Les Polonais et la commune de Paris/ANNEXE

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Librairie générale (p. 117-132).

ANNEXE


MÉMOIRE JUSTIFICATIF

DU COMITÉ DE L’ÉMIGRATION POLONAISE.


Un Mémoire sur la participation d’un certain nombre de Polonais à la guerre civile de la Commune vient d’être présenté à l’Assemblée nationale par le Comité de l’émigration polonaise, qui vient de se reconstituer ces jours derniers. Ce comité est composé de membres du parti aristocratique qui n’ont jamais pactisé avec la révolution, mais fait une guerre opiniâtre à la Russie dans la presse qui leur est dévouée. Le parti aristocratique polonais s’est brouillé avec la France depuis le traité de Paris.

Nous reproduirons ce document, qui est très-habilement rédigé et prouve que le Comité, comprenant le tort que la participation des Polonais au mouvement insurrectionnel de Paris a causé à la Pologne, a cru devoir protester contre l’immixtion polonaise dans la guerre civile.

Les honorables signataires de ce Mémoire ont fait une œuvre patriotique en cherchant à disculper leurs compatriotes, mais il n’en est pas moins acquis qu’en leur qualité d’hommes modérés, respectant les lois de l’hospitalité, ils étaient, depuis l’année 1864, exclus de la direction des affaires de l’émigration, qui obéissait à d’autres chefs qu’eux.

Certes, si l’émigration polonaise avait toujours écouté la voix du prince Ladislas Czartoryski et de ses collègues, elle ne se serait pas compromise aux yeux de la France ; mais il en a été malheureusement autrement.

Les journaux polonais Czas et le Journal de Posen pensent comme nous, et reprochent vivement au comité de n’avoir pas élevé la voix au moment où les Polonais entraient au service de la Commune. D’après eux, il est aujourd’hui un peu tard pour récriminer. Les mêmes journaux font des remontrances au comité, ils disent qu’il a eu tort de poser Dombrowski comme russe, d’autant plus qu’il est acquis que ce personnage a participé à toutes les conspirations polonaises.


Voici le document présenté à l’Assemblée nationale :


Monsieur le président,


Les émigrés polonais en France, voyant quelques-uns de leurs compatriotes s’engager dans les troupes de la Commune, se sont empressés de protester hautement contre cet impardonnable oubli de tous les devoirs[1]. Dans diverses déclarations publiées, soit collectivement, soit individuellement, en province, à Versailles et à Paris même, où cette publication n’était pas sans danger, ils ont dénoncé ces hommes comme doublement coupables envers la France et envers la Pologne. Ils ont rappelé que les statuts de l’émigration nous défendent rigoureusement de nous mêler aux conflits intérieurs des pays qui nous donnent l’hospitalité, et que quiconque parmi nous agit contre cette règle s’exclut lui-même de notre communauté. La grande majorité de l’émigration polonaise a cru avoir ainsi suffisamment repoussé toute solidarité avec ceux qui, d’ailleurs, ne constituaient dans son sein qu’une infime minorité.

Malheureusement, la notoriété extraordinaire qu’ont acquise deux ou trois de ces individus, jusque-là fort obscurs et entièrement inconnus, semble avoir fait oublier toutes ces déclarations. Nommés journellement avec grand fracas dans les bulletins mensongers de l’insurrection, ces hommes coupables ont paru se multiplier aux yeux du public, et bientôt on en est venu à parler de milliers de Polonais au service de la Commune. Aujourd’hui encore on les compte par centaines, et les journaux reproduisent sans le moindre scrupule ces calculs imaginaires.

…Une feuille a publié une liste des fonctionnaires étrangers de la Commune, civils et militaires, dans laquelle elle met sur le compte des Polonais plusieurs noms fantastiques et même burlesques, qui n’ont jamais existé, ou bien des noms qui sont notoirement russes, valaques, espagnols[2]. D’autres journaux ont reproduit sans hésitation cette liste comme si c’était un document authentique.

Cette même feuille, qui se montre particulièrement indignée, a dit sans broncher que « les Polonais se sont mis à la tête des assassins et des incendiaires ». Encore un peu, et nous apprendrons que ce sont les Polonais qui ont brûlé Paris.

Nous avons gardé jusqu’ici le silence en face de toutes ces exagérations. Nous nous sommes tus pendant un mois, croyant que, l’effervescence des premiers moments une fois passée, on reviendrait à une appréciation plus conforme à la vérité. Malheureusement, notre attente tarde à se réaliser, et nous voyons que ces bruits faux ou exagérés, accueillis à la légère, amènent des conséquences fâcheuses pour tous les Polonais en général.

La crédulité du public, la difficulté qu’on a en France de connaitre tout ce qui est étranger, ont fait prendre au sérieux les accusations vagues et sommaires lancées contre les Polonais. D’un autre côté, l’énormité même des crimes a produit une tendance naturelle à les faire retomber plutôt sur les étrangers que sur les Français, et parmi les étrangers on met en avant les Polonais, grâce au déplorable retentissement qu’ont reçu les noms, entièrement ignorés jusqu’ici, d’un Dombrowski et d’un Okolowitch.

Bref, l’opinion publique, surtout dans la classe moyenne de la bourgeoisie, semble étendre à tous les Polonais une espèce de complicité morale dans les terribles événements dont Paris a été le théâtre. Le nom polonais devient de divers côtés un objet de suspicion, de prévention et d’éloignement. Nous nous ressentons, dans nos relations sociales, de ce changement de dispositions à notre égard. Là où jusqu’ici régnait une parfaite cordialité nous rencontrons une froideur marquée. Quelques-uns de nos compatriotes se sont vu refuser du travail à de leur nom polonais. D’autres nous écrivent de province pour se plaindre du mauvais vouloir qu’on leur témoigne. Des propos injurieux ne nous sont même pas épargnés. Il y a des naïfs qui paraissent voir dans chaque Polonais un communeux ou un incendiaire.

…Aucun Polonais, nous l’affirmons sur notre honneur, n’a trempé dans les incendies ; aucun Polonais n’a participé au pillage des églises et des établissements publics ; aucun Polonais n’a eu la moindre part, directe ou indirecte, dans l’assassinat des otages. Le nombre des Polonais ayant servi la Commune est loin d’être aussi considérable qu’on le prétend ; ils ont été moins nombreux que les Belges, les Italiens et les Allemands, et leur participation a été purement et exclusivement militaire.

Il y a 3,700 émigrés polonais en France, dont 1,200 environ habitent Paris. Sur ce dernier nombre, plus de 500 sont entrés dans la garde nationale parisienne au moment où la capitale se préparait à la défense contre les Prussiens. Les préliminaires de paix signés, le Comité polonais, qui tenait le contrôle de ces enrôlés, les a invités à quitter le service, qui n’avait plus d’objet pour eux. À l’exception de 74, tous se sont rendus à cette invitation[3]. Ces 74 Polonais, pressés par le besoin, privés de tout travail, sans aucun moyen de vivre, les subsides qu’ils recevaient jusque-là comme émigrés ayant cessé d’être payés, sont restés comme simples gardes dans les rangs des bataillons sédentaires pour avoir la solde de trente sous. La révolution du 18 mars les a trouvés dans cette situation. Ils ont eu alors le tort grave de ne pas se retirer, puis de continuer le service pendant le règne de la Commune. Nous les reconnaissons coupables de ce chef, et nous déclarons que le besoin matériel ne peut aucunement leur servir de justification.

En dehors de cette catégorie, il s’est trouvé 30 à 40 Polonais qui sont entrés volontairement au service de la Commune après sa constitution. Ils appartenaient à cette classe d’aventuriers, d’hommes désœuvrés, sans profession et, pour la plupart, perdus de réputation, qui constitue malheureusement l’appendice inévitable de toutes les émigrations. Plusieurs, parmi eux, ont été recrutés par Dombrowski, qui le premier a donné le funeste exemple ; ils étaient de ses amis et de son entourage. Tous ont été attirés par les promesses exagérées de la commune et par les grades de généraux, de colonels, de chefs de bataillon, qu’elle leur distribuait à profusion.

La Commune, sentant bien la complète incapacité militaire de ses propres officiers, recherchait surtout les Polonais, pour leur confier des commandements, à cause de leur réputation de soldats éprouvés et capables. Elle a eu même un moment, dit-on, l’idée originale de réquisitionner de force, pour son service, tous les anciens officiers polonais de l’émigration. En tout cas, plusieurs de nos compatriotes, anciens militaires, se sont vus exposés aux obsessions pressantes des agents de la Commune, obsessions auxquelles ils ont résisté.

Les Polonais enrôlés par la Commune se sont bornés exclusivement au service militaire, et la Commune elle-même les réduisait strictement à ce seul emploi. La révolution du 18 mars s’est faite sans leur participation ; il n’y a eu aucun Polonais parmi les instigateurs et les auteurs de cette révolution ; il n’y a pas eu un seul Polonais parmi les membres du Comité central. Ils n’apparaissent que longtemps après la constitution de la Commune. La nomination de Dombrowski date du 6 avril, les autres se sont engagés encore plus tard. Pendant toute la durée de la Commune ils n’ont eu que des emplois militaires. Il n’y a pas eu de Polonais dans les conseils de la Commune. Aucun d’eux n’a figuré ni comme membre de la Commune, ni comme membre d’une de ses nombreuses commissions, ni dans ses délégations aux divers ministères. Ils sont restés complétement étrangers au gouvernement et à l’administration de la Commune, à ses décrets et à ses délibérations ; ils ont été tous et constamment dans les forts, dans les tranchées, aux remparts.

À l’exception peut-être du seul Dombrowski, qui était notoirement plus Russe que Polonais et de puis longtemps lié avec les socialistes russes, les autres Polonais au service de l’insurrection étaient même étrangers aux idées et aux doctrines de la Commune. Ils n’étaient pas affiliés à l’Internationale[4] et n’appartenaient à aucune secte socialiste. Ils ont été attirés dans la révolte par le désir de galons, de grades, par la sotte vanité et l’envie du commandement ; quelques-uns même, simples d’esprit et bornés, se sont laissé séduire par les phrases humanitaires de la Commune et par ses promesses de délivrance de tous les peuples.

… Et ici nous dirons à ceux qui, répétant le refrain éternel de nos ennemis, affectent de ne voir dans les Polonais en général que « des fauteurs de troubles », nous dirons, — ce qui les étonnera fort, — que la nation polonaise est peut-être la moins révolutionnaire de toutes, dans le sens généralement accepté de ce mot. On parle de nos insurrections, et on nous confond avec des révolutionnaires ordinaires : nous protestons contre cette confusion. Nous ne nous sommes jamais révoltés ni contre l’ordre social, ni contre l’Église, ni contre telle ou telle forme de gouvernement ; nous nous sommes soulevés plusieurs fois pour secouer le joug de l’étranger. Jamais les sectes qui prêchent le renversement de la religion et de l’ordre social n’ont pu trouver accès en Pologne. L’Internationale y est inconnue ; c’est la première fois aujourd’hui qu’on apprendra dans notre pays, par les journaux, le nom et l’existence de cette association malfaisante. Même parmi les émigrés polonais en France, en Angleterre, en Belgique et en Suisse, où ils sont exposés à toutes les influences pernicieuses, les socialistes sont extrêmement rares et ne nous apparaissent que comme d’étranges exceptions. On a pu nous reprocher des écarts d’un patriotisme exalté, blâmer notre impatience à nous délivrer de la domination étrangère ; mais le communisme, l’athéisme, le matérialisme, répugnent profondément à tous nos sentiments, à tous nos instincts, à nos traditions, à notre caractère national. Cela est si vrai, que les adeptes de la révolution cosmopolite, — surtout les nihilistes russes et les socialistes démocrates allemands, — qualifient ordinairement les Polonais de réactionnaires, de rétrogrades, de féodaux, parce que tous les Polonais, les plus modérés comme les plus avancés, considèrent comme principes sacrés et inattaquables la patrie, la religion, la famille, la propriété, les droits acquis.

Pour être exacts dans nos énumérations, nous devons ajouter qu’outre les 74 Polonais restés comme simples gardes dans les bataillons sédentaires et les 30 ou 40 autres qui ont servi comme officiers, cavaliers et artilleurs, il y a eu encore dans l’armée insurgée cinq ou six chirurgiens polonais et quelques ambulanciers. Voilà à quoi se réduisent ces milliers de Polonais au service de la Commune, dont on a tant parlé ! C’est un nombre malheureusement encore trop élevé, et nous le déplorons sincèrement ; mais à ces chiffres, qui représentent pour ainsi dire notre passif moral, nous pouvons en opposer d’autres qui sont notre actif et qui nous montrent à tous les yeux sous un aspect bien différent.

S’il s’est trouvé des Polonais qui ont indignement oublié les devoirs que leur inposait l’hospitalité française, il y en a eu d’autres qui ne les ont pas oubliés, il y en a eu, et en nombre dix fois plus considérable, qui ont fait plus que leur strict devoir, qui ont donné des preuves d’un vrai dévouement.

… Dès le début de la guerre contre la Prusse, et surtout du moment où la France a eu à se défendre contre l’invasion, l’émigration polonaise n’a pas hésité un instant à faire son devoir : elle s’est empressée de payer au moins une partie de sa dette de reconnaissance à ce pays qui lui a accordé depuis si longtemps une généreuse hospitalité. Sur 3,700 émigrés polonais résidant en France, près de la moitié, 1,750, se sont engagés dans l’armée française, et pendant toute la durée de la guerre ont combattu à côté des Français contre les Prussiens sur tous les champs de bataille.

Nous avons déjà dit qu’à Paris plus de 500 se sont enrôlés dans la garde nationale. Ils sont entrés, pour la plus grande part, dans les bataillons de marche et ont participé à tous les combats autour de la capitale. Il faut ajouter, pour Paris, 52 vieillards qui se sont engagés dans la garde civique pendant le siège. Il y avait ensuite 87 Polonais dans les éclaireurs et les francs-tireurs de la Seine, 230 dans les détachements de Lafon, de Mocquart, etc.

La légion étrangère, qui a combattu glorieusement sur la Loire, comptait dans ses rangs environ 200 Polonais ; il y en avait 53 dans le détachement de Lipowski, le défenseur de Châteaudun, détachement qui a fait ensuite partie de l’armée du général Chanzy. 60 Polonais se trouvaient dans l’armée du général Faidherbe, de 300 à 400 dans l’armée de Bourbaki et dans celle des Vosges. Ce dernier chiffre a été probablement beaucoup plus considérable en réalité, car il y avait dans l’armée des Vosges plusieurs Polonais qui sont venus de Suisse et d’Italie. Il y en a eu même, au nombre de 40, qui sont accourus de Turquie. Ajoutons, enfin, une centaine d’ambulanciers, principalement à Paris.

Et, il faut le dire, il ne nous a pas été du tout facile de faire ce que nous regardions comme notre devoir. Il a fallu beaucoup de peine pour obtenir la permission de se battre pour la France. Il a fallu passer par bien des difficultés, des entraves, et même des humiliations. Déjà le Gouvernement de l’empereur Napoléon avait cru être agréable au cabinet de Saint-Pétersbourg et mériter ses bonnes grâces en repoussant certaines offres de nos compatriotes, dont on reconnaîtrait bien aujourd’hui le mérite et l’utilité .

Quant au Gouvernement du 4 septembre, celui-là comptait positivement sur l’alliance de la Russie ; il paraissait même certain de l’obtenir. On parlait alors à Paris d’une grande armée russe qui se serait mise en marche vers la frontière prussienne pour voler au secours de la France. Aussi le Gouvernement du 4 septembre semblait-il craindre de froisser le czar par le seul contact avec les Polonais, et il apportait dans ses rapports avec nous des façons qui nous ont fait dévorer en silence bien des amertumes.

Les Polonais résidant à Paris ont voulu former un détachement avec le drapeau français, avec l’uniforme français et sous le commandement supérieur français ; ils désiraient seulement rester et combattre tous ensemble. On n’en a pas voulu entendre parler. Nos compatriotes ont passé outre et ont fini par s’engager individuellement ; plusieurs de nos anciens officiers supérieurs sont allés servir comme simples soldats.

Cette fois, ce n’est pas le désir de galons et de grades qui a inspiré les Polonais, mais un pur dévouement et l’amour pour la France. Ils ont largement payé pour elle de leur personne et lui ont apporté un fort tribut de sang. Nous ne connaissons pas encore le relevé complet de nos morts, mais dès aujourd’hui nous pouvons dire que 300 Polonais environ sont tombés en combattant dans les rangs français sur divers champs de bataille. Les journaux de province ont publié, au mois de novembre de l’année passée, la liste nominative de 70 Polonais qui ont succombé à Orléans dans les rangs de ces vaillants soldats qui se sont fait hacher pour permettre au gros de l’armée française d’opérer sa retraite. Près de Dijon, nous avons perdu le général Bossak-Hauke, un de nos meilleurs officiers de l’année 1863.

Il y a à Paris deux écoles polonaises fort connues. Quatre-vingt-neuf anciens élèves de l’école des Batignolles ont été dans les rangs français, et seize d’entre eux y ont trouvé la mort ; aucun des élèves actuels de cette école n’a servi la Commune. Tous les élèves de l’école polonaise supérieure de Montparnasse, cinquante en nombre ; sont entrés dans les bataillons de marche, quatre ont été tués pendant le siège ; aucun n’a servi la Commune.

Nos compatriotes habitant les diverses provinces de l’ancienne Pologne, hors d’état de porter à la France un secours armé, ont fait au moins tout ce qui était en leur pouvoir pour lui témoigner leur ardente sympathie. Ils lui sont restés fidèles jusqu’au bout, fidèles lorsque toute l’Europe se détournait d’elle et pliait devant le vainqueur.

Les députés polonais du duché de Posen au Reichstag allemand ont manifesté par leurs votes leurs sentiments envers la France. Dans la Diète de Galicie, dans le Reichstag à Vienne, dans les Délégations à Pesth, les Polonais out élevé avec persistance leur voix en faveur de la France, en s’exposant ainsi aux injures et au persiflage des Allemands d’Autriche, admirateurs de M. de Bismarck et partisans de l’annexion à la Prusse.

Les prisonniers français rentrant d’Allemagne peuvent dire, et le diront surement, quel accueil ils ont reçu de la part des Polonais du duché de Posen, de la Prusse occidentale, ainsi que de ceux qui habitent Dresde, et ce que nos compatriotes out fait pour adoucir leur sort, sous l’œil même des autorités prussiennes, qui taxaient cette sympathie de haute trahison, et malgré toutes les persécutions et toutes les avanies de la police prussienne. Nos paysans, en Galicie, faisaient dire des messes pour le succès des armes françaises.

On pourrait parler longuement des souscriptions organisées dans toutes nos provinces en faveur des blessés français et des victimes de la guerre, des sommes votées par nos municipalités pour le même objet et pour l’achat de semences à envoyer aux cultivateurs français ruinés par les Prussiens. On pourrait enfin rappeler qu’au début même de la campagne, un des principaux membres de notre émigration a fait don d’un demi-million de francs pour les besoins de la guerre.

Tels sont nos titres devant l’opinion publique française. Ces faits et ces chiffres, nous pouvons hardiment les mettre en balance avec ceux qui restent à notre charge, et nous espérons que tout Français impartial reconnaîtra que notre bonne renommée dans ce pays ne peut pas être perdue par la conduite d’une poignée d’égarés ou de misérables, et que nous ne méritons pas d’être jugés tous d’après quelques membres indignes de notre nation. De notre côté, nous pouvons assurer à ces Français qui étendent à tous les Polonais le jugement sévère mérité par un petit nombre d’entre eux, que jamais nous n’avons songé et ne songerons à juger la nation française d’après les membres de la Commune.

Il nous reste à parler d’un sujet douloureux, mais sans lequel notre exposé serait incomplet. Ce n’est pas pour récriminer que nous y touchons, mais pour montrer quels malheurs a amenés la coupable ambition de ces aventuriers qui, pour voir leurs noms étalés dans les ridicules bulletins de la Commune, ont attiré sur le nom polonais en général l’animosité des Français.

Deux jours après la compression de la révolte, un avis de l’autorité militaire, affiché dans Paris, annonçait que de la maison No 16 de la rue de Tournon on avait tiré sur les troupes, que la maison avait été fouillée, et qu’on y avait découvert comme coupables deux Polonais ; qu’on y avait trouvé ensuite des matières incendiaires d’autant plus dangereuses qu’il y a dans la maison une librairie ; enfin, que les deux Polonais avaient été immédiatement fusillés. Rien n’a contribué autant que cette affiche à provoquer dans le public un vif ressentiment contre les Polonais.

Or il est aujourd’hui parfaitement avéré que personne n’a tiré de cette maison sur les troupes ; tous les voisins l’attestent : ç'a été une fausse dénonciation. Quant aux matières incendiaires, c’étaient quelques litres de pétrole qui servaient à l’éclairage de la librairie et qui étaient là depuis le premier siège. L’un des Polonais fusillés, Wernicki, a servi dans la garde nationale sous la Commune ; mais l’autre, Dalewski, était un jeune homme tranquille, doux, modeste, instruit, qui abhorrait la Commune et blâmait ceux de ses compatriotes qui se sont engagés à son service. Il logeait dans la maison et dirigeait la librairie. Par bonté de cœur, il avait donné chez lui l’hospitalité à l’autre, qui, à l’entrée de l’armée dans Paris, venait de quitter les rangs de l’insurrection. Il a cruellement payé cet acte d’imprudente charité.

  1. Aucune protestation semblable n’est arrivée à la connaissance du public. — Note de l’auteur.
  2. Les listes que nous publions ne contiennent aucun nom russe, valaque ou espagnol ; ce sont tous des noms polonais. Note de l’auteur.
  3. Ce n’est pas 74 polonais qui ont pris part à l’insurrection de Paris, mais 281 ; les listes publiées dans notre étude en font foi, et nous n’avons pas encore la liste complète. — Note de l’auteur.
  4. Dans les chapitres I et II de notre étude on verra ce que vaut cette affirmation· — Note de l’auteur.