Les Poètes du terroir T I/P. Le Loyer

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 55-57).

PIERRE LE LOYER

(1550-1634)


On le nommait Le Loyer, sieur de la Brosse. Il naquit à Huillé, village près de la petite ville de Duretal, sur le Loir, le 24 novembre 1550, de Pierre Le Loyer, Angevin, et de Jeanne Panchèvre. Il y a lieu de croire, selon l’abbù Goujet, qu’il fit ses premières études à la Flèche ou à Angers, et qu’après un séjour à Toulouse, afin de s’exercer à la counaissance du droit, il se rendit à Paris, où il publia en 1579, chez Jean Poupy, un recueil de vers sous ce titre : Les Œuvres et Meslanges poétiques de Pierre le Loyer, Angevin : ensemble la comédie Néphélococurgie, ou la Nuée des Cocus, non moins docte que facétieuse, in-12. Par la suite, il se retira à Angers, s’y fit recevoir dans une charge de conseiller au présidial et épousa Jeanne Corneillau, sœur de Pierre, théologal de l’église d’Angers, dont il eut deux lils, Pierre, qui fut conseiller au même présidial, et François, qui exerça la profession d’avocat. Le Loyer mourut en cette ville, en 1634, âgé de quatre-vingt-quatre ans, et y fut inhumé dans l’église Saint-Pierre. Ménage a dit qu’il était habile dans les langues hébraïque, arabe, chaldéenne, grecque et latine, mais que, par contre, il était fort ignorant du droit, c’est-à-dire qu’il « sçavoit presque tout, hormi ce qu’il auroit dû sçavoir ». « Il étoit tellement infatué des langues orientales, ajoute le même commentateur, que dans ses livres des Colonies Muméanes, imprimés à Paris en 1620, in-8o, il fait venir de la langue hébraïque ou chaldaïque non seulement les noms de villes de France, mais encore ceux des villages d’Anjou, des hameaux, des maisons, et même des pièces de terre et des parties de prés. Homère étoit encore pour lui le fonds le plus riche : dans un seul vers de ce poète il trouvoit son propre nom, celui du village où il avoit pris naissance, son nom de baptême, celui de la province où est situé Huillé, et celui du royaume où cette province est enfermée. » Malgré cela, très érudit, bon homme, très malicieux et plaisant à entendre et surtout à lire ; ses poésies nous le font bien connaître.

Il a fait, sous la forme d’une idylle, un vif éloge du Loir et célébré plusieurs fois dans ses sonnets le beau pays angevin.

Bibliographie. — Gilles Ménage, Anti-Baillet, etc. — Abbé Goujet, Bibliothèque française, t. XV, p. 357.



SONNETS


I


Douce et fresche eau, claire fontaine et belle,
Dont le Surgeon doucement murmurant
Proche du lieu son origine prend,
Là où se voit ma maison paternelle,

Ton vif ruisseau qui dans le Loir se mesle,
Digne du fleuve où vassal il se rend.
Net, argentin et sans bourbe courant,
Lave les prez de sa veine éternelle.

Que n’ay-je en moy de l’Ascrean sonneur,
Et du T[o]scan qui fut d’Arne l’honneur[1],
L’art, le sçavoir, et les chants et la Muse !

Claire fontaine, Helicon tu seroys
Et plus de nom en mes vers tu auroys,
Que n’eut jamais la fontaine Valcluse.


II


Nymphe cachée en la claire fontaine,
Qui ma maison embellist de son cours,
Nymphe sacrée, ô nymphe que tousjours
J’ay honoré comme Nymphe haultaine !

Combien de foys ay-je beu à main pleine
De ta fraische eau resvant en mes amours !
Combien de foys aux plus chaleureux jours
Dessus tes bords ay-je endormy ma peine ?

Combien souvent t’ay-je, Nymphe, conté
Le fier desdain, l’orgueil, la cruauté
De ma maistresse en l’amour trop rétive !

Combien aussi mes yeux, deux vifs ruisseaux.
Ont-ils meslé de larmes dans tes eaux,
Comme à l’envy de ta fontaine vive !


III


O le séjour de ma muse angevine,
Et de mes vers le fidelle temoing,
Petit Huillé, mon Huillé, le doux soing
Que voluntaire en mon cœur je confine.

Dans toy le ciel d’une faveur benine
A respandu, soit auprès, soit au loing,
Tout ce que peult avoir l’homme besoing
Pour se pourvoir encontre la famine.

Bacchus remplit tes cousteaux de bon vin,
Qui est l’honneur du terroir Angevin,
Et dans tes champs est Cérès la dorée,

Dedans tes prez mille troupeaux on voit,
Qui vont repeuz, portant dedans leur troict
Leurs pis enflez sur la tarde serée.

(Œuvres et Meslanges poétiques, 1579.)



  1. Pétrarque.