Les Poissons et les Animaux à fourrure du Canada/Chapitre 4

La bibliothèque libre.

CHAPITRE IV

LA CHASSE AU LOUP-MARIN SUR LES GLACES

I


Qui croirait que les immenses champs de glace qui se forment, dès le mois de novembre, dans le golfe Saint-Laurent, sont le théâtre de la chasse la plus excitante, la plus meurtrière et la plus lucrative qui se fasse sur notre globe ?

Il en est ainsi cependant.

Aussitôt que l’hiver a envahi solidement les parages et serré dans son étreinte les eaux du golfe, d’innombrables troupeaux de phoques, arrivant de l’Atlantique, pénétrent dans le détroit de Belle-Isle, qu’ils mettent plusieurs jours à franchir, à cause de leur nombre incalculable, et envahissent les fiords, les baies et les anses du grand estuaire où foisonnent les petits poissons dont ils font une opulente nourriture.


Le mois de février venu, les femelles mettent bas sur les glaces qui emprisonnent l’eau sur d’immenses étendues, atteignant des milliers de kilomètres carrés. Les petits croissent avec une étonnante rapidité et sont déjà, vers la fin de mars, époque à laquelle les glaces se détachent des rivages et se fractionnent en vastes nappes distinctes, une proie digne des plus ardentes convoitises du chasseur.

Des goélettes, armées pour la chasse, montées par une douzaine d’hommes chacune, s’élancent des ports de la Pointe-aux-Esquimaux et de Natashquan, sur la côte du Labrador canadien, en même temps que des Îles-de-la-Madeleine, situées dans le golfe, à peu de distance de l’Atlantique, et se portent vers les champs de glace littéralement recouverts de phoques. Ceux-ci, jeunes et vieux, attendent le moment où les derniers-nés seront devenus capables de prendre la mer, pour commencer une émigration vers les parages du Groënland.

Alors les hommes descendent des goélettes, armés chacun d’un bâton et d’un couteau, et la tuerie commence. Elle dure trois à quatre semaines, et les goélettes retournent ensuite à leurs ports respectifs avec un butin plus ou moins précieux, plus ou moins considérable, qui atteint, dans les bonnes années, jusqu’à douze à treize cents pièces, par navire et par voyage.

* * * *

À part la chasse qui se fait par les voiliers, il y a celle que les habitants de l’île de Terreneuve font au moyen de steamers, dont quelques-uns jaugent jusqu’à 500 tonneaux, et portent de 150 à 300 hommes.

Cette chasse est autrement importante que la première, et ses résultats se chiffrent en moyenne par un demi-million de pièces. On a même vu des steamers rapporter d’un seul voyage jusqu’à 60,000 pièces. Le loup-marin valant en moyenne quinze francs, on se fait aisément une idée de la valeur annuelle de ces prises. Aussi, l’île de Terreneuve renferme-t-elle plusieurs maisons commerciales qui ont fait des bénéfices énormes dans l’industrie de la chasse aux phoques de l’Atlantique, la plus nombreuse de toutes les familles de pinnipèdes.

* * * *

La chasse au phoque est si rémunératrice que, malgré les dépenses très grandes que nécessite l’exploitation de cette industrie, les hommes du métier assurent que les capitaux y engagés ne peuvent rapporter moins de 25 pour cent et donnent souvent de 40 à 50 pour cent.

Cette chasse, qui avait diminué sensiblement depuis 1886, on ne sait pour quelle raison, a repris de plus belle en 1899, et promet de faire revivre les anciens rendements.


Le port de Bristol, en Angleterre, est le principal marché pour la vente des peaux et de l’huile de loup-marin.

La peau, aussitôt détachée du corps de l’animal, est salée et empaquetée pour l’exportation en Angleterre, où l’on en fabrique les cuirs les plus recherchés pour leur souplesse, leur poli et leur imperméabilité. De la graisse on tire de l’huile employée dans les phares, les mines, la lubrification des machines, le repassage des peaux et la fabrication des savons fins.

Il faut, en moyenne, de onze à quatorze livres de graisse pour faire un gallon d’huile. La tonne vaut un peu plus de sept cents francs.