Les Pleurs/La Mémoire

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Les PleursMadame Goullet, libraire (p. 225-230).

LA MÉMOIRE.

Hélas ! qu’est-ce que l’amour, si ce n’est une douleur ?
— BYRON. —

XLI.

Tais-toi, ma sœur ! le passé brûle.
Son nom, c’est lui ; ne le dis plus :
Se reprendre à des biens perdus,
C’est marcher au flot qui recule.
Empreint d’une ardente douceur,
À peine effleure-t-il ma bouche,

Comme une flamme qui me touche,
Ce nom brûle… Tais-toi, ma sœur.

Femme, tu vois un cœur de femme
Au fond de nos yeux consternés,
Lorsqu’à s’éteindre condamnés,
Trop de fièvre en usa la flamme.
Au mal qui fait long-temps souffrir,
Crois-moi, l’homme est plus inflexible ;
Il nous défend d’être sensible ;
Il ne défend pas d’en mourir !

Ce qu’il sait de science amère
Pour mentir à son propre amour ;
Ce qu’il peut inventer un jour
Contre son idole éphémère ;
Ce que j’ai ressenti tout bas
De sa haine… ou de son délire,
Tout haut je ne veux pas le dire,
Pour que Dieu ne me venge pas !

Car j’ai là comme une prière
Qui pleure pour lui nuit et jour ;
C’est la charité dans l’amour,
Ou c’est sa parole première.

Qu’elle enfermait d’ame et de foi,
Sa voix jeune et si tôt parjure !
J’en parle à Dieu sans son injure,
Pour que Dieu l’aime autant que moi.

Je garde au cœur la fraîche empreinte
De ce qu’il fut dans sa candeur ;
Et, quand Dieu pèsera mon cœur,
Crois-tu qu’il en brise l’étreinte ?
Lui n’est plus lui, même à ses yeux ;
D’autres n’ont que son faux hommage :
Je le plains ; mais sa belle image,
Je ne la lui rendrai qu’aux cieux !