Les Poètes du terroir T I/Maurice Rollinat

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 192-197).

MAURICE ROLLINAT

(1846-1903)

Fils de François Rollinat, avocat, et de Marie-Marguerite Didion, Joseph-Auguste-Maurice Rollinat naquit à Châteauroux, le 29 décembre 1846, dans la maison qui porte actuellement le no  7 de l’avenue de Déols. Son père avait été l’ami de Ledru-Rollin, de Chaix-d’Est-Ange et de George Sand. La bonne dame de Nohant, dit-on[1], avait François Rollinat en telle amitié que ce dernier devint son conseil dans les dilïérends qu’elle eut avec son mari le baron Dudevant et qu’elle accepta d’être la marraine de son fils.

Maurice Rollinat fit ses études au collège Saint-Pierre de Châteauroux. Ses classes terminées, sa famille le destina au notariat. On le vit successivement clerc à Châteauroux, puis à Orléans ; mais le goût passionné de la poésie et de la musique, qu’il n’avait cessé d’entretenir depuis son enfance, s’étant développé en lui, on prétend qu’il écrivit alors plus de vers que d’actes notariés et qu’il sollicita sans cesse son départ pour Paris, où d’ailleurs l’appelait son illustre marraine. « Il y vint en l’année 1868, un an après la mort de son père. Il avait alors vingt-deux ans. Il entra dans l’administration de la ville, comme employé au service des décès de la mairie du VIIe arrondissement. Plus tard, lorsque, dans ses conversations, il venait à parler de ses débuts à Paris, Maurice Rollinat appuyait avec persistance sur son passage dans ce poste administratif, comme pour affirmer la coïncidence macabre et funèbre de son esprit. » Il habitait alors la rue Oudinot, « rue calme et solitaire, peuplée presque en entier d’hôtels particuliers immenses, de couvents et d’hôpitaux, qui, dans ce quartier si animé de la rue de Sèvres et du boulevard Montparnasse, semble une paisible et monotone rue de province ». Maurice Rollinat dit et chanta ses premiers vers et ses mélodies dans les cabarets du quartier latin, entre autres les Hydropathes. Par la suite, il acquit de réels succès au Chat Noir. Son premier volume, Dans les Brandes, parut en 1877, par les soins de l’éditeur Charpentier. Rollinat s’affirme dans ce livre comme un fougueux disciple de Baudelaire, en même temps qu’il s’y révèle le peintre de cette Nature à laquelle il demeura intimement attaché jusqu’à la fin. En 1883, il publia Les Névroses. Ce fut un triomphe. Bientôt les salons se disputèrent cet artiste au verbe puissant, à la voix profonde, émouvante, qui, par une musique appropriée à son vers, savait faire passer tour à tour dans l’auditoire « les ravissements de la vin et les terrifiantes visions de l’au delà ». Fêté, adulé, le poète ne se fit point illusion sur une gloire trop prompte pour être durable. On dit qu’un soir, lassé de l’enthousiasme qu’il avait provoqué, il disparût soudain… « Il se retira à Fresselines, au confluent des deux Creuses, sur la limite du Berry et de la Marche, et là, dans une maison de paysan, passa le reste de sa vie, pêchant, se promenant, méditant et composant quelques-uns de ses meilleurs poèmes. De 1883 à 1903, il donna au public les recueils suivants : L’Abîme (Paris, Charpentier, 1886, in-18) ; La Nature (ibid., 1892, in-18) ; Le Livre de la Nature (ibid., Delagrave, 1893, in-18) ; Les Apparitions (ibid., Charpentier, 1896, in-18) ; Ce que dit la Vie, ce que dit la Mort (Issoudun, Séry, 1898, in-8o) ; Paysages et Paysans (Paris, Fasquelle, 1899, in-18) ; et un choix de prose : En errant (Proses d’un solitaire) (ibid., 1903, in-18).

C’est pmdant son séjour au pays natal qu’il ressentit les premières atteintes du mal qui devait l’emporter. Une grande douleur intime, la porte d’une compagne dévouée, vint, en 1903, mettre le comble à sa détresse physique. Affaibli, se sentant irrémédiablement perdu, hanté de souvenirs cruels, il quitta son village et se fit conduire dans la maison de sauté du docteur Moreau de Tours, à Ivry-sur-Seine. Il mourut peu après, le 26 octobre 1903, à huit heures trois quarts du matin, d’une « attaque d’entéritt compliquée d’un marasme physiologique ». Il laissait la matière de deux volumes, dont l’un, En ruminant, fut publié par l’éoiteur Fasquelle en 1905.

Des nombreux articles qui furent écrits après sa mort, nous retiendrons les lignes suivantes de M. Gustave Geffroy [2]. Elles peignent l’homme dans son milieu et font aimer l’évocateur des sites, le peintre du paysan berrichon :

« Sans cesse hors de chez lui, c’est pendant les longues marches aux flancs des collines, aux creux des ravins, pendant les heures de pêche, au bord de l’eau lumineuse, que Rollinat sentait cette âme éparse qui lui inspirait ses poèmes. Que de fois, vous, ses amis, qui avez vécu près de lui, vous avez eu la nette perception que cet être bon et charmant, si intelligent, si gai, si amusant, était vraiment le compagnon de ces arbres, l’interlocuteur de ces eaux chuchoteusos, le véritable feu follet de ces marécages ! Combien de fois ne vous est-il pas apparu comme le solitaire-né de cette solitude, destiné à glorifier et à expliquer tout ce qui l’entourait, à porter la parole pour les humbles et les silencieux, pour les ètres rencontrés, silhouettes des champs et des routes, pour les animaux aux yeux expressifs pour les végétaux fragiles, pour les lourdes pierres, pour le nuages fugitifs. Cette affinité particulière, c’est le caractère esentiel de la poésie et de la musique de Maurice Rollinat… De sa maison bâtie entre les deux Creuses, maison toute base, juchée haut, il avait sa fenètre ouverte sur l’etendue. Tout ce qui se passait sur la route, chaque bruit qui venait des champs, chaque état du ciel, était un événement pour le sensitif désireux de l’isolement possible et des infinies occupations de la vie agreste… Rollinat, avec la nature la plus fine, était avant tout un rustique imprégné de toutes les influences de force et de douceur de la campagne, des musiques de l’air et de l’eau, des aromes de la terre et des végétaux. Quand il promettait, aux premiers jours de sa jeunesse, en publiant ses vers de début, d’avoir son cabinet d’études « dans les clairières des forêts », lui-même ne savait pas avoir si complètement raison et fournir si exactement le pronostic de son existence future… »

Bibliographie. — Ad. Brisson, Portraits intimes ; Paris, Colin, 1900, in-18. — La Revue du Berry, à Maurice Rollinat, numéro spécial ill. (Chateauroux, A. Mellotée, 1904, in-4o). Articles et documents de Maurice Dauray, J.-Pierre, J. Barbey d’Aurevilly, Albert Decourteix, Hugues Lapaire, Alb. Chantrier, Alb. Léger, A. Ponroy, Gustave Geffroy, Eugène Hubert, etc. — Dr Grillety : Souvenirs sur Rollinat, etc. ; Mâcon, imprim. Protat, 1908, in-16.


LES GARDEUSES DE BOUCS

Près d’un champ de folles avoines
Où, plus rouges que des pivoines,
Ondulent au zéphyr de grands coquelicots,
Elles gardent leurs boucs barbus comme des moines,
Et noirs comme des moricauds.

L’une tricote et l’autre file.
Là-bas le rocher se profile
Noirâtre et gigantesque entre les vieux donjons,
Et la mare vitreuse où nage l’hydrophile
Reluit dans un cadre de joncs.


Plus loin dort, sous le cîel d’automne,
Un paysage monotone :
Damier sempiternel aux cases de vert cru.
Que parfois un long train fuligineux qui tonne
Traverse, aussitôt disparu.

Les boucs ne songent pas aux chèvres,
Car ils broutent comme des lièvres
Le serpolet des rocs et le thym des fossés ;
Seuls, deux petits chevreaux sautent mutins et mièvres
Par les cheminets crevassés.

Les fillettes sont un peu rousses,
Mais quelles charmantes frimousses,
Et comme la croix d’or sied bien à leurs cous blancs !
Elles ont l’air étrange, et leurs prunelles douces
Décochent des regards troublants.

Pendant que chacune babille.
Un grand chien jaune dont l’œil brille.
L’oreille familière à leur joli patois,
Les caresse, va, vient, s’assied, court et frétille,
Aussi bonhomme que matois.

Et les deux petites gardeuses
S’en vont, lentes et bavardeuses.
Enjambant un ruisseau, débouchant un pertuis.
Et rôdent sans songer aux vipères hideuses
Entre les ronces et les buis.

Or, l’odeur des boucs est si forte
Que je m’éloigne ; mais j’emporte
L’agreste souvenir des filles aux yeux verts :
Et, ce soir, quand j’aurai barricadé ma porte,
Je les chanterai dans mes vers.

(Dans les Brandes.)


PAYSAGE GRIS

Déjà cette prairie, en commençant l’hiver,
Étendait son tapis d’herbe courte et fripée ;
Elle languit encor, de plus en plus râpée.
D’un gris toujours plus pâle et moins mêlé de vert.


Et pourtant, il y vient, poussant leur douce plainte,
Dressant l’oreille au vent qu’ils semblent écouter,
Quelques pauvres moutons qui tâchent de brouter
Ce regain des frimas dont leur laine a la teinte.

Mais le vivre est mauvais, le temps long, le ciel froid
À la file ils s’en vont, l’œil fixe et le cou droit,
Côtoyer la rivière épaisse qui clapote,

S’arrêtant, quand ils sont rappelés, tout à coup,
Par la vieille, là-bas, contre un arbre, debout,
Comme un fantôme noir dans sa grande capote.


TRISTESSE DES BŒUFS

Voilà ce que me dit, en reniflant sa prise.
Le bon vieux laboureur, guêtré de toile grise,
Assis sur un des bras de sa charrue, ayant
Le visage en regard du soleil rougeoyant :

« Ces pauv’bêt’d’animaux n’comprenn’pas qu’la parole.
T’nez ! j’avais deux bœufs noirs !… Pour labourer un champ
C’était pas d’leur causer ; non ! leur fallait du chant
Qui s’mèle au souffl’de l’air, aux cris d’l’oiseau qui vole !

« Alors creusant l’sillon entr’buissons, chên’s et viornes,
Vous les voyiez filer, ben lent’ment, dans ceux fonds,
Tels que deux gros lumas, l’un cont’l’aut’, qui s’en vont
Ayant tiré d’leu têt’tout’la longueur des cornes.

« L’sillon fini, faisant leur demi-rond d’eux-mêmes,
I’s en recommençaient un auprès, juste à l’endroit ;
J’avais qu’à l’verl’soc qui, rentré doux, r’glissait droit…
Ainsi, toujours pareil, du p’tit jour au soir blême.

« C’était du bel ouvrage aussi m’suré q’leur pas,
Q’ça soit pour le froment, pour l’avoin’, pour le seigle,
Tous ces sillons étaient jumeaux, droits comme un’règle,
Et l’écart entr’chacun comm’pris par un compas.

« Par exempl’, fallait pas, dam’! q’la chanson les quitte !
À preuv’que quand, des fois, j’la laissais pour prend’vent,
I s’arrêtaient d’un coup, r’tournaient l’mufle en bavant
Et beurmaient tous les deux pour en d’mander la suite.


« Mais c’est pas tout encor ; dans l’air de la chanson
I v’laient d’la même tristesse ayant toujou l’mêm’ son,
A cell’ du vent et d’l’arb’toujou ben accordée.
Mais d’la gaieté ? jamais i’ n’en voulur’ un brin !

« Ca tombait bon pour moi qui chantais mon chagrin.
Y a donc des animaux qu’ont du choix dans l’idée
Et qu’ont l’naturel trist’puisque, jamais joyeux,
Dans la couleur des bruits c’est l’noir qu’i’s’aim’le mieux.

(Paysages et Paysans.)


LE CHAT-HUANT

Dans un gros chêne court qui pèle et se prosterne,
Le bon vieux chat-huant, tout le jour assoupi,
Spectral et ténébreux, reste roide accroupi,
Parfois de ses yeux ronds éclairant sa caverne.

En ce creux où le ver avec la mouche alterne,
Dur d’oreille il n’entend ni le chien qui glapit.
Ni le pivert criard qui cogne et déguerpit.
Il goûte la paix close et le silence interne.

À l’aube et vers le soir dont il flaire l’instant,
Il quitte son tronc d’arbre et cherche en voletant
La grenouille verdâtre et le mulot gris sombre.

Le sybarite oiseau, qui veut longtemps vieillir.
Ne quitte son repos que pour aller cueillir
Tout le frais du matin, toute la fleur de l’ombre.



  1. Maurice Dauray, Maurice Rollinat, biographie ; Revue du Berry.
  2. Cf. Revue du Bcrry, 1904.