Les Poètes du terroir T I/B. des Périers

La bibliothèque libre.
Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 255-258).

BONAVENTURE DES PÉRIERS

(?-1544)


Bonaventure Des Périers était d’Arnay-le-Duc ; il naquit vers la fin du xve siècle. Sa famille pouvait être noble et ancienne, ainsi qu’on l’a dit, mais à coup sur elle ne fit rien pour la fortune du jeune Bonaventure, qui ne rougit pas de parler de sa pauvreté dans ses vers. Il est même probable qu’il se nommait tout simplement Jean Bonaventure et qu’il avait été élevé en dehors de sa famille. Les circonstances de sa vie sont enveloppées d’un mystère impénétrable. Tout ce que l’on en sait, c’est qu’il devint valet de chambre de Marguerite de Valois, sœur de François I, et prit part à la composition de la Marguerite des Marguerites et à l’Heptameron de la reine de Navarre, publiés sous le nom de cette princesse. Il vivait encore en 1539. puisqu’il fit, le 15 mai de cette année, le voyage de Lyon à Nostre-Dame de l’Isle-Barbe, qu’il décrivit ensuite en rimes ; mais il était mort le dernier jour du mois d’août 1544, lorsque son ami et son compatriote Antoine du Moulin fit paraître le recueil de ses poésies. Sa fin fut tragique, si l’on en croit Henri Estienne, lequel raconte, dans son Apologie pour Hérodote, que Bonaventure, devenu fou, se perça de sa propre épée, malgré la vigilance de ceux qui le gardaient. Il est l’auteur d’une traduction de l’Andrienne, de Térence (Lyon, 1537, in-8o) du Cymbalum mundi en français contenant quatre dialogues poétiques, fort antiques, joyeux et facétieux (Paris, Jehan Morin, 1537, in-8o), édition originale, entièrement supprimée ; des Nouvelles Récréations et joyeux devis (Lyon, R. Granjon, 1558, in-8o), recueil de contes plaisants, maintes fois réimprimé, qui ont fixé sa réputation. Sa contribution à l’histoire poétique de la Bourgogne consiste en quelques rares pièces, insérées au recueil de ses Œuvres, édition de Lyon, 1544, in-8o. Encore n’y fait-il presque jamais allusion à son pays d’origine. Bonaventure des Périers n’est pas un poète au sens propre du mot, quoique ses vers abondent en idées heureuses et en images neuves. On doit lui reconnaître néanmoins de véritables dons lyriques. Il y a souvent un rapport très étroit entre ses poèmes et quelques-uns de ceux qui sont insérés dans la Marguerite des Marguerites de la reine de Navarre.

Bibliographie. — Charles Nodier, Bonaventure des Périers ; Paris, Tecliener, 1841, in-12. — Abbé Goujet, Bibliothèque française, t. XII, p. 88. — P.-S. Jacob, Notice sur Bonaventure des Périers ; édit. des Nouvelles Récréations et joyeux devis, Paris, Delahays, 1862, in-12.



À JANE, PRINCESSE DE NAVARRE

Un jour de may, que l’aube retournée
Refraichissoit la claire matinée
D’un vent tant doulx, lequel sembloit semondre
A prendre l’heure, ains que se laisser fondre
A la chaleur du Soleil advenir,
Je me levay, à fin de prévenir,
Et veoir le poinct du temps plus acceptable
Qui soit au jour de l’Esté délectable.

Pour donc un peu recreer mes Espritz,
Au grand verger, tout le long du pourpris,
Me pourmenois par l’herbe fresche et drue,
Là où je vis la rose espandue.
Et sur les choulx ses rondelettes gouttes
Courir, couler, pour s’entrebaiser toutes ;
Puis tout soudain devenir grosselettes
De l’eau tombée à primes goutelettes
Du Ciel serein : là vis semblablement
Un beau laurier accoustré noblement
Par Art subtil, non vulgaire ou commun,
Et le rosier de Maistre Jean de Meun,
Ayant sur soy mainte perle assortie.
Dont la valeur devoit estre amortie
Au premier ray du chauld soleil soleil levant.
Qui jà taschoit à se mettre en avant.

Le Rossignol (ainsi qu’une buccine)
Par son doulx chant faisoit au Rosier signe,
Que ses Bouttons à rosée il ouvrist,
Et tous ses biens au beau jour descouvrist.
L’aube duquel avoit couleur vermeille,
Et vous estoit aux Roses tant pareille,
Qu’eussiez doubté si la Belle prenoit

Des Fleurs le tainct ou si elle donnoit
Le sien aux Fleurs plus beau que nulles choses
Un mesme tainct avoient l’Aube et les Roses,
Une rosée, un mesme advenement,
Soubz d’un clair jour le mesme advancement,
Et ne servoient qu’une mesme Maistresse.
C’estoit Venus, la mignonne Déesse,
Qui ordonna que son aube et sa fleur
S’accoustreroient d’une mesme couleur.
Possible aussi que (comme elles tendoient
Un mesme lustre) ainsi elles rendoient
Un mesme flair de parfum précieux :
Quant à cestuy des roses, gracieux,
Que nous touchions, il estoit tout sensible ;
Mais celuy-là de l’aube, intelligible
Par l’air espars çà bas ne parvint point.

Les beaulx boutons estoient jà sur le poinct
D’eulx espanir, et leurs aisles estendre,
Entre lesquelz l’un estoit mince et tendre,
Encor tapy dessoubs sa cœffe verte :
L’autre monstroit sa creste descouverte,
Dont le fin bout un petit rougissoit ;
De ce bouton la prime Rose issoit.

Mais cestuy-cy demeslant gentement
Les menuz plis de son accoustrement,
Pour contempler sa charnure refaicte.
En moins de rien fut rose toute faicte :
Et desploya la divine denrée
De son pacquet, ou la graine dorée
De la semence estoit espaissement
Mise au milieu, pour l’embellissement
Du pourpre fin de la fleur estimée.
Dont la beauté, naguère tant aymée,
En un moment devint seiche et blesmye,
Et n’estoit plus la Rose que Demye.

Veu tel meschef me complaignis de l’aage.
Qui me sembla trop soudain et volage.
Et dis ainsi : « Las, à peine sont nées
Ces belles fleurs, qu’elles sont jà fannées…

Tant de joyaux, tant de nouveautez belles,
Tant de presens, tant de beautez nouvelles,
Brief, tant de biens que nous voyons florir.
Un mesme jour les faict naistre et mourir !
Dont nous, humains, à vous, dame Nature,
Plaincte faisons de ce que si peu dure
Le port des fleurs, et que, de tous les dons
Que de voz mains longuement attendons
Pour en gouster la jouissance deue,
A peine, las, en avons nous la veue.

Des roses l’aage est d’autant de durée,
Comme d’un jour la longueur mesurée ;
Dont fault penser les heures de ce jour
Estre les ans de leur tant brief séjour,
Qu’elles sont jà de vieillesse coulées
Ains qu’elles soient de jeunesse accollées.

Celle qu’hyer le soleil regardoit
De si bon cueur que son cours retardoit
Pour la choisir parmy l’espaisse nue.
Du soleil mesme a esté mescongnue
A ce matin, quand plus n’a veu en elle
Sa grand’beauté qui sembloit éternelle.

Or, si ces fleurs, de grâces assouvyes,
Ne peuvent pas estre de longues vies
(Puisque le jour, qui au matin les painct,
Quand vient le soir leur oste leur beau tainct,
Et le midy, qui leur rit, leur ravit),
Ce neantmoins, chascune d’elles vit
Son aage entier. Vous donc, jeunes fillettes,
Cueillez bientost les roses vermeillettes,
A la rosée, ains que le temps les vienne
A desseicher ; et, tandis, vous souvienne
Que ceste vie, à la mort exposée.
Se passe ainsi que roses ou rosée.

(Œuvres, etc. ; 1544.)