Les Pionniers/Chapitre 25

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Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 6p. 247-255).

CHAPITRE XXV.


Cesse tous ces discours sur les montagnes et les vallées, vieux fou, personne n’écoute ces scènes de tes jeux d’enfant avec la même complaisance qui chatouille tes propres oreilles : Allons, à ton histoire !
Duo.



M. Jones se leva le lendemain matin avec le soleil, et ayant donné l’ordre de seller son cheval et celui de Marmaduke, il se rendit à l’appartement du juge avec l’air de quelqu’un qui a dans la tête une affaire importante. La porte du juge n’était pas fermée ; Richard entra avec cette liberté qui caractérisait la liaison amicale des deux cousins, et les manières habituelles du shérif.

— Allons, cousin ’Duke, s’écria-t-il en le trouvant levé et habillé, à cheval, et partons. Je vous expliquerai en détail, chemin faisant, ce dont je n’ai fait que vous dire un mot hier. David dit… non c’est Salomon, mais n’importe, cela ne sort pas de la famille[1]. Salomon dit qu’il y a un temps pour toutes choses. Or, dans mon humble opinion, une partie de pêche n’est pas le temps convenable pour traiter des affaires importantes. — Et qu’avez-vous donc, cousin ’Duke ? Êtes-vous indisposé ? Que je vous tâte le pouls : vous savez que mon grand-père était…

— Je me porte très-bien de corps, Richard, dit Marmaduke en repoussant le shérif, qui s’apprêtait à aller sur les brisées du docteur Todd ; mais j’ai l’esprit malade. Hier, en revenant de la pêche, j’ai trouvé des lettres qui étaient arrivées pendant mon absence, celle-ci entre autres. — Lisez.

Richard prit la lettre, mais sans l’ouvrir, sans même y jeter les yeux, tant il était occupé à regarder son cousin. Il jeta ensuite un regard sur la table, sur laquelle on voyait quelques lettres et différents papiers. Il examina aussi l’appartement. L’état du lit annonçait qu’on s’était jeté dessus pour se reposer, mais qu’on n’y avait pas couché. Les chandelles avaient brûlé jusqu’au dernier bout, et paraissaient s’être éteintes d’elles-mêmes. Marmaduke avait les mêmes habits que la veille au soir, il avait tiré les rideaux des croisées, ouvert les volets et les fenêtres pour respirer l’air frais du matin ; mais ses joues étaient pâles, ses lèvres tremblantes, ses yeux battus, et l’on ne trouvait plus en lui cet air calme, noble et enjoué qui lui était ordinaire.

L’étonnement du shérif croissait à chaque instant. Enfin il jeta les yeux sur l’adresse de lettre qu’il tenait en main, et en voyant le timbre qu’elle portait, il s’écria : — Une lettre d’Angleterre ! Ah ! oui, sans doute, elle doit contenir des nouvelles importantes.

— Lisez-la, dit Marmaduke en se promenant d’un air agité.

Richard, qui pensait tout haut, n’était pas en état de lire une lettre à voix basse sans laisser échapper de temps en temps quelques mots de ce qu’elle contenait, et nous allons rendre un compte exact de la manière dont il fit la lecture de celle-ci, et des remarques dont il l’accompagna.


Londres, 12 février 1795.


— Diable ! il faut que ce bâtiment ait eu une mauvaise traversée ! Il est vrai que depuis deux mois, à l’exception de la dernière quinzaine, le vent a toujours été au nord-ouest.


« J’ai reçu vos lettres des 18 août, 23 septembre et 1er décembre, et j’ai répondu à la première par le même bâtiment… Hum…, hum… Ici la voix du shérif devint tout à fait indistincte, mais elle articula un moment après : Je suis fâché d’avoir à vous dire que… Hum…, hum… Oui, cela est assez fâcheux. Mais j’espère que la bonté de la Providence aura daigné… Hum…, hum… Cela est possible. C’est un homme religieux qui vous écrit ainsi, cousin ’Duke, et je réponds qu’il est attaché à l’église épiscopale d’Angleterre.

« Parti sur un bâtiment qui a mis à la voile dans les premiers jours de septembre dernier… Hum…, hum… Si j’apprends quelque chose sur ce sujet affligeant, je ne manquerai pas… C’est vraiment un brave homme, pour un procureur. Mais je ne puis vous rien dire de plus quant à présent… Hum…, hum… La convention nationale vient de… Hum…, hum… Notre excellent roi… Oui, oui, il n’y a rien à dire contre le roi George, si ce n’est qu’il a de mauvais conseillers. Hum…, hum… Je vous assure de mon respect.

André Holt. »


— C’est un homme de bon sens que cet André Holt, mais c’est un porteur de mauvaises nouvelles. Et qu’allez-vous faire à présent, cousin ’Duke ?

— Que voulez-vous que je fasse, Richard ? Attendre tout du temps et de la volonté du ciel. Voici une autre lettre du Connecticut, mais elle ne fait que répéter ce que m’apprend celle que vous venez de lire. Ma seule consolation est de penser qu’il est possible qu’il ait reçu ma dernière lettre avant que le bâtiment parti en septembre ait mis à la voile.

— Tout cela est fâcheux, cousin ’Duke, très-fâcheux. Au diable mes plans d’ajouter deux ailes à la maison à présent. Je m’étais arrangé pour faire une course avec vous aujourd’hui, pour vous montrer quelque chose de fort important. Vous savez que vous avez parlé de mines de charbon…

— Ne me parlez pas de mines, Richard ; j’ai un devoir sacré à remplir, et je veux m’en acquitter sans délai. Il faut que je consacre cette journée à écrire, et que vous me serviez de secrétaire. Je ne me soucie pas de mettre Edwards dans la confidence d’une affaire si importante et qui exige le secret.

— Non, non, cousin ’Duke, je suis votre homme pour cela. Il n’y a que moi qui puisse vous servir en cette occasion. Nous sommes les enfants de deux sœurs, et le sang, après tout, est le meilleur ciment de l’amitié. Quant à la mine d’argent, il n’y a rien qui nous presse ; nous la verrons une autre fois aussi bien qu’aujourd’hui. Nous aurons sans doute besoin de Dirky Van.

Marmaduke ayant répondu affirmativement à cette question, Richard le quitta, et ayant cherché Aggy, il le chargea d’aller dire à M. Dirk Van der School que M. Temple avait besoin de lui parler sur-le-champ.

Deux procureurs étaient déjà établis à cette époque dans le village de Templeton, regardé comme le chef-lieu des nouveaux établissements de ce comté. Nos lecteurs ont déjà fait connaissance avec l’un d’eux, M. Lippet, lors de la réunion de la veillée de Noël dans l’auberge du Hardi Dragon ; l’autre était M. Dirk Van der School ; que Richard appelait familièrement Dirky Van. Beaucoup de bonté d’âme, assez de connaissances en jurisprudence, et une honnêteté remarquable, eu égard à sa profession, étaient les qualités distinctives de cet homme de loi, qu’on appelait aussi tantôt le Hollandais, tantôt l’honnête procureur. Nous devons pourtant prévenir ceux de nos lecteurs qui seraient tentés d’appliquer aux mots leur signification la plus étendue, que comme on ne peut juger des choses en ce monde que par comparaison, et vu les circonstances, M. Dirk Van der School devait peut-être au voisinage de M. Lippet l’épithète honorable qui servait à le distinguer.

Pendant tout le reste de la journée Marmaduke resta enfermé avec Richard et son procureur, et personne, excepté sa fille, ne fut admis dans son appartement. Le chagrin qui s’était emparé de M. Temple se communiqua même en partie à Élisabeth, car elle avait aussi un air de mélancolie qui contrastait avec sa gaieté et sa vivacité ordinaires. Edwards remarqua même une larme qui, s’échappant de dessous la paupière de la fille du juge, glissait silencieusement sur sa joue, et donnait à ses yeux une expression de douceur toute différente de leur enjouement habituel.

Surpris du changement évident qui s’était opéré si subitement dans les principaux membres de la famille dans laquelle il vivait, Edwards ne put s’empêcher d’en demander la cause à miss Temple, et ce fut avec un ton d’intérêt qui fit que Louise Grant oubliant son ouvrage, laissa tomber son aiguille pour lever les yeux sur lui avec un empressement dont elle rougit dès qu’elle s’en aperçut.

— Aurait-on reçu quelques mauvaises nouvelles, miss Temple ? J’offrirais mes services à votre père, si, comme je le soupçonne, il a besoin d’envoyer un agent dans quelque canton éloigné, et que je crusse que cela pût vous être agréable :

— Il est très-vrai que nous avons reçu de fâcheuses nouvelles, monsieur Edwards ; et mon père peut se trouver obligé de faire un voyage, à moins que je ne réussisse à le décider à se faire remplacer par mon cousin Richard, dont l’absence en ce moment ne serait pas sans inconvénient, vu les fonctions qu’il a à remplir !

— Si cette affaire est de nature à ce que je puisse m’en charger…

— Elle est de nature à ne pouvoir être confiée qu’à quelqu’un que nous connaissions bien.

— Ne me connaissez-vous donc pas, miss Temple ? Ai-je vécu cinq mois dans votre maison sans être connu de vous ?

Élisabeth travaillait aussi à l’aiguille. Elle baissa la tête de côté comme pour arranger la mousseline qu’elle brodait ; mais sa main tremblait : ses joues prenaient une couleur plus vive, et ses yeux perdaient l’expression de la mélancolie pour prendre celle d’un intérêt plus puissant que la curiosité.

— Et comment vous connaîtrions-nous, monsieur Edwards ? lui demanda-t-elle.

— Comment ! s’écria-t-il en regardant tour à tour Élisabeth et Louise, dont les traits pleins de douceur étaient aussi animés que ceux de sa compagne ; vous m’avez vu tous les jours depuis si longtemps et vous ne me connaissez pas !

— Oh ! pardonnez-moi, dit Élisabeth avec un sourire malin ; nous savons que vous vous nommez Olivier Edwards ; et même que vous avez donné à entendre à mon amie, à miss Grant, que vous êtes naturel de ce pays.

— Ma chère Élisabeth, s’écria Louise, agitée comme une feuille de tremble et rougissant jusqu’au blanc des yeux, vous m’avez mal comprise. Je ne vous ai parlé que par conjecture. D’ailleurs, quand même M. Edwards aurait quelque parent parmi les naturels du pays, en quoi valons-nous mieux que lui, moi, du moins, qui ne suis que la fille d’un pauvre ministre ?

— Votre humilité va trop loin, Louise, dit Élisabeth ; la fille d’un ministre de l’Église ne reconnaît pas de supérieurs ! M. Edwards ni moi, nous ne sommes vos égaux ; à moins, ajouta-t-elle en souriant, qu’il ne soit un prince déguisé.

— Vous avez raison, miss Temple, répondit Louise ; un fidèle serviteur du roi des rois n’est inférieur à personne sur la terre. Mais cette distinction lui est personnelle. Elle ne se transmet pas avec le sang ; et je ne suis que la fille d’un homme pauvre et sans amis. Pourquoi donc me regarderais-je comme au-dessus de M. Edwards, parce qu’il est peut-être parent… fort éloigné de John Mohican ?

— En y réfléchissant, dit Edwards, je dois convenir que ma situation ici est un peu équivoque, quoique je puisse dire que je l’ai achetée de mon sang.

— Et du sang d’un des maîtres naturels du pays, ajouta Élisabeth avec un sourire malin.

— Porté-je donc des marques évidentes de cette parenté ? demanda Edwards d’un ton un peu piqué. J’ai la peau brune et hâlée, mais il me semble qu’elle n’est pas rouge.

— Pardonnez-moi, répondit Élisabeth en souriant encore ; elle l’est un peu… en ce moment.

— Je suis sûre, miss Temple, que vous n’avez pas bien regardé M. Edwards, s’écria Louise. Il n’a pas les yeux aussi noirs que Mohican, ni même que les vôtres ; il a les cheveux de la même couleur que vous.

— Eh bien ! que sait-on ? dit Élisabeth avec gaieté ; j’ai peut-être des droits à une même origine. Ce serait un soulagement pour moi que de le penser ; car je ne puis jamais voir sans un secret chagrin le vieux Mohican promener dans ce pays l’ombre en quelque sorte de ceux qui en étaient autrefois les maîtres, et sa vue semble me dire combien sont faibles les droits de mon père sur la propriété de ce district.

— Pensez-vous véritablement ainsi ? s’écria Edwards avec une vivacité qui fit tressaillir les deux amies.

— Sans doute, répondit Élisabeth après un moment de silence occasionné par la surprise. Mais que puis-je faire ? que peut faire mon père ? Quand nous offririons à ce vieillard un asile et des secours, ses habitudes feraient qu’il nous refuserait. Et quand nous pourrions, comme Bas-de-Cuir le désirerait, charger de nouvelles forêts ces terres que nous avons fertilisées, nous ne serions pas assez insensés pour le faire.

— Vous dites la vérité, miss Temple, reprit Edwards, que pouvez-vous faire ? Mais il est une chose que vous pouvez faire, et que je suis sûr que vous ferez quand vous serez la maîtresse de ces belles vallées, de ces magnifiques montagnes. Employez vos richesses à soulager les infortunés, faites du bien à vos semblables ; il est très-vrai que c’est tout ce que vous pouvez faire.

— Et ce sera faire beaucoup ! s’écria Louise en souriant ; mais à cette époque miss Temple aura sans doute un seigneur et maître de ses biens comme de sa personne.

— Je n’imiterai pas, dit Élisabeth, les jeunes filles qui disent qu’elles ne veulent pas se marier, et qui ne songent qu’à cela du matin au soir ; mais ici, je suis une religieuse qui n’a pas fait vœu de célibat. Où trouverai jamais un mari dans ces montagnes ?

— Il ne s’y trouve personne qui soit digne de vous, miss Temple, s’écria Edwards avec chaleur ; et je vous connais assez pour être certain que vous n’accorderez jamais votre main qu’à quelqu’un qui la méritera ; et que si le sort ne présente pas à vos yeux un pareil être, vous mourrez comme vous vivez maintenant, aimée, respectée et admirée par tous ceux qui vous connaissent.

Il crut sans doute avoir dit tout ce que la galanterie exigeait de lui ; car il se leva après avoir prononcé ces mots, prit son chapeau, et sortit de l’appartement. Louise pensa peut-être qu’il en avait dit plus qu’il n’était nécessaire, car elle poussa un soupir, mais si bas qu’à peine l’entendit-elle elle-même, et elle baissa les yeux sur son ouvrage. Il est possible, au contraire, que miss Temple pensât qu’il n’en avait pas dit assez ; car elle resta une minute les yeux fixés sur la porte par où il venait de sortir. Le long silence qui régna ensuite entre les deux amies prouva combien la présence d’un jeune homme de vingt-trois ans peut ajouter d’intérêt à la conversation de deux jeunes filles de dix-sept.

La première personne que rencontra Edwards en sortant de la maison avec une sorte de précipitation, fut le procureur hollandais, qui s’en éloignait à pas lents, ayant encore sur le nez une paire de lunettes à verres de couleur verte, et portant sous le bras une liasse de papiers attachés par un fil rouge.

M. Van der School était un homme bien élevé, mais d’une intelligence lente ; et ses confrères, dont l’esprit était plus vif et plus délié, en ayant quelquefois profité, comme il avait assez de jugement pour s’en apercevoir, il avait contracté l’habitude de n’agir et de ne parler qu’avec plus de lenteur et de circonspection. Toutes ses actions sentaient la méthode et la ponctualité ; et ses discours étaient tellement coupés de parenthèses, qu’ils formaient quelquefois des énigmes assez difficiles a deviner.

— Bonjour, monsieur Van der School, dit Edwards ; il paraît que vous n’avez pas manqué de besogne aujourd’hui ?

— Bonjour, monsieur Edwards (si tel est votre nom, car, comme vous êtes étranger, nous n’en avons d’autre preuve que votre déclaration). Oui, d’après les apparences (quoiqu’elles soient souvent trompeuses, ce que je n’ai pas besoin de faire remarquer à un homme doué de jugement comme vous l’êtes), je n’ai pas manqué de besogne aujourd’hui.

— Vous avez là des pièces dont quelques-unes ont sans doute besoin d’être copiées. Puis-je vous être en cela de quelque utilité ?

— Oui, J’ai là des pièces (et vous jugez bien que je ne les emporte pas sans raison) qui ont besoin d’être recopiées.

— Eh bien ! monsieur Van der School, je vais vous suivre chez vous, vous me remettrez celles que vous jugerez à propos, et, si l’affaire est pressante, j’y travaillerai, toute la nuit.

— Je serai toujours charmé de vous voir, monsieur Edwards, soit chez moi (et c’est la vérité, quoiqu’il soit certain que la politesse ne me permettrait pas de parler autrement, quand même je penserais, différemment), soit, partout ailleurs. Mais ces pièces sont confidentielles (ce n’est pas à vous que j’ai besoin d’expliquer, la valeur de ce terme), et de juge Temple m’a recommandé de ne les laisser voir à personne.

— En ce cas, Monsieur, ne pouvant vous être utile, je vous souhaite le bonjour ; mais je vous prie de dire au juge Temple, quand vous le reverrez, que, s’il a besoin de mes services, en quelque lieu que ce soit, il peut disposer de moi.

— Je ferai part, Monsieur (car pourquoi refuserais-je d’être votre agent en ce cas ?), de votre offre au juge Temple. Au plaisir de vous revoir, monsieur Edwards. Mais un instant (car la précipitation nuit toujours en affaires), dois-je faire cette proposition de votre part à titre, gratuit, ou (ce qui serait tout différent quoique très-licite) en y attachant une condition rémunératoire ?

— Tout comme il vous plaira, Monsieur. Sa famille semble dans le chagrin, et je voudrais contribuer à l’en tirer.

— C’est un sentiment louable, Monsieur (à mon avis du moins, et je ne crois pas qu’il puisse y en avoir deux à ce sujet) ; je ne manquerai pas d’en faire part au juge (je, pense bien qu’il en jugera comme, moi), et (Dieu aidant) je vous informerai de sa réponse (si j’en trouve l’occasion) très-incessamment.

Le procureur continua son chemin en serrant sous son bras gauche sa liasse de papiers sur laquelle il appuyait encore la main droite pour plus de sûreté.

Tous nos lecteurs doivent s’être aperçu que notre héros, n’importe pour quelle raison, avait conçu contre M. Temple des préjugés profondément enracinés. Mais, quelque autre cause agissant alors en sens contraire, il est certain, qu’il prenait en ce moment un vif intérêt aux inquiétudes dont il le voyait agité, et qu’il aurait donné tout au monde, pour contribuer les calmer.

Le juge ne rejoignit sa famille qu’à l’heure du souper. Son front était encore couvert d’un nuage de mélancolie ; il fut longtemps à se dissiper, et, ce ne fut qu’aux approches de l’été qu’il commença à reprendre sa sérénité ordinaire.

La chaleur des jours et les pluies douces et fréquentes qui tombaient pendant les nuits accélérèrent le développement rapide de tout ce qui tient au règne végétal, dont la froideur du printemps avait retardé la croissance. Les souches restées sur les champs défrichés disparurent sous les épis, qui promettaient une riche moisson, et les bois présentèrent toutes ces nuances de vert qu’on remarque dans les forêts de l’Amérique.

Tant que Marmaduke parut plongé dans l’abattement, M. Jones s’abstint très-prudemment de lui parler du sujet qu’il avait pourtant fortement à cœur et qui devenait même d’une très-haute importance, si l’on pouvait du moins le conclure de ses fréquentes conférences secrètes avec, l’homme que nous avions fait connaître au lecteur sous le titre de Irtham, dans le comptoir du Hardi Dragon.

Enfin, le shérif se hasarda à lui proposer de faire l’excursion dont il avait déjà été question, et, un soir des premiers jours de juillet, Marmaduke y ayant consenti, la partie fut fixée au lendemain.



  1. Les attaques du parti dévot contre sir Walter Scott, en Écosse et en Angleterre (1826), nous prouvent que ces plaisanteries peu graves sur l’histoire sacrée ne sont point particulières aux auteurs américains, et l’on aurait tort d’en conclure qu’il y a peu de religion dans un pays où il y a tant de religions. Les Américains comme les Anglais lisent la Bible plus souvent que nous, les comparaisons tirées de ce livre sont donc plus fréquentes parmi eux, et il existe entre les lecteurs et les personnages des deux Testaments une familiarité qui rend les plaisanteries plus excusables aux yeux de ceux qu’elles pourraient scandaliser.