Les Poètes du terroir T I/Henri Baude

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 216-220).

HENRI BAUDE

(1430- ?)


« Henri Baude, né à Moulins vers 1430, s’attacha de bonne heure à la cour ; lorsque le Dauphin, qui fut plus tard Louis XI, se sépara de son père, Baude se tourna vers le soleil levant et accompagna en Dauphiné le fils insoumis ; mais, le voyant si avant dans la disgrâce du roi qu’il fallait attendre trop longtemps pour en avoir quelque chose, en bon ami de cour, il planta là le maître futur pour se rattacher au maître présent. Charles VII le récompensa, en 1458, par un office d’élu des aides dans le bas Limousin. Baude prenait cela pour l’aurore de sa fortune, mais il en resta là ; le Dauphin, devenu roi, ne se souvint pas assez de lui pour se venger, mais il fit toujours la sourde oreille à ses demandes, et c’est sous Charles VIII seulement que nous retrouvons la trace de notre poète. Nous savons qu’il fut alors en proie à des tribulations de tout genre, qui lui valurent la prison comme à Villon, mais pour des causes plus avouables. Jeté dans un cul de basse fosse par les gens du grand bâtard de Bourgogne, contre lequel il était allé verbaliser, il fut délivré par la justice ; puis, pendant qu’il poursuivait au criminel les gens qui l’avaient malmené, il eut le malheur de faire représenter à Paris, par les clercs de la basoche, sur la table de marbre du Palais, avec la permission du parlement et au grand applaudissement du populaire, une moralité politique très favorable au roi, mais très vive contre la cour ; l’occasion était belle pour ses ennemis, qui le firent mettre sous les verrous une seconde fois. Baude s’en tira à la fin, mais avec peine, et grâce à la protection du vieux duc de Bourbon[1]. »

Il mourut laissant une grande réputation comme poète, peu après l’année 1490.

Ce sont toutes ses aventures qui remplissent une partie de ses poésies. Quelques-uns de ses vers, composés à la louange du Bourbonnais, ont été introduits pour la première fois dans une description topographique qui figure a l’appendice de l’Ancien Bourbonnais d’Achille Allier. Par la suite, M. J. Quicherat en a recueilli un grand nombre dans les manuscrits de notre Bibliothèque Nationale et en a fait l’objet d’intéressantes publications, entre autres un petit volume in-12, Les Vers de maître Henri Baude, poète du quinzième siècle, etc., avec les actes qui concernent sa vie, imprimé en 1856, à Paris, par l’éditeur Aug. Aubry. On a rapproché l’art de Baude de celui de Villon. Tous deux sont d’une même école ; selon l’expression même de son éditeur, ils ont préféré le sel gaulois à la magnificence des poètes flamands. « Chez Baude, ajouterons-nous avec Montaiglon, rien de pédant ni de théologique, rien d’allégorique a l’excès ; il est vivant, comique, incisif, et le mordant de son observation se traduit dans des vers qui, en général, ne sont jamais délayés ni amphigouriques. Comme Villon, dont il ne possède pas néanmoins toute la puissance et l’âpreté douloureuse, ce qu’il emploie d’éléments individuels devient universel sous sa plume. Il n’est pas d’allusion à sa ville natale qui ne contienne la preuve de ce que nous avauijous ici. Par sa langue, par ses dons de peintre, par sa destinée, il a élargi le domaine de sa petite patrie…

Bibliographie. — Anatole de Montaiglon, Henri Baude, notice publiée dans Les Poètes français d’Eugène Crépet, I, Paris, Gide, 11861, in-8o. — J. Quicherat, Notice sur Henri Baude ; édit. des Vers de maître Henri Baude, etc. ; Paris, Aubry, 1856, in-12.



LECTRES DE BAUDE
envoyées à monseigneur de bourbon, connestable
de france


Baude, très puissant et très hault
Et mon très redoubté seigneur,
S’esbaudit, car le faict le vault
Et le repute à grand honneur,
D’estre né, prince de valeur,
De vostre pays tant courtois,
Au fin cueur, qui est le meilleur
Et le chef de tout Bourbonnois.

Deux raisons y a principalles
Qui le meuvent a ce vouloir
L’une, les grans vertuz réalles
De vous, avec le grant vouloir.

Que vous estes descendu hoir
D’une tant excellent maison,
Que l’on ne scauroit concevoir
Au contraire aucune raison.

Tant bénins voz prédécesseurs
Ont esté (et vous en tenez)
Que chascun de vos serviteurs
A tousjours vous entretenez.
Et quant sont vieils, vous les tenez,
Apres que de servir sont las.
Bien peuz et très bien assignez.
Près Moulins, à Sainct-Nicolas.

Servy vous eust très voulentiers
Piéça de toute sa puissance ;
Mais trouver n’a sceu les sentiers,
Qu’ayez eu de luy congnoissance ;
Doubtants, pour ce qu’il n’a science
Où vous doyez prendre achoison,
Qu’on apperceust son ignorance,
Véez là la première raison.

Le pays, quant au second point,
Est le plus plaisant que je voye :
Villes et chasteaulx bien empoinct,
Où l’on démène tousjours joye ;
La belle forest de Tronsoye[2],
Bon aer, peuple doulx et humain,
S’il y a faulte de monnoye,
N’en forge-[t]on à Sainct-Pourcain ?

Il est garny d’estangs, de bois,
Vins, bleds chair, poisson à planté,
Une grand pièce de la croix[3]
Plus qu’en toute chrestienté ;
Les beaulx bains chaulx pour la santé[4],
Saffran et fruict de toutes sortes
Qui d’espices a voulenté
En voist quérir à Aigues-Mortes.


Des espées de Montluçon,
Armuriers, nobles de courage,
Ouvriers de chascune façon,
De tous mesliers le personnage.
On y trouve de bon fromage,
Guyrs de vaches et de Cordouen,
Des draps pour le commun usage,
Mais ils sont meilleurs à Rouen.

Plus y a : quiconque entreprent
Tant de parolle que de faict,
Contre l’ostel, mal luy en prent,
Et à la fin en est deffaict.
On en a bien veu qui l’ont faict,
A qui il n’en eut pas bien pris.
L’entreprinse ore leur desplait ;
Plus n’y tourneront pour le pris.

Pas n’a tort s’il se glorifie
D’estre extraict d’une telle contrée,
Soubz si très haulte seigneurie
Tant bénigne et tant exaulcée.
En suppliant, s’il vous agrée
De regarder ce peu de chose.
Et le mettre en vostre pencée
Qu’il vous envoyé cy enclose.

Il est vostre, comme je suis,
Serviteur, sans affinité,
Sinon peult être entre deux huys
En quelque obscure extrémité.
Là, soubz le Benedicite,
Avez souvent, sans fiction.
En éminent nécessité
Prins repas de conjonction.

D’aller devers vous seroit prest
Pour vous soliciter son faict ;
Mais il a trois mois à l’arrest
Pour bien[5], sans riens avoir mesfaict,
Eslargy sera, s’il vous plaist,

Lorsque vostre voix sonnera,
Et récompensé du forfaict ;
Adonc Baude buyssonnera.

Priant la saincte Trinité
Qu’elle vous doint vostre désir,
Honneur, bonne prospérité ;
Santé, toujours avoir plaisir,
Madame à Montluçon gésir
D’un beau fils qui vous est propice,
Et paradis après mourir
En desmariant son office.

Escript le premier des dimanches
Au moys où vendanges se font.
L’an qu’on portoit les larges manches,
A Paris, près du Petit-Pont[6],
Où maintz espèrent qu’ilz auront
Par vostre moyen délivrance
Des griefz qu’à tort enduré ont.
Dieu vous en octroyt la puissance !

(Les Vers de Maître Henri Baude, etc.)



  1. Anatole de Montaiglon, Henri Baude.
  2. Aujourd’hui de Tronsaye (Allier).
  3. Reliquo conservée dans la sainte Chapelle, à Bourbon-l’Archambault.
  4. Vichy, Bourbon, Néris.
  5. Texte fautif. On pourrait lire, selon Quicherat : pourry.
  6. Le petit Châtelet était au bout du Petit-Pont.