Les Plaines/Les Trains
Les Trains
Sur un chemin compact, de pierraille et de cendre,
À travers bois, taillis, fleuves, moissons et prés,
Sous les pâles matins ou les couchants pourprés,
Les trains quotidiens font le tour de la Flandre.
Ils vont, fumée au vent, sur leurs deux rails déserts,
Et chaque gare au loin leur semble être un refuge ;
Ils ont visité Lierre, Anvers, Termonde et Bruges,
Les fleurs de la Campine et les flots de la mer.
Jadis, on les voyait rouler presque avec crainte :
Les bœufs fuyaient là-bas ; les pigeons familiers
Désertaient les recoins de leurs blancs colombiers ;
La mort semblait peser où pesait leur empreinte.
Mais aujourd’hui leur va et vient, au long des champs,
Fait à peine trembler le seuil d’une demeure,
Et leur passage annonce aux travailleurs quelle heure
Le jour qui marche et fuit, jette au soir approchant.
Les rails d’acier luisant sont encadrés de haies ;
Les chiens et les troupeaux ne le redoutent plus ;
Et dans les fentes d’or des plus mornes talus
Se pavoisent des fleurs et se bombent des baies.
Marbres, grès et granits ; fontes, fers et charbons ;
Tous les trésors secrets que les terres lointaines
Cachent aux flancs obscurs des monts, sous les fontaines,
Apparaissent en Flandre, au dos des lourds wagons.
Et le probe soleil de la Lys familière
Regarde étrangement s’entasser, comme un dol,
Cette moisson mûrie aux entrailles d’un sol
Où jamais ses rayons n’ont glissé leur lumière.
Les gens la voient passer aux limites des bourgs,
Sans trop lever leurs yeux de la glèbe féconde ;
Mais quelques-uns, les plus jeunes, rêvent du monde
Où les rails infinis dessinent leurs contours.