Les Petits poèmes grecs/Pindare/Pythiques/X

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X.

À HIPPOCLÈS, THESSALIEN,

Vainqueur à la course diaulique.

Ô fortunée Lacédémone, et vous heureuses campagnes de la Thessalie où règnent, sortis d’une même tige, les descendans d’Hercule, le plus vaillant des guerriers, serait-ce à contretemps que je vous célébrerais aujourd’hui dans mes chants ? Non… mais Pytho, Pélinnée et les enfans d’Aleüas m’appellent ; ils veulent que mes plus nobles accens consacrés, à la gloire des héros, chantent la victoire d’Hippoclès.

À peine ce jeune athlète eut-il pris part à nos jeux solennels que l’auguste assemblée des Amphictyons réunis dans les vallées du Parnasse le proclama vainqueur de ses rivaux, pour avoir deux fois parcouru la vaste étendue de la carrière. « Le mortel qu’un dieu daigne conduire voit toujours un commencement prospère couronné d’une fin glorieuse. » C’est ainsi, ô Apollon ! qu’Hippoclès a vaincu sous tes auspices.

Cependant il doit encore à sa valeur naturelle l’honneur de marcher sur les traces de Phricias, son père. Deux fois vainqueur à Olympie, sous l’armure pesante de Mars, cet heureux père fut encore couronné à la course légère, dans les prairies qu’ombrage le rocher de Cirrha. Puisse le Destin favorable répandre sur le père et le fils la gloire et le bonheur ! Puissent aussi leurs richesses croître comme des fleurs brillantes !

Le sort, pour eux ne fut jamais avare de ses dons ; il leur a prodigué ces triomphes qui font l’orgueil des enfans de la Grèce. Ah ! plaise aux immortels de leur être toujours propices, et d’éloigner d’eux les coups funestes de l’Envie ! Celui que les sages aiment à célébrer comme le plus fortuné des mortels, est l’athlète qui, par la vigueur de son bras, la légèreté de ses pieds et sa noble audace a conquis la palme de la victoire ; surtout, s’il peut voir au déclin de ses jours un jeune fils ceindre son front des couronnes pythiques. Cependant jamais ce ciel d’airain ne sera accessible aux mortels. Ballottée sur l’océan de la vie, notre frêle nacelle arrive au terme de la navigation alors seulement que le bonheur nous luit. Eh ! quel homme a pu jusqu’à ce jour se frayer par mer ou par terre la route merveilleuse qui conduit aux régions hyperborées. Le seul Persée y pénétra : admis dans les demeures de leurs habitans, il s’assit à leurs festins et prit part à ces magnifiques hécatombes d’onagres qu’ils immolent à Apollon. Ce dieu prend plaisir à leurs fêtes, à leurs acclamations de joie, et sourit en voyant ces animaux d’une taille prodigieuse bondir et se débattre sous le couteau sacré.

Ces peuples ne sont point étrangers aux Muses. Partout chez eux les jeunes vierges se réunissent en chœurs, partout retentissent les accens de la lyre mariés aux sons éclatans de la flûte. Couronnés de laurier, les habitans de ces climats heureux se livrent gaiement aux plaisirs de la table ; jamais la triste vieillesse, jamais les maladies ne les atteignirent ; ils ne connaissent ni les travaux pénibles, ni les fureurs de la guerre, ni les vengeances de Némésis.

C’est parmi ces sages qu’arriva jadis, conduit par Minerve, l’intrépide fils de Danaé ; il tua la Gorgone, et s’étant saisi de sa tête hérissée de serpens il la porta aux habitans de Sériphe, qui, à sa vue, ô prodige étonnant ! furent changés en pierres. Qu’y a-t-il d’incroyable pour moi, quand la toute-puissance des dieux commande et exécute !

Mais, ô ma Muse, arrête ici les rames ; hâte-toi de jeter l’ancre et de l’enfoncer dans la terre pour mettre ta nef à l’abri des écueils que recèle l’onde amère ; car, telle que l’abeille qui voltige de fleur en fleur, tu distribues les louanges de tes hymnes tantôt aux uns tantôt aux autres, errant avec rapidité sur différens sujets.

J’ai néanmoins la douce espérance que mes chants harmonieux répétés par des Éphyriens sur les bords du Penée prêteront un éclat durable aux couronnes d’Hippoclès, et que les vieillards, les hommes de son âge et les jeunes filles, quoique dominés par des attraits divers, le chériront et rendront hommage à sa victoire.

Celui qui, emporté par ses désirs, possède enfin le bonheur après lequel il a tant soupiré doit se hâter d’en jouir, car il n’est point de signes auxquels l’homme puisse prévoir même les événemens d’une seule année.

Pour moi, guidé par les nobles élans de mon cœur, j’ai répondu par cet hymne à l’amitié de Thorax. Il me l’a demandé : pouvais-je moins faire pour un hôte si cher dont les mains ont attelé pour moi le char éclatant des Muses ! Comme l’or brille sur la pierre qui l’éprouve, ainsi le bon esprit d’un ami se montre par l’expérience. Puis-je donc refuser le tribut de mes chants aux généreux frères de Thorax ? La sagesse de leurs lois fait resplendir au loin la gloire de la Thessalie, et la justice de leur gouvernement assure à jamais la prospérité de cet empire.