Les Présences invisibles/34

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Librairie académique Perrin (p. 228-232).

Je vous offre ces pages, ô mes bien-aimés invisibles, ô toi qui ne m’as jamais quittée, ô vous, aïeules, parents, enfants, amis fidèles qui m’entourez, dont les prières, dont l’amour m’aident à vivre et transforment la solitude en une si touchante assemblée, une si réconfortante communion.

Vous qui connaissez toute ma faiblesse, vous me pardonnez de vous interpréter bien pauvrement, d’être souvent le traducteur qui, malgré sa bonne volonté, par insuffisance, trahit. Puissè-je avoir rendu au moins un vague écho de votre appel pressant et tendre à ceux qui vous pleurent, qui se souviennent de vous, à ceux que sans cesse avec ferveur, vous suppliez de vous rejoindre. Ce qui dans ces lignes peut se trouver de bon, ne m’appartient pas. Que l’honneur en revienne à Celui dont je suis la servante sans mérite !

Ô Christ, invisible Ami, tu es toujours le même dans ton éternelle fidélité ! Jadis Simon de Cyrène a porté la croix sous laquelle tu succombais ; maintenant tu portes la nôtre, heure après heure, instant après instant, et quand le monde s’étonne de ne pas nous voir défaillir sous d’insupportables fardeaux, nous levons les yeux vers toi, car nous n’ignorons pas d’où nous vient notre force et que sans toi, nous ne serions plus que cendre et corruption — ver et terre.

Ce que tu nous donnes, tu ne veux pas que nous le gardions pour nous seuls ; nous devons, nous pauvres, devenir les distributeurs de tes grâces. Ne savons-nous pas qu’avec un peu de pain grossier et quelques petits poissons, tu as rassasié une multitude affamée ? Nous ne nous laisserons donc pas intimider par notre misère, puisque toutes choses t’appartiennent.

Les disciples d’Emmaüs étaient jadis comme nous, faibles et tristes. Ils n’ont même pas su te découvrir quand tu est venu à eux et que tu leur as parlé ; ils n’ont reconnu ni ton visage, ni ta voix. Mais ils sentaient leur cœur brûler en eux, leur cœur longtemps glacé par le doute et l’angoisse, s’enflammer soudain. Nous aussi, lorsque nous t’avons entendu, nous fûmes embrasés de cette ardeur suave.

Quel miracle, Seigneur, que cette lumière dans les ténèbres, cette surhumaine douceur au milieu du deuil le plus cruel ! Alors nous t’avons supplié de rester avec nous, d’entrer dans notre demeure désolée pour la remplir de ta joie et tu ne t’y es pas refusé. Tu ne t’es pas refusé toi-même à nos prières, ô Maître !… Que notre incrédulité, notre lâcheté à te servir, nos péchés ne nous séparent jamais de toi, mais que ton amour l’emporte et nous donne la victoire… Aide-nous à te servir de témoins.


OFFRANDE

Je suis votre servante inutile, mon Dieu ;
J’ai foulé près de vous la route sombre et rude,
Et vous avez voulu que je vous suive au lieu
Du silence profond, de l’âpre solitude.

Je n’aurais pu sans vous marcher par ce chemin,
Tant mon cœur frissonnait souvent de crainte lâche,
Mais je sentais alors que vous teniez ma main,
Et je comptais sur vous pour achever ma tâche.

À présent le soir vient : je rentre à la maison,
Confuse d’apporter une si maigre gerbe,
Désirant travailler encore… À l’horizon,
Le soleil penche, un vent plus frais redresse l’herbe.

Vous me dites : Il faut me servir… Me voici,
Préparant votre coupe et votre pain, craintive
Et pourtant confiante, et frémissante ainsi
Qu’un-enfant altéré près d’une source vive.


Car je sais que je dois m’abreuver à mon tour
De l’eau pure et manger le pain qui rassasie
Au fraternel banquet dont, Seigneur, votre amour
Est le nectar divin, la céleste ambroisie.