Les Poètes du terroir T I/Georges Spetz

La bibliothèque libre.
Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 21-23).

GEORGES SPETZ

(1844)


Collectionneur avant d’être poète, M. Georges Spetz semble réunir tous les dons qui font de l’amateur éclairé un homme de goût, sinon un véritable artiste. Fils d’un des fondateurs de l’industrie alsacienne, il naquit à Isenheim (Haut-Rhin) le 31 mai 1844. D’origine très française, il compte parmi ses ancêtres, du côté maternel, le poète Ogier de Gombauld, qui, on le sait, eut à la cour les faveurs de Marie de Médicis et laissa une œuvre des plus parfaites parmi celles de son siècle. Dans sa jeunesse, il se destina à la peinture, travailla à Mulhouse avec Fritz de Niederhausen et fit un envoi au Salon de 1872. La maladie l’obligeant aux loisirs, il délaissa l’art du paysage pour composer de petites œuvres lyriques dont il se fit peu à peu le librettiste. Épris de tout ce qui exalte et magnifie le sol natal, il emprunta par la suite aux vieilles légendes alsaciennes des motifs d’inspiration et fit paraitre sous forme de poèmes, avec la collaboration de peintres et d’illustrateurs, ses compatriotes, un des plus beaux livres d’art qu’on ait publiés en Alsace : Légendes d’Alsace, frontispice de J.-J. Henner, illustrations hors texte et vignettes de Charles Spindler, Joseph Sattler et Léon Schnug (Strasbourg, Revue alsacienne, 1905, in-folio). À cet ouvrage réimprimé récemment (Légendes d’Alsace ; Paris, Perrin, 1908, in-16), si l’on joint deux plaquettes : Chrysanthèmes et Première Neige, aquarelle de L. de Seebach (Strasbourg, édit.  de la Revue alsacienne illustrée, in-folio, s. d.) et L’Alsace à J.-J. Henner (Strasbourg, Revue alsacienne illustrée, 1906, in-8o), on aura toute la production du poète. Malgré les difficultés du temps, M. Georges Spetz n’a pas quitté ce lieu d’Isenheim où il est né. Il a fait de sa maison un véritable musée provincial où se trouvent réunis quelques-uns des plus purs trésors de l’art alsacien.

Bibliographie. — A. Langel, Biographies alsaciennes, Georges Spetz, Strasbourg, extrait de la Revue alsacienne illustrée, 1900, in-folio.


TIERENBACH


Sur les plis onduleux des pentes du Ballon,
Tierenbach est niché dans un riant vallon,
Formant, en ses contours, un cirque de verdure,
Dessiné par le temps, orné par la nature,
Encadré de forêts dont les sombres sapins
Et les chênes altiers s’étagent en gradins ;
Vasque de jaspe vert, d’émeraudes parée,
Où lentement s’écoule une source azurée,
Qui creuse dans les prés, aux exquises senteurs,
Une nappe d’opale en un cercle de fleurs.

En l’an sept cent vingt-huit, de Murbach, les saints prêtres
Disciples de Firmin, dans ces sites champêtres
Dressèrent un autel à la mère de Dieu…

Dans le siècle douzième, un généreux seigneur,
Adalric d’Eguisheim, voulut qu’avec honneur
Au culte de Marie, en ce pèlerinage,
Fût rendu, pour toujours, un magnifique hommage
Tierenbach eut son temple agrandi, restauré,
Et, tout auprès, il fit bâtir un prieuré.
Que l’abbé de Cluny, Pierre le Vénérable,
Bénit et consacra… D’une voix admirable
Qui montait vers le ciel, entraînant tous les cœurs,
L’orateur implora la Vierge des douleurs.

Sous les noyers ombreux et sur la verte pente,
De la route qui monte et doucement serpente,
Une source jaillit, en un jet de cristal.
Notre-Dame voulut l’offrir, comme un régal,
Aux pèlerins lassés, car cette eau bienfaisante,
Par son divin pouvoir et sa vertu puissante,
Aux aveugles donnait, douce comme le miel,
La joie et le bonheur de regarder le ciel,
De contempler, ravis, l’image de la Vierge
Qu’éclairait en tremblant la flamme de leur cierge.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les villages voisins : Jungholtz, Rimbach, Wuenheim,

La ville de Rouffach, Bollwiller, Isenheim,

Chaque année, un matin de la saison fleurie,
Allaient à Tierenbach pour honorer Marie,
Et leurs processions dans les bois et les prés
Déroulaient des replis en rubans diaprés.
Tous croyaient, espéraient en la sainte Madone,
Et, leur cierge à la main, priant devant l’icone.
Demandaient un appui pour les dons temporels,
Et son divin secours pour les biens éternels.

Des pays éloignés et de l’Alsace entière.
Les pèlerins venaient, unissant leur prière.
Prodiges éclatants, miracles confirmés,
Toujours étaient par eux au retour proclamés.
Des ex-voto nombreux ornaient le sanctuaire,
Témoignages naïfs de piété sincère :
Paysannes, bergers priant pour leurs troupeaux.
Malades, accidents, tous peints sur ces tableaux.
Où se voyait toujours, assise dans la nue,
La Vierge douloureuse, aux pâtres apparue.

Les siècles ont passé, le temple fut détruit…
Et vous brillez encore, étoile dans la nuit,
Vierge de Tierenbach, qui protégez l’Alsace
Et bénissez l’effort de sa vaillante race,
Que nos mères priaient, qu’invoquaient nos aïeux !
Du ciel écoutez-nous, daignez jeter les yeux
Sur notre cher pays, donnez-lui confiance
En ses mâles vertus : énergie, espérance !
Que, fidèle au passé, par sa foi rassuré,
Il conserve toujours votre culte sacré !

(Légendes d’Alsace.)