Les Preceptes de Mariage

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Les Preceptes de Mariage
Traduction par Jacques Amyot.
Texte établi par E. Clavier, Imprimerie de Cussac (3p. 11-40).

LES PRECEPTES DE MARIAGE.

PLUTARQUE A POLLIANUS ET A EURYDICE.


APRES la cerimonie de mariage usitee en ce païs, que la presbtresse de Ceres vous a appliquee, en vous enfermant ensemble, il m'est advis que le discours qui viendroit à seconder et favoriser ceste vostre conjonction, en vous instruisant de bons enseignements et sages advertissements nuptiaux, ne vous seroit point inutile, et se trouveroit bien conforme à la coustume et cerimonie que lon observe aux nopces en ce païs. Les Musiciens entre leurs chansons qu'ils chantent avec les haubois, en ont une sorte qu'ils appellent Hippothoros, qui vault autant à dire comme, Saille-juments, aians opinion que cela est un aiguillon qui incite les chevaux à saillir les juments. Mais la philosophie aiant plusieurs beaux et bons discours, en a un qui fait autant à estimer que nul autre, par lequel instruisant et enchantant ceux qui conviennent en un lien pour user tous les jours de leur vie ensemble, elles les rend plus souples, plus gracieux et plus traittables l'un à l'autre. Parquoy je vous ay fait un recueil de preceptes et advertissements que vous avez souventefois ouis, aians tous deux esté nourris en l'estude de la philosophie, et les ay reduits à certains articles en peu de paroles, à fin qu'ils en soient plus aisez à retenir, dont je vous fais un present à tous deux : en priant aux Muses, qu'elles veuillent assister et accompagner en vostre endroit la deesse Venus, pource que ce n'est pas moins leur office de mettre bon accord et bonne consonance en un mariage, par le moyen du discours de la raison et l'harmonie de la philosophie, que de bien accorder une cithre ou une lyre. C'est pourquoy les anciens ont voulu que l'image de Venus fust colloquee joignant celle de Mercure, comme voulans par là

donner à entendre, que le plaisir de mariage avoit besoing de l'entretien d'une bonne et sage parole : encore mettoient-ils avec ces deux images-là, celles des Graces et de la deesse d'eloquence Suadele, à fin que les conjoincts par mariage eussent gracieusement ce qu'ils voudroient l'un de l'autre, non pas en hargnant et noisant l'un contre l'autre. Solon vouloit que la nouvelle mariee mangeast de la chair de coing premier que de se coucher aupres de son mary : signifiant, à mon advis, par ceste cerimonie, qu'il faut premierement que la grace de la bouche, c'est à dire l'haleine, et la parole, soit doulce, plaisante et agreable. Au païs de Boeoce la coustume est, que le jour des nopces, quand on met le voile nuptiale à l'espousee, on luy met aussi sur la teste un chappeau du ramage d'asperge sauvage, pour ce que celle plante d'une tres-poignante espine produit un tres-doux fruict : aussi la mariee, prouveu que le mary ne s'ennuye, et ne se rebute point pour la premiere difficulté et fascherie qu'il y a en mariage, luy apportera puis apres une tres-douce et tres- amiable compagnie : mais ceux qui ne peuvent supporter les premieres hargnes et riottes des filles, ressemblent proprement à ceux qui quitteroient la grappe de raisin à un autre, pour autant qu'ils l'auroient veuë qu'elle n'estoit que verjus. Et plusieurs nouvelles mariees qui prennent à dédaing leurs marits, à cause des premieres rencontres, font tous ne plus ne moins que celuy, qui aiant ja reçeu la picqueure de l'abeille, en jette par despit la goffre du miel qu'il tenoit en sa main. Parquoy il fault que ceux qui sont conjoincts ensemble par mariage, aient soigneusement l'oeil à eviter du commancement toutes occasions de discord et de dissension, considerans que les pieces de bois qui sont assemblees et collees freschement ensemble, se desjoignent et desunissent facilement et pour la moindre occasion du monde : mais au contraire, quand les jointures sont bien soudees et asseurees par long traict de temps, à peine les peut-on plus desjoindre ne separer avec le feu ny avec le fer. Tout ainsi comme le feu se prend aiseement à de la balle et au poil de liévre, mais aussi s'estaint-il encore plus tost, si lon n'y met soudainement quelque matiere propre à le nourrir et entretenir : aussi faut-il estimer que l'amour des nouveaux mariez qui n'est allumé que de la chaleur de jeunesse et de la beauté du corps seulement, n'est pas ferme ne durable, s'il n'est fondé en conformité de bonnes et honnestes moeurs, et qu'il ne tiene de la prudence, engendrant une vive affection reciproque de l'un envers l'autre. La pescherie que lon fait de poisson avec des appasts empoisonnez est bien soudaine à prendre, et prompte à arrester le poisson, mais elle le rend mauvais et dangereux à manger : aussi les femmes qui composent certains bruvages d'amour, ou quelques autres charmes et sorcelleries pour donner à leurs marits, et qui les attrayent ainsi par allechemens de volupté, il est force qu'elles vivent puis apres avec eux insensez, estourdis, et transportez hors de leur bon sens. Ceux que l'enchanteresse Circé avoit ensorcellez, estans devenus pourceaux et asnes, ne luy pouvoient plus donner de plaisir ny de rien servir, là où elle aimoit extremement Ulysses qui estoit sage, et se portoit en homme de bon entendement envers elle. Mais celles qui aiment mieux estre maistresses de leurs marits insensez, que leur obeïr estans sages, ressemblent proprement à ceux qui aiment mieulx conduire et mener des aveugles, que suyvre des voyans et cognoissans. Elles ne veulent pas croire que jamais la Royne Pasiphaé ait aimé un taureau, aiant un Roy pour mary, et neantmoins elles en voyent aucunes qui se faschent de leurs marits, lesquels sont personnes honnestes et graves, et s'abandonnent à d'autres qui sont tous composez de luxure, de dissolution et d'ordure, comme chiens ou boucs. Il y a des hommes si foibles ou si mal-adroits, qu'ils ne peuvent pas monter dessus

leurs chevaux estans debout, et pource leur enseignent-ils à se mettre à genoux et à se baisser : aussi se treuve-il des marits, qui aiants espousé des femmes riches et de nobles maison, n'estudient pas à se rendre eulx plus honnestes et meilleurs, ains à rabaisser leurs femmes, se persuadans qu'ils en viendront mieux à bout, quand ils les auront abbaissees et ravallees : là où il faut entretenir comme la juste hauteur du cheval, aussi la dignité de la femme, et en l'une et l'autre sçavoir bien user de la bride comme il appartient. Nous voyons que la Lune plus elle est esloignee du Soleil, plus elle est claire et plus elle se monstre, et qu'au contraire elle a moins de lumiere et se cache tant plus elle s'en approche : mais il faut que la femme sage face tout le contraire, qu'elle se face voir aupres de son mary, et qu'elle se tiene close, et garde la maison, quand son mary n'y est pas. Herodote n'a pas bien dit, que la femme despouille la honte avec la chemise, car au contraire celle qui est honneste, en despouillant sa chemise se vest de honte : et est le plus certain signe que lon sçauroit avoir, que les conjoincts par mariage s'entr'aiment bien reciproquement, quand plus ils se portent de reverence l'un à l'autre. Ainsi comme si lon prend deux sons qui soient d'accord, lon entend tousjours plus celuy du bas : aussi en une maison bien reglee et bien ordonnee tout se fait bien du consentement des deux parties, mais il apparoist tousjours que c'est de la conduite, du conseil, et de l'invention du mary. Le Soleil, ce disent les fables, surmonta le vent de bise : car tant plus qu'il s'efforçoit d'oster par force la robbe à l'homme, et que pour ce faire il souffloit plus violentement, d'autant plus l'homme se serroit, et restraignoit son habillement : mais quand le Soleil vint à estre chaud apres le vent, l'homme se sentant eschauffé, despouilla sa robbe, et puis apres bruslant de chaud, il osta son saye et tout. La plus part des femmes en fait tout de mesme : car quand elles voyent que leurs marits leur veulent oster d'authorité et par force les delices et la superfluité, elles combattent alencontre, et en sont marries : et au contraire s'ils leur remonstrent avec la raison, elles l'ostent d'elles mesmes tout paisiblement, et le supportent patiemment. Caton priva un Senateur Romain de la dignité Senatoriale, d'autant qu'en presence de sa fille il avoit baisé sa femme : cela fut bien un peu trop violent : mais s'il est laid, comme il est, de s'entre-baiser, ambrasser et accoller en presence d'autres, comment n'est-il encore plus laid et plus deshonneste, s'entre-injurier et s'entre-tanser l'un l'autre ? se jouer à part en secret avec sa femme, et la caresser, et puis en public la tanser, la blasmer et picquer de rudes et aigres paroles devant le monde ? Comme un miroir, pour estre bien doré et enrichy de pierres precieuses, ne sert de rien s'il ne represente bien au vif la face de celuy qui se mire dedans : aussi ne plaist point une femme pour avoir beaucoup de biens, si elle ne rend sa vie semblable, ses moeurs et conditions conformes à celles de son mary. Si le miroir fait un visage triste et morne à un qui est joyeux et gay, ou au contraire riant et enjoué à une personne qui est melancholique ou marrie, il est faulx, et ne vaut rien : aussi est une femme mauvaise et importune, qui fait de la renfrongnee quand son mary a envie de se jouër à elle, et de la caresser : ou à l'opposite qui veult rire et jouër alors qu'elle voit son mary en affaire, et bien empesché : car l'un est signe qu'elle est fascheuse, l'autre qu'elle mesprise les affections de son mary : là où il fault, ainsi que disent les Geometriens, que les lignes et les superfices ne se meuvent point par elles, mais au mouvement des corps : aussi que la femme n'ait nulle propre et peculiere passion ou affection à elle, ains qu'elle participe aux jeux, aux affaires, aux pensements, et aux ris de son mary. Ceux qui ne prennent pas plaisir de voir leurs femmes boire et manger librement

en leur presence, leur enseignent à se saouler gouluëment à part, quand elles sont seules : aussi ceux qui ne s'esjouissent pas gayement avec leurs femmes, et ne se jouent et ne rient pas priveement avec elles, leur enseignent de cercher leurs plaisirs et voluptez à part. Les Roys de Perse quand ils souppent ou mangent à leur ordinaire, ont leurs femmes espousees assises aupres d'eux à la table : mais quand ils veulent jouer et boire d'autant jusques à s'enyvrer, ils renvoyent leurs femmes en leurs chambres, et font venir leurs concubines, et leurs chanteresses et baladines : et font bien en cela, qu'ils ne veulent point que leurs femmes legitimes voyent ne participent en rien de leurs yvrongneries, et de leurs dissolutions. S'il advient doncques qu'un homme privé subject à son plaisir, et mal-conditionné commette quelque faute avec une sienne amie ou avec une chambriere, il ne faut pas que sa femme pour cela se courrouce, ne qu'elle s'en tourmente : mais plus tost qu'elle estime, que c'est pour la reverence qu'il luy porte, qu'il ne veult pas qu'elle soit participante de son yvrongnerie, de son orde luxure et intemperance. Quand les Roys aiment la musique, ils sont cause que de leur regne il se fait plusieurs bons Musiciens : semblablement ceux qui aiment les lettres, font plusieurs hommes lettrez, ceux qui aiment les exercices de la personne, rendent plusieurs de leurs subjets bien adroits et dispos : Aussi un mary qui n'aime que le corps, fait que sa femme n'a autre soing que de se farder : qui aime la volupté, fait qu'elle tient de la courtisane, et devient lubricque et lascive : et quand il aime l'honneur et la vertu, il la rend safe, vertueuse et honneste. Une jeune garçe Laconiene respondit à quelqu'un qui luy demandoit, si elle avoit ja esté au mary : Non pas moy à luy, mais bien luy à moy. C'est, à mon advis, la maniere comme se doit comporter une femme honneste envers son mary, de ne rejetter ny ne desdaigner point le jeux et caresses d'amour, quand son mary les commance, ny aussi ne les commancer point : pource que l'un tient de la courtisane effrontee, l'autre sent sa femme superbe, et qui n'a point de grace ny d'amour. Il ne faut point que la femme face d'amis particuliers, mais bien qu'elle estime communs ceux de son mary. Or les Dieux sont les premiers et les plus grands amis que puisse avoir l'homme : pource faut-il qu'elle serve et adore ceux que son mary repute Dieux seulement, sans en recognoistre d'autres : et au demourant qu'elle ferme sa porte à toutes curieuses inventions nouvelles de religions, et toutes estrangeres superstitions : car à nul des Dieux ne peuvent estre agreables les services et sacrifices que la femme fait à la dérobee, au desçeu de son mary. Platon escrit que la cité est bienheureuse, et bien ordonnee, là où lon n'entend point dire, Cela est mien, cela n'est pas mien : pour ce que les habitans y ont toutes choses, mesmement celles qui sont de quelque importance, communes entre eux, autant comme il est possible : mais ces paroles-là doivent bien encore plus estre bannies hors du mariage, sinon entant que comme les medecins tiennent que les coups qui se donnent en la partie gauche se sentent en la droitte, aussi la femme doit ressentir par compassion les maulx de son mary, et le mary encore plus ceux de sa femme, à fin que comme les noeuds prennent leur force de ce que les bouts s'entrelassent l'un dedans l'autre, aussi la societé de mariage s'entretiene, et se fortifie quand l'une et l'autre des parties y apportera affection de bienveuillance mutuelle : car la nature mesme nous mesle par nos corps, à fin que prenant partie de l'un et partie de l'autre, et meslant le tout ensemble, elle rende ce qui en provient commun à tous deux : de maniere que ny l'une ny l'autre des parties n'y puisse discerner ne distinguer ce qui est propre à elle, ne ce qui est à autruy. Ceste communauté de biens mesmement doit estre principalement entre ceux qui sont conjoincts par mariage, qui

doivent avoir mis en commun et incorporé tout leur avoir en une substance : de sorte qu'ils n'en reputent point une partie estre propre à eux, et une autre à autruy, ains le tout propre à eux et rien à autruy. Comme en une couppe où il y aura plus d'eau que de vin, nous l'appellons vin neantmoins : aussi le bien doit tousjours, et la maison estre nommee du nom du mary, encore que la femme en ait apporté la plus grande partie. Helene estoit avaricieuse, et Paris luxurieux : au contraire, Ulysses estoit prudent, et Penelopé chaste : pourtant le mariage de ceux-cy fut heureux, et celuy de ceux-là remplit les Grecs et les Barbares d'une Iliade, c'est à dire, d'une infinité de maulx et de calamitez. Un gentilhomme Romain aiant espousé une belle, riche, et honneste jeune Dame, la repudia : dequoy tous ses amis le reprirent, et tanserent bien asprement : et luy tendant le pied leur monstra son soulier, leur demandant, «Que luy faut-il ? n'est-il pas beau ? n'est-il pas tout neuf ? et toutefois il n'y a celuy de vous qui sçache l'endroit où il me presse, et me bleçe.» Voyla pourquoy il ne faut point qu'une femme se confie ny en ses biens, ny en la noblesse de sa race, ny en sa beauté, mais en ce qui touche de plus pres au coeur de son mary, c'est à dire, en son entretien, en ses moeurs, et en sa conversation, donnant ordre que toutes ces choses ne soient point dures, fascheuses ny ennuyeuses par chascun jour à son mary, ains plaisantes, agreables et accordantes à ses conditions. Car tout ainsi que les medecins craignent d'avantage les fiévres qui s'engendrent de causes occultes, assemblees de longue main petit à petit, que celles qui viennent de causes toutes apparentes et manifestes : aussi y a-il quelquefois de petites hargnes, et querelles quotidianes et continuelles entre le mary et la femme, que ceux de dehors ne voyent ny ne cognoissent pas, qui les separent plus l'un de l'autre, et gastent plus le plaisir de leur cohabitation, que nulle autre cause. Le Roy Philippe de Macedoine aimoit une femme de Thessalie, que lon mescroyoit de l'avoir charmé et ensorcelé : parquoy la Royne Olympias sa femme feit tant qu'elle l'eut entre ses mains : mais quand elle l'eut bien regardee, et bien consideré comme elle estoit belle, de bonne grace, et comme sa parole sentoit bien sa femme de bonne maison, et bien apprise : «Arriere, dit- elle, toutes calomnies : car je voy bien que les charmes dont vous usez sont en vous-mesmes.» C'est doncques une force inexpugnable qu'une femme espousee et legitime, qui mettant en elle mesme toutes choses, son avoir, sa noblesse, ses charmes voire tout le tissu mesme de Venus, s'estudie par douceur, bonne grace et vertu, d'acquerir l'amour de son mary. Une autre fois la mesme Royne Olympias entendant qu'un jeune gentilhomme espousoit une Dame de la court, qui estoit bien belle, mais elle n'avoit pas trop bon bruit : «Cestui-cy, dit-elle, n'a point de cervelle, car autrement il ne se fust pas marié au rapport ny à l'appetit de ses yeux.» Or ne se fault-il pas marier au gré de ses yeux seulement, ny au rapport de ses doigts non plus, comme font aucuns qui comptent sur leurs doigts, combien leur femme leur apporte en mariage, et ne considerent pas premierement, si elle est conditionnee de sorte qu'ils puissent vivre avec elle. Socrates avoir accoustumé de conseiller aux jeunes hommes qui se regardoient dedans des miroirs, s'ils estoient laids de visage, de corriger leur laideur par la vertu, en se rendant vertueux : et s'ils estoient beaux, de ne souiller point leur beauté par vice : aussi seroit-il bien honneste que la Dame mariee, quand elle tient son miroir en sa main, parlast ainsi en elle-mesme, si elle est laide : Que sera-ce au pris, si je demeure honneste et sage ? car si la laide est aimee pour sa bonne grace, et pour ses honnestes moeurs, ce luy est plus d'honneur, que si c'estoit pour beauté. Le tyran de Sicile Dionysius envoyoit des robbes et des bagues precieuses aux

filles de Lysander, mais Lysander ne les voulut oncques recevoir, disant, «Ces presens feroient plus de honte que d'honneur à mes filles.» Le poëte Sophocles devant Lysander avoit dit une semblable sentence,

  Cela chetif ne te fait point d'honneur,
  Mais bien plus tost et honte et deshonneur,
  Monstrant ton coeur lascif et impudique.

Car comme disoit le philosophe Crates, cela est ornement qui orne, et cela orne la Dame qui rend plus honorable : ce que ne font pas les joyaux d'or, les esmeraudes, ny les pierres precieuses, ny les accoustrements de pourpre, mais tout ce qui la fait estimer honneste, sage, humble et pudique.

Ceux qui sacrifient à Juno conjugale ou nuptiale, n'offrent pas le fiel avec le demourant de la beste immolee, ains le tirent dehors, et le jettent aupres de l'autel : par laquelle cerimonie, celuy qui l'a premierement instituee, a voulu donner à entendre, qu'en mariage il n'y doit point avoir de fiel, c'est à dire amertume de cholere, ny de courroux quelconque : non qu'elle ne doive estre grave et un peu austere, mais ceste austerité doit estre comme celle du vin, utile et plaisante, non pas amere comme celle du chicotin, ou de quelque autre drogue de medecine.

Platon voyant le philosophe Xenocrates, qui estoit au demourant bien vertueux et homme de bien, mais un peu de meurs trop severes, l'admonestoit de sacrifier aux Graces : aussi estimé- je qu'une dame honneste a encore besoing de graces envers son mary, à celle fin que, comme disoit Metrodorus, elle vive joyeusement avec luy, et qu'elle ne se fasche, ny ne se repente point d'estre femme de bien : car il ne faut pas, ny que pour estre bonne mesnagere elle mette en nonchaloir d'estre propre et nette, ny que pour bien aimer son mary elle laisse de le caresser courtoisement, pour ce que la conversation fascheuse d'une femme rend son honnesteté odieuse, comme la salleté fait aussi haïr son espargne et bon mesnage : tellement que celle qui craint de rire devant son mary, ou de faire quelque autre gayeté, de peur d'estre estimee affetee et effrontee, fait ne plus ne moins que si elle laissoit de s'oindre de tout poinct, de peur que lon ne l'estimast perfumee : ou de se laver le visage, de peur qu'on ne la souspeçonnast fardee. Nous voyons mesmes que les poëtes et les orateurs qui veulent eviter la fascherie qu'il y a à lire un langage bas, vulgaire et de mauvaise grace, s'estudient ingenieusement à retenir et esmouvoir le lecteur et l'auditeur par la force de l'invention, de la disposition, et naïfve representation des meurs des personnes : aussi faut-il que l'honneste mere de famille, en bien faisant evite toute affetterie, toute curiosité, et brief toute façon de faire qui sente sa courtisane, ou sa femme qui se veuille monstrer, mais bien qu'en ses jeux, ses caresses et ses graces, dont elle users en sa conversation ordinaire avec son mary, elle l'accoustume à l'honnesteté avec plaisir. Toutefois si d'adventure il s'en treuve quelqu'une si austere, et si severe de sa nature, qu'il n'y ait ordre quelconque de la pouvoir esgayer ny resjouir, en ce cas-là il faut que le mary soit equitable : et tout ainsi comme Phocion respondit à Antipater qui luy commandoit une chose deshonneste et mal-seante à son estat, «Tu ne me sçaurois avoir pour amy, et pour flatteur ensemble :» aussi faudra-il qu'il die en soy-mesme de sa femme qui sera pudique et severe, Il n'est pas raisonnable que je face d'elle comme d'une femme, et comme d'une amie ensemble.

Les femmes d'Aegypte par la coustume du païs ne portoient point de souliers en leurs pieds, à fin que cela les accoustumast à demourer en la maison : mais au contraire la plus part de nos femmes, si vous leur ostez les patins dorez, les carcans, les bracelets, les callessons, les perles et les robbes de pourpre, elles ne partiront jamais du logis.

Theano un jour en vestant sa robbe monstra d'adventure une partie du bras : et

quelqu'un des assistans qui l'apperceut, se prit à dire, O le beau bras que voyla ! Il est vray, respondit-elle, mais il n'est pas commun : aussi ne faut-il pas que le bras seulement de la dame pudique et honneste ne soit pas commun, mais ny sa parole mesme : ains faut qu'elle se garde, et qu'elle ait honte, autant presque de desployer sa parole,que de descouvrir son corps devant des estrangers, pour autant que ses meurs, ses actions et ses conditions se voyent et se descouvrent en icelle, quand elle parle. Phidias feit l'image de Venus aux Eliens, aiant le pied dessus la coque d'une tortue, qui signifioit, que la femme ne se doit partir de la maison, ains y demourer en silence : car il faut qu'elle parle ou à son mary, ou par son mary, ne se faschant point pour cela, si elle sonne par la langue d'autruy, comme fait le haubois. Les hommes riches, les Princes et les Roys en honorant les Philosophes et gens de lettres se font honneur à eux mesmes : mais les Philosophes qui font la court et s'asservent aux riches, ne les rendent pas honorez pour cela, ains se rendent eux-mesmes deshonorez. Il en prend tout de mesmes aux femmes : car quand elles se soubmettent à leurs marits, elles en sont louees : mais quand elles en veulent estre maistresses, cela leur est plus mal- seant, que non pas à ceux qu'elles maistrisent. Mais il faut que le mary domine la femme, non comme le seigneur fit son esclave et ce qu'il possede, mais comme l'ame fait le corps, par une mutuelle dilection et reciproque affection, dont il est lié avec elle : comme l'ame peut bien avoir soing du corps, sans s'asservir aux voluptez, ny aux appetits desordonnez d'iceluy, aussi peut bien le mary dominer sa femme, en luy complaisant et la gratifiant. Les Philosophes tiennent, que des corps composez de plusieurs pieces, les uns sont composez de parties distinctes et separees les unes des autres, comme une flotte de vaisseaux, ou une armee navale : les autres de parties conjoinctes et qui touchent les unes aux autres, comme une maison ou une navire : les autres de parties unies dés la naisance, croissantes et vivantes naturellement ensemble, comme sont tous les corps des animaux. Le mariage se rapporte presque et ressemble à tout cela : car le mariage de ceux qui s'entre-aiment, ressemble proprement aux corps dont les parties sont naturellement unies ensemble : celuy de ceux qui se marient pour les grands douaires, ou pour avoir des enfans, ressemble aux corps dont les parties s'entretouchent : et celuy de ceux qui couchent seulement ensemble, se conforme au corps duquel les parties sont separees et distinctes l'une de l'autre, desquels on pourroit veritablement dire, qu'ils habitent, mais qu'ils ne vivent pas ensemble. Or fault-il, que comme les Physiciens disent, que les corps liquides sont ceux qui se meslent du tout en tout l'un avec l'autre, aussi que de ceux qui sont mariez ensemble, et les corps et les biens, et les amis, et les parents soient tous uns et communs, meslez l'un parmy l'autre : c'est pourquoy les loix Romaines defendent aux conjoincts par mariage de s'entrefaire donations mutuelles, non à fin qu'ils n'aient rien l'un de l'autre, mais à celle fin qu'ils estiment toutes choses communes entre-eux. Il y avoit une coustume en la ville de Leptis, qui est situee en la Barbarie, que la mouvelle mariee le lendemain de ses nopces envoyoit devers la mere de son mary luy demander à emprunter un pot à mettre au feu : sa belle-mere le luy refusoit, et respondoit qu'elle n'en avoit point, à fin que dés le commancement la nouvelle espousee apprist, que la belle-mere tient un peu de la marastre, et que si apres il advenoit qu'elle luy teint quelque autre plus aspre rudesse, elle ne le trouvast point estrange, et qu'elle ne s'en courrouceast point : aussi fault-il que la femme de bonne heure remedie à l'occasion de ceste ordinaire rudesse, qui n'est autre chose que la jalousie de la mere pour l'amitié que son fils luy porte : et le remede unique de ceste passion est, que la femme s'estudie tellement de gaigner la bonne grace de son mary, que pour cela elle ne diminue point, ny ne tire point à elle l'affection que le fils doit porter à sa mere.

Il semble que les meres entre leurs enfans aiment plus coustumierement les fils que les filles, comme ceux de qui elles esperent plus de secours : et les peres au contraire, aiment plus les filles, comme celles qui ont plus de besoing de leurs secours : et peut estre que par l'honneur qu'ils s'entre-portent, l'un veut sembler avoir plus d'affection et plus d'amour envers ce qui est plus propre à l'autre : toutefois cela à l'adventure est different, mais bien est-il seant et honneste à la femme, de monstrer avoir plus d'inclination à honorer et caresser les parents de son mary, que les siens propres : et si elle a quelque ennuy, le communiquer plus tost à ceux- là, et le celer aux siens : car ce qu'elle monstre avoir plus de fiance en eux, fait qu'ils se fient plus en elle : et ce qu'il semble qu'elle les aime plus, fait qu'elle est aussi plus aimee d'eux. Les Capitaines de Cyrus commanderent à leurs soudarts, si les ennemis leur venoient courir sus avec grands cris, qu'ils les receussent sans mot dire : et au contraire, s'ils venoient les assaillir en silence, qu'eux leur courussent avec grands cris à l'encontre : aussi les femmes de bon entendement, quand elles voyent que leurs marits estans en cholere crient, elles se taisent : et au contraire, s'ils ne disent mot, en parlant à eux et les reconfortant, elles les appaisent et addoulcissent. Et fait sagement le poëte Euripides, quand il reprend ceux qui usent de la Lyre, et autres instruments de musique durant un festin : «Car il falloit, dit-il, plus tost appeller la musique quand on est en cholere, ou bien en dueil, que non pas quand on est en feste et en joye, pour se lascher encore plus en toute volupté :» Aussi faut-il estimer que vous commettez une faute, quand vous allez coucher ensemble pour vous donner plaisir l'un à l'autre, et quand vous estes en courroux, ou en quelque different l'un contre l'autre, vous faittes deux licts et couchez à part l'un de l'autre, et n'appellez pas lors à vostre aide la Deesse Venus, qui sçauroit mieux que nulle autre donner la medecine propre à telles maladies, ainsi comme le poëte mesme Homere le nous enseigne au passage où il fait dire à Juno,

  Je finiray vos querelleux debats
  Dedans un lict par amoureux esbats.

Or faut-il que le femme fuye toutes occasions de quereller avec son mary, et le mary semblablement avec sa femme : mais principalement faut-il bien qu'ils s'en donnent de garde lors qu'ils sont couchez ensemble dedans le lict : car comme disoit la femme grosse preste d'accoucher, et ja sentant les douleurs de son travail, à ceux qui la vouloient coucher dessus son lict : «Comment est-ce que le lict pourroit guarir ce mal, veu que ç'a esté sur le lict qu'il m'est advenu ?» Aussi les querelles, injures, courroux, et choleres qui s'engendrent dedans le lict, il est mal- aisé de trouver autre temps ny autre lieu qui les peust jamais appaiser ny guarir. Il semble que Hermione dit vray en une Trag@edie d'Euripide quand elle parle ainsi,

  Entrans chez moy femmes de mauvais nom
  Ont ruiné mon los et bon renom.

mais cela n'est pas simplement quand de mauvaises femmes entrent en une maison, ains quand elles y hantent lors que quelque noise contre le mary, ou quelque jalousie, leur ouvrent non seulement les portes de la maison, mais aussi les oreilles, c'est alors que la femme sage doit fermer les oreilles et se donner bien garde de leur babil, de peur que ce ne soit adjouster feu sur feu, et qu'elle doit bien avoir devant ses yeux le dire du Roy Philippus de Macedoine : car on lit qu'il respondit un jour à quelques uns de ses familiers qui l'irritoient alencontre des Grecs, d'autant qu'ils detractoient et mesdisoient de luy, apres en avoir receu beaucoup de bien : «Or advisez donc qu'ils feroient, dit il, si je leur faisois du mal.» Quand doncques telles femmes viendront à luy dire : Comment, vostre mary vous fait injure, à vous qui l'aimez tant, et qui luy gardez si bien loyauté de mariage : elle leur respondra, Que me fera-il doncques si

je commance à le haïr, et à luy faire tort ? Un maistre aiant apperçeu son esclave fugitif, qui s'en estoit fuy long temps y aboit, se meit à courir apres pour le reprendre : l'esclave fuyant, se jetta dedans un moulin : et le maistre dit en luy-mesme, En quel lieu eussé-je mieux aimé le trouver ? Aussi la femme qui par jalousie est sur le poinct de faire divorse avec son mary, qu'elle die à par-soy en elle mesme : En quel estat aimeroit mieux me veoir celle qui me rend jalouse, que faisant ce que je fais, me voyant despite, en mauvais mesnage avec mon mary, abandonnant ma maison, et le lict mesme nuptial ? Les Atheniens font en l'annee trois labourages sacrez : le premier est en l'isle de Scyros, en memoire de la premiere invention de labourer la terre et de semer, dont ils ont esté inventeurs : le second est celuy qui se fait au lieu appellé Raria : le troisiéme celuy qui se fait tout joignant la ville, et l'appelle lon Buzygion, en remembrance de l'invention d'atteller les boeufs soubs le joug au timon de la charrue : mais le labourage nuptial est plus sacré, et se doit plus sainctement observer que tous ceux-là, en intention d'avoir lignee. C'est pourquoy Sophocles a bien et sagement appellé Venus fructueuse : pourtant faut-il que l'homme et la femme conjoincts par mariage en usent fort religieusement, et sainctement, en s'abstenant entierement de toute autre illicite et defendue conjonction, et de labourer ou semer en lieu dont ils ne voudroient pas recueillir aucun fruict, et dont si d'aventure il en vient, ils ont honte, et font ce qu'ils peuvent pour le cacher. L'orateur Gorgias en pleine assemblee des jeux Olympiques feit une harangue aux Grecs qui y estoient assemblez de toutes parts, pour les enhorter de vivre tous en bonne pais, union et concorde les uns avec les autres : mais il y eut un Melanthius qui luy dit tout haut : cestuy-cy s'ingere de nous conseiller et prescher la concorde en public, qui ne peut pas persuader en son privé à sa femme et à sa chambriere qu'elles vivent en pais ensemble, et si ne sont qu'eux trois en la maison : car ce Gorgias portoit quelque affection à sa chambriere, et sa femme en estoit jalouse : Aussi faut-il que la famille et maison soit bien ordonnee de celuy qui se veut mesler de donner ordre aux affaires publiques, et à ceux de ses amis : car communément il advient que les fautes que lon commet contre les femmes, sont plus divulguees parmy le peuple, que celles des femmes. On escrit que les chats se troublent de l'odeur des parfums et des senteurs, jusques à en entrer en fureur : s'il advenoit aussi que la femme s'offensast jusques à avoir le cerveau troublé des parfums de son mary, il seroit bien d'estrange nature s'il ne s'en abstenoit, ains pour un bien peu de plaisir, la laissoit tomber en un si grand inconvenient. Or puis qu'il est ainsi que tels accidents leur adviennent, non pas quand leurs marits se parfument, mais quand ils s'addonnent à aimer des putains, c'est une grande injustice à eux, que pour un bien peu de volupté contrister, offenser, et troubler si fort leurs femmes, et ne faire pas au moins comme ceux qui ont à s'approcher des abeilles, lesquels s'abstiennent de toucher mesmes à leurs propres femmes, pour ce que lon dit que les abeilles les haïssent, et leur font plus la guerre qu'aux autres, aians le coeur si lasche, que de se venir coucher aupres de leurs femmes estans souillez et pollus de la compagnie d'autres quelconques. Ceux qui gouvernent des Elephans ne vestent jamais de robbes blanches, ny ceux qui approchent des taureaux ne prennent jamais robbes rouges, pour autant que ces animaux-là s'effarouchent et s'effroient de telles couleurs : et dit-on que les Tigres quand elles entendent sonner des tabourins à l'entour d'elles, en enragent, et se deschirent elles mesmes par fureur. Puis qu'il y a donc des hommes qui ne trouvent pas bon, et se courroucent quand leurs femmes portent des robbes d'escarlatte et de pourpre, et d'autres qui sont marris d'ouyr sonner des cymbales ou des tabourins,

quel mal y aura-il quand les femmes s'en abstiendront, pour ne fascher ny ne provoquer point à ire leurs marits, et qu'elles vivront avec eux sans bruit, en repos et en patience ? Une jeune femme dit un jour au Roy Philippus qui la tiroit par force maugré elle : Laissez moy Sire, toutes femmes sont une quand la chandelle est esteincte. Cela est bon à dire aux hommes adulteres et dissolus en luxure : mais il faut pourtant que l'honneste Dame mariee, principalement quand la clarté est ostee, ne soit pas toute une que les autres communes femmes : ains faut que lors que son corps ne se voit point, elle face plus paroistre sa pudicité, son honnesteté, son amour envers son mary, et que elle soit propre à luy seul. Platon admoneste les vieilles gens, de se monstrer plus vergongneux devant les jeunes que devant nuls autres, à celle fin qu'ils leur enseignent par leur exemple à estre aussi reverends et respectueux en leur endroit : pource que là où les les vieux sont effrontez, il n'est pas possible d'imprimer aucune honte ny aucune reverence aux jeunes. Or fault-il que le mary se souvenant de ce precepte, revere sa femme plus que toutes les autres personnes du monde : car la chambre nuptiale luy sera une eschole d'honneur et de chasteté, ou bien d'intemperance et de lubricité : car celuy qui prend les plaisirs qu'il defend à sa femme, fait ne plus ne moins que s'il luy commandoit de combattre contre des ennemis, ausquels il se fust desja luy mesme rendu. Au reste quant à aimer d'estre paree et bien en poinct, toy Eurydice qui as leu ce que Timoxenus en a escrit à Aristilla, tasche à l'imprimer en ta memoire : mais toy Pollianus, n'estime pas que jamais ta femme s'abstiene de curiosité, delices et superfluité, si elle apperçoit que tu ne la mesprises pas és autres choses, ains que tu prennes plaisir à voir et avoir de la vaisselle bien doree, ou des cabinets bien diaprez, des mulets sumptueusement enharnachez, et des chevaux richement equippez : car il est bien mal- aisé de chasser les delices et la superfluité d'entre les femmes quand on la voit regner entre les hommes. Au demourant estant ja de l'aage pour estudier aux sciences, qui se preuvent par raison et par demonstration, orne desormais tes moeurs en hantant et frequentant avec les personnes qui te peuvent servir à cela : et quant à ta femme, amasse luy de tous costez, comme font les abeilles, tout ce que tu penseras luy pouvoir profiter, le luy apportant toy-mesme, et en toy-mesme, fay luy en part, et en devise avec elle, en luy rendant amis et familiers les meilleurs livres et les meilleurs propos que tu pourras trouver,

  Car tu luy es au lieu de pere et mere,
  Et desormais tu luy es comme frere.

et ne seroit pas moins honorable d'ouyr une femme qui diroit à son mary, Mon mary tu es mon precepteur, mon regent, et mon maistre en philosophie, et la cognoissance de tres-belles et tres- divines sciences. Car ces sciences-là et ces arts liberaux premierement retirent et destournent les femmes d'autres exercices indignes : car une Dame qui estudiera en la Geometrie, aura honte de faire profession de baller : et celle qui sera ja enchantee des beaux discours de Platon et de Xenophon, n'approuvera jamais les charmes ny enchantements des sorciers. Et s'il y a quelque enchanteresse qui luy promette d'arracher la lune du ciel, elle se mocquera de l'ignorance et bestise des femmes qui se laissent persuader cela, aiant appris quelque chose de l'Astrologie, et entendu comme Aganice fille de Hegetor grand Seigneur en la Thessalie, sçachant la raison des eclipses qui se font lors que la lune et au plein, et le temps auquel elle entre dedans l'ombre de la terre, abusoit les femmes du païs, en leur faisant à croire que c'estoit elle qui ostoit la lune du ciel.

Il n'y eut jamais femme qui feist enfant toute seule, sans avoir la compagnie de

l'homme, mais bien y en a-il qui font des amas sans forme de creature raisonnable, ressemblans à une piece de chair, qui prennent consistence de corruption : il fault bien avoir l'oeil à ce, que le mesme n'adviene en l'ame et en l'entendement des femmes. Car si elles ne reçoivent d'ailleurs les semences de bons propos, et que leurs marits ne leur facent part de quelque saine doctrine, elles seules à par-elles engendrent et enfantent plusieurs conseils estrangers, et plusieurs passions extravagantes. Mais toy Eurydice estudie tousjours aux dicts notables et sentences morales des sages hommes et gens de bien, et ayes tousjours en la bouche les bonnes paroles que tu as par cy devant estant fille ouyes et apprises de nous, à celle fin que tu en resjouïsses ton mary, et que tu en sois louee et prisee par les autres femmes, quand elles te verront si honorablement et si singulierement paree, sans qu'il te couste rien en bagues et joyaux. Car tu ne sçaurois avoir les perles de ceste riche et opulente femme-là, ny les robbes de soye de ceste estrangere-cy, pour t'en parer et accoustrer, que tu ne les achettes bien cherement : mais les ornements de Theano, ou de Cleobuline, ou de Gorgo femme du Roy Leonidas, ou de Timoclia soeur de Theagenes, ou de l'anciene Claudia Romaine, ou de Cornelia de Scipion, et de toutes ces autres Dames qui jadis ont esté pour leurs vertus tant celebrees et renommees, tu les peux avoir gratuitement sans qu'il te couste rien, et t'en parer et orner, de maniere que tu en vivras heureusement ensemble et glorieusement. Car si Sappho pour sa suffisance de mettre bien par escrit en vers, a bien eu le coeur d'escrire à une Dame riche et opulente de son temps,

  Toute au tombeau morte gerras,
  Pour ce que cueilly tu n'auras
  Jamais des roses, dont fleurie
  Est la montagne Pierie :

pourquoy ne te sera-il plus loisible de te glorifier et te contenter de toy-mesme, attendu que tu ne participeras pas seulement aux fleurs ny aux chansons, mais aussi aux fruicts que les Muses produisement et donnent à ceux qui aiment les lettres, et la philosophie ?