Les Présences invisibles/19

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Librairie académique Perrin (p. 123-129).

XIX

PAR LA FOI

L’Épître aux Hébreux pour laquelle semble avoir collaboré avec la pensée de saint Paul, la plume de l’un de ses disciples, fut probablement écrite à une époque de deuil et de prsécutions, après le martyre de plusieurs apôtres, puisqu’on y trouve ces lignes émouvantes : « Souvenez-vous de vos conducteurs qui vous ont annoncé la parole de Dieu ; considérez quelle a été la fin de leur vie et imitez leur foi. Jésus-Christ est le même, hier, et aujourd’hui, et éternellement. (Héb., xiii, 7, 8.)

Avant de proposer comme exemple aux fidèles ceux qui avaient été ses chefs et ses compagnons d’armes et d’opposer à la fragilité de l’existence humaine sur la terre, l’immutabilité de l’Ami céleste dans son éternel royaume, l’auteur inspiré consacre tout un chapitre aux glorieux héros de l’histoire biblique, aux principaux ancêtres des croyants. Il fait précéder chacun de leurs hauts faits par ces mots qui reviennent sans cesse comme un refrain sublime : « Par la foi ! C’est par la foi ! » (Héb., xi.)

« La foi, dit à ce sujet saint Jean Chrysostome, est une vue de ce qui est caché, et elle nous donne sur l’invisible la même certitude que celle que nous avons par les choses qui sont sous nos yeux.

… Ainsi la résurrection n’est pas encore présente, mais par la foi, elle existe déjà dans notre âme. »

C’est par la foi aussi que nous sentons la présence de notre Dieu et avec elle, code de nos bien-aimés auprès de lui…

À cet égard, les magnifiques commentaires de l’écrivain sacré sont infiniment instructifs. Ne pouvons-nous pas répéter, nous aussi, ce qu’il déclare à propos du juste Abel dont le sang répandu par son frère criait si haut vers Dieu : « Par la foi, il parle encore, quoique mort ! » Car nous entendons par la foi la voix de nos trépassés, les yoix qui demandent justice comme les voix qui apaisent et consolent, ou qui exhortent à la repentance et au pardon.

Ce chapitre onzième des Hébreux ressemble à un escalier de lumière dont chaque degré rapproche un peu plus de la splendeur infinie, à une symphonie qui devient de plus en plus mélodieuse et pénétrante jusqu’à s’élever à une puissance et une harmonie qui ne sont plus de la terre.

Quand il arrive à la vocation d’Abraham quittant son pays et sa parenté pour répondre à l’appel du Seigneur : « Il attendait, dit l’écrivain, la cité qui a de solides fondements, celle dont Dieu est l’architecte et le constructeur » ; et quelques lignes plus loin, parlant de tous les patriarches, il ajoute : « C’est dans la foi qu’ils sont tous morts, sans avoir obtenu les choses promises ; mais ils les ont vues et saluées de loin, reconnaissant qu’ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre. Ceux qui parlent ainsi montrent bien qu’ils cherchent une patrie. S’ils avaient en vue celle d’où ils étaient sortis, ils auraient eu le moyen d’y retourner.

Mais maintenant ils en désirent une meilleure, c’est-à-dire une céleste. C’est pourquoi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu, car il leur a préparé une cité. »

Nous sommes ici-bas des passants et des exilés et nous ne voulons pas le comprendre ; continuellement nous nous plaignons de cette existence incertaine et précaire, sans sécurité ni profond repos. Le foyer, la patrie, est-il des mots plus doux dans la langue humaine ? Revenir chez soi, rentrer à la maison, retourner dans son pays, que ces paroles réveillent de nostalgie, de profonds et ardents désirs ! Avec quelle résolution farouche, quelle énergie miraculeuse, des hommes souffrent et se font tuer pour défendre leur habitation d’ici-bas, nous l’avons vu ces dernières douloureuses années tandis qu’en même temps, hélas ! nous était démontrée avec une cruelle et fulgurante évidence la fragilité de ces demeures, de ces possessions terrestres.

La plus solide, la plus durable n’est guère qu’une tente plantée pour un jour dans un sol qui ne nous appartient pas, un insuffisant abri destiné à être bientôt emporté par la tempête. Mais avec sa connaissance, son intelligence parfaite de notre âme et de ses aspirations intimes, l’Évangile nous parle de la sûre demeure qui nous attend là-haut, de l’asile suprême, la patrie céleste que par la foi nous possédons déjà. La patrie est au ciel, la patrie peuplée de nos bienaimés, lointaine encore puisque nous ne la voyons pas, nous n’y sommes qu’en espérance, toute proche cependant, la mort n’étant jamais très éloignée, le temps d’ailleurs et l’espace n’ayant plus pour les hôtes des cieux la même signification que pour nous.

« Le ciel des âmes et des esprits nous enveloppe, dit fort bien le Père Sertillanges, et tous ses habitants mystérieux, s’ils devenaient visibles, se feraient voir peuplant tout, mêlés à tout et non pas dans je ne sais quelles régions inaccessibles. »

Les élus de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance se considèrent déjà comme appartenant à cette patrie future dont ils se réclament. Un écrivain artiste qui savait se servir de ses yeux[1], se définissait ainsi : « Je suis un homme pour lequel le monde invisible existe. » De même un croyant pourrait dire : « Je suis un homme pour lequel le monde invisible existe. » « Nous regardons non point aux choses visibles, explique saint Paul, mais à celles qui sont invisibles ; car les choses visibles sont passagères et les invisibles sont éternelles » (II, Cor., iv, 18) et l’auteur de l’épître aux Hébreux, nous parlant de Moïse après Abraham, nous le montre orientant toute sa vie, toute l’existence présente et future de son peuple, vers un but mystérieux caché dans l’au-delà.

Par la foi, Moïse refuse en Égypte la dignité royale, préférant à cette gloire d’un jour les souffrances des enfants de Dieu, et l’opprobre du Christ, du Messie, aux trésors des païens.

Par la foi, il célèbre la Pâque, annonciatrice de la Pâque future, il entraîne sans crainte les Israélites vers la Terre Promise et d’un seul mot, d’un mot sublime, l’écrivain éclaire et résume l’héroïque unité de cette vie :

« Il se montra ferme, comme voyant Celui qui est invisible. » (Héb., xi, 27.)

En effet, de la patrie, le regard du croyant s’élève au Père.


PAR LA FOI


Je crois à l’immense bonheur
Que l’on trouve auprès du Seigneur
Après tous les maux de la terre.
Je crois à l’Amour infini
Qui veille sur mon cœur banni
Et sur le foyer solitaire.

Malgré tant de douleurs, je crois
Que l’holocauste de la croix
A pour jamais sauvé le monde,
Qu’aux regards cléments et divins,
Nos pleurs amers ne sont pas vains,
Que notre détresse est féconde.

Je crois que je retrouverai
L’âme qui m’est chère, malgré
Mon aveuglement et mes fautes,
Qu’elle restera malgré tout
À côté de moi jusqu’au bout,
Et que les anges sont mes hôtes.



  1. tHéophile Gautier.