ! que me servirait d’être comblé des dons de l’opulence pour les enfouir dans ma maison ? Non, le sage à qui la Fortune accorde ses faveurs doit en jouir honorablement, et pour acquérir une bonne renommée et pour les partager avec ses amis ; car telle est notre commune destinée, de pouvoir tous être en butte au souffle du malheur.

Ainsi le vaillant Hercule s’est élevé au-dessus de tout ce que l’antiquité nous offre de plus éclatantes vertus. A peine, sorti avec son frère du sein maternel, voyait-il la lumière du jour que l’œil de Junon, au trône d’or, découvrit sa naissance. Transportée d’une jalouse fureur, la reine des dieux envoie deux serpens qui pénètrent par la porte entr’ouverte dans l’intérieur du palais et se glissent dans le berceau, avides de broyer dans leurs gueules béantes les membres délicats des deux jumeaux. A l’instant le fils de Jupiter, relevant sa tête, essaie pour la première fois le combat. De ses deux mains dont ils ne peuvent éviter l’étreinte, il saisit les reptiles à la gorge, les presse de toute sa force et de leurs flancs monstrueux fait exhaler la vie.

Un effroi mortel glaçait les femmes empressées autour d’Alcmène. Elle-même, s’élançant presque nue hors de sa couche, fuit pour échapper au venin des deux dragons. Aussitôt à ses cris accourent, revêtus de leurs armes d’airain, les chefs intrépides des enfans de Cadmus ; avant eux arrive Amphitryon ; le glaive brille en ses mains et son cœur est en proie aux plus vives angoisses. Car tel est l’homme : accablé de ses propres malheurs, il a dans un instant oublié les maux de ses semblables. Immobile d’étonnement et de joie, Amphitryon s’arrête à la vue des serpens étouffés. Il admire le courage et la force prodigieuse de son fils, et reconnaît l’équivoque des oracles que jadis les dieux lui avaient prononcés.

A l’instant même il fait venir Tirésias, le sublime interprète des hauts desseins de Jupiter. Alors le devin annonce au roi de Thèbes et à la foule qui l’entoure les destinées de l’enfant héros qui vient de naître : « Ils tomberont sous ses coups, s’écria-t-il, les monstres qui ravagent la terre et les mers. Les ennemis du genre humain, les tyrans orgueilleux et perfides recevront aussi la mort de sa puissante main ; et, dans cette lutte terrible, où, sous les murs de Phlégra, les dieux combattront contre les Géans révoltés, le héros percera de ses traits redoutables ces fiers enfans de la Terre et souillera leurs cheveux dans la poussière. »

Puis le devin ajouta : « Arrivé enfin au terme de ses travaux, le fils d’Alcmène jouira d’une paix délicieuse dans les célestes demeures. Il s’unira à la jeune Hébé ; son hymen sera célébré dans le palais du fils de Saturne, et l’Olympe retentira éternellement des louanges d’Hercule. »