Les Pleurs/Le Vieux Pâtre
Pour les autres éditions de ce texte, voir Le vieux pâtre.
LE
VIEUX PÂTRE.
LIV.
« Ô mes enfans ! ne dansez pas.
J’apporte une triste nouvelle :
Tous vos frères meurent là bas,
Et notre honte se revèle :
Ils sont chrétiens et malheureux,
Mes enfans ! que Dieu nous pardonne.
Pleurons sur nous, prions pour eux ;
Notre bon roi les abandonne ! »
« On dit que vers nous, tous les jours,
Ils tendent leurs mains suppliantes,
Et qu’ils appellent au secours,
Avec des bannières sanglantes :
Courez à leurs cris douloureux ;
Que Dieu vous guide et nous pardonne.
S’il est temps, combattez pour eux ;
Notre bon roi les abandonne ! »
« Mes filles ! écartez ces fleurs ;
Leurs enfans veulent des prières ;
Tout baignés de sang et de pleurs,
Ils tombent du sein de leurs mères.
Donnez vos croix ; qu’un or pieux
Les sauve ! et que Dieu nous pardonne.
Priez ! pleurez ! donnez pour eux :
Notre bon roi les abandonne ! »
« Mais le fer seul va délivrant ;
Portez-en dans leurs nobles plaines,
Puisque ce n’est plus qu’en mourant
Que les peuples brisent leurs chaînes !
Si le fer rend victorieux,
Eh bien : pour que Dieu nous pardonne,
Tout ce fer, donnons-le pour eux ;
Notre bon roi les abandonne ! »
« Débile et sombre, un vieux roi franc,
Aux enfançons portait envie,
Et des flots de leur jeune sang
Prolongeait sa hideuse vie :
Sous un maître non moins affreux
Ce peuple expire… et nous pardonne.
Dieu des rois ! descendez sur eux ;
Notre bon roi les abandonne ! »
« Mes fils, confiez vos troupeaux
Aux femmes qui n’ont que des larmes ;
Dieu soufflera dans vos drapeaux ;
Son courroux bénira vos armes :
Si le voyage est malheureux,
Allez, et que Dieu nous pardonne.
Allez, mes fils ! mourez pour eux ;
Notre bon roi les abandonne ! »
Ainsi parle aux jeunes bergers
Un vieillard qui rentre au village ;
Et le plaisir aux pieds légers,
Fuit avec la danse volage :
Des échos enfin généreux
Ont crié : « Que Dieu nous pardonne !
Priez pour nous ; mourons pour eux ;
Notre bon roi les abandonne ! »