Les Poètes du terroir T I/Joseph Rousse

La bibliothèque libre.
Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 427-428).

JOSEPH ROUSSE

(1838)


M. Joseph-Adolphe-Marie Rousse est né à la Plaine, canton de Pornic (Loire-Inférieure), le 12 février 1838. Inscrit au barreau de Nantes, comme stagiaire, le 23 février 1859, et au tableau des avocats le 6 novembre 1862, il fut successivement juge au tribunal civil de Lannion et à celui de Chateaubriant. Élu conseiller général de la Loire-Inférieure, pour le canton de Pornic, en 1871 et en 1874, il fut nommé, en 1891, conservateur de la bibliothèque municipale de Nantes, fonctions qu’il occupa depuis, avec le zele et la compétence qu’on lui connaît.

M. Joseph Rousse n’a cessé de chanter sa province, et, en particulier, le petit pays de Retz où il vécut et le Pouliguen où les siens habitèrent de longues années. Il a raconté avec des détails impressionnants l’histoire de la maison de ses pères, laquelle servit, sous la Terreur, à cacher des proscrits…

M. Joseph Rousse a publié un certain nombre de recueils de vers : Au pays de Retz (Nantes, Vincent Forest et Emile Grimaud, 1867, in-12) ; Poemes italiens et bretons (Paris, Aubry, 1869, in-12) ; Poésies (Paris, Aubry, 1875, in-18) ; Cantilènes (Paris, Martin, 1878, in-18) ; Poésies bretonnes (Paris, Lemerre, 1882, in-12) ; Chants d’un Celte (ibid., 1886, petit in-8o) ; Chants de deuil (Nantes, Emile Grimaud, 1891, in-8o). Indépendamment de ses poemes, — dont quelques-uns, insérés dans la Revue de Bretagne et de Vendée, L’Hermine et d’autres périodiques, n’ont point encore formé la matiere d’un volume, — on lui doit un excellent travail sur la Poésie bretonne au dix-neuvième siècle (Paris, Lethielleux, 1895, in-18), quelques travaux historiques et des récits pittoresques : Les Lieutenants de Charette (Nantes, B. Cier, 1899, in-12) ; Drame et Récits bretons (Nantes, A. Dugas, 1903, in-8o), etc.

Bibliographie. — Arthur de la Borderie, Joseph Rousse ; Revue de Bretagne et de Vendée, févr. 1867. — Julien Duchesne, Joseph Rousse ; Annales de Bretagne, nov. 1886. — Edm. Biré, Un Poète breton ; L’Univers, 11 sept. 1894. — Dominique Caillé, La Poésie a Nantes sous le second Empire ; Tours, Bousrez, 1905, in-8o.


LE SONNEUR DE BINIOU

Au milieu d’un taillis il est une clairière :
Là, sous des coudriers, on voit un banc de pierre
Tout verdi par la mousse, à deux pas d’un étang,
Où des feuillages morts flottent au gré du vent,
Et dont les bords pierreux sont couverts d’asphodèles,
Qui regardent dans l’eau trembler leurs tiges grêles.
L’an passé, vers le soir, en traversant les bois,
On trouvait un vieillard sur ce banc, quelquefois ;
Et quand on s’éloignait, un air mélancolique,
Un chant de biniou, plein de saveur antique,
Arrivait à l’oreille ; on écoutait, surpris,
Ce chant plaintif et doux qui sortait du taillis.
Et c’était le vieillard, assis dans la clairière,
Sonnant un air d’adieu, comme il faisait naguère,
Le soir d’une assemblée, en revenant du bourg,
Où la danse et les jeux avaient pris tout le jour.
Mais l’habile sonneur avait vu la jeunesse
Mépriser son talent, mépriser sa vieillesse,
Et préférer le bruit du violon criard
Aux sons du biniou modulés avec art.
Aussi, le cœur blessé, rêveur et solitaire,
Il aimait à venir dans la verte clairière.
Et, n’ayant pour témoins que le soleil couchant,
Les lutins des taillis, les follets de l’étang,
Il jouait de vieux airs pleins de mélancolie,
Et dans ces chants faisait ses adieux à la vie.
Il est mort aujourd’hui, mais, avant de mourir,
Il disait à ses fils : — « Remplissez mon désir :
Mettez auprès de moi, dans ma couche nouvelle,
Mon compagnon chéri, mon biniou fidèle.
Et, comme aux jours de fête, ornez-le, mes enfants,
D’une branche de myrte et de quelques rubans. »
Et les fils ont rempli le souhait de leur père ;
Mais, depuis, quand on passe auprès du cimetière,
Le soir ou dans la nuit, quelquefois on entend
Les sons d’un biniou mêlés au bruit du vent.

Au pays de Retz.