Les Plaines/Liminaire

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Toute la Flandre
Deman (Les Plainesp. 5-6).


Liminaire


 
Avec son cœur qui demeure comme aux écoutes
Dans la plaine natale où son rêve se plait,
Le gars va, vient, s’arrête et fait claquer son fouet
Et puis repart, sait-il vers où, par la grand’route.

Autour de lui, là-bas, les grands carrés de blé
Étincellent, tranquillement, sous la lumière ;
De hauts thyrses de fleurs montent près des chaumières ;
Un chêne énorme et seul dont les rameaux ailés
Se soulèvent et s’abaissent sur les pâtures

 
Semble garder le trésor clair des orges mûres ;
Un ruisselet rapide et vif comme le vent
Remplit le franc midi d’un bruissement vivant ;
Des attelages d’or traversent la campagne
Avec de grands harnais de cuivre et de soleil
Et les foins étagés et les charrois vermeils
Passent à l’horizon ainsi que des montagnes.

Le gars pense à sa Flandre avec des pleurs aux yeux.
Le soir, il voit la ville illuminer les cieux.
Il sait qu’un autre esprit que le rêve des pères
S’implantera un jour aux clos héréditaires
Et que les bras sont lourds quand est vieux le cerveau.
Il songe il ne sait pas à quels espoirs nouveaux.
Il doute, il croit, il est ardent et il est triste ;
Il sent que dans son âme une âme lui résiste ;
Soudain son corps s’affale aux pentes d’un fossé,
Le sang lui bat et les tempes et les narines.
Alors, mettant à nu sa farouche poitrine
Et l’appuyant sur le sol dur et crevassé,
Longuement, sourdement, dans ce coin solitaire,
Les poings serrés, il sanglote contre la terre.

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