Les Prédictions météorologiques
C’est un des caractères les plus marqués de notre époque que la tendance qu’ont les sciences à marcher vers un but utile. Dans un temps où les applications industrielles suivent de près toutes les découvertes spéculatives, il semble que personne ne doive s’abandonner à d’arides travaux et qu’un savant mérite le blâme, s’il consacre ses veilles et son intelligence à la solution d’un problème purement théorique. Ce n’est pas à dire que l’utilité d’une science doive être immédiate et apparente ; mais il faut que l’étude laisse entrevoir un résultat, lointain ou rapproché, direct ou détourné, qui ajoute quelque chose au bien-être matériel ou au perfectionnement moral de la société.
Les sciences qui viennent d’éclore ont en particulier ce désavantage que les hommes qui les cultivent ne sont pas eux-mêmes bien fixés sur les profits qu’on en peut attendre. L’électricité par exemple, si féconde, qui se fait dans l’industrie et les arts une place de plus en plus large, ne fut pendant plusieurs siècles qu’un sujet de pure curiosité. Quelquefois aussi on n’aperçoit pas tout de suite les conséquences utiles d’une découverte scientifique. Ainsi les astronomes de l’antiquité observèrent longtemps les mouvemens des corps célestes sans prévoir que les observations astronomiques serviraient un jour au navigateur pour se diriger sur l’Océan et au géographe pour mesurer les dimensions du globe terrestre. De même encore les alchimistes, en cherchant l’or, ont trouvé par hasard et dédaigné, sous l’empire d’une préoccupation exclusive, quelques-uns des corps les plus utiles de la chimie moderne. Pour la météorologie au contraire, on ne s’y est pas trompé. On a demandé tout d’abord à cette science de pronostiquer les orages, d’annoncer la pluie et le beau temps. Les savans ont longtemps refusé d’accéder à cette demande : non pas que dans leur opinion l’étude des météores n’eût aucun but, mais parce que la prédiction du temps leur paraissait être un problème trop complexe et trop difficile à résoudre. Le but qu’ils entrevoyaient à leurs travaux était de bien moindre importance. Accumuler les observations thermométriques et en déduire, après de longues années, la température moyenne d’une contrée, constater l’influence de la hauteur des montagnes sur le climat, mesurer la quantité d’eau qui tombe dans un mois ou dans une année, — la météorologie, au dire des savans, ne devait pas pour le moment se proposer autre chose. Il semblait que toutes les observations météorologiques n’eussent d’autre usage que de servir à la détermination de ce terme banal que l’on nomme une moyenne, chiffre abstrait qui ne présente pas plus de profit à l’industriel que d’intérêt à l’homme du monde. Aujourd’hui même il est plus d’un savant qui se refuse à tirer des conséquences pratiques de l’étude des météores, soit que cette science ne paraisse pas assez avancée pour donner des résultats certains, soit que l’on craigne les mécomptes, suite nécessaire de prédictions fausses, et la déconsidération qu’ils feraient rejaillir sur les auteurs de ces prédictions. Il faudrait donc encore se contenter d’enregistrer des observations, de les discuter, de les combiner ou comparer entre elles, afin de découvrir les luis générales qui régissent les météores plutôt que pour en prévoir le retour.
Cependant l’étude des phénomènes passés est en général d’un médiocre intérêt pour le public, et il est d’autant plus difficile de se refuser à l’examen des prédictions atmosphériques que la météorologie n’a par elle-même rien d’expressément scientifique. Elle n’exige jamais ces profonds et pénibles calculs ni ces observations d’une délicatesse exquise qui font que l’astronomie et la physique sont l’apanage de quelques hommes spéciaux. Les appareils qu’elle emploie sont entre toutes les mains et familiers à tous les hommes : c’est le thermomètre, la girouette, le baromètre. Il suffit de savoir consulter ces instrumens vulgaires, d’enregistrer avec ordre les indications qu’ils donnent tous les jours et de combiner les chiffres suivant les principes communs à toutes les sciences. Ce dernier point est assurément le plus délicat. Ceux que l’étude approfondie d’une science exacte n’a pas assujettis aux déductions rigoureuses prennent trop volontiers la probabilité pour la certitude et substituent fréquemment les écarts de l’imagination à l’inflexibilité du raisonnement. De là tant de pronostics bizarres, tant de phénomènes supposés, qu’une étude plus sérieuse ne justifie pas et que les faits subséquens ne sauraient confirmer.
Est-il donc impossible de prévoir le temps, c’est-à-dire d’annoncer à l’avance la pluie et la grêle, les vents et les tempêtes? Les progrès très remarquables qui ont été faits depuis quelques années donnent quelque opportunité à cette question. A défaut d’une solution complète, les résultats que l’on a obtenus montrent combien les problèmes relatifs au temps sont difficiles à traiter d’une manière générale et quelle réserve doivent observer les prophètes de la météorologie. Ces résultats sont d’ailleurs assez complets déjà pour présenter dans certains cas un intérêt pratique.
La tradition conserve sur les côtes de la mer et dans les campagnes quelques dictons populaires sur les changemens de temps et les pronostics atmosphériques. On ne saurait dédaigner ces croyances, car il est rare que la science, en se développant, n’en prouve pas la justesse, quoiqu’elles pèchent en général par un défaut de précision. Les proverbes, qui sont, dit-on, la sagesse des nations, constituent d’habitude tout le bagage scientifique des marins et des cultivateurs, qui néanmoins acquièrent quelquefois une merveilleuse aptitude pour prédire le temps. Ne semble-t-il pas que l’homme en rapport journalier avec les phénomènes de la nature emprunte à l’animal cette précieuse qualité que nous appelons instinct, faute de savoir l’expliquer? Malheureusement ceux même qui sont le plus habiles à observer les signes du temps se rendent assez mal compte des pronostics auxquels ils obéissent, et ils sont incapables, pour la plupart, de communiquer leur savoir à autrui, tant sont multiples ou délicats les caractères météorologiques qui guident leur instinct. Il n’est pas besoin d’ajouter que l’on ne peut fonder une science sur cette aptitude individuelle; le savant a besoin de connaître non-seulement les effets, mais aussi les causes, et la certitude ne naît pour lui qu’autant que les phénomènes s’enchaînent dans un ordre conforme aux lois naturelles.
Parmi ces principes vulgaires, que nous hésiterons toujours à qualifier de préjugés. l’un des plus enracinés est sans contredit celui qui attribue à la lune une influence décisive sur les changemens de temps. Un esprit lumineux et sagace qui se dévouait à vulgariser parmi les gens du monde les vérités scientifiques les plus ardues, Arago, est souvent revenu sur cette question, sans réussira vaincre l’opiniâtreté de ses contradicteurs. « On prétend, disait-il, que les phases de la lune ont une influence sur les changemens de temps; mais qu’est-ce qu’un changement de temps? Tel météorologiste, s’il admet l’influence des phases, se croira autorisé à ranger sous cette dénomination tout passage du calme au vent, d’un vent faible à un vent fort, d’un ciel serein à un ciel un peu nuageux, d’un ciel nuageux à un ciel entièrement couvert, etc. Tel autre exigera des variations plus tranchées. Où tracer, au milieu d’un vague pareil, les limites sur lesquelles on pourrait s’accorder? Passons sur cette première difficulté. Les savans qui ont compulsé les recueils d’observations météorologiques, avec la conviction d’y découvrir l’influence de la lune, attribuent à cet astre tous les changemens de temps qui se produisent deux ou trois jours avant et deux ou trois jours après la nouvelle lune. Qui ne sait que, dans une période de plusieurs jours, le temps change d’habitude au moins une fois? On fait donc honneur à la lune de changemens auxquels elle peut n’avoir aucune part. Puis l’opinion qui attribue à notre satellite quelque influence sur le temps peut être combattue au point de vue théorique, en dehors de toute vague interprétation. La lune ne peut agir sur l’atmosphère terrestre que par voie d’attraction, par la lumière qu’elle réfléchit, ou par de prétendues émanations obscures qu’elle émettrait. Ces émanations, nous ne pouvons y croire, car rien n’en démontre l’existence. La lumière de la lune est si faible, en comparaison de celle du soleil, que l’effet qu’elle produit, si elle produit quelque effet, doit être effacé par l’influence du soleil. Enfin, quant à l’attraction moins contestable de la lune sur l’atmosphère terrestre, nous possédons un instrument d’une précision admirable, le baromètre, qui nous permet de l’apprécier à chaque instant, et le baromètre nous prouve d’une manière irréfutable que cette attraction est trop faible pour exercer une influence appréciable. »
En dépit de cette réfutation, qui remonte à plus de trente ans, et qui a été souvent reproduite, l’influence de la lune sur l’atmosphère terrestre est maintenant encore le sujet de plus d’une prédiction. Tout récemment, elle a servi de base à une théorie complète de la pluie et du beau temps qui s’est produite avec bruit, et qui a préoccupé l’opinion publique plus longtemps que n’auraient pu le taire les découvertes les plus sérieuses. A quoi sert la lune? Telle est la question que s’est posée M. Mathieu (de la Drôme). A faire les marées avec l’aide du soleil? Ce ne serait pas assez pour un astre qui tient si bien sa place dans notre ciel. Pourquoi a-t-elle des phases? Elle doit être inhabitée; alors c’est un monde privé de vie, un monde qui est à nous, dépendance naturelle de notre domaine, absolument comme ces montagnes inaccessibles, couvertes de neiges éternelles, dont l’utilité ne ressort pas au premier abord, et qui répandent la vie dans nos plaines et nos vallées en y versant les fleuves et les rivières. La lune doit avoir une influence prépondérante sur les vents, sur la température, sur les météores électriques et aqueux, en un mot sur les phénomènes atmosphériques; elle doit agir de même sur les végétaux, sur les animaux et sur l’homme lui-même. En dehors aussi des calculs et des observations météorologiques, la raison dit que la lune a une destination plus étendue que de concourir aux marées de l’Océan.
Déjà l’on sent qu’une objection peut être faite à ce système : ce n’est pas la raison, c’est l’imagination qui assigne à la lune le rôle qu’on voudrait lui faire jouer à la surface de la terre. La raison a besoin de preuves et ne se satisfait pas d’une simple probabilité. Il convient donc d’examiner de près les rapports qu’il peut y avoir entre les mouvemens de la lune et les phénomènes atmosphériques. Quant à l’influence de la lune sur l’homme ou les animaux, il est inutile de s’y arrêter. Il y a longtemps que cette prétendue influence est passée en proverbe, elle a même enrichi la langue française d’un adjectif assez malsonnant pour les inventeurs et les faiseurs de théories. Examinons maintenant les principes énoncés par M. Mathieu (de la Drôme). «Le soleil, dit-il, foyer de chaleur, volatilise les eaux des mers, des lacs et des terres humides, et les fait monter, sous forme de vapeurs ou de brouillards, vers les sommités de l’atmosphère; puis, les nuages étant ainsi formés et suspendus dans les airs, intervient l’influence de la lune, qui tour à tour attire et laisse redescendre l’atmosphère avec ses nuages, de même qu’elle élève et abaisse les flots de l’Océan. Il se produit donc des marées atmosphériques qui mettent en mouvement les couches supérieures de l’air. De l’effet combiné de ces marées et de la chaleur du soleil naissent les vents qui amènent ou entraînent les nuages, par suite la pluie, la neige ou la grêle, enfin tous les météores aqueux. Cette théorie étant admise, il est clair que l’effet ne peut être le même suivant que les phases de la lune coïncident avec le lever ou le coucher du soleil. Telle marée atmosphérique qui se produira vers midi n’aura pas les mêmes conséquences que si elle se produisait à minuit. L’une donnera la pluie, et l’autre le beau temps. En un mot, ce sont les phases qui font le temps suivant l’heure, ou, pour être plus exact, suivant la minute à laquelle elles arrivent; mais il ne suffit pas de consulter le moment précis où doit s’effectuer une seule phase pour prédire le temps. Le problème n’est pas si simple. Les phases se suivent, ne se ressemblent pas, et réagissent les unes sur les autres.» Telle est en gros la méthode appliquée par M. Mathieu (de la Drôme). Il en résulterait que certaines phases sont pluvieuses et que d’autres sont sèches. Pour les distinguer les unes des autres, M. Mathieu a compulsé les observations météorologiques de l’observatoire de Genève, qui donnent jour par jour, depuis soixante-six ans, la quantité d’eau tombée. En prenant la moyenne des phases qui avaient à peu près commencé à la même heure, il est conduit à des axiomes du genre de ceux-ci : pendant les mois de septembre, octobre, novembre et décembre, la nouvelle lune, qui arrive entre huit heures et neuf heures et demie du matin, donne plus d’eau que celle qui arrive entre sept et huit heures; ou bien encore, en juin, juillet et août, le premier quartier de la lune a une tendance moyenne à la pluie, s’il arrive entre sept heures et sept heures et demie du matin; il est sec au contraire, s’il arrive de sept heures et demie à huit heures. On peut donc prédire la pluie longtemps à l’avance avec autant de précision que l’on prédit les phases de la lune. L’auteur va plus loin : il se croit en état de prédire même la quantité de pluie qui tombera au moment désigné.
Cette théorie de la pluie et du beau temps avait peut-être quelque chose de séduisant par sa simplicité, et les prédictions énoncées par M. Mathieu (de la Drôme) plusieurs mois à l’avance eurent tout le retentissement que pouvaient leur donner les divers organes de la presse. Elles furent même adressées à l’Académie des Sciences sous un pli cacheté, qui, suivant les usages de ce corps savant, ne devait être ouvert que sur la demande de l’auteur. L’Académie refusa le dépôt, sachant la nature du contenu. Le public s’est mépris en général sur les motifs qui dictèrent ce refus. On ignore assez habituellement que la science ne consiste pas seulement dans ces découvertes positives qui ajoutent quelque chose à la somme de nos connaissances, et qu’elle s’enrichit aussi de découvertes négatives en quelque sorte. Les savans sont parvenus à démontrer que certains problèmes sont insolubles, comme par exemple, à ne prendre que les plus fameux, le mouvement perpétuel et la quadrature du cercle. S’il est vrai que la prédiction du temps à longue échéance doit être rangée dans cette catégorie, l’Académie des Sciences n’agit-elle pas sagement en détournant les esprits sérieux d’un ordre de recherches qui ne peut donner aucun résultat?
C’est M. Leverrier qui se chargea de réfuter officiellement la théorie météorologique de M. Mathieu (de la Drôme). « Dans les recherches de statistique, dit-il, l’illusion est facile; il faut beaucoup d’art pour échapper aux erreurs, qui trop souvent proviennent d’un groupement artificiel des chiffres. Pour établir les lois physiques, il faut bien se garder de toute combinaison de chiffres dans laquelle le résultat est exceptionnellement influencé par un fait unique. » M. Leverrier prend au hasard l’un des axiomes posés par M. Mathieu, le premier que nous avons reproduit. Il relève sur le journal météorologique de Genève la quantité de pluie tombée pendant la première phase de la lune toutes les fois que la lune était nouvelle de sept heures à huit heures, de huit heures à neuf heures, de neuf heures à dix heures, et il montre que, pendant les soixante-six ans que comprennent les observations de Genève, la moyenne pour chaque période est sensiblement la même. La loi annoncée ne se vérifie donc pas, et l’on peut affirmer que les différences trouvées par M. Mathieu (de la Drôme) sur un nombre restreint d’observations ne sont que l’expression de l’extrême variabilité de la pluie. Que prouvent quelques observations restreintes, lorsqu’il s’agit d’un phénomène si incertain? Ne sait-on pas que sur les 60 centimètres d’eau qui tombent à Paris, année moyenne, une seule averse suffit pour donner de 3 à 4 centimètres en une heure de temps? Bien plus, deux localités très voisines peuvent recevoir pendant une même semaine des quantités de pluie très différentes. On se rappelle avoir vu le quartier du Gros-Caillou inondé sans qu’au Panthéon il y eût trace de pluie. Les phases de la lune ne sont-elles pas les mêmes pour ces deux quartiers d’une même ville?
Ce n’est pas assez de discuter les faits et les chiffres sur lesquels s’appuie une théorie; il faut encore la juger avec le raisonnement. Le hasard pourrait faire qu’une loi fût vraie pour les faits passés et fausse pour les phénomènes à venir. La nouvelle théorie ne supporte pas mieux le contrôle du raisonnement que l’épreuve de l’expérience. Les astronomes nous apprennent qu’une heure de retard ou d’avance dans l’instant où commence la nouvelle lune correspond à un déplacement insignifiant de cet astre. Supposons deux lunes dans le ciel; que l’une d’elles commence son premier quartier à huit heures du matin et que l’autre le commence le même jour à neuf heures : au dire de M. Mathieu (de la Drôme), la première donnerait de la pluie, et la seconde du beau temps. Les astronomes nous diront que deux lunes ainsi faites se toucheraient, qu’elles seraient côte à côte sur le firmament; peut-on admettre qu’elles exercent des influences différentes sur le climat, si tant est qu’elles exercent une influence quelconque?
Mais, dira-t-on, nier l’influence de la lune sur les phénomènes météorologiques, c’est nier les marées atmosphériques. L’action combinée du soleil et de la lune qui soulève périodiquement les flots de l’Océan n’aurait donc aucune influence sur les masses d’air plus mobiles et sur les nuages? Pourquoi ce qui est vrai pour le flux de la mer ne le serait-il pas pour le flux atmosphérique ? À cette objection, la réponse est bien simple. De même que les marées de l’Océan ne font pas les courans marins, de même les marées atmosphériques ne font pas les vents. Tout est analogue dans les deux océans qui recouvrent la terre, l’un aqueux que le marin a sous les pieds, l’autre gazeux qu’il a sur la tête, et qui ne diffère du premier que par la légèreté du fluide, La pluie est pour l’un ce que l’évaporation est pour l’autre. Les vents correspondent aux courans. Descendez au fond de la mer, vous trouverez le calme absolu. Élevez-vous dans l’atmosphère au-dessus des nuages, par delà les montagnes, vous trouverez encore le calme, l’immobilité, en sorte que les deux élémens, l’air et l’eau, qui se touchent sur la presque totalité de notre globe, semblent ne pouvoir être bouleversés que par les réactions qu’ils exercent mutuellement l’un sur l’autre. Sur notre planète, le domaine de l’homme est la région des orages, et c’est une fiction poétique qui ne manque pas de vérité que de placer dans l’élévation des cieux ou dans les abîmes de la terre les lieux du repos éternel.
C’est entre ciel et terre, dans la région que nous pouvons pour ainsi dire toucher du doigt, que s’accomplissent tous les phénomènes météorologiques; c’est là aussi que nous devons chercher les causes qui leur donnent naissance et les lois qui les régissent. Le moteur principal dans cette lutte incessante de l’air et de l’eau, c’est le soleil. Le soleil pompe les eaux de la mer pour en faire des nuages et dépense à ce labeur quotidien une force équivalente à celle de plusieurs centaines de millions de chevaux. Le soleil, qui crée les nuages, crée aussi les vents, car il échauffe inégalement les divers côtés du globe, puis il livre les nuages aux vents. Alors intervient la rotation de la terre, qui détourne les vents de leur direction primitive; mais si ces deux causes, le soleil et la rotation de la terre, agissaient seules, les phénomènes météorologiques seraient simples et uniformes. Nous observerions sur toute la surface de la terre cette régularité de mouvemens qui fait que sur les grandes surfaces planes de l’Océan les vents alizés et les moussons souillent régulièrement à chaque saison de l’année. Il n’en est pas ainsi. Les chaînes de montagnes modifient déjà d’une manière grave la direction des vents et la marche des nuages; puis, à la surface des continens et des mers, ces météores rencontrent d’autres causes perturbatrices en nombre presque infini, variables pour chaque localité, variables souvent d’une année à l’autre. Ce sont les immenses champs de glace des deux pôles, qui s’avancent peu à peu vers les eaux chaudes de l’équateur, entraînés qu’ils sont par les courans marins et qui refroidissent plus ou moins, selon leur étendue variable, les vents d’ouest qui nous arrivent d’Amérique. C’est aussi le gulf-stream, courant d’eau chaude qui réchauffe ces mêmes vents, et qui, suivant les années, remonte au nord ou descend au sud. Ce sont les nuages eux-mêmes, qui, plus ou moins opaques, retirent ou rendent à la terre la chaleur solaire, arrêtent ou retardent l’évaporation. Le dessèchement d’un lac, le défrichement d’une forêt suffisent pour changer le climat d’une contrée, c’est-à-dire la température moyenne qui y règne, en même temps la quantité de pluie qu’il reçoit et les vents qui y soufflent. On a même prétendu que les coups de canon, qui produisent une puissante impulsion de l’air environnant, attirent ou éloignent (je ne sais lequel) les nuages et les orages. Les prédictions météorologiques, si quelqu’un était assez imprudent pour les faire longtemps à l’avance, seraient faussées par les grandes batailles que se livrent les hommes. Tout agit sur l’atmosphère, de même que l’atmosphère agit sur tout; elle pourrait être à plus juste titre que l’onde prise pour type de la mobilité. Il n’est pas de problème plus complexe que d’en prévoir les mouvemens. A négliger même les perturbations accidentelles qui sont l’œuvre de l’homme, l’esprit humain ne peut saisir à la fois toutes ces causes et tous ces effets, prévoir toutes les conséquences de ces réactions multiples. Pour apprécier combien notre intelligence est bornée dans le champ des prévisions, qu’on songe que le système solaire comprend à peine une douzaine de grosses masses isolées les unes des autres, qu’elles exercent l’une sur l’autre une influence réciproque qui suit une loi très simple, et que néanmoins, depuis cent cinquante ans que Newton a découvert la loi de l’attraction universelle, les astronomes n’ont pas encore réussi à expliquer tous les mouvemens de ces masses, ni à prévoir bien exactement tous les effets qui se produisent dans un monde si simple. Certes M. Mathieu (de la Drôme) a raison de croire que le hasard n’a rien à faire avec les phénomènes de l’atmosphère et que la plus petite goutte d’eau qui tombe des cieux obéit à des lois immuables; mais ces lois sont pour nous ce que serait pour le sauvage notre Code civil, un livre clos qui dépasse notre intelligence. Le prophète se trompe d’ailleurs quand il dit qu’on peut prédire le temps comme on peut prédire le lever et le coucher des astres, car les perturbations accidentelles, que l’on ne saurait prévoir, jouent un trop grand rôle pour être négligées. Nous pouvons dire avec Arago : «Jamais, quels que puissent être les progrès des sciences, les sa vans de bonne foi et soucieux de leur réputation ne se hasarderont à prédire le temps. »
Il est à remarquer que les hommes qui veulent prédire le temps qu’il fera dans un lieu et à un moment donné n’abordent jamais le problème dans toute sa généralité : ils exagèrent l’importance d’une cause qui n’agit pas seule, mais qui devient l’unique objet de leurs études. Ils simplifient le problème et tranchent la question, ne pouvant la résoudre. Il y a (quelques années, un spirituel astronome, que l’on prit peut-être en cette circonstance plus au sérieux qu’il ne le désirait, avait annoncé un hiver chaud par ce seul motif que le courant du gulf-stream s’était dérangé de sa course habituelle dans les parages de Terre-Neuve. L’influence de ce courant sur la température de l’Europe est sans doute appréciable, mais c’était se tromper que de la croire dominante. Je ne parle, bien entendu, que des prophètes de bonne foi ; quant aux autres, et le nombre en est grand depuis Mathieu Lænsberg jusqu’à nous, qui spéculent sur la crédulité humaine, il serait au moins inutile de les discuter. Les prédictions que renferment les almanachs sont un jeu auquel personne ne se laisse plus prendre, et ceux même qui les consultent y cherchent plutôt un rêve qu’une certitude.
Sans doute quelques-unes de ces prédictions se réalisent chaque année, car le hasard fait que l’on tombe quelquefois sur la vérité. Arago faisait observer très judicieusement à ce sujet que la faculté de prédire toujours le faux serait aussi précieuse que la faculté de prédire toujours le vrai, puisque l’un est la contre-partie de l’autre. D’ailleurs la mémoire conserve le souvenir des prophéties qui se réalisent et oublie celles bien plus nombreuses qui sont démenties par l’événement. Remarquons enfin que les prédictions sont pour la plupart très générales. On n’ose prédire le temps à jour et à heure fixes, mais on annonce avec confiance les phénomènes généraux des saisons. Dans ce cas, le prophète ne se trompe jamais tout à fait; il se sauve par l’interprétation. On ne risque guère à prédire qu’un hiver sera froid ou qu’un printemps sera pluvieux. Dans chaque saison, il se trouvera certainement quelques jours auxquels la prédiction pourra s’appliquer avec vérité.
Pour conclure, nous pouvons donc affirmer, sur la foi des hommes les plus compétens et des savans qui se sont le plus occupés de la météorologie, qu’il ne sera jamais possible de savoir longtemps d’avance ce que seront, dans un lieu donné, la température de chaque mois, les quantités de pluie comparées aux moyennes habituelles, les vents régnans. Le laboureur ne pourra jamais deviner en hiver la grêle qui hachera ses blés au mois de juin, le marin qui part du cap de Bonne-Espérance ignorera toujours si la tempête ne le saisira pas sur les côtes de France. Bien plus, toutes recherches de ce genre sont illusoires et peu dignes d’occuper les esprits sérieux. Est-ce à dire que la météorologie soit inutile, et qu’elle ne puisse fournir au voyageur et à l’agriculteur des indications précieuses? Non vraiment; dans des limites plus restreintes, elle a ses avantages. Comme toutes les sciences, elle gagne en précision à mesure qu’elle rétrécit le champ de ses observations. C’est ce qui caractérise les travaux qu’il reste à examiner.
Les étoiles filantes ont-elles quelque connexion avec la pluie et le beau temps? Pour en décider, il faudrait d’abord savoir ce que sont ces météores ignés qui par les belles nuits sillonnent la voûte du ciel. Longtemps les étoiles filantes se sont dérobées à l’observation. Fugaces et irrégulières, elles étaient pour l’astronome une exception au milieu du monde admirablement réglé des étoiles fixes. On ne pouvait les étudier avec le télescope, en mesurer le diamètre ou la distance; elles échappaient aux procédés habituels d’observation de même qu’aux lois immuables et inflexibles de la pondération.
Les savans s’accordent à confondre sous le nom général de bolides ou étoiles filantes trois phénomènes, qui pourraient au premier aspect passer pour différens. Ce sont les aérolithes ou pierres météoriques, qui tombent du ciel et que l’on retrouve quelquefois à la surface de la terre; les globes enflammés, plus gros que les étoiles fixes, qui illuminent plus ou moins l’horizon, éclatent en fragmens et disparaissent, en laissant une longue traînée de feu; enfin les étoiles filantes proprement dites, que tout le monde connaît, que chacun a observées avec curiosité pendant les belles nuits d’été. Les aérolithes et les globes enflammés sont très rares; les étoiles filantes sont au contraire très fréquentes et, chaque fois que le ciel est clair, apparaissent dans tous les pays en nombre considérable. On admet assez volontiers que les aérolithes sont des étoiles filantes qui tombent sur la terre, et que les bolides sont des aérolithes dont on ne retrouve pas la trace, en sorte que ces trois météores auraient une origine commune. Les auteurs anciens nous ont conservé le souvenir de quelques pierres tombées du ciel. Au temps d’Anaxagore, une pierre noirâtre, de la dimension d’un char, était tombée près du fleuve Ægos-Potamos, en Thrace. Pline avait assisté lui-même à la chute d’une pierre de même nature dans la Gaule narbonnaise. Le fait était trop remarquable pour ne pas prêter à la superstition; aussi les aérolithes reçurent souvent les honneurs divins et furent acceptés comme une personnification du soleil, auquel on en reportait l’origine. Cependant la chute de pierres météoriques paraissait tellement extraordinaire que les savans se refusèrent longtemps à en admettre l’existence. Les témoignages authentiques étaient rares et s’enveloppaient, comme toutes les traditions populaires, de circonstances merveilleuses qui n’étaient guère propres à convaincre les esprits réfléchis. On pouvait attribuer aux effets du tonnerre certains phénomènes bizarres, par exemple les traînées de feu que des témoins oculaires avaient vues. Les pierres noirâtres et vitrifiées que l’on retrouvait en divers endroits n’étaient peut-être que des pierres ordinaires frappées par la foudre. Ce fut seulement en 1794 que Chladni, physicien allemand, sut réunir toutes les observations éparses dans les auteurs anciens ou contemporains, et parvint à établir la réalité du phénomène. Les travaux de ce savant eurent le privilège d’attirer l’attention. Les observateurs tenus en éveil signalèrent bientôt des faits qui démontraient l’existence incontestable des aérolithes. Peu après, en 1803, une véritable pluie de pierres vint à tomber en plein jour près de la petite ville de Laigle, en Normandie. M. Biot, envoyé sur les lieux par l’Académie des Sciences, recueillit les témoignages d’un grand nombre de personnes qui toutes avaient entendu une explosion dans l’air, et dont beaucoup avaient vu tomber les pierres. Ces pierres s’enfonçaient en terre en tombant; elles étaient très chaudes et répandaient une odeur de soufre insupportable. La plus grosse de toutes celles que l’on avait trouvées pesait près de neuf kilogrammes, et le nombre total de ces blocs météoriques était évalué à deux ou trois mille. Souvent les aérolithes ont des dimensions bien plus considérables. On en cite qui pesaient plusieurs milliers de kilogrammes. Quelquefois, il est vrai, on assignait une origine aérienne à des pierres que personne n’avait vues tomber. Ainsi le voyageur Pallas racontait à la fin du siècle dernier qu’il avait vu à Saint-Pétersbourg une masse minérale de huit cents kilogrammes environ découverte par un Cosaque au sommet d’une montagne schisteuse en Sibérie. C’était une masse de fer que les Tartares regardaient comme sacrée, parce que cette montagne ne contenait aucune trace de minerai ferrugineux. Il fallait bien qu’elle fût venue du ciel, puisque aux environs du lieu où elle avait été découverte on ne trouvait ni fer ni d’autres pierres analogues. Cette opinion était assez plausible. C’est en effet un signe caractéristique de toutes les pierres météoriques authentiques que l’uniformité de composition qu’elles présentent à l’analyse chimique. Elles contiennent du soufre, du fer, du nickel, de la magnésie, de la silice. Il est remarquable en particulier que le fer s’y trouve à l’état natif, blanc, plein de trous comme une éponge grossière, tandis que ce métal ne se présente à nous sur la terre qu’à l’état d’oxyde ou de sulfure, c’est-à-dire combiné avec d’autres substances.
L’existence des aérolithes étant ainsi mise hors de doute, il restait à en expliquer l’origine, en les assimilant, par une analogie assez naturelle, aux étoiles filantes, qui ne font que briller un instant et disparaître dans les profondeurs de la voûte céleste. Aristote supposait que la pierre qui était tombée à Ægos-Potamos avait été enlevée par la force du vent. Moins crédules plus tard, les astronomes admirent que les bolides se formaient dans l’atmosphère par l’agrégation des vapeurs métalliques que dégagent les usines, comme la pluie, la grêle et la neige se forment par l’agrégation des vapeurs aqueuses. Les usines métallurgiques, disait-on, donnent naissance à des fumées épaisses qui entraînent les métaux mêmes dans un état extrême de ténuité, comme une poudre impalpable. Sans doute la plus grande partie de ces matières retombe très vite dans les localités voisines; mais ce qui reste est entraîné au loin, et, l’électricité aidant (on fait volontiers intervenir l’électricité lorsqu’on est embarrassé), se condense en masses volumineuses qui retombent naturellement sur la terre. Laplace faisait venir les aérolithes de la lune. C’étaient, suivant lui, des pierres lancées par les volcans de notre satellite, et il démontrait qu’il ne leur fallait, pour sortir de la sphère d’attraction de cette planète, qu’une vitesse égale à cinq fois et demie celle d’un boulet de canon. Ceci donnait bien raison de l’identité de composition chimique de tous les aérolithes connus, et justifiait mieux que la précédente explication la direction oblique qu’ils suivent dans leur chute, car, s’ils se formaient dans l’atmosphère, ils devraient tomber verticalement comme tombe la grêle. Il y avait néanmoins quelque chose de bizarre dans cette hypothèse où l’illustre auteur de la Mécanique Céleste assimilait la lune à un mauvais voisin qui jetterait des pierres sur la terre. Puis il faudrait être sûr que la lune a des volcans, ce qui n’est pas encore démontré. Enfin, si les étoiles filantes et les aérolithes ont une même origine, notre satellite s’épuiserait bien vite à fournir cette prodigieuse quantité de pierres météoriques.
Une troisième hypothèse, qui jusqu’à ce jour a paru aux astronomes, sinon mieux justifiée, du moins plus acceptable, consiste à faire de chaque étoile filante, de chaque bolide, un astéroïde, c’est-à-dire un petit astre, une petite planète. Le monde serait peuplé de milliards de ces astéroïdes qui circuleraient autour du soleil comme les grosses planètes, et qui ne deviendraient visibles qu’au moment où ils pénétreraient dans notre atmosphère. Alors le frottement contre l’air atmosphérique les enflammerait. Quelquefois ces petits astres brûleraient tout entiers sans rien laisser qu’une traînée lumineuse, d’autres fois ils ne se fondraient qu’en partie et tomberaient sur notre sol encore incandescens. Il y aurait ainsi dans les espaces célestes où notre globe s’avance régulièrement chaque jour la monnaie d’une grosse planète dont la masse terrestre s’accroîtrait peu à peu. Si cette explication ne s’appliquait qu’aux aérolithes nous l’admettrions volontiers; pendant les dix-huit premières années de ce siècle, on n’en avait observé que trente-sept. A supposer même que la plupart fussent tombés inaperçus, le nombre total n’en saurait être bien grand. Mais les étoiles filantes, c’est par milliers peut-être qu’il faut les compter chaque soir sur toute l’étendue du firmament. A qui persuadera-t-on que l’espace soit si peuplé ? D’ailleurs l’identité des étoiles filantes et des aérolithes ne s’appuie sur aucun fait, et n’est fondée que sur l’apparence. Jusqu’au jour où quelque aéronaute aura la chance d’en saisir une au passage, nous ignorerons ce qu’elles sont, et même nous pourrons douter qu’elles existent réellement. Peut-être n’est-ce qu’une apparence, une illusion d’optique. La vue est le plus trompeur de tous les sens.
Dans un temps comme le nôtre, où l’électricité est la science à la mode, on ne pouvait manquer de prêter aux bolides une origine électrique. Dans tous les phénomènes inexpliqués, on assigne mystérieusement un grand rôle au fluide électrique. En somme, toutes les hypothèses qu’on vient de signaler sont illusoires, car aucune d’elles ne s’appuie sur des faits; elles rappellent trop les anciennes théories sur la nature des choses, que les philosophes créaient de toutes pièces sans souci des vérifications expérimentales. Il est assurément plus digne de la science de convenir que nous ignorons ce que sont ces météores, et d’attendre patiemment que l’observation des faits donne une base légitime à la théorie.
Cependant, depuis soixante-dix ans que Chladni a attiré l’attention sur les étoiles filantes, les observateurs n’ont pas fait défaut. Certaines apparitions d’une importance exceptionnelle donnèrent un nouvel intérêt à cette étude. Ainsi, dans la nuit du 11 au 12 novembre 1799, MM. de Humboldt et Bonpland, qui étaient alors à Cumana, en Amérique, observèrent une véritable pluie d’étoiles filantes; elles se succédèrent par milliers pendant plusieurs heures avec une telle abondance qu’il était impossible de les compter. On les aperçut sur toute la côte orientale de l’Amérique du Nord, depuis le golfe du Mexique jusqu’à Halifax. A Boston, un observateur les assimilait, au moment où elles étaient le plus nombreuses, à la moitié du nombre des flocons qu’on aperçoit dans l’air pendant une averse ordinaire de neige. Dans cette ville seulement, le nombre total de ces étoiles était estimé pour cette seule nuit à 240,000 au moins. En Allemagne, au Groenland, au Brésil, le même phénomène fut observé pendant la même nuit. On eut encore en 1833, dans la nuit du 12 au 13 novembre, une apparition extraordinaire qui fut visible dans l’Amérique du Nord. Cette date du 12 novembre semblait donc caractéristique, et Arago recommandait aux navigateurs qui auraient vers cette époque de l’année des nuits pures et une atmosphère sereine d’observer attentivement les étoiles filantes. En même temps on recherchait les traces de phénomènes analogues qui auraient été observés dans les temps passés. M. Chasles retrouvait dans les anciennes chroniques depuis l’an 538 de notre ère jusqu’en 1233 le souvenir de quatre-vingt-neuf apparitions remarquables. M. Edouard Biot compulsait les interminables archives de l’empire chinois et y relevait un grand nombre d’observations du même genre. Il résultait de ces documens que le mois de novembre avait, depuis plusieurs siècles, le privilège de fournir les apparitions les plus abondantes.
Pour que la théorie des étoiles filantes pût faire de nouveaux progrès, il fallait qu’un observateur eût la patience de suivre ces météores pendant toutes les nuits où l’état du ciel permettait de les apercevoir et qu’il continuât cette étude pendant plusieurs années. M. Coulvier-Gravier entreprit ce travail fastidieux[1]. A partir de 1841, il tint un journal quotidien où, d’après les conseils d’Arago, il inscrivait le nombre des météores observés chaque nuit et la direction qu’ils avaient suivie dans le ciel. Il put alors reconnaître que le nombre s’en accroît d’heure en heure depuis le soir jusqu’au matin. En moyenne, il y en a environ dix par heure ; mais, de sept heures du soir à minuit, il n’en paraît que sept par heure, tandis qu’il en paraît quatorze de minuit à sept heures du matin. Ces nombres varient eux-mêmes suivant les saisons. La recrudescence que le phénomène manifestait autrefois dans le mois de novembre semble avoir disparu. Par compensation, les nuits des 9, 10 et 11 août voient chaque année se produire des apparitions très abondantes qui donnent en moyenne soixante étoiles filantes par heure. C’est donc à cette époque que les hommes curieux d’étudier de près ce phénomène bizarre doivent contempler le ciel. Enfin, d’une année à l’autre, ces moyennes varient; tantôt elles s’accroissent, tantôt elles diminuent, mais avec une certaine régularité qui prouve une fois de plus que la nature procède par degrés dans les phénomènes les plus irréguliers en apparence. Il est permis de croire que, s’il devait se produire maintenant encore des apparitions extraordinaires comme celles qui furent vues en Amérique pendant les années 1799 et 1833, les astronomes pourraient en être prévenus plusieurs mois et peut-être plusieurs années d’avance par l’accroissement graduel des nombres moyens que l’on observerait chaque nuit.
Il est vraiment singulier que l’on ait su démêler des lois immuables dans la marche de ces météores, qui disparaissent sans laisser de traces après avoir brillé quelques secondes à peine dans le ciel. On comprendra mieux encore la patiente ténacité qu’exigeait cette étude lorsqu’on saura que deux observateurs, regardant en même temps la même partie du ciel, ne peuvent voir les mêmes étoiles filantes, c’est-à-dire qu’à l’un des deux échappe plus de la moitié des étoiles que voit l’autre. Encore ne peut-on observer à la fois qu’une faible portion du firmament. Il fallait donc une rare persistance pour arriver à un résultat, car les observations faites en divers lieux et par diverses personnes ne sont pas comparables entre elles, et ce que les astronomes appellent l’influence personnelle a ici plus d’importance que partout ailleurs.
Il était intéressant de connaître la hauteur à laquelle apparaissent les étoiles filantes. Dès 1798, deux physiciens allemands, Brandes et Beuzenberg, essayèrent de résoudre ce problème. S’étant mis à 10 ou 12 kilomètres l’un de l’autre, ils notaient avec soin le moment de l’apparition de chaque météore et la direction où on l’avait aperçu ; puis, en comparant les heures des observations, ils s’assuraient que la même étoile avait bien été vue simultanément par chacun d’eux, ce qui était rare. Les directions observées donnaient alors par un calcul facile la véritable hauteur du météore. Des expériences analogues ont été faites plus récemment par M. Coulvier-Gravier près de Paris, et à Rome par le père Secchi. Ces dernières sont un exemple des services que la télégraphie électrique peut rendre aux sciences. Deux observateurs, placés l’un à Rome, l’autre à Civita-Vecchia, s’avertissaient l’un l’autre de chaque apparition au moyen d’un signal télégraphique. Toutes ces expériences ont fait voir que les étoiles filantes sont très élevées au-dessus du niveau de la terre. En moyenne, elles paraissent être à 120 kilomètres de notre globe et sont quelquefois beaucoup plus éloignées. Il est certain que jamais on ne les voit apparaître au-dessous des nuages. Leur vitesse est aussi très grande ; elle atteindrait, dit-on, 30 kilomètres par seconde, ce qui est la vites.se de translation de la terre autour du soleil. Cette altitude et cette vitesse considérables sont des raisons de croire que les étoiles filantes sont en dehors de l’atmosphère terrestre, puisque, s’appuyant sur des observations d’une autre nature, les astronomes admettent qu’au-delà de 80 kilomètres l’air atmosphérique a presque entièrement disparu.
Ainsi tout ce que les savans ont pu conclure sur ce phénomène après soixante-dix ans d’observations se réduit à bien peu de chose. Les étoiles filantes sont beaucoup plus élevées que les nuages. Le nombre en varie assez régulièrement suivant les heures de la nuit et les époques de l’année, et manifeste une recrudescence remarquable du 9 au 11 août. De leur nature, nous ne savons rien. Les hypothèses que l’on a hasardées pour expliquer l’origine des étoiles filantes ne sont justifiées par aucun fait. Cependant c’est par l’observation de ces météores que l’on prétendrait reconnaître les signes du temps. Cette idée n’est pas nouvelle. Les anciens, qui rapprochaient volontiers les étoiles filantes des comètes, considéraient celles-ci comme un pronostic de vent et de grande sécheresse. D’après un vieux proverbe connu des marins, le vent soufflerait toujours du côté où les étoiles filent, et ces météores, lorsqu’ils seraient nombreux, seraient un indice de pluie. M. Coulvier-Gravier est plus précis. Si nous devons l’en croire, toutes les perturbations atmosphériques qui se manifestent pour nous en grêle, pluie, vent, froid, etc., se révéleraient plusieurs jours à l’avance par les perturbations qu’éprouvent les étoiles filantes. Le nombre, la couleur, le changement de direction, les traînées et la vitesse seraient autant d’indices qui dénoteraient à l’observateur expérimenté la pluie ou le beau temps des journées suivantes. Quand on trace sur une carte céleste la marche des étoiles filantes que l’on a observées pendant une nuit, on remarque qu’il s’en présente sur tous les points du ciel et dans des directions très variées; mais toutes ces directions ont ce qu’on appelle en mécanique une résultante. D’après M. Coulvier-Gravier, cette résultante donne déjà des indications précieuses. Est-elle dirigée vers le nord, elle annonce un temps froid; vers le sud, elle annonce des chaleurs. De plus les étoiles filantes ont quelquefois une marche irrégulière; la trajectoire qu’elles parcourent est courbe ou brisée, comme si la force qui les a mises en marche était balancée par une force d’une autre direction. Ceci donne une seconde résultante qui doit être combinée avec la première. Les deux résultantes sont-elles concordantes, la chaleur, le froid annoncé, seront d’autant plus sensibles. Sont-elles divergentes, elles se neutraliseront l’une l’autre. Enfin, après avoir calculé ces deux résultantes pour une longue série d’années, M. Coulvier-Gravier a remarqué que les résultats acquis au 30 avril, c’est-à-dire pour les quatre premiers mois de l’année, étaient identiques avec ceux de l’année entière, que l’on ne connaît qu’au 31 décembre. Dès le mois de mai, il est donc possible de dire si l’année sera chaude ou froide, sèche ou pluvieuse.
Ceci est une prédiction à long terme qui ne peut être conçue que dans un sens très général, puisque le météorologue se contente d’annoncer qu’il fera chaud sans dire en quel mois de l’année ou qu’il pleuvra beaucoup sans indiquer le nombre des jours pluvieux, et, suivant le sens qu’il attribue à ces expressions d’année chaude et d’année pluvieuse, il aura toujours raison. M. Coulvier-Gravier nous en cite lui-même un exemple récent. Au 1er mai de l’année 1862, il avait annoncé que l’année serait chaude et sèche. Cependant il y a eu sept jours pluvieux de plus que de jours sans pluie; mais, ajoute-t-il, la quantité totale d’eau tombée en 1862 est moindre que les années précédentes. Les grands fleuves, le Danube, la Seine, le Mississipi, sont descendus à leur niveau le plus bas au mois d’octobre. Pour ceux qui ne tiennent compte que de la durée de la pluie, l’année a donc été humide, et elle a été sèche pour ceux qui se préoccupent de la quantité d’eau tombée. Cette observation suffit, ce semble, pour montrer l’inanité de ces prédictions. En même temps elles inspireront une juste défiance contre les prophètes qui, par une combinaison de chiffres, sauront toujours, après coup, se donner les apparences de la raison.
M. Coulvier-Gravier est un météorologue de trop bonne foi pour fonder le succès de ses pronostics sur l’ambiguïté des termes. Aussi déclare-t-il que la science des météores est appelée à rendre un plus important service : c’est d’indiquer trois ou quatre jours à l’avance les perturbations atmosphériques qu’on doit craindre ou espérer, soit pour en profiter, soit pour s’en garantir. Si l’observateur voit un soir les étoiles filantes marcher en ligne droite et fournir une longue course avant de s’éteindre, cela dénote la tranquillité des couches supérieures de l’atmosphère. Le calme observé dans les hautes régions continuera sur la terre, si déjà nous en jouissons, ou s’y rétablira bientôt, si nous avons des orages autour de nous. Que si les étoiles filent au contraire avec rapidité, durent peu ou sont déviées de leur route, c’est un signe certain que la tranquillité dont nous jouissons ne tardera pas à être troublée. Les étoiles filantes sont blanches d’ordinaire : cependant il y en a de rouges, jaunes, bleues, vertes, qui sont encore un signe particulier de perturbation: mais les indications les plus précieuses sont fournies par les étoiles dont la course est plus ou moins curviligne et accidentée. Il faut quelque temps, il est vrai, pour se familiariser avec ce phénomène particulier, car la durée d’une étoile filante est si courte, l’apparition est si imprévue, que l’œil a peine à saisir dans le ciel les stations et les rétrogradations qu’elle éprouve. C’est là cependant l’indice le plus utile à recueillir, et, au dire de M. Coulvier-Gravier, un seul météore qui s’avance par saccades suffirait pour pronostiquer avec certitude une tempête violente à plusieurs jours de distance. Il est encore d’autres étoiles filantes non moins remarquables, auxquelles il donne le nom d’étoiles mouillées, parce que, par le plus beau ciel du monde, elles paraissent comme étouffées dans une masse d’eau, et que plus le nombre en est considérable, plus on est menacé de pluies abondantes. D’autres, qui s’éteignent au moment où elles paraissent, annoncent également de la pluie, comme si l’humidité de l’air les étouffait aussitôt.
Tel est le système météorologique dont M. Coulvier-Gravier est l’inventeur, sauf quelques détails d’importance secondaire dont je le dégage pour en simplifier l’exposition. On a déjà compris sans doute quel en est le côté faible : c’est l’absence d’une théorie, le manque d’un lien philosophique entre les faits et les pronostics. L’esprit est mal satisfait par des prédictions dont rien que l’événement ne prouve la vérité. La preuve par les faits est toujours contestable en matière de science, et impose difficilement la persuasion. L’argument cum hoc, ergo propter hoc, a justifié pour un temps toutes les hérésies scientifiques. Pour nous convaincre, il faudrait que l’on pût nous montrer un rapport nécessaire, une relation incontestable entre ces étoiles filantes, reléguées bien au-delà de notre atmosphère, et les vents, les nuages, les météores aqueux qui s’agitent autour de nous ou sur nos têtes. Qu’on nous montre la cause qui fait que ces élémens réagissent l’un sur l’autre. Si nous sommes persuadés que les marées sont dues à la lune, ce n’est pas parce que les mouvemens de la mer coïncident avec les phases de notre satellite, mais bien parce que les astronomes ont analysé l’attraction que la masse de la lune exerce sur la masse de l’Océan, et qu’ils l’ont trouvée suffisante pour en soulever périodiquement les eaux.
Si l’on examine d’un peu près les principes météorologiques que pose M. Coulvier-Gravier, on est étonné de voir combien sont nombreux, complexes et fugitifs les symptômes qui lui servent à prédire le temps. Tantôt c’est une étoile filante unique dont l’aspect nébuleux dénote quelque perturbation grave, et qui à elle seule suffit pour annoncer une tempête. Dans une autre nuit, ce sont quatre étoiles à marche curviligne qui portent seules de mauvais présages au milieu d’une masse d’autres étoiles inoffensives. Rappelons-nous maintenant que l’observateur le plus attentif voit à peine la moitié des météores qui sillonnent la voûte céleste. Que de fois le signe néfaste échappera à l’attention ! que de fois encore il sera mal interprété! De ce que l’auteur de cette théorie en retire pour lui-même des renseignemens exacts, il ne s’ensuit pas que tous ses disciples auront le même succès. On ne regarde pas impunément le ciel pendant tant d’années. Par une longue contemplation, l’observateur émérite se familiarise avec les signes du temps les plus mystérieux, et interprète sans hésitation les hiéroglyphes que le novice ne saurait déchiffrer. Si les étoiles filantes achèvent leur course en dehors des limites de notre atmosphère, la raison dit qu’il ne faut pas aller si haut dans le ciel pour y chercher le secret des nuages et des vents. Il suffit d’interroger cette portion de l’espace plus rapprochée de nous, et où s’agitent les météores qui nous intéressent. Après avoir consulté sans succès la lune et les étoiles filantes, nous redescendrons plus bas, plus près de terre, et nous chercherons dans l’atmosphère qui nous entoure les signes du beau et du mauvais temps.
Les rapports qui existent entre les variations du baromètre et les mouvemens de l’atmosphère ont déjà été exposés dans la Revue[2] ; il suffira donc de les rappeler en quelques mots. Les vents dominans sont, dans nos contrées, celui du sud-ouest, ou courant équatorial, qui nous transmet la chaleur du tropique, et celui du nord-est, ou courant polaire, qui nous fait sentir les froids du pôle. Tous les autres vents peuvent être considérés comme une combinaison des deux courans du sud-ouest et du nord-est. Tantôt ces deux courans s’avancent côte à côte dans des directions opposées, mais parallèles, et restent superposés comme les courans de l’Océan; nous ne sentons alors que celui qui chemine au ras de terre, dans la zone inférieure de l’atmosphère. Tantôt ils se croisent à divers angles; alors ils se mélangent et produisent par la combinaison de leurs forces et de leur nature ces différences de température qu’on observe lorsque le vent tourne plus ou moins dans la direction du pôle ou de l’équateur. S’ils se heurtent violemment, ils donnent naissance aux tempêtes circulaires appelées cyclones dans la langue scientifique moderne. Or, toutes les fois qu’un courant polaire s’approche, l’air devient lourd, et le baromètre monte. Si c’est un courant tropical, l’air devient plus léger, et le baromètre descend, car la pression atmosphérique est moindre. Le baromètre marque par avance les mouvemens, et pour ainsi dire les pulsations de l’atmosphère.
Il ne faudrait pas croire que ces mouvemens sont brusques et s’opèrent avec une grande rapidité. Quelque mobile que soit l’air, il est besoin cependant d’un certain temps pour qu’il reçoive l’impulsion des masses voisines qui le poussent en avant ou l’entraînent dans leur marche. C’est un fait d’observation que les oscillations de la colonne barométrique devancent toujours de plusieurs heures les vents qui les produisent, et qu’elles sont d’autant plus lentes que les phénomènes qu’elles annoncent seront plus durables. Ainsi un abaissement brusque d’un centimètre en une journée est l’indice d’une tempête prochaine, mais de courte durée. Si cet abaissement de la colonne barométrique s’opère en plusieurs jours, la tempête qu’il annonce tardera davantage, durera plus longtemps et sera moins dangereuse. Un abaissement de 1 à 2 millimètres en une heure présage un orage ou une forte pluie, tandis que le baromètre pourrait descendre de la même quantité dans l’espace de vingt-quatre heures sans que l’atmosphère éprouvât de perturbation sensible. On comprend d’après ces données comment le baromètre permet de prévoir la pluie et le beau temps un jour, plusieurs jours quelquefois même avant que les changemens ne s’accomplissent. Néanmoins les indications qu’il fournit à l’avance n’ont une valeur réelle que pour les marins et les habitans des plaines. Dans les montagnes en effet, trop de circonstances locales exercent leur action sur la marche des vents. Les courans atmosphériques, s’ils ne s’élèvent pas à plusieurs milliers de mètres au-dessus du sol, sont arrêtés ou détournés de leur course. Chacun sait qu’une vallée peut être le théâtre d’un violent orage sans que l’atmosphère soit troublée dans les vallées contiguës. Dans les montagnes, ce sont les effets locaux qui prédominent, tandis que sur les mers et les plateaux ils ne parviennent que rarement à masquer les mouvemens généraux de l’air.
Il y a longtemps que l’on connaît l’influence exercée sur le baromètre par les changemens de temps et que l’on observe les oscillations de la colonne barométrique pour en conclure tant bien que mal l’arrivée prochaine d’une tempête ou le retour du beau temps; mais cet utile instrument était peu répandu et n’était guère à la portée de tous les marins. Les pêcheurs des petits ports de mer n’en connaissaient pas l’usage, et cependant ils en avaient besoin plus que qui que ce soit, car ils s’aventurent en mer sur des barques d’un faible tonnage. Depuis quelques années, le gouvernement anglais a fait distribuer des baromètres dans tous les villages habités par des pêcheurs, avec une instruction claire et précise qui en indique l’emploi. De la Manche jusqu’aux Shetlands, on en trouve partout sur les côtes de l’est et de l’ouest. Quelques grands propriétaires, guidés par des sentimens d’humanité, entre autres le duc de Northumberland, ont voulu concourir à cette œuvre utile, et ont fait poser à leurs frais des baromètres dans les localités auxquelles ils portaient un intérêt d’affection. Enfin l’institution des bateaux de sauvetage[3] en a aussi fourni à toutes ses stations. Ces efforts n’ont pas été sans fruits. Il est certain que, déduction faite des abordages, le nombre des naufrages diminue d’année en année, quoique le nombre des bâtimens s’accroisse.
Mais pour tirer du baromètre tout le parti possible, il ne suffit pas d’une observation isolée ; il faudrait comparer les observations faites à un même instant de la journée dans des localités différentes. Les orages ne sévissent pas au même moment sur une étendue comme celle de la France ; ils se propagent lentement. Des faits incontestables mettent ce fait hors de doute. Le 10 août 1831, un ouragan qui put être bien étudié, grâce à de nombreuses observations, ravagea les Antilles. Il avait commencé à la Barbade un peu avant minuit, et n’atteignit l’île de Saint-Vincent, située à 110 kilomètres de là, que sept heures après. Plus récemment, le directeur de l’observatoire de Paris, M. Leverrier, put réunir de nombreux renseignemens sur la terrible tempête qui fondit sur la Mer-Noire en 1855, pendant la guerre de Crimée, et il reconnut qu’elle avait été produite par le transport d’une grande onde atmosphérique allant de l’ouest à l’est, et qui, ralentie un instant par les Alpes, mais augmentant toujours en intensité, mit plus de trois jours à traverser l’Europe, et atteignit enfin la Mer-Noire. Si l’on avait suivi la marche de cet ouragan, on aurait eu le temps de signaler le danger aux flottes alliées et de prendre les mesures de prudence nécessaires pour éviter en partie les désastres qui s’ensuivirent. Grâce à l’extension du télégraphe électrique, on pourrait maintenant, aussitôt qu’une tempête apparaît en un point de l’Europe, en suivre la marche pas à pas, heure par heure, et prévenir en temps utile les pays qui paraissent menacés. Pour atteindre ce but, il suffirait de faire converger les informations vers un centre principal d’où l’on put avertir les points vers lesquels s’avance en grossissant la tempête.
Dès 1856, M. Leverrier organisait en France un système de communications météorologiques avec le concours de l’administration des lignes télégraphiques. Vingt-quatre villes convenablement choisies sur la surface du territoire français et pourvues des appareils nécessaires expédiaient chaque matin leurs observations à Paris. On connaissait ainsi chaque matin l’état du ciel, la direction et la force du vent, la température et la pression barométrique pour toute l’étendue de la France. Un peu plus tard, l’observatoire de Paris put échanger chaque jour ses communications météorologiques avec les observatoires étrangers. L’Espagne et le Portugal transmettaient les observations de Madrid, San-Fernando et Lisbonne; l’Italie, celles de Turin, Florence et Home; la Russie donnait Saint-Pétersbourg, Varsovie et Moscou; la Belgique, Bruxelles; la Suède, le Danemark et la Norvège, Copenhague, Stockholm et Haparanda. Enfin on recevait même les observations de Constantinople et d’Alger, quoique un peu irrégulièrement à cause de la distance. Tous ces documens étaient publiés chaque jour par le Moniteur et reproduits par les autres journaux quotidiens. Il n’est personne qui n’ait quelquefois consulté avec intérêt ces tableaux météorologiques; néanmoins les indications thermométriques paraissaient avoir seules le privilège de fixer l’attention. Au milieu de l’hiver, c’était un éternel sujet d’envie pour l’habitant de Paris que cette température de 18 à 20 degrés qui règne à Alger pendant la mauvaise saison, et il se consolait à peine du froid modéré qui sévissait en France en remarquant les froids excessifs qui affligeaient Haparanda, Saint-Pétersbourg et toutes les villes de l’Europe septentrionale. L’observatoire de Paris a cessé de publier les relevés météorologiques quotidiens. Peut-être ne satisfaisaient-ils qu’un intérêt de curiosité banale; les hommes de science n’y trouvaient pas une exactitude suffisante, et le but utile que l’on s’était proposé n’avait sans doute pas été atteint. Les observations n’inspirent la confiance qu’autant qu’elles sont faites avec soin, et le nombre des stations météorologiques était trop considérable pour que l’on fût certain d’avoir dans chacune d’elles des observateurs habiles et des instrumens bien réglés.
Le télégraphe électrique permettait, entre les différens ports d’une même côte, rechange de renseignemens d’une utilité moins contestable. La chambre de commerce du Havre vint à demander qu’on lui fît connaître chaque jour la direction des vents régnans à Brest et à Cherbourg. On se rendit à ce désir, et l’on organisa un système de correspondance qui dure encore et qui renseigne deux fois par jour chacun de nos principaux ports sur l’état de la mer et de l’atmosphère dans les parages qui les intéressent.
Les prédictions météorologiques étant surtout utiles aux marins, il n’est pas de pays qui plus que l’Angleterre porte intérêt à cette science. Il n’en est pas non plus où l’étude des météores paraisse plus facile et plus féconde en résultats. Isolées au milieu des mers, les îles britanniques reçoivent les vents du large sans que les montagnes en aient détourné le cours ou altéré la force. Il y a deux ans que le contre-amiral Fitz-Roy eut l’idée d’employer les observations météorologiques comparées pour prédire le temps deux ou trois jours à l’avance. Voici comment il procède. Les côtes de la Grande-Bretagne sont divisées pour cet objet en sept régions tellement choisies que le climat et les conditions atmosphériques y soient presque semblables. Un certain nombre de villes dans chaque région sont pourvues d’appareils convenables et transmettent chaque matin à Londres, par le télégraphe, les observations qu’elles ont faites, savoir les hauteurs du baromètre et du thermomètre, la force et la direction du vent, l’état du ciel et de la mer. Ces observations sont comparées entre elles. Avec quelque habitude, on reconnaît la direction, l’étendue et la marche des grands courans d’air qui s’agitent au-dessus des îles britanniques. Les vents dominans étant ceux du nord-est et du sud-ouest, ce sont les côtes septentrionale et occidentale qui sont les premières atteintes par un changement de temps. On commence donc par s’occuper de la région de l’Ecosse, puis ensuite de l’Irlande. D’après les renseignemens fournis par chaque station, on estime les effets probables que produiront les vents le lendemain et le surlendemain, et l’on en conclut le temps moyen pro!)able pour toute la région. Ce temps probable s’exprime en peu de mots : on se contente d’indiquer quel sera le vent dominant, si le ciel sera beau ou couvert, s’il y aura de la neige ou de la pluie. Quelquefois, mais rarement, les indications recueillies ne sont pas assez concordantes, et on annonce seulement que le temps sera incertain.
Ces opérations, qu’il serait trop long de décrire en détail, se font très rapidement. Chaque matin, vers onze heures, l’état probable de l’atmosphère pour les deux jours suivans est dressé et envoyé, avec les tables qui lui servent de hase, aux divers organes de la presse ainsi qu’aux établissemens publics que ces prévisions intéressent. De plus on transmet aux ports de mer les avertissemens qui peuvent leur être utiles, afin que les navires qui sont en vue puissent être prévenus par des signaux d’une tempête imminente. Ces signaux sont bien simples. Un cône dont la pointe est tournée vers le ciel indique un orage venant du nord; si la pointe est en bas, l’orage est attendu du sud. Si l’on ajoute un tambour au-dessous ou au-dessus du cône, c’est l’indice d’un dangereux coup de vent du nord ou du sud. Pour la nuit, les mêmes signaux se font avec trois ou quatre fanaux disposés en triangle ou en carré. Les marins qui sont prêts à s’embarquer peuvent ainsi se mettre en garde contre une tempête. Les bateaux pêcheurs qui sont au large peuvent rentrer à temps, et les voyageurs qui ne prennent qu’accidentellement la mer savent d’avance s’ils auront ou non une traversée favorable.
A proprement parler, dit M. Fitz-Roy, ce ne sont pas là des prophéties ni des prédictions. On doit plutôt appeler prévisions ces renseignemens déduits du calcul et des observations. Il n’y a en leur faveur que des probabilités, et ils peuvent être contredits par un changement brusque dans l’atmosphère, comme par exemple par l’irruption soudaine d’un coup de vent ou par une perturbation électrique. De plus ces prévisions, qui sont données pour 2 ou 300 kilomètres de côtes, ne peuvent être que très générales. Elles laissent en dehors les météores locaux; ainsi elles ne peuvent tenir compte des grains, c’est-à-dire de ces pluies subites accompagnées de bourrasques qui ont peu de durée et sont néanmoins dangereuses parce qu’elles surprennent les navires au milieu d’un calme. Malgré ces restrictions, les prédictions de l’amiral Fitz-Roy paraissent utiles, et l’on pourrait citer un grand nombre de cas où elles ont prévenu des désastres que les marins n’auraient pas su prévoir. Le 12 novembre 1861, un avertissement fut transmis au port d’Yarmouth dans l’après-midi. Il était presque nuit, et les signaux ne purent être faits que le lendemain matin, alors que tous les bateaux pêcheurs, qui avaient mis à la voile de très bonne heure, étaient déjà loin en mer. Le soir, un orage survint. Pour sauver leur vie et leurs bâtimens, les pêcheurs durent couper et abandonner leurs filets. Des signaux de nuit auraient prévenu cette perte d’une valeur considérable et auraient préservé les marins du danger. À cette époque, ces signaux n’étaient pas organisés; mais depuis quelques mois ils sont prêts à fonctionner. Le 7 mars 1862, le signal d’alarme fut hissé à Plymouth pendant toute la journée. Le lendemain, le temps était si beau en apparence que les pêcheurs n’en tinrent aucun compte et prirent le large comme d’habitude. Le soir, un nouveau signal fut fait pour annoncer un grain violent venant du sud, et cependant le temps était encore magnifique. Avant minuit survint un orage qui persista pendant toute la journée suivante. Au début, paraît-il, les marins avaient peu confiance dans les avertissemens qu’on leur transmettait de Londres par le télégraphe. L’usage leur en a montré la valeur. Les signaux d’alarme ne les forcent pas à rester dans les ports; c’est seulement un signe de précaution qui veut dire que l’atmosphère est troublée, qu’il y aura bientôt un orage, qu’il faut observer le baromètre avec soin et se mettre à l’abri aux premiers indices du mauvais temps. Chacun est libre d’interpréter à sa manière les pronostics officiels, de les compléter par son expérience personnelle, et peut-être même n’y a-t-il que les marins expérimentés qui sachent en tirer tout le parti possible.
Les prédictions atmosphériques de l’amiral Fitz-Roy sont portées à la connaissance du public de deux manières, d’abord par les signaux que les maîtres de ports arborent en cas de danger imminent, puis par la voie de la, presse. Voilà deux ans que le Times publie chaque jour le temps probable du lendemain et du surlendemain pour les côtes de la Grande-Bretagne. A côté de ces prédictions, un autre tableau fait connaître le temps qu’il faisait la veille. Ainsi chacun peut, en consultant les journaux, voir à quel degré les prédictions se sont réalisées. Certes le système est satisfaisant au point de vue théorique. Puisque les oscillations du baromètre précèdent de quelques heures les mouvemens de l’atmosphère, nous concevons aisément qu’on puisse prévoir le temps et pronostiquer les tempêtes: mais ces prévisions ont-elles l’exactitude que leur prête l’amiral Fitz-Roy? Sur ce sujet, les avis des hommes spéciaux sont, je crois, partagés. Quelques-uns prétendent avoir remarqué entre les prédictions et les événemens qui les ont suivies des divergences tellement grandes et tellement fréquentes, que le système n’aurait aucune valeur pratique. D’autres, plus confians dans les idées nouvelles, s’étonnent au contraire que des observations nécessairement imparfaites puissent conduire à des résultats si exacts. Peut-être serait-il téméraire de se prononcer dès à présent entre ces deux opinions. Il faut des années d’expérience pour juger la valeur de telles innovations. Ce qui semblerait prouver en faveur de la météorologie télégraphique, c’est qu’elle se généralise. La Prusse a déjà institué dans la Baltique un système de signaux analogues à ceux qu’emploie l’Angleterre. En France, la marine va poursuivre les mêmes observations. Il n’est pas certain que nous en obtenions tous les avantages que les Anglais prétendent avoir réalisés. Notre pays est baigné par deux mers qui ont chacune leurs perturbations atmosphériques. Dans la Méditerranée surtout, cette petite mer soustraite aux grands courans atmosphériques, il semble difficile d’admettre que les influences locales ne prédominent pas sur les mouvemens généraux. Nul n’ignore que sur les côtes de la Provence le golfe de Lion est le théâtre de fréquens coups de vent redoutés des marins, tandis que les mers environnantes jouissent d’une placidité admirable. Enfin il y a toujours dans le succès des applications scientifiques quelque chose de spécial à l’homme qui les a imaginées. Ne serait-il pas possible que le savant marin qui a organisé en Angleterre les prédictions météorologiques y ajoutât une part d’expérience personnelle ou un dévouement paternel que n’auront pas ses imitateurs?
Les différens essais qui ont été tentés pour prédire le temps peuvent, ainsi qu’on l’a vu, se ranger en deux classes : d’abord des théories vagues et vaines, comme les prophéties des astrologues au moyen âge, des prédictions faites plusieurs mois ou même pinceurs années à l’avance, qu’il est aussi difficile d’admettre, tant elles pèchent par la base, que de convaincre d’imposture, car la généralité des termes qu’elles emploient se prête souvent à des interprétation. contraires; — puis les pronostics fondés sur l’expérience des faits naturels, sur une longue observation des mouvemens atmosphériques et des phénomènes qui les accompagnent. Cette dernière méthode. la seule conforme à l’esprit philosophique qui doit diriger les sciences d’observation, n’a la prétention d’entrevoir l’avenir que peu de jours à l’avance; encore se défie-t-elle trop d’elle-même et des ressources dont elle dispose pour qu’on ne soit pas tenu, en l’adoptant, de se mettre en garde contre des erreurs involontaires. Cette science du temps, il y a longues années qu’elle est secrètement pratiquée par le marin, le laboureur et le montagnard, par tous les hommes enfin qui sont les témoins quotidiens des grandes luttes de l’atmosphère. De là ces proverbes qui, sous une forme triviale et quelquefois burlesque, renferment souvent des vérités utiles, et qui ont au moins droit à notre respect comme l’expression d’une expérience séculaire. Chacun sait que le brouillard au matin est un signe de beau temps, pourvu qu’il se dissipe à mesure que le soleil s’élève, mais que la brume sur les montagnes est un indice de pluie. Aussi le proverbe nous dit : « Brouillard dans la vallée, — pêcheur, fais ta journée; — brouillard sur le mont, — reste à la maison. » Lorsque le ciel est couvert de petits nuages ronds détachés les uns des autres (les savans appellent ces nuages cirro-cumulus}, on a remarqué que le baromètre baisse, et qu’il faut attendre une tempête. Aussi « ciel pommelé, fille fardée, ne sont pas de langue durée. » Les animaux eux-mêmes, comme s’ils étaient agités par les signes avant-coureurs du mauvais temps, peuvent nous fournir quelques indications. A l’approche d’une tempête, les oiseaux de mer volent avec inquiétude vers la terre et poussent des cris répétés. Le proverbe nous dit encore : «Quand l’hirondelle — à tire-d’aile — vole en rasant la terre et l’eau, — le mauvais temps viendra bientôt. »
Pour que la science des temps fît quelques progrès, il ne serait pas inutile peut-être de chercher le sens souvent obscur de ces dictons familiers, d’ériger en théorie les préjugés populaires et de les soumettre au contrôle des observations scientifiques. Cette science profitera en outre des progrès de la physique terrestre et des relations fréquentes qui s’établissent entre les savans des divers pays. Au fond, le système de l’amiral Fitz-Roy n’est qu’un premier pas fait dans cette voie; aussi nous inspire-t-il une confiance que nous ne saurions accorder aux autres pronostics. Tous les proverbes cependant ne sauraient être vrais; il en est dont la science démontrerait la fausseté, celui-ci, entre autres : « qui veut mentir n’a qu’à parler du temps, » quoique ce soit une appréciation assez juste d’un bon nombre de prédictions météorologiques.
H. BLERZY.
- ↑ Voyez, sur les premières observations de M. Coulvier-Gravier, une étude de M. Littré dans la Revue du 15 avril 1852.
- ↑ Voyez dans la Revue des Deux Mondes du 1er juillet 1860 une étude de M. Laugel sur les Progrès de la Météorologie.
- ↑ Cette association de bienfaisance est peu connue et rend cependant d’immenses services sur les côtes de la Grande-Bretagne. Fondée et soutenue par des souscriptions particulières, elle a dépensé déjà près de 2 millions de francs en achats de bateaux de sauvetage et en récompenses aux marins qui les montent. Elle possède aujourd’hui plus de cent vingt stations, et se vante d’avoir sauvé la vie à 1,500 naufragés pendant les trois dernières années.