Les Pleurs/La dernière Fleur

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Les PleursMadame Goullet, libraire (p. 191-196).

LA
DERNIÈRE FLEUR.

La vie m’est devenue ennuyeuse ; je m’abandonnerai aux plaintes, et je m’entretiendrai dans l’amertume de mon cœur.

Daignez me considérer. Considérez-vous vous-mêmes, et voyez si je mens.

C’est pourquoi j’aime mieux expirer.
— JOB. —

XXXVII.

Que ton cœur prenne ma défense,
Passant de mon dernier séjour ;
Je mourus sans rendre une offense ;
Mon sort fut une longue enfance,
Et ma pensée un long amour !


Sur moi lentement éveillée,
Femme, je n’ai pas fui mon sort ;
Et sous mes larmes effeuillée,
Dans mes doux sentimens raillée,
Je pleurais, et j’aimais encor !

Auprès de cette cendre éteinte
Demeure un instant par pitié !
Sous l’urne tiède et sans empreinte,
Que je rêve un moment la plainte
De l’amour ou de l’amitié.

Car on dit que long-temps encore
L’ame retourne au monument,
Glissant du ciel à chaque aurore,
Pour épier ce qu’elle adore…
Et que parfois c’est vainement !

Si l’attente, effroi de ma vie,
Doit aussi tourmenter ma mort,
Si pas un cœur ne m’a suivie,
Parle-moi, toi ! je t’en supplie ;
Dis mon nom et pleure mon sort.


Bon passant ! si ta voix est tendre,
Jamais je n’oublîrai ta voix ;
Parle-moi ! guéris-moi d’attendre ;
Dis mon nom : je croirai l’entendre
Comme on me l’a dit une fois !

Si tu vois une fleur sauvage
Croître et trembler sur mon tombeau,
Cueille à la mort son pâle hommage ;
Emporte cette frêle image
D’un être plus aimant que beau.

Prends-moi, sous ce fragile emblème,
Comme un talisman pour tes jours ;
S’il recèle un peu de moi-même,
Cache-le sur un cœur qui t’aime ;
Et ce cœur t’aimera toujours !

Jamais une main qui sépare
N’osera s’étendre entre vous ;
L’amour ne sera plus avare :
Et si tout l’enfer ne t’égare,
Toi ! tu ne seras point jaloux !


J’ai porté bonheur sur la terre
À ceux qui pleuraient devant moi :
Une larme est un saint mystère.
Va ! de ta pitié solitaire
Cette fleur m’acquitte envers toi !