Les Poliorcétiques — Chapitre 8

La bibliothèque libre.
Chapitre 7 Les Poliorcétiques
Apollodore de Damas
Chapitre VIII
Des échelles
Chapitre 9



§ 1. — Considérations générales.[modifier]

De tous les engins mentionnés plus haut, les échelles sont les plus commodes, les plus faciles à se procurer et à construire, les plus utiles, et ceux qu’on peut le plus facilement réparer ; mais ce sont aussi les plus exposés au danger ; car ces échelles sont entièrement à la merci des défenseurs de la place.

Ceux-ci peuvent, en effet, s’emparer sans peine et de l’échelle elle-même et des hommes qui en font usage ; car, une fois les échelles approchées du mur, les assiégés peuvent les attirer à eux, les repousser, les briser, ou même empêcher de les mettre en place ; quant aux hommes qui y montent, ils sont, dès le début de leur ascension, exposés au danger des projectiles dirigés contre eux ; une fois parvenus au sommet de l’échelle, ou à une grande partie de la hauteur, d’où leur chute peut avoir lieu de plus haut, ils sont repoussés, et tombent avec l’échelle ; ou encore, on les accable de projectiles d’un poids considérable lorsqu’ils sont sur le point d’atteindre le rempart, et ils sont précipités sur le sol.

Il n’existe pas de moyen pratique de protéger ces hommes, parce qu’ils sont toujours placés en contrebas de l’ennemi, solidement établi sur le haut du rempart, tandis qu’eux situés plus bas, ne forment qu’une file étroite sur les degrés de l’échelle, et ils ont en outre le désavantage d’être privés de l’usage de leurs mains.

Aussi est-il nécessaire avant tout que ces échelles soient conçues de manière à être faciles à se procurer, à construire et à transporter, composées de petites pièces de bois, et disposées de manière à dépasser le mur de trois pieds au moins.[1]

§ 2. — Construction et assemblage des échelles.[modifier]

On doit donner à chacune de ces échelles une longueur de douze pieds, et les construire en bois de frêne, de hêtre, d’orme, de charme, ou tout autre semblable, léger et résistant. Car il faut que les échelles puissent suivre l’armée toutes faites, comme les armes, et qu’elles n’aient ni trop de volume ni trop de poids.

Les échelles doivent toutes être reliées entre elles (deux à deux) par deux échelons, les deux premiers et les deux derniers.

Les premières doivent avoir de plus que les secondes, en largeur, l’épaisseur des deux montants ; les secondes doivent être de même par rapport aux troisièmes, et celles-ci par rapport aux quatrièmes.

Si le rempart est assez élevé pour nécessiter l’assemblage de quatre échelles, ou plus, on les ajustera de la manière suivante

On fait entrer les deux montants de la seconde échelle dans l’intervalle de ceux de la première, et on fait correspondre les deux premiers échelons de la première avec les deux derniers de la seconde, de manière à les relier au moyen de clavettes en fer ou en bois ; il faut que les abouts des échelles soient cerclés de lames de fer sur toute leur longueur à partir de l’extrémité, pour que, par suite du poids qui les charge, les trous des clavettes ne les fassent pas fendre ; et les échelles doivent de chaque côté être assemblées et réunies : avec ces soins on arrivera toujours à construire une longue échelle.

Les premiers échelons, ceux du milieu et les derniers, entourés de lames de fer, sont cloués sur les montants.

On assemble les échelles de la manière suivante :

La dernière se place verticalement ; on l’assemble avec la seconde, et on pose une clavette ; à côté de l’échelle, on dispose une pièce de bois peu élevée, munie d’une traverse retenue par quatre câbles, de manière à rester verticale. Lorsqu’on tire cette pièce de bois placée contre la première échelle, elle la fait suivre, ainsi que celle qui y est liée par une clavette ; et celle-ci est assez élevée pour se maintenir d’aplomb, de manière à recevoir une seconde clavette ; et les deux échelles n’en forment plus qu’une. De même pour la troisième échelle on la fixe par une seule clavette, on l’élève au moyen de la poutre transversale, on la dresse, et on pose la seconde clavette.

Pour que les échelles ne vacillent pas d’en haut, on y adapte dans le sens de la largeur quatre câbles, qui les préservent provisoirement de l’oscillation.

De même, on fera suivre la quatrième, si la hauteur l’exige ; les quatre échelles se comporteront alors comme une seule échelle droite.

On doit placer sous la première échelle une poutre légèrement arrondie, sur laquelle elle s’adaptera au moyen de barillets et de clavettes ; cette poutre aura une épaisseur d’un demi pied à douze doigts (0,16 m à 0,23 m), et une longueur de quinze pieds ; à ses extrémités, il faut poser des arcs-boutants formés de pièces de bois clouées, qui seront inclinées contre les montants de l’échelle, de manière à empêcher les oscillations dans un sens ou dans l’autre. Contre cette poutre, on fiche en terre deux pieux de chaque côté, afin de pouvoir tourner et incliner l’échelle sans la renverser.

Les soldats se tiendront sur les échelles,[2] et lorsque le moment sera venu, on les inclinera toutes, et ils fondront en foule sur l’ennemi.

Dans le bas, il faut avoir des câbles placés en arrière, et tendus au moyen de machines, afin que si le choc était trop violent, on puisse ramener en arrière loin du rempart les échelles retenues par ces câbles.

§ 3. — Fléau assemblé sur les échelles.[modifier]

Il faut aussi, soit sur les échelles, soit sur un bras qui les dépasse de cinq pieds, suspendre une longue planche semblable à une vergue de vaisseau ; on peut aussi placer deux bras en saillie, avec une barre assemblée avec eux, et suspendre cette planche au milieu à la manière d’un joug de bœuf.

Mais, comme pour cela il faut de longues planches, et que les longues pièces ne sont pas faciles à se procurer, on peut en prendre une de vingt pieds au moins, avec laquelle on en assemblera en longueur une autre de vingt pieds, de manière que les deux ensemble donnent une longueur totale de quarante pieds. La largeur de ces pièces doit être d’au moins un pied, et épaisseur de deux doigts au moins. Puis, se reculant de douze pieds, il faut assembler de chaque côté deux planches de vingt pieds, et on complète la longueur au moyen de deux autres de huit pieds posées à la suite [des secondes de vingt pieds] ; puis, se retirant encore de vingt-six pieds (par rapport aux premières planches), on en place par-dessous deux de quatorze pieds.

Les planches seront ainsi juxtaposées, une de douze pieds dé passant, puis les secondes de quatorze pieds, avec trois planches d’épaisseur ; enfin les troisièmes, également de quatorze pieds de longueur, avec cinq planches d’épaisseur. L’assemblage doit être régulier ; puis on les perce dans leur milieu. Elles doivent être distantes entre elles de deux doigts et demi.[3]

Tout le système doit être relié de chaque côté au moyen de cordes ou de nerfs tendus avec soin et coincés, et s’engageant dans de petites encoches pratiquées dans les planches, afin que le lien ne glisse pas ; il est encore préférable de se servir d’éclisses clouées, pour que tout l’ensemble soit consolidé sans entailler les planches et que l’ouvrage entier présente une forme plus étroite.[4]

Il faut suspendre cet engin à douze pieds[5] de la partie la plus épaisse, également avec des anses clouées de chaque côté, afin que la suspension reste en place, et que la plus grande longueur fasse exactement équilibre à l’autre, ou que le poids de cette longueur ne donne qu’un faible excédent.

On doit, en outre, disposer à l’extrémité de la partie la plus épaisse un câble, distant de douze pieds du point de suspension ; de même un autre de l’autre côté de ce même point, à cette même distance de douze pieds.

(Au moyen de l’appareil qui vient d’être décrit), il arrivera que, en tirant le câble supérieur, (celui de la partie la plus épaisse), tout le système de planches sera soulevé, et qu’en lâchant le câble, elles retomberont violemment ; surtout si l’on vient en aide à l’action de la gravité en tirant l’autre câble ; et l’on pourra ainsi renverser tous les hommes qui se trouveront sur le rempart.

Il est bon de clouer des lames de fer tout autour des côtés de la première planche (celle qui dépasse de douze pieds), afin d’éviter qu’elle se fende.

Cette planche, composée et organisée comme des antennes de navire, est susceptible d’être manœuvrée non seulement vers le haut et vers le bas, mais aussi de chaque côté, de manière à pouvoir l’abattre, non sur un seul point, mais sur plusieurs.

Ci-dessous est la figure de l’ensemble des planches, ainsi que de la suspension.

§ 4. — Appareil pour verser des liquides brûlants sur les remparts[modifier]

On relève dans ce cas les deux bras latéraux de l’échelle on passe la traverse qui les lie, et on y suspend une longue perche amincie à une extrémité, et entaillée suivant une rainure semi circulaire, présentant la forme d’une gouttière ; sa longueur ne doit pas être inférieure à trente pieds.

Elle doit être suspendue à huit pieds de hauteur, et l’extrémité la plus courte doit être retenue par des câbles, afin d’éviter que le long bras vacille trop fortement, et de permettre, au moyen des câbles, de l’incliner à. volonté. Il faut disposer autour du point de suspension des (plaques en forme de) joues, fixées avec des clous, de manière à. recevoir facilement les liquides qui seront versés (sur la perche).

Il arriver alors que, si l’on met de l’eau dans l’appareil, elle s’écoulera tout le long de la gouttière ; mais, pour qu’elle ne s’écoule pas en masse comme dans un siphon, il faut suspendre dans la rainure une plaque d’airain percée de trous, de telle sorte que le courant soit partagé, et, se répandant, occupe un plus grand espace.

Le liquide qu’on emploiera sera de l’huile bouillante, ou de l’eau chaude, plus facile à se procurer ; en tombant sur la poitrine des assiégés, elle les brûlera.

On fera arriver sur l’échelle l’eau ou l’huile chaude, dans des vases d’airain, au moyen d’un câble enroulé sur une poulie suspendue à. la partie supérieure de l’échelle ; l’extrémité de ce câble doit arriver jusqu’au niveau du sol ; à. chacune de ses extrémités, on disposera des seaux, soit de jonc tressé, soit d’airain, soit de bois, peu importe, sur lesquels on placera les vases renfermant le liquide chaud. Il arrivera, en conséquence, que, lorsqu’on attirera le seau vers le haut, celui qui est plein montera, et le vide redescendra ; et, faisant ainsi sans s’arrêter, ira toujours se remplir de liquide.[6]

Dans le cas où l’on n’a pas de perche convenable, deux planches assemblées avec soin peuvent faire le même effet, ou de longues lames de fer concaves, assemblées bout à bout pour augmenter leur longueur.

Si ni la perche ni le tuyau ne peuvent atteindre le mur, on incline l’échelle, de façon à la faire avancer de chaque côté ; car ce genre de liaison est susceptible de mouvement dans tous les sens.

La figure est ci-dessous.

§ 5. — Échelles portant un bélier.[modifier]

On assemble, en avant de la tour qui porte le bélier, deux échelles, assez éloignées l’une de l’autre vers le pied, un peu plus épaisses que les premières, et se rapprochant vers le haut, en conservant un écartement de six pieds au moins ; elles ne doivent pas être tournées du côté du rempart.

Dans la partie supérieure, du troisième échelon de l’une au troisième échelon de l’autre, on dispose un plancher formé de poutres et de planches ; puis, à dix-huit ou vingt pieds (plus bas), d’autres échelons reçoivent un plancher, mais qui ne doit pas régner sur toute la largeur, car il faut laisser sans être planchéiée la place de l’échelle destinée à l’ascension. De chaque côté des échelles, on doit placer des chevilles en saillie, qui permettent de planchéier sur une étendue plus large que l’intervalle des échelles.

C’est alors qu’on établira un bélier suspendu au plancher supérieur au moyen de deux points de suspension bien exactement de niveau, afin que les hommes qui sont montés sur les étages supérieurs puissent combattre au moyen du bélier ; car tout poids trop élevé ou trop dégagé est facile à briser ; et, au moyen de ce bélier, les hommes pourront, grâce à sa forme carrée, arriver jusqu’au rempart, en plaçant, ainsi qu’il a été déjà expliqué, des balustrades de chaque côté ; [7] en effet, ces mêmes échelles ne vacillent pas à leurs extrémités, mais conservent un écartement constant.

La figure est représentée ci-dessous.

Seconde disposition.[8] - On peut donner aussi aux échelles une autre disposition, en les plaçant parallèlement au rempart ; alors, elles ne sont pas espacées de la même manière que dans le premier cas, mais parallèles entre elles, tout en étant munies d’étages comme les précédentes. Elles n’en diffèrent qu’en un point ; au lieu d’un seul bélier placé entre elles, on en met deux, disposés extérieurement, sur les deux faces.

Une fois que ces deux béliers ont eu quelque effet, ayant renversé ou brisé les obstacles qui leur étaient opposés, en relâchant les câbles à l’arrière, on fait avancer les deux échelles vers le mur ; l’une d’elles vient s’y appliquer, tandis que l’autre s’en tient à une distance égale à l’écartement qu’on a donné aux deux échelles.

Troisième disposition. — Dans cette disposition comme dans la première, tandis que les hommes chargés du bélier font leur service, les soldats qui sont sur le plancher supérieur harcèlent l’ennemi en combattant, se retranchant derrière les deux premiers échelons, recouverts de peaux, qui leur fournissent un abri semblable aux créneaux d’un rempart.

Ces échelles doubles seront d’une grande utilité pour porter secours et pour la manœuvre, si dans chacune des échelles réunies on ménage entre les chevilles placées au même niveau des incisions de chaque côté, disposées de manière à ne garder entre elles que l’intervalle qui existe entre les échelles, de manière à ne pouvoir ni s’écarter ni se briser. Pour que leur écarte ment ne puisse s’accroître au-delà de la limite adoptée, il faut clouer d’avance aux perches qui servent de montants, et de distance en distance, des anses qui se rapprochent au moyen d’un mouvement circulaire, et compriment l’incision faite dans la cheville.

Ensuite, le bélier que portent les échelles en leur milieu recevra à sa partie supérieure deux planches carrées disposées comme des joues ; ces planches seront percées et recevront des chevilles et des tresses de nerfs ; on placera au milieu de ce faisceau un long bras, comme ceux qui existent dans les lithoboles monancones, que certains auteurs appellent des frondes ; ce bras retenu par un câble formant détente, une fois envoyé violemment contre le mur, frappera les défenseurs du rempart à la manière d’une monancone, et fera de grands ravages parmi ceux qui se trouvent sur le mur.


  1. Cette phrase ne se déduit pas logiquement de ce qui précède, aussi pensons-nous qu’il y a ici dans les manuscrits une lacune ou une transposition.
  2. Les manuscrits et le texte de M. Wescher présentent ici une lacune qui semble peu importante.
  3. Il doit y avoir là une erreur ; en effet, les planches assemblées doivent être jointives, l’auteur n’indiquant aucune fourrure entre elles ; à moins qu’il ne s’agisse de jeu laissé dans la longueur.
  4. muoron schma l’auteur veut dire sans doute que, eu supprimant les liens en corde et les coins qui relient les planches, l’ensemble aura une largeur moins considérable.
  5. Plus exactement à douze pieds et six doigts, distance à laquelle se trouve le centre de gravité de tout le système.
  6. Il résulte très nettement du texte que cette disposition est identique à celle des puits, le seau plein remontant, et faisant descendre le vide, qui se remplit dans le bas ; mais la figure indique une autre disposition, qui est exactement celle de nos chapelets à augets, employée encore couramment pour les norias.
  7. C’est-à-dire que le bélier, formé d’une poutre équarrie, peut servir de pont-volant grâce aux balustrades dont on le munit : voir plus haut, chap. vii, § 4.
  8. Nous avons reporté à leur place naturelle ces deux mots que le texte grec place à tort quelques lignes plus bas.