Les Poètes du terroir T I/Jean Meschinot

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 351-352).

JEAN MESCHINOT

(1430-1491)


Voici, croit-on, le premier Nantais qui ait fait parler de lui dans les lettres. Jean Meschinot, sieur des Mortières, naquit vers 1430, probablement à Nantes. Il entra, très jeune, en qualité de maître d’hôtel à la cour des ducs de Bretagne et fut conservé dans sa charge par Anne de Bretagne quand elle épousa Charles VIII, puis ensuite Louis XII, son successeur. Il mourut au service de cette princesse, le 12 septembre 1491, après avoir exercé ses fonctions pendant près de soixante années consécutives. Il fit valoir de réels dons poétiques et se lia avec les meilleurs esprits de son temps. On a de lui un singulier ouvrage de poésie morale : Les Lunettes des princes, imprimé vingt-deux fois et dont les deux premières éditions (1493 et 1494) sortent des presses d’Estienne Larcher, à Nantes. À la suite de ce long poème allégorique, figurent quelques pièces intéressant l’histoire de Bretagne.

Les Lunettes des princes ont fait l’objet d’une édition récente, publiée par M. Olivier de Gourcuff (Paris, Librairie des Bibliophiles, 1890, in-12).

Bibliographie. — Abbé Goujet, Biblioth. franc., IX, p. 404. — Guill. Colletet, Vie de Jean Meschinot ; Vannes, impr. Larolye, 1889, in-8o. — P. Levot, Biographie bretonne. — Olivier de Gourcuff, Notice en tête de l’édit. des Lunettes des princes, 1890.


BALLADE
faicte pour la duchesse marguerite de foix
quant elle vint en bretaigne


Riche paix, contrée très heureuse,
Amée de Dieu, ce voit-on clerement,
Duché sans pair, Bretaigne plantureuse,

De noblesse trésor et parement
Plus qu’oncques, mais debvez joyeusement
User vos jours par raison et droicture,
Princesse avez, très noble créature,
Et en vertus nompareille tenue,
Semblant des cieulx estre sa nourriture,
Benoiste voit sa joyeuse venue.

C’est la belle fleurette précieuse
De trois couleurs ornée doulcement,
Par le blanc, vert et vermeil, lumineuse,
Et au milieu paraist l’or proprement,
Qui sont cboses de grant entendement :
Vert, c’est grâce de Dieu et de nature.
L’innocence, chasteté nette et pure ;
Blanc et vermeil ont l’enseigne obtenue,
L’or dénote royalle geinture,
Benoiste soit la joyeuse venue.

De sens, honneur, et bonté amoureuse,
Est tant que peult comprendre, sentement,
Maintien rassis, parolle gracieuse,
Amour, doulceur, et valeur tellement
L’accompaignent, et vit tant sobrement
Qu’elle resemble à divine facture
Plus que humaine dont très bonne adventure,
A Bretaigne est, dieu mercy, advenue.
Par quoy povons dire sans couverture
Benoiste soit sa joyeuse venue.

Prince parfaict, mettez sens, temps, et cure,
A la chérir tant qu’elle nous procure
Le plus grand bien qui soit dessoubz la nue,
C’est ung beau filz : lors dirons sans mesure :
Benoiste soit sa joyeuse venue.

(Les Lunettes des princes avec aulcunes
ballades et additions,
etc. ; 1522.)