Les Poètes du terroir du 15e siècle au 20e siècle/L’Héritage (Potez)

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Henri Potez
L’Héritage
Librairie Ch. Delagrave (Tome IVTome IVp. 150).


L’HÉRITAGE

Dulces ante omnia Musæ.


Le vieux pâtre en mourant m’a laissé tous ses biens :
Ses brebis aux toisons soyeuses ; ses deux chiens ;
Son jardin égayé d’un murmure d’abeilles ;
Son logis ; son verger plein de pommes vermeilles,
Dont un rouge Priape écarte les oiseaux ;
Quelques prés d’herbe maigre où croissent des roseaux ;
Quelques talus rocheux où les chèvres vont paître ;
Et, pour fêter les dieux, une coupe de hêtre
Où je mélange l’eau des sources et le vin.
Mais il m’a donné mieux, sa flûte au chant divin.
Quand, le soir, revenant des forêts, je ramène
Mon troupeau fatigué vers mon petit domaine,
Quand, sous les monts qu’effleure encore le soleil,
La campagne brumeuse est pleine de sommeil,
Je fais souvent, parmi les ombres agrandies.
Flotter autour de moi de vagues mélodies :
Le chevrier qui vient derrière moi, rêvant,
Entend ma chanson grêle éparse dans le vent.
Pareille à la rumeur des fontaines, mêlée
À tous les bruits confus et doux de la vallée :
Il songe au berger mort, et croit ouïr parfois
Son âme harmonieuse et triste dans les bois.

(Jours d’autrefois.)