Les Poètes du terroir T I/H. de Fondeville

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 135-137).

HENRI DE FONDEVILLE

(1633-1705)


Jean-Henri de Fondeville, bourgeois de Lescar, avocat au parlement de Navarre, naquit dans cette ville vers 1633 et mourut en 1705. On a de lui, en idiome béarnais, « dont il possède toutes les finesses », selon l’expression de M. de Laussat (Cf. la Société béarnaise, p. 26), plusieurs pièces de poésie. Une d’entre elles a suffi jusqu’ici à rendre sa mémoire populaire : c’est la Pastourale deu paysan qui cerque mestié à son hil chens ne trouba à son grat. Pesse divertissente et conegude en Bearn ainsi que d’aütés oubratgis deu medich authou. En quoate actes (la Pastorale du paysan à la recherche d’un métier pour son fils, etc. Pièce divertissante… suivie d’autres ouvrages du même auteur. En quatre actes) ; Pau, F.-P. Vignancour, 1767, in-8o. Il existe, à notre connaissance, une réimpression de cet ouvrage à la suite des Poésies béarnaises de Vignancour, édit. de 1860. Des autres productions de Fondeville qui sont arrivées jusqu’à nous, il est bon de citer encore : Calvinisme de Béarn, poème béarnais publié pour la première fois avec une notice historique et un dictionnaire béarnais-français par llilarion Barthery et L. Soulice (Pau, L. Ribaut, 1880, in-8°), ainsi qu’un fragment de poème : Réception à Pau de Henri IV, roi de Navarre, inséré par G. Bascle de Lagrèze dans son Essai sur la langue et la littérature du Béarn (Bordeaux, G. Gounouilhou, 1856, in-8o). On nous saura gré de trouver plus loin ce fragment curieux. On lui attribue encore, mais sans vraisemblance, une autre pastorale en trois actes, composée lors de l’érection de la statue de Louis XIV à Pau.

Théophile Bordeu, qui fut un bon poète en son temps, a confondu cet auteur avec un Jean-Henri de Fondeville, médecin, de la même famille, mort en 1723. Il ne laisse pas néanmoins de reconnaitre à celui-là de réelles qualités littéraires et une verve railleuse qu’on ne trouve pas souvent chez les rimeurs du Béarn, assez enclins à l’élégie.

Fondeville fait parler aux paysans le pur béarnais, aux bourgeois éclairés le pur français, et aux demi-bourgeois un dialecte assaisonné de français. La Pastorale du paysan est une agréable satire des mœurs du xviiie siècle qui n’a peut-être pas sa pareille dans une autre littérature.

Bibliographie. — G. Bascle de Lagrèze, Essai sur la langue et la littérature du Béarn, etc. — Hilarion Barthery et L. Soulice, Notice sur la famille et les œuvres de Fondeville, édit. du Calvinisme de Béarn ; Pau, 1880, in-8o.


RÉCEPTION À PAU DE HENRI IV, ROI DE NAVARRE, ET DE MARGUERITE DE VALOIS[1]

Notre roi voulut se retirer dans son nid,
Il se fit suivre de sa femme, Marguerite.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Alors, par tout le Béarn, grande fut l’allégresse
Des peuples, des barons et de la noblesse.
Quand on sut l’arrivée du roi avec sa femme,
Les seigneurs des États aussitôt s’émurent ;
Et il fut convenu de faire grosse dépense
Pour le recevoir à Pau avec grande magnificence.
Ees barons et les gentilshommes montèrent tous à cheval
Et allèrent au-devant le trouver à Roquefort.

De là il partit escorté de grande cavalerie.
Près de Pau, il trouva toute l’infanterie
De tous les capitaines joliment costumés,
Chacun avec ses lieutenants, porte-enseigne, soldats.
Aussitôt que notre Henri ils aperçurent de loin.
Les tambours à grands coups en publièrent l’arrivée,
Le bataillon parut mesuré au compas,
Sur le bord du chemin environ de quinze pas.
Par où il fallait alors que notre roi passât.
Aussitôt qu’il arriva, il s’approcha du bataillon.
Le premier, le commandant lui fit le salut ;
Ensuite, tous à la fois, les autres le saluèrent.
Capitaines, lieutenants, très propres et hardis,
Chacun avec leurs piques, firent de grands gestes au roi.
On vit alors aussi les enseignes voler,
Et de tous les cantons les couleurs vaciller.
À côté, les tambours faisaient grand tapage.
Puis de coups de mousquet suivit le fracas.
Et quand tout fut fini, on cria : « Vive le Roi ! »
Jamais on n’avait entendu de cris aussi joyeux.
Puis par les routes le bataillon défile,

Marchant devant le roi jusque dans la ville,
De là droit au château, où aussi un peu,
Quand le roi fut dedans, on tira des coups de mousquet.
Donc alors à Pau se passèrent plusieurs jours
En faisant des saluts au roi avec grande cérémonie.
Les premiers qui parlèrent [furent] les seigneurs des États
Assemblés en corps d’évêques et d’abbés.
Barons, seigneurs, cavers, domengers et jurats
Des vallées, villes et bourgs, richement costumés,
Monsieur Paul de Béarn, évéque de Lescar,
Qui porta la parole et fort bien s’expliqua ;
Car le roi lui dit, quand finit sa harangue,
Qu’il n’avait jamais ouï si belle langue.


TEXTE

Nousté rey que boulon retiras en soun nid,
Et hé segui dab ed sa moulhé, Margalide.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Lasbets per tout Béarn granne hou l’allégresse
Deüs poples, deüs barous y de la gentilhesse,
Quoan lou départ deü rey dab sa moulhé saboun,
Lous seignous deüs Estais détire s’esmaboun ;
Et qué hou counbiengut de ha grosse despence
Per lou recébé à Paü dab gran magnificence
Lous barous y gentius mountan touts a chibaü,
Et l’anan aüdaban a Roquchort troubaü.

De là, parti séguit de grand chibalerie.
Près de Paü que trouba toute l’infanterie
De touts lous capitaàs lestement accoutrats :
Chascu dab loctenents, porte enseigne y souldats,
Taleü que nouste Henric aperceboun de biste
Lous tabards à grans trucqs né publican l’aubriste.
Lou batailhou parè mesurât aü coumpas,
Aü constat deü cami mirous de quinze pas,
Per oun calé lasbets que nouste rey passesse.
Taleü coum arriba, deü bataillou s’apresse,
Et lou salut lou hé permè lou coumandan,
Puchentes en à cop lous aüts lou saludan,
Capitaàs, loctenents, hère propis y lestes,
Chascu d’ab mieye pique au rey qui hen grans gestes.
L’on bi tabés lasbets las enseignes boula.
Et de touts lous parsaàs las coulous trémoula.
A coustat lous tabards hasen gran brounitère.
Puis deüs cops de mousquet ségui la périglere.
Et quon hou tout finit cridan : « Bibe lou Rey ! »
Que crits de ta gauyous n’aben aüdit jamey.
Despuix per lou cami lou batailhou défile,

  1. Ce fragment d’un poème curieux pour l’histoire béarnaise est extrait de l’ouvrage de Gustave Bascle de Lagrèze, Essai sur la langue et la littérature du Béarn, publié en 1856.