Les Polonais et la commune de Paris/Chapitre 6

La bibliothèque libre.

VI


AVÉNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. — LES POLONAIS ET LE GOUVERNEMENT DE LA DÉFENSE NATIONALE. — L’APPEL DU Combat. — LES POLONAIS DANS LA GARDE NATIONALE. — M. ARAGO.


À l’avénement de la République française, les Polonais demandèrent l’autorisation de former une légion. Éconduits par la majorité des membres du Gouvernement de la défense nationale, ils se rangèrent définitivement du côté de l’opposition. M. Mieroslawski offrit ses services au général Le Flô, qui le remercia de sa bonne volonté. C’est tout ce que demandait M. Mieroslawski : il eut le droit de dire qu’on ne voulait pas de lui à cause de ses convictions républicaines ; que la république n’était pas née viable, vu que le Gouvernement de la défense nationale repoussait les généraux républicains, etc. ; tandis que la cause réelle du refus du Gouvernement d’accepter les services des Polonais, c’est qu’il n’y avait pas un seul émigré polonais qui voulût servir comme soldat : tous se disaient officiers supérieurs. De plus, l’honorable M. Jules Favre savait bien, par ce qui s’était passé en 1848, que les réfugiés politiques sont un virus que la France s’est inoculé et qui ajoute à sa maladie révolutionnaire, et que les fauteurs de révolte de toutes les nations, recueillis en France par une générosité imprudente, y poussent constamment aux insurrections, sachant bien qu’un bouleversement en France sert de signal aux autres pays. Jules Favre s’était souvenu des appréciations de Lamartine relativement aux Polonais :

« Les Polonais sont le ferment de l’Europe. Aussi braves sur le champ de bataille que tumultueux sur les places publiques, ils sont l’armée révolutionnaire du continent. Tout leur est patrie, pourvu qu’ils l’agitent. »

Mais la place des Polonais était marquée dans les événements qui se succédèrent à Paris du 4 septembre 1870 au 31 mai 1871. La France ayant le malheur de servir de prétexte à toutes les révoltes, il en résulte que les insurgés des différents pays accourent en France après leur défaite, et exigent en quelque sorte l’hospitalité française. Secourir des malheureux, surtout lorsqu’ils le sont par la faute de la presse française, est un devoir d’honneur qu’on ne saurait méconnaître en France ; mais il arrive ceci, que les insurgés, pour pouvoir de nouveau révolutionner l’Europe, travaillent avec ardeur à réveiller la révolution en France ; de sorte que ces hommes à qui la France accorde abri et sécurité viennent mettre presque forcément le péril et le désordre chez leurs bienfaiteurs. Dieu nous garde de blesser, par une mauvaise parole, les vrais représentants des nationalités tombées, ces hommes graves qui ont quitté la terre natale asservie et fondent leur espoir d’affranchissement sur autre chose que la ruine de leurs hôtes ; ceux-là méritent assistance et respect. Quant à ceux qui vont de pays en pays, se ruant dans tout désordre allumé, faisant naître tout désordre qui couve ; quant aux colporteurs d’engins contre les gouvernements, aux misérables chassés de leur patrie et conspirant la désolation du genre humain ; quant à tous ces metteurs en scène de révolutions, courtiers de guerre civile et trafiquants de malheurs publics, nous sommes d’avis que la générosité envers eux n’est que de la sottise. Pourquoi donc les Français seraient-ils tenus de recevoir chez eux un loup dont le voisin s’est débarrassé ?

Les Polonais réorganisèrent bientôt leur comité à Paris, ouvrirent un club au Casino Cadet, pour agiter la question suivante : « Comment la guerre actuelle peut influencer la marche de notre propagande ? » Ils protestèrent contre le Gouvernement de la défense nationale, qui refusait d’autoriser la formation d’une légion polonaise, et adressèrent un appel à la révolte aux Polonais servant dans l’armée prussienne, appel rédigé par Félix Pyat, et se déclarèrent prêts à aider quiconque voudrait entrer en révolution. Tout cela était fort bien de la part de gens n’ayant rien à perdre ; mais la France, qui se trouvait responsable de ces actes devant les puissances, et surtout devant la Russie, qui observait durant la guerre la neutralité la plus loyale, la France avait donc raison d’y regarder. Elle maintint son refus.

La « Société des militaires polonais », qui s’était mise en avant pour organiser la légion polonaise, envoya une circulaire à tous les réfugiés pour leur dire que, puisque le Gouvernement de la défense nationale n’acceptait pas le concours en masse de l’émigration polonaise, chaque membre de cette émigration servirait la France comme il l’entendrait. Les émigrés décidèrent d’entrer dans les bataillons de la garde nationale ; mais, pour avoir le droit de servir dans la garde nationale, il fallait être Français. M. Arago trancha la question en accordant la nationalité française à tous les Polonais qui avaient manifesté l’intention d’entrer dans la garde nationale.