Les Poètes du terroir T I/Sybil

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 26-28).
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SYBIL



Deux recueils de poèmes, La Guirlande des Jours et Les Accords, publiés l’un en 1902 et l’autre en 1904, par les soins du Mercure de France, ont répandu dans un cercle restreint ce pseudonyme énigmatique. On a goûté ces vers souples et mélodieux où chante l’âme du pays, mais sans rien connaître de leur auteur. Alsacienne par son père, lorraine par ses ascendants maternels, « Sybil » est née à Strasbourg en 1881 et semble n’avoir jamais quitté son pays d’origine. Sa poésie est mystérieuse, émouvante comme les sites qu’elle célèbre. Tantôt noyée de brume, ou bien à demi colorée, elle évoque le décor de petites villes provinciales, de bourgs étagés dans la montagne, de sapinières immobiles et muettes sous la bise de l’est ou du nord. Des souvenirs indiscrets s’y attachent, vision brusque d’ancien régime, mirage d’antiques chevauchées :

Taïaut ! La neige claire
Marque les pistes, au bois :
Je songe que mon grand-père
Etait louvelier du Roy…

Mlle  « Sybil » (son premier recueil portait ce nom : Sybil O’Santry) a collaboré au Mercure de France et à la Revue alsacienne illustrée.



AQUARELLE


Comme les plis tombants d’une toge héroïque,
Cachant la dure chair de la montagne antique,
La forêt de sapins s’éploie.

Le matin vient baiser les cimes par le front,
Et le couvent qui dort, paisible, sur le mont,
Comme un vieillard heureux, s’éveille.

La plaine est à ses pieds, parée, diverse et douce,
Le vent caresse les cheveux des moissons rousses,
Les vignes lourdes penchent.

Et les villages, que le clair soleil pénètre,
Entrouvrent, paresseux, les yeux de leurs fenêtres.
Des coqs. L’Angélus tinte.

La forêt verte, de ses sombres plis, enserre
Les flancs rudes de la montagne légendaire :
Sainte-Odile.


PETITS POÈMES
I

Sur cette place, où tes pas ont sonné, Roi Soleil,
Que mes ancêtres accueillirent joyeusement,
Avec des feux d’artifice sur l’eau, et le déploiement
Des drapeaux, au soleil ;

Sur cette place, où les dames de la cour,
En robes de satin, en talons hauts,
Etalèrent leurs pompeux atours,
Quand Marie Leczinska vint à Strasbourg ;

Sur cette place, où maintenant les enfants jouent
Au cerceau, à la toupie, en avril,
Le printemps a mis tant de grâce fragile
Que c’est lui seul que je loue.


II

Sur l’eau morte, où les pieds de la forêt baignaient,
Sur ce pays d’étangs, de vergers, de hêtraies,
La brume de printemps flottait comme une écharpe.

Tout était morne et doux. Vers la lisière bleue
Des bois, un vieux pêcheur relevait ses verveux,
Et dans l’ombre luisait le bond preste des carpes.

Ô villages ! blottis au creux des vallons roux !
Je songe à Fiesole, située comme vous.
Mais qui est un bouquet entre des seins de femme…

III


Taïaut ! La neige claire
Marque les pistes, au bois ;

Je songe que mon grand-père
Etait louvetier du Roy.

L’appel clair de cors de chasse,
L’aboi bref des chiens courants,
Eveille toute ma race,
Au fond de mon cœur violent.

Mêlés aux bises amères,
Dans les forêts familières,
J’entends d’anciens hallalis,

Et dans les notes des cors,
La plainte affreuse, inouïe,
Des loups traqués, stagne encor.


IV

Nous aimions l’or de la campagne
Et les bûcherons qui passaient,
Traînant les rois de la montagne.
Le long des routes en lacets.
Mais lorsque le bruit des cognées
Retentissait par la vallée,
Ta nostalgie bondissait
Vers les taillis impénétrables,
Vers la hètraie, vers les érables,
Où jadis la chasse sonnait.
Maintenant que de la montagne
Le soir descend, vide et serein,
Nos rêves tristes accompagnent
L’écho des cors dans le lointain.

(Les Accords.)