Les Pittoresques (Eekhoud)/Raymonne/7

La bibliothèque libre.
Librairie des Bibliophiles ; Librairie Muquardt (p. 104-106).


VII

CONCLUSION DE L’IDYLLE

  
« Ô brises de juillet, foins coupés dans les plaines,
Acres senteurs des bois, enivrantes haleines,
Frissons mystérieux, feuilles qui palpitez,
Murmures étouffés comme un soupir de femme,
Je crois que cette nuit la nature se pâme
Dans un immense amour sous les cieux argentés.

« Je crois que cette nuit chacun vit, chacun aime.
Ô lune ! est-ce un baiser qui rougit ton front blême ?…
Regarde nous alors et veille sur nos pas !
Nous sommes deux amants, deux époux ! Si l’aurore
Fut charmante, la nuit est plus touchante encore…
Raymonne, ne crains pas de peser à mon bras.


« Venez, mes beaux enfants, nous a dit la nature.
Fuyez les murs croulants de votre manse obscure ;
Je vous offre mes bois, leurs parfums, leur fraîcheur.
Demandez aux oiseaux qui nichent dans la mousse
S’il est pour les amants une couche plus douce,
S’il est pour l’abandon un asile meilleur !

« Je suis dans ma saison de tendresses prodigues.
L’insecte avec les fleurs entretient mille intrigues ;
Le morose grillon chantonne plus joyeux.
J’écarte de l’azur et brouillards et nuées,
Je ne laisse monter que ces chaudes buées,
Si douces qu’on dirait des souffles d’amoureux.

— Sais-tu bien, mon ami, que cette nuit tu parles
Comme chante Idalleux, le beau ménestrel d’Arles.
Où découvres-tu donc ces propos séducteurs ?
— Raymonne, ce secret, quelle femme l’ignore ?
C’est sur la lèvre en feu de l’être qu’on adore
Que nous nous inspirons, amoureux et chanteurs ! »

Ainsi murmure Huguet, sa compagne l’écoute.
Ils font de grands détours en évitant la route,
Ils hantent les taillis et les buissons épais,

Effleurés en marchant par l’aile des phalènes,
Donnant par des baisers à leurs âmes trop pleines
Le seul soulagement qui ne lasse jamais.

Poète, arrête-toi, car un lecteur rigide
Refuse d’épier la course de sylphide
Que firent nos époux au fond des grands bois sourds.
Mais pourtant, n’en déplaise à son œil terne et louche,
Je lui dirai qu’ayant enfin choisi leur couche,
Longtemps ils ont bravé les pavots les plus lourds
Dont Morphée essaya pour chasser les amours ;
Et l’aube les trouva la bouche sur la bouche,
Endormis, il est vrai, mais s’embrassant toujours !

Séparateur