Les Présences invisibles/06

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Librairie académique Perrin (p. 33-40).

VI

JÉSUS RESSUSCITANT LES MORTS

Trois fois dans l’Évangile, Jésus nous est représenté ressuscitant des morts. Saint Mathieu, saint Marc et saint Luc nous racontent la résurrection de la fille de Jaïrus, saint Luc, celle du fils de la veuve de Nain, et saint Jean celle de Lazare. (Math., ix, Luc, vii et viii, Marc, v, Jean, xi.) Nous rencontrons en ces récits plusieurs traits communs et d’abord la tendre compassion du Sauveur pour les affligés.

Dans l’épisode de Jaïrus, elle contraste avec la rudesse et l’incompréhension des hommes : « Ta fille est morte, vient dire brutalement quelqu’un au chef de la synagogue, n’importune pas davantage le Maître. » Jésus entend et se tournant aussitôt vers le malheureux père, il détourne de lui le coup si durement asséné, car seul parmi tous, il connaît toute son angoisse et sa douleur : « Ne crains pas, crois seulement, et elle sera sauvée. » Arrivé au domicile mortuaire, il montre la même pitié. Beaucoup d’amis sont là qui se lamentent avec les parents, mais lorsque le Christ veut leur rendre l’espoir : « Ne pleurez pas ; l’enfant n’est pas morte, mais elle dort », ils oublient leur chagrin de commande pour se moquer de lui avec l’ironie facile des cœurs superficiels, des esprits frivoles ou fermés.

« Elle dort », dit Jésus de la petite trépassée, et il emploiera la même expression à propos de Lazare : « Lazare dort, mais je vais le réveiller. » Il ne montre la mort ni comme un anéantissement, ni comme une longue léthargie ; elle n’est pour lui qu’un bref sommeil, un sommeil apparent, sommeil du corps et non de l’esprit :

« J’étais endormie, mais mon cœur veillait. » (Cant. des cantiques, v, 2.)

Il s’adresse à la veuve de Naïn comme à Jaïrus : « Ne pleure pas. » « Il fut ému de compassion », nous rapporte saint Luc, en considérant cette mère abandonnée répandant sur son fils unique les larmes que Marie allait bientôt verser au pied de la croix. « Ne pleure pas ! » Comme l’on sent dans le cœur divin le retentissement d’une telle détresse ! Ce fut là tout le discours qu’il prononça. Quelle promptitude à tarir ces pleurs, à les changer en bonheur éperdu !

Mais ensuite, près de la tombe où gît son ami, le Rédempteur semble s’émouvoir encore davantage. Cette fois, il n’est pas en présence d’un corps dont le souffle vient de s’envoler, effigie gardant l’empreinte de l’âme. Toute l’horreur du sépulcre est devant lui, toute l’angoisse des survivants au bord du gouffre dans lequel a sombré leur bien-aimé. Le Vivant va remporter une nouvelle victoire, il le sait et que bientôt il vaincra pour jamais la terreur suprême. Cependant la pitié lui remplit l’âme au point d’en déborder ; il frémit en entendant les sanglots des sœurs désolées, il ne dit plus : Ne pleurez pas ! Il pleure lui-même et c’est ainsi qu’il répond à l’appel de ses amis : « Viens et vois. »

Il voit et ses larmes coulent, non point seulement sur les malheureux qu’il va consoler… Au delà de ce tombeau dont il fera jaillir la vie, il voit sur toute l’étendue de la terre et dans tout le cours des siècles, toutes les autres tombes, tous les morts innombrables et la détresse affreuse, immense de ceux qui les cherchent en vain…

Sans doute, il ressuscitera aussi pour la vie éternelle, il consolera ceux qui se confient en lui, mais que de désespoirs aveugles ou révoltés, que d’ignorants, d’égarés et même parmi les croyants, les éclairés, que d’angoisses, d’inévitables et terribles souffrances ! Ô vous qui passez par cette agonie pire que la mort qu’est la séparation, même apparente et temporaire d’avec le meilleur de vous-même, vous qui assistez impuissant au lent déclin, aux atroces combats ou à la brusque disparition de ceux que vous chérissez plus que votre vie, dans le paroxysme de votre désespoir, quand vous vous débattez au milieu des ténèbres, que la volonté divine vous semble un dur destin, presque impossible à accepter comme à comprendre, détournez-vous des consolateurs humains dont les exhortations trop souvent impies ou la pauvre pitié accroîtraient encore votre douleur, vous feraient peut-être blasphémer, regardez Jésus auprès du tombeau de Lazare… Il se tait et il pleure…

Et puis écoutez ce que disent les témoins de ces larmes : « Voyez comme il l’aimait ! » Vous aussi, pauvres affligés qui vous croyez abandonnés, voyez comme il vous aime, comme il aimait votre trésor perdu… Ne repoussez pas cette tendresse, même si dans votre égarement, elle vous paraît impuissante ! « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ajoutent les amis de Lazare, ne pouvait-il faire que cet homme ne mourût pas ? »

Jésus va bientôt leur répondre.

Et vous, si vous croyez en son amour, peu à peu vous sentirez que ses bien-aimés ne meurent pas… Il pleure parce qu’il sait ce que coûte la victoire et ce que vous souffrez en l’attendant, quelle distance il y a entre la foi et la vue, les ombres de la terre et la lumière du ciel, mais de cette victoire, il est sûr, et déjà il rend grâces au Père pour l’avoir remportée. Vous aussi, à l’heure sombre où votre faiblesse vous accable, où privés de la tendresse qui vous faisait vivre, vous frissonnez d’épouvante devant votre misère, ne doutez ni de l’amour, ni du pouvoir de l’invisible Ami. Vous avez tant besoin d’être aimés, pauvres délaissés ! Croyez que Jésus est près de vous, qu’il pleure avec vous, que pour vous, en Gethsémané et dans la mystérieuse et terrible agonie de la croix, il a pleuré des larmes de sang : « Ô vous tous qui passez par ce chemin, voyez s’il est une douleur pareille à sa douleur ! » (Lament. de Jérémie, i, 12.)

Suppliez-le d’avoir pitié de vous et ne doutez pas de sa compassion… Bientôt vous vous sentirez enveloppés de son amour et comme portés tendrement, soutenus par des bras tout-puissants… Que cette pensée vous vienne alors : Je ne suis pas seul entre les mains de la miséricorde divine : mes bien-aimés disparus y sont aussi recueillis et malgré les apparences, nous sommes ensemble, ensemble pour l’éternité.



LES CONSOLATIONS HUMAINES

Les consolations humaines se sont tues.
Ma vie et mon bonheur gisent sous un linceul
Et dans l’affreuse nuit, mon désespoir est seul
Devant ta face, ô Dieu tout-puissant qui me tues.

J’entends les heures fuir de ténèbres vêtues
Et le vent tordre au loin les branches du tilleul
Qui tient tête à l’orage et misérable aïeul,
Lutte au milieu des jeunes cimes abattues.

Ensemble nous errions sous ces arbres jadis ;
L’une reste ici-bas, l’autre est au paradis :
Vivre sans ce qu’on aime, ô Christ, est-ce possible ?

Mais une voix soudain apaise mon transport,
Le silence me parle et je vois l’invisible…
M L’Amour, ma bien-aimée, est vainqueur de la mort.



DANS LA SOMBRE NUIT

La nuit est sombre, ô Christ, entre dans ma maison,
Viens avec mon agneau couché sur ton épaule ;
Ouvre la lourde porte, illumine la geôle,
Comme l’ange apparut à Pierre en sa prison.

Seigneur, ma vue est courte et pauvre ma raison.
Sentant de toutes parts qu’un mystère me frôle,
Je tremble, ainsi qu’au vent de l’automne, le saule,
Et ta seule clarté luit à mon horizon.

Mon cœur auprès du tien repose à jamais. Reste ;
Comment vivre ici-bas sans toi, Frère céleste
Vers qui les yeux brûlés de pleurs je tends les bras ?

Toi qui reçus mon ange en ta béatitude,
Avec miséricorde aussi tu répondras
Au cri de ma détresse et de ma solitude.