Les Polonais et la commune de Paris/Chapitre 7

La bibliothèque libre.

VII


LES CLUBS DÉMAGOGIQUES POLONAIS. — LÉGION GARIBALDIENNE. — DEMANDE DE MISE EN LIBERTÉ DE BEREZOWSKI. — MÉCONTENTEMENT DE LA RUSSIE. — MISE EN LIBERTÉ DES FAUSSAIRES. — CONSÉQUENCES DE CET ACTE.


Bientôt on sut que, non contents de fomenter la révolution au dehors, les Polonais s’affiliaient aux sociétés Blanqui et consorts. On coupa la subvention aux plus dangereux, qui allèrent s’inscrire dans la légion garibaldienne que Jaroslav Dombrowski organisait à Paris sous les auspices du Réveil et du Combat. Ce fut aussi une occasion pour ces journaux de tonner contre le despotisme du gouvernement. À les entendre, tous ces réfugiés étaient des gens calmes, inoffensifs et tout à fait vierges de projets révolutionnaires. Qu’en savaient-ils ? D’ailleurs, le sachant, eussent-ils dit la vérité ? Donc les protestations verbeuses en faveur des réfugiés n’étaient qu’ignorance ou fourberie.

Il y eut des réfugiés polonais sincèrement dévoués à la France qui prirent le fusil de garde national ou s’enrôlèrent dans la légion Lafon-Mocquard, où il y eut des hommes que nous nous plaisons à nommer, les capitaines Byszynski[1], Lipowski, O’Byrn, Miaskowski, de simples légionnaires comme Brzozowski, Roïewski, Tarnowski, qui se distinguèrent et montrèrent leur dévouement à la France en allant courageusement affronter la mort sur les champs de bataille ; mais la majorité se contenta d’assister aux réunions du club de Blanqui, la Patrie en danger, et à celles du Casino Cadet, dont le bureau était d’ordinaire ainsi composé : Édouard Siwinski, Tokarzewicz, Rydzewski et Gasztowtt. On déblatérait dans ces clubs contre chaque gouvernement, et contre chaque homme qui avait le défaut de ne pas appartenir au parti démagogique. Le club Blanqui surtout était fréquenté par les Polonais à cause de ses exagérations et de ses colères démagogiques. Les Polonais poussèrent l’audace jusqu’à réclamer par la voix des journaux le Combat et la Patrie en danger qu’on mit en liberté le régicide Berezowski. Tant était grande à cette époque l’effervescence générale, qu’il n’y eut pas un journal qui osât protester contre la hardiesse des réfugiés polonais. On est allé jusqu’à dire qu’une députation polonaise s’est rendue au ministère de la Justice pour inviter le gouvernement à accueillir cette demande, vu que la République française avait amnistié tous les condamnés politiques de l’Empire.

Ces agitateurs inspirèrent les plus grandes inquiétudes au gouvernement russe. Un secrétaire de l’ambassade de Russie à Paris, qui est resté dans la capitale pendant tout le siège et dont chacun connaît la sympathie cordiale pour la France et l’énergique sollicitude qu’il a toujours témoignée pour les intérêts de ses nationaux à chaque ordre arbitraire émanant des autorités d’alors, fit une démarche au ministère des Affaires étrangères. On lui répondit évasivement, et comme MM . Arago et Floquet, qui avaient insulté le czar en 1867, faisaient en ce moment partie du gouvernement, on indisposa ainsi la Russie. Le mécontentement du gouvernement russe fut plus grand encore quand il apprit que Jaroslav Dombrowski organisait une légion garibaldienne sans empêchement de la part de l’autorité militaire de Paris.

Ces deux faits furent cause que la Russie retira sa médiation dans le conflit franco-allemand et n’insista plus sur les termes de sa déclaration de neutralité, que nous reproduisons ici comme souvenir historique :

« La Russie conservera sa position neutrale en tant que ses intérêts ne seront pas lésés. Ces intérêts seraient lésés dans le cas où la France victorieuse débarquerait une armée à Dantzick et insurgerait la Pologne, ou tolérerait une insurrection contre la Russie ; ou bien dans le cas où la France victorieuse s’emparerait d’une partie du territoire allemand, sans accorder de compensation aux puissances neutres ; ou encore dans le cas où la Prusse victorieuse s’emparerait d’une partie du territoire français. »

Les réfugiés polonais et leurs protecteurs MM . Arago et Floquet firent ainsi perdre à la France les sympathies du gouvernement russe, qui avait les plus graves inquiétudes au sujet des Polonais, car il savait qu’avec de tels auxiliaires Paris deviendrait un foyer d’incendie pour le continent entier .

M. Arago commit une faute plus grande encore : il fit mettre en liberté les deux frères Wilkoszewski, condamnés trois mois auparavant par la Cour d’assises de la Seine, à cinq ans de prison pour émission de faux billets de la Banque de Russie. Le résident russe protesta en vain. Que penser de cette grâce exceptionnelle ? C’est vraiment par trop commode pour messieurs les faussaires. À l’avenir, ils attendront patiemment qu’un mouvement quelconque porte au pouvoir un ou deux polonophiles pour donner cours à leurs honorables industries. On mit ces malfaiteurs en liberté pour cause d’amnistie politique, comme si falsifier les billets de la banque d’un État était un délit politique. En suivant de tels raisonnements, un voleur qui ferait votre montre sous le prétexte que vous ne partagez pas ses opinions politiques commettrait également un délit politique. C’est trop élastique, en vérité, et les honorables libérateurs des faussaires polonais ont été bien mal récompensés de leur philanthropie, car récemment les réfugiés en question ont falsifié des billets de la Banque de France, ainsi que nous l’avons lu dans le Journal de Genève, qui annonçait leur arrestation à Yverdon, en Suisse, avec quelques complices et tout le matériel de fabrication. Hodie mihi, cras tibi, dit le dicton latin.

Voici ce que nous lisons dans les journaux de Paris de juin 1871 :


« On s’est emparé, il y a quelques jours, d’une fabrique de faux billets des Banques de France, de Russie, de Prusse, d’Autriche et d’Amérique. Cette fabrique était commanditée par Jaroslav Dombrowski, et les faussaires sont des Polonais et quelques Français qui entretenaient des relations avec la Commune de Paris.

« Les fausses valeurs fabriquées et émises par ces misérables sont nombreuses. Il a été fabriqué des coupures de 25 fr. de la Banque de France, des billets de 50 roubles de la Banque de Russie, avec des coupons de 12 roubles 50 copecks, de 5 roubles et de 2 roubles 50 copecks ; des billets de 10 gulden de la Banque d’Autriche ; des billets de 100 thalers de la banque de Prusse, et enfin des billets de 100 dollars de la Banque des États-Unis.

« M. le baron de Guimps, juge d’Yverdon, instruit cette grave affaire, qui sera certainement jugée à Lausanne.

« Les faussaires, avec leur matériel, sont entre les mains de la justice. »



  1. Ce brave officier n’a obtenu d’autre récompense que celle d’avoir été mis au secret pendant onze jours par ses compatriotes communards, qui n’avaient pas pu l’entrainer à les servir. Wroblewski voulut même le faire fusiller.