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Les Poètes du terroir T I/E. Boulay-Paty

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 385-389).
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EVARISTE BOULAY-PATY

(1804-1864)

Petit-fils de Cyprien Halgan, sénéchal de Donges, et neveu de l’amiral du méme nom, Félix-Cyprien-Evariste Boulay-Paty naquit au bourg de Donges, sur les bords de la basse Loire, le 19 octobre 1804. Son père, Sébastien, savant jurisconsulte, s’était rendu célèbre en résistant au fameux Carrier et en siégeant au conseil des Cinq-Cents. Il passa ses premières années au pays natal, se fit inscrire au barreau de Rennes, puis, ayant contracté une liaison amoureuse dans cette ville, dut se rendre, sur les instances de sa famille, à Paris, en 1829. En 1834, il publia une sorte d’autobiographie romantique, Elie Mariaker (Paris, Henri Dupuy, in-8o), où il se plut tout à la fois à poétiser ses premières amours et à retracer les souvenirs de son enfance. Auparavant, Casimir Delavigne et Dupin l’avaient présenté au duc d’Orléans, qui se l’attacha et en fit, par la suite, son bibliothécaire. Auteur dramatique et poète, il présenta à l’Odéon, avec Hippolyte Lucas, un drame, Le Corsaire, imité de Byron, qui ne fut point joué, et donna deux recueils de poèmes : Odes (Paris, W. Coquebert, 1844, in-8o) et Sonnets de la vie humaine (Paris, Féret, 1851, et F. Didot, 1852, in-8o), dont on a sensiblement exagéré le mérite. Il mourut isolé à Paris, le 12 juin 1864. Un an après sa mort, son parent et ami Eugène Lambert rassembla ses œuvres inédites et les fit paraître sous ce titre : Poésies de la dernière saison (Paris, Ambr. Bray, s. d. [1865], in-12). On lui doit encore quelques pièces détachées, entre autres une Ode sur l’arc de triomphe de l’Étoile (Paris, F. Didot, 1837, in-4o), qui fut couronnée par l’Académie française et lui valut une heure de notoriété.

Sainte-Beuve a dit de cet auteur : « Boulay-Paty était un vrai poète, c’est-à-dire qu’il était cela et pas autre chose ; il avait le feu sacré, la religion des maîtres, le culte de la forme ; il a fait de charmants sonnets, dont je comparais quelques-uns à des salières ciselées d’un art précieux ; mais les salières n’étaient pas toujours remplies ; il avait plus de sentiment que d’idées. Il appartenait, par bien des côtés, à l’ancienne école poétique, en même temps qu’il avait un pied dans la nouvelle. Ce n’est pas pour rien qu’il s’appelait Évariste : il tenait de Parny plus que d’Alfred de Musset… »

Evariste Boulay-Paty, ajouterons-nous, fut un écrivain inégal et dépourvu d’esprit critique ; aussi n’a-t-il mérité ni les éloges excessifs que lui ont décernés quelques-uns de ses admirateurs, ni l’oubli dans lequel on le tient. Peut-être fera-t-on un jour une place équitable à ce peintre pittoresque de la vie rustique, en Bretagne, au début du xixe siècle.

Bibliographie. — Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, t. X, etc. — Dominique Caillé, Un Romantique de la première heure, Év. Boulay-Paty, son Journal intime et sa Correspondance, 1829-1831 ; Paris, G. Ficker, 1907, in-8o ; La Poésie a Nantes, sous le second empire ; Tours, Bousrez, 1905, in-8o. — J. Rousse, La Poésie bretonne au dix-neuvieme siècle ; Paris, Lethielleux, 1895, in-8o.


ÉLÉGIE


… Oh ! qui me rendra donc mon pays adoré !
Comme je le regrette ! Oh ! j’ai le cœur navré !…
Je revois les lieux chers de mon pays, la côte,
Où j’allais, livre en main, pêcher, à la mer haute,
La chevrette de Loire en mon grand carrelet ;
Où la seine attirait la sole et le mulet ;
Où, quand venait le froid, sur les vases polies,
À mer basse, j’allais tendre ma ligne aux plies.
Je revois les bourlans où la fleur jaune était,
Où, leste et vif, gaiement le roitelet sautait ;
Les fossés de gazons où la rosée en perles
S’égrenait sous les pieds ; la vigne où les beaux merles
Sifflaient sous les osiers ; le vivier recouvert
De lentilles formant son joli manteau vert ;
Le jardin du verger, que tapissait la fraise ;
La prée où l’on dansait aux doux sons de la vèse,
Ou bien aux anciens chants des rondes du pays ;
Et les toits de roseaux qu’ont les maisons ; et puis
Notre banc du portail d’où j’aimais sur la lame
À voir passer les blins à la voile, à la rame,
D’où j’entendais sonner par le sableux sentier
La cloche des mulets du joyeux paludier.
Par son bruit en septembre annonçant la sardine,
Qui gonflait sur le gril et qu’on mangeait divine.
Je vois nos paysans, aux cheveux plats et longs,

Aux grands chapeaux tombants, aux larges pantalons ;
Leurs filles aux yeux noirs, brunes, en coiffe blanche,
Le matin à la messe arrivant le dimanche ;
Les douaniers en vert ; et les jeunes marins
Avec leurs gilets bleus, avec leurs souliers fins.
Je revois le chemin qui mène aux métairies,
La vieille épine blanche aux branches si fleuries !

Oh ! l’heureux temps passé ! pourquoi fut-il si court ?
Qu’il était solitaire et calme, mon vieux bourg !
Comme il surgissait bien de la Loire profonde !…,
Puis mon père l’aimait par-dessus tout au monde.
C’était là son regret, son vœu pendant dix mois ;
Il y rêvait sans cesse, il en parlait cent fois
Dans la journée ; et quand approchait la vacance,
11 en était joyeux trois semaines d’avance ;
Lorsque arrivait enfin le jour si désiré,
Depuis longtemps déjà tout était préparé,
Et de bien grand matin nous montions en voiture ;
Quel bonheur il avait, quand, comme une ceinture,
Le soir du second jour, du revers du coteau
Il voyait au lointain onduler la belle eau,
Poindre en l’air le clocher qu’un vent éternel penche,
Et tout au bout du bourg grandir sa maison blanche !
Pauvre père ! c’est lui qui planta les sapins,
Les saules, les cyprès, les mélèzes, les pins,
Pour garder le pignon des vents brûlants d’orage ;
C’est lui qui, pour moi seul chérissant son ouvrage,
Entoura le jardin de grands murs, d’espaliers,
Et qui mit dans le haut le rang de peupliers ;
C’est lui qui fit planter la solitaire allée
Des tilleuls, où si douce est la nuit étoilée ;
C’est lui qui m’enferma de fleurs les six ormeaux
Où je venais rêver des vers sous les rameaux !
Pauve père ! C’est là qu’un jour, jour que je pleure,
Au mois de juin, à l’aube et vers la troisième heure,
Il rendit sa belle âme, en repliant sa main
Jusqu’à son cœur, cherchant à m’y presser en vain !
Pauvre père ! c’est là que dans le cimetière
De l’église rustique il repose en sa bière.
Le sol de son pays à ses os n’est pas lourd…

Oh ! je t’aime ! oli ! oui, va, je t’aime, mon vieux bourg ?
Et voilà cependant, voilà bien des automnes
Que je n’ai vu tomber sur moi les feuilles jaunes
De tes arbres aimés, et sur son noir rocher
Trembler au vent du sud ton antique clocher !
Pardon, ô mon pays ! une femme adorée
(Son repos le commande, et c’est chose sacrée),
Pour elle et son enfant, pour mes parens chéris,
Veut que loin de ton ciel je vive en ce Paris ;
En ce Paris, égout plein de bruit et de fange,
Où contre de l’argent l’honneur vite s’échange,
Où tous dédaignent l’âme et font fête à l’esprit,
Où, lâcheté du cœur, l’on oublie et l’on rit ;
En ce Paris sans mer, sans vent et sans campagne,
Et qui ne te vaut pas, mon vieux bourg de Bretagne !

(Elie Mariaker, 1834.)


SAINT-MALO


Saint-Malo, que crains-tu des cités maritimes ?
Pas même Brest avec ses vastes arsenaux.
Sous ton dais débrouillards, le front ceint de créneaux,
Le pied sur l’Océan, tu règnes, et les eaux
Courbent autour de toi leurs écumantes cimes !
À peine adolescents, tous tes fils sont marins ;
Vrais alcyons des mers, le long de ton rivage
Ils ont leurs nids bâtis en face de l’orage,
Et, de l’aile bientôt rasant le flot sauvage,
Ils partent, que les cieux soient sombres ou sereins !

Tes enfants t’ont laissé des noms dont tu fais gloire ;
Cartier, qui le premier dans sa route aborda
Au rivage inconnu du lointain Canada ;
Duguay-Trouin, que rien jamais n’intimida ;
Et Surcouf, ce corsaire à l’étonnante histoire !
Toi, pour qui toute escadre aurait de vains défis,
Toi, qui sous les efforts des saisons mutinées
Ne sens en toi, devant les vagues obstinées,
Trembler que sur ton front tes hautes cheminées.
Tes flancs étaient bien faits pour avoir de tels fils !
Les tourmentes d’hiver te font des jours de fête.


Quand ta masse combat l’ouragan irrité,
C’est alors qu’il faut voir ton horrible beauté !
Athlète aux larges reins, sombre et plein de fierté,
Tu restes là debout, seul avec la tempête.
Vous ne pouvez vous vaincre en ce puissant effort,
Et vous semblez tous deux, quand la mer devient basse,
Arrêtant un moment la lutte qui vous lasse,
Vous éloigner un peu pour prendre de l’espace
Et pour voir de nouveau qui sera le plus fort !

Sur tes rochers où fond l’onde tumultueuse,
Parmi les blancs esquifs sous tes murs balancés,
Et derrière ces forts, de canon hérissés,
Qui sont au sein des eaux tes gardes avancés.
Tu te montres de loin haute et majestueuse !
Ton aspect fait plaisir à l’œil des matelots.
Comme un vaisseau géant qui dans l’orage échoue,
De tes vastes remparts que la vague secoue,
Tu semblés, comme avec le tranchant d’une proue,
Battre la grande mer pour te remettre à flots.

Ô cité merveilleuse, ô beauté de nos grèves,
Quand la lune est cernée et pâle en se levant,
À te voir immobile au bord du flot mouvant,
Sous ton voile de brume où murmure le vent,
Indécise et muette, on dirait que tu rêves ;
La terre avec amour semble te retenir,
Et l’Océan jaloux, en frémissant d’ivresse,
Avec ses bras fougueux t’environne, te presse,
Et voudrait, en soupirs t’exprimant sa tendresse,
Dans son lit orageux te forcer à venir.

Peut-être quelque jour tu briseras ta chaîne,
Et, te laissant aller à ses bras caressants,
Tu redeviendras île ; et, dans leurs vœux pressants,
Tes filles au teint brun, aux yeux noirs ravissants,
Pleureront leurs amants de la rive prochaine ;
Leurs amants qui, le jour, n’attendront que le soir,
Qui, Léandres nouveaux, sur les vagues amères
Iront chercher l’objet de leurs douces chimères,
Et qui rendront les nuits bien tristes à leurs mères,
Quand le vent soufflera plus fort sous le ciel noir.

(Odes, 1844)