Les Primitifs/Les Kolariens du Bengale

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Les Primitifs. Études d’ethnologie comparée.
Chamerot (p. 285-392).


LES KOLARIENS DU BENGALE
ET
LES SACRIFICES HUMAINS CHEZ LES KHONDS


Linguistes et anthropologistes, chacun pour sa partie, ethnologues et mythographes, trouvent ou trouveraient de riches matériaux à exploiter dans la contrée de l’Inde, qui reçoit les eaux des monts Vindhya et Adjanta, pour les déverser dans le golfe du Bengale par la Mahanadi et la Godavéri. Cette région de beaux paysages et de campagnes fertiles pourrait être largement peuplée, n’étaient de vastes marais répandant au loin, sous un ciel torride, leurs miasmes empoisonnés. Les habitants de la plaine doivent s’en tenir éloignés pendant six mois, et les Européens pendant neuf. De vastes cantons n’ont jamais été habités que par des peuplades primitives, qui vivent en communautés généralement isolées, ne se rattachant que par de faibles liens aux voisines de même nom ou de même race. Une barrière de montagnes entoure le plateau légèrement ondulé, parsemé de superbes rochers granitiques, dont les uns s’élèvent en masses arrondies, et les autres en fragments ruineux, de formes fantastiques.

En tant qu’autochtone, l’agglomération ethnique dont il s’agit est considérée comme d’origine antérieure aux Aryas et même aux Dravidiens. Elle se subdivise en milliers de clans[1] que nous n’essayerons pas de classifier, même sommairement ; il nous suffit qu’on les désigne sous l’appellation collective de Kolariens, dérivée du peuple Kolh ou Cole, d’où le mot de couli, qui appartient à la langue franque internationale[2]. La partie orientale du plateau s’étend à une hauteur moyenne de 2,000 pieds, sur une surface de 7,000 kilomètres carrés. Elle est habitée par un million d’hommes, parmi lesquels plus de moitié appartiennent à des tribus sauvages ou demi-sauvages, se subdivisant en deux grandes classes, les Ouraons et les Moundahs ; ces derniers les plus anciens, s’il faut en croire la tradition. Dans ce magma humain, on entend répéter des noms plus fréquemment que d’autres : Sonthals, Bhils, Bhoumis, Hos, Birhors, Sourahs, Khérias, Koréwars, Dehouangs ou Pattouns, Larkas, Gonds.

Les Khonds, auxquels nous vouerons une attention particulière, ont pris le nom de l’épée nationale, la khande, dont ils ont une manière à eux de jouer. On fait aussi dériver leur nom du mot tamil koundrou, la colline. Ce seraient donc les gens du haut pays. Eux-mêmes se disent Kous[3]. Au nombre de deux cent cinquante à trois cent mille, ils se groupent sporadiquement autour de Boustar, Tchinna Kinnedy, Djeypour, Goumsor, Boad et Despalla, leurs forteresses et principaux centres.


Les conquérants font de droit l’histoire de leur conquête, et pour mieux se couvrir de gloire, aspergent les vaincus d’ignominie. À quoi n’ont pas manqué les Aryas dans leurs légendes et traditions. De ces récits, lus avec critique, il ressort que les envahisseurs trouvèrent une résistance longue et opiniâtre. Sans doute, les indigènes se défendirent avec courage, leurs revers alternérent avec des succès et ils ne furent entièrement subjugués que sur le littoral et dans le bassin du Gange ; sur les premières collines, ils furent vassalisés, dans le haut pays, pas même entamés. N’ayant pu les vaincre ni les asservir sur toute la ligne, le conquérant se vengea en les appelant singes, nagas, serpents, géogènes, en les confondant, de propos délibéré, avec les léopards et autres animaux, patrons de totems. L’immigration inonda la grande plaine, où elle implanta la race et la langue des Aryas, leurs doctrines et pratiques, mais ne remonta pas très avant dans les vallées. Le flot ne dépassa guère les premiers contreforts ; le bruit des batailles ne pénétra pas jusqu’aux hauts pâturages. Le choc des armes, les rumeurs des révolutions, le fracas d’empires s’effondrant, ne réveillaient pas les échos de la combe profonde ; le tigre des jungles, le crocodile des marais, les démons de la peste et de la fièvre défendaient la négraille. Une abjecte misère protégeait ces créatures, qui ne possédèrent jamais rien qu’il valut la peine de piller. Et la situation se perpétua. On aurait cru que les indigènes n’ayant pas d’organisation politique proprement dite, n’étant groupés qu’en hameaux et villages de faible population, organismes lâches et sans cohésion, succomberaient à leurs dissensions intestines, aux moindres attaques de l’extérieur. Cependant ils ont survécu aux États qui les enclavaient, quoique ou parce que ne s’élevant pas jusqu’à la notion d’État.

Ce n’est pas que plusieurs de ces Kolhs et de ces Khonds ne dussent reconnaître la suprématie d’Orissa, fière de ses guerres et conquêtes, de ses gloires et victoires, et qui déploya sa plus haute splendeur au temps de Charlemagne et de Haroun al Raschid. Pendant une dizaine de siècles, du ve au xvie, ce royaume imposa aux peuplades inférieures un modus vivendi qui survécut à sa chute, se perpétua sous la dynastie musulmane de Delhi, et subsiste plus ou moins sous la domination anglaise. Le souverain, sorte d’empereur féodal, commandait à des maharajahs, rajahs et zémindars, à des païks, au nombre de 150 à 200,000, vassaux inégaux en pouvoir, richesse et autorité, autant que dans le Saint Empire furent magnifiques ducs et marquis, illustres comtes, puissants barons, petits sires, minces seigneurs bannerets, mais tous chevaliers et gentilshommes, qui, — à l’armée, étaient les « hommes de l’Empereur » — à la cour, ses serviteurs, — et, sur leurs terres, des maîtres indépendants qui exerçaient les droits de haute et basse justice. Le sceptre du suzerain d’Orissa pesait sur les grands feudataires, lesquels faisaient pression sur les moindres ; les derniers se dédommagement sur les indigènes planicoles, entre autres, sur les pauvres Sourahs, qui, tombant en un dur esclavage, furent traités en ilotes. Protégés par une première ligne de marais, les Kolhs et Khonds des coteaux avaient la paix, mais à condition d’apporter en tribut aux rajahs quelques produits des jungles, et de fournir aux temples et aux domaines seigneuriaux un travail qu’on ne leur payait point, d’où leur nom de vettiahs, ou corvéables. Quant aux congénères du haut pays, les fièvres, en sentinelle devant le boulevard des bois et marais, assuraient leur indépendance. Dans la plénitude de leur liberté, ils contractaient des alliances avec les hobereaux du voisinage, au service desquels ils s’engageaient volontiers pour une campagne ou deux. Le sol, médiocrement cultivé, nourrissait mal une population parsemée, que décimaient un climat insalubre, les infanticides, des escarmouches fréquentes entre clans et tribus. Tous les ans, des émigrants descendaient, descendent encore, aux basses terres pour y trouver à vivre ; ils se casent suivant leurs castes et métiers, se font bûcherons, manœuvres, matelots, messagers, commissionnaires ; prennent du service comme domestiques, pâtres ou bergers. Les uns s’enrôlent dans les bandes du crime, les autres dans l’armée de la répression. Jusqu’aux derniers temps, leur grande ressource était de s’engager chez les Païks, ou vassaux de la couronne, en qualité d’archers et soldats, à la façon des Suisses montagnards, qui se louaient, comme lansquenets ou gendarmes, au plus offrant et dernier enchérisseur, qu’il s’appelât pape de Rome, Venise ou république de Florence, roi de France ou empereur d’Allemagne. De tout temps, on recherchait les Khonds comme miliciens ; les princes ne voulaient qu’eux pour gardes du corps, donnaient bon prix de leurs services, car ils les connaissaient pour sobres et infatigables, les savaient de race martiale, intraitables sur le point d’honneur, ponctuels à tous engagements, prêts à se faire hacher plutôt que de manquer à la parole donnée. Ils ne pouvaient qu’apprécier la bravoure éclatante, la vaillance chevaleresque de ces hommes qui partout sollicitaient le poste du danger, ou même le réclamaient comme leur droit, et s’attachaient passionnément à leur chef, pour peu qu’il le méritât, voire sans qu’il le méritât.

À mesure que les siècles s’écoulaient, la civilisation gagnait sur la barbarie monticole ; les idées religieuses, les pratiques sociales des plaines s’infiltraient ; les influences du brahmanisme et du bouddhisme, puis de l’islam, pénétraient jusque dans les cantons reculés, réveillaient de lointains échos. Néanmoins, jusqu’aux cinquante dernières années, les districts intérieurs étaient restés inconnus, donc indépendants. Mais voici venir voyageurs anglais, missionnaires chrétiens de toute dénomination et de toute provenance, commerçants, ingénieurs et soldats. Les histoires de conquête se ressemblent toutes. La Compagnie des Indes se ménagea des intelligences dans les places, se fit des amis ; les riches et puissants n’y ont pas grand’-peine avec les ignorants et besogneux, facilement jaloux les uns des autres. On vit surgir de belles routes carrossables, sur lesquelles firent leur apparition infanterie, cavalerie, artillerie. Sans bruit, sans éclat ni menaces, avançant graduellement, les habits rouges occupèrent des points stratégiques, d’où l’argent se répandait à l’entour. La marée montante enveloppait une position, tournait une autre. Maint châtelain apprit à ses dépens que son roc n’était plus imprenable ; maint gentillâtre fut mis à la raison. L’ennemi déclaré, on le brisait ; on isolait les malveillants, on achetait les douteux. D’habiles officiers, sachant se hâter lentement, dire des paroles accommodantes et bien placer des cadeaux, gagnaient position après position. La diplomatie anglaise, le gouvernement de Calcutta, montrent avec fierté les résultats que leur valut une dépense en hommes et en argent relativement minime. Aujourd’hui, le territoire est parcouru par des visiteurs toujours plus nombreux ; les immigrants apportent autres besoins et intérêts, autres industries et mœurs. Les nouveaux venus constatent que le sol se prête à de nombreuses cultures ; que le paysage se montre souvent agréable, parfois superbe et grandiose ; qu’il fait bon quitter les plaines torrides, traverser rapidement les régions pestilentielles et se fixer dans les hauts pays d’air pur et de climat salubre. Les Européens installent des exploitations, montent des chasses, s’enthousiasment de cette nature sauvage, s’intéressent à ces populations primitives, les veulent instruire et civiliser. Elles ne survivront pas à tant de sympathies. C’est le commencement de la fin.

Pour ce qui en est du type, les dissemblances entre Aryas et non-Aryas sont trop marquées pour ne pas frapper le regard le moins prévenu. Chez les Indous, l’animal humain a la couleur moins foncée, une plus forte capacité crânienne, des formes mieux proportionnées et plus élégantes, des traits plus réguliers, une physionomie plus agréable ; les populations indigènes abondent en figures ingrates et de laideur repoussante. Pour peu qu’on voulut adopter la formule pratiquée par tant de voyageurs et même de savants ethnologistes : — à Tours toutes les femmes sont rousses, — il serait facile de prouver que ces monticoles sont superbes, ou qu’ils sont repoussants. Il y en a de beaux, il y en a de fort laids, quantité de passables. Aux Khonds que nous avons plus particulièrement en vue, Howard trouve une physionomie mi-mogole, mi-caucasique ; front large, parfois surplombant, yeux grands et expressifs, figure triangulaire, barbe rare, cheveux noirs et abondants. Shortt leur donne une taille moyenne de 1m,75. Hunter se borne à dire qu’ils sont aussi grands que les Indous, bien musclés, rapides à la course, qu’ils ont front large et lèvres pleines, mais sans excès. « Leur vigueur, leur intelligence et leur résolution, leur inaltérable jovialité en font d’aimables compagnons ou de terribles ennemis. » Dalton, la grande autorité en matière d’ethnologie bengalienne, s’exprime de la sorte sur quelques-uns de leurs voisins :

« Les Hos et Larkas, noyau de la nation moundah, en sont la partie la plus intéressante et certainement la mieux faite. Port droit, virile attitude, ils ont l’aspect d’un peuple libre, justement fier de son indépendance. Même angle facial que celui des Aryas, et des traits qui souvent ne sont inférieurs en rien à ceux des Indous : grand nez, larges lèvres bien formées, dents magnifiques. Les formes, que l’absence de costume permet d’examiner en détail, sont fréquemment d’une beauté sculpturale. »

Cette description, vraie pour les habitants des districts bien cultivés, qui jouissent d’une aisance que leur envieraient les ouvriers agricoles de la Grande-Bretagne, serait inexacte pour les habitants moins favorisés des cantons forestiers, où les figures sont laides. Quand les Moundahs n’ont pas le type caucasique, ils paraissent se rapprocher du mogol plutôt que du nègre : pommettes saillantes, yeux peu ouverts, légèrement obliques, face plate, poil maigre, taille moyenne, teint variant du tanné au basané. Plus disgraciés que tous autres, les simiesques Ouraons ont la taille petite, mais bien proportionnée, rarement courte et trapue. Les jeunes gens des deux sexes, remuants comme des écureuils, ont une figure mince et mobile. Les localités de race mêlée montrent une variété remarquable de traits et de teint. Où la race est moins mélangée, abondent les vilains noirs : bouche large, lèvres épaisses, mâchoires prognathes, nez ridiculement aplati, narines écartées, front fuyant, cheveux crépus autant que laine de nègre.

Chasse et sauvagerie sont presque synonymes. Ces populations sont arriérées, en proportion de la part pour laquelle la chasse entre dans leurs moyens de subsistance : d’autant plus sauvages qu’elles font moins d’agriculture. Le plateau n’est pourtant pas de trop mince couche végétale ; ne manque pas non plus de pluies ; mais les eaux ici se précipitent en torrents dévastateurs, et la croupissent dans les marais, corrompant l’air de leurs émanations pestilentielles. Le sol est mal exploité, mal cultivé. Aux plus misérables, qui vivent sur les produits spontanés de la brousse, toute viande est bonne : chiens, chevaux, chacals, grenouilles, chair vivante, chair abattue, du frais ou du pourri, ils font profit de tout ; du tigre au serpent, du crocodile aux insectes : tout passe au garde-manger. Ils ne peuvent qu’être un objet d’horreur pour les Indous, qui mourraient plutôt que de goûter à un filet de bœuf ou de vache, pour les Musulmans, qui ont le porc en abomination et qui expliquent le nom de Kolh par « tueurs de cochons », sobriquet dont les incriminés s’affectent médiocrement. Brahmanes et Musulmans font un crime aux nomades Birhors d’être anthropophages ; mais nous ne le leur reprocherons pas, leur cannibalisme étant inspiré par la piété filiale : les parents, à l’article de la mort, demandent comme une faveur que leur corps ne soit pas abandonné sur le chemin ou dans la forêt, mais trouve asile dans l’estomac de leurs enfants. Ceux-ci ne peuvent le refuser, mais, ils ne mettront aucune hâte malséante à jouir du repas funèbre.

De toute main ils acceptent toute mangeaille, disent de ces sauvages les dédaigneux Brahmanes, qui se croient de Substance très raffinée, parce qu’ils ne touchent qu’à des aliments de choix, et encore faut-il qu’ils soient préparés dans leur famille. Par la différence d’alimentation, la loi des conquérants, personnifiée en Manou, comptait éterniser la distinction des castes, l’accentuer de siècle en siècle, constituer des races entièrement dissemblables et par les caractères intellectuels et moraux, et par les caractères physiques : l’aliment impur procréant des corps laids et rachitiques, des organismes stupides et dégradés, et l’aliment pur constituant dans l’homme la force et la beauté, la noblesse et l’intelligence. Le système était séduisant ; il s’appuie sur une certaine expérience, et la physiologie de l’avenir fera, pensons-nous, de précieuses découvertes dans cet ordre de recherches. Toujours est-il que ce principe fut, par la race dominante, proclamé vérité absolue, admis implicitement par les races subjuguées ou refoulées et par les tribus plus policées qui, habitant des demeures fixes, relativement confortables, s’étaient élevées jusqu’à l’usage de la charrue. Pour n’en citer qu’un exemple, les Ouraons, mi-sauvages, mi-civilisés, mangent tout et n’importe quoi pendant l’enfance et la première jeunesse, mais, à partir du mariage, les époux se font une chair sacrée, s’administrent, en manière de sacrement, le sel par lequel ils jurent, à l’exemple des Sonthals ; leur corps ainsi purifié ne sera plus entretenu que d’aliments purs, auxquels ne touche aucune main étrangère à la tribu. À l’Ouraonne il est enjoint de préparer le repas du mari, interdit de le partager ; elle se contente des restes, suivant l’exemple donné par l’épouse brabmane. Chez la plupart des Kolhs, cependant, la femme s’assied à la même table que le seigneur et maître, si table il y a. De leur côté, les Khonds s’abstiennent de la nourriture qu’auraient préparée des gens réputés de caste inférieure, prohibent les viandes du chien, du chat domestique, du serpent, des animaux de proie, tels que chacals, milans et vautours. Une fois sevrés, ils ne touchent plus à aucune espèce de lait.

Par suite d’une abstinence invétérée, la race indoue tient les liqueurs fortes en aversion ; les brahmanes regardent, du haut de leur sobriété rigoureuse, ces barbares qui prennent prétexte de toutes festivités pour boire le toddy avec délices, de toutes cérémonies pour se donner du vin de palmier sans mesure. Quand l’arbre du maouah[4] se couvre de sa riche moisson de fleurs parfumées, qui passent pour guérir la plupart des maladies, le Khondistan est en joie, les éléphants, tous les herbivores, et plusieurs oiseaux se régalent. Les hommes, pour accaparer la plus grosse part, sont obligés de faire garde jour et nuit. Il n’est alors chaumière qui ne distille des pétales une liqueur capiteuse[5] ; il n’est Khond qui ne s’enivre royalement ; la Khonde se permet d’être « pompette ». Les soldats anglais s’accordent plus de latitude, trouvent à la liqueur une certaine ressemblance avec le whisky d’Irlande ; ils se « soûlent glorieusement », en se bouchant toutefois le nez, à cause de l’odeur trop forte pour les Européens.

Voulant se retrancher derrière une barrière infranchissable, les Aryas avaient eu pour politique d’élargir incessamment la distance entre vainqueurs et vaincus, de rehausser les premiers, d’avilir les seconds, physiquement et surtout intellectuellement, — car nulle démarcation n’est plus profonde, mieux évidente que celle qui sépare le civilisé du barbare ; — ils avaient interdit de transmettre à la race inférieure les nobles arts de la lecture et de l’écriture. Le Brahmane eût passé pour traître qui eût communiqué ses formules et liturgies, qui eût expliqué les Védas aux ilotes. L’instruction développe les facultés et l’hérédité les fixe ; aussi nulle race n’est plus intelligente que l’indoue, nulle n’a l’esprit plus souple et plus subtil, n’a créé langue plus riche et savante, poésie plus grandiose, philosophie plus abstraite et profonde, architecture plus étonnante, religions plus extraordinaires. Entre les hautes et les basses castes, tout contact immédiat passa pour abominable et finit par sembler impossible. Avec une sagacité rare et une ingéniosité vraiment étonnante, les conquérants s’appliqueront à dégrader les subjugués, à les rendre méprisables à leurs propres yeux. Les lois de Manou décrétaient la honte et l’humiliation, la misère et l’ignorance, imposaient un état civil, qu’elles ne pouvaient imaginer plus abrutissant, à ces « êtres noirs de couleur, à figure bestiale, moins hommes qu’animaux », dont le souffle contamine l’atmosphère, et dont l’ombre empoisonne les aliments, et même les eaux sur lesquelles elle passe. On leur donnait des noms comme ceux de Kolhs, les porcs, Poulayers, l’ordure. À quiconque elles donnaient droit de les tuer, sans qu’il fut besoin d’alléguer aucun motif ; mais qui eût voulu se souiller la main en les frappant ? On se salissait, rien qu’à les conspuer, à leur cracher à la figure. Et pour que leur salive n’infectât pas la terre, ils devaient porter un crachoir sur leur personne[6]. S’il fallait les toucher, ce devait être avec un fer rouge. Le plus sûr était de les tenir à distance : nonante-six pieds entre leur corps hideux et un auguste Brahmane n’étaient que distance suffisante ; il leur fallait demeurer en dehors de tous les villages habités par des gens honnêtes ; on leur enjoignait de ne porter aucun vêtement au-dessus de la ceinture ; de parler la main devant la bouche, et encore de ne s’exprimer que dans leur patois[7] : la noble langue des conquérants ne devait point, portée par une haleine puante, passer par ces lèvres impures. Qu’ils ne présument dire : « Moi, mon riz, ma femme, mes enfants » ; mais qu’ils éjaculent dans leur charabia des expressions telles que celles-ci : « Votre esclave, ma sale ratatouille, ma guenon, mon veau, ma velle. » Des prêtres seuls pouvaient avoir formulé cette législation, qui érigeait la férocité en système et rendait la cruauté plus savoureuse en l’assaisonnant d’insulte. Un chef-d’œuvre de cette politique fut d’interdire aux vaincus le progrès et l’instruction. Enjoint aux Indous en général, et aux Brahmanes en particulier, de cultiver leur esprit, de s’imprégner de poésie et de la littérature sacrée, résumé de toute science ; interdit aux indigènes de toucher, de regarder aucun livre. Pour mieux fixer les vaincus dans le servage, la législation défendait tout changement qui eût amélioré leur condition. Ils avaient été razziés de leurs troupeaux ? Défense d’en acquérir de nouveaux, défense de porter la main sur un pis de vache pour en tirer du lait, de posséder autres animaux que des chiens et des ânes. Ils n’avaient que des habitations misérables ? Défense d’en construire en pierres, ni à plusieurs étages, de les couvrir autrement qu’avec du chaume. On préférait qu’ils vagabondassent et n’eussent aucune attache au sol. Interdit d’avoir des vases entiers : il leur fallait se servir de tessons. Interdit de porter bijoux d’or ou d’argent, joyaux autres qu’en laiton, fer ou verre. Interdit aux femmes de se couvrir les seins, de porter souliers, de se donner le luxe d’un parasol, de laver leurs vêtements. Il leur était enjoint de vivre dans la malpropreté et l’infection[8]. Ordre aux hommes de vivre nus ; on ne leur permettait pour vêture que de la paille ou des guenilles, la fripe des morts et des loques laissées par les criminels qu’ils auraient exécutés. Ce dernier point doit être expliqué : les bourreaux et tortionnaires étant haïs et méprisés, on dévolut leur office aux basses castes. L’équarrisseur, le fossoyeur, l’écorcheur et l’exécuteur public furent réputés frères, et on leur donna pour fils ou neveux les mégissiers et tanneurs, les corroyeurs, selliers, cordonniers, tous de métier vil. On affectait de ne leur garantir aucune propriété, ne supposant pas qu’ils possédassent rien en propre, sinon par le vol et la filouterie. La loi condamnait au vagabondage tous ceux qu’elle n’attachait pas à la glèbe, leur interdisait l’approche des maisons honnêtes, le séjour dans les villes et les villages.

De ces prescriptions dictées par la haine, plusieurs, pensons-nous, n’ont jamais existé, n’ont été inventées qu’après coup. Nombre d’entre elles tombèrent en désuétude par la force des choses, par les invasions de plusieurs religions contraires au brahmanisme. Mais la plupart de ces ordonnances iniques entrèrent ou restèrent en vigueur, et le temps les consacra. Des peuplades entières acceptèrent l’humiliation qu’on leur infligeait, et, en l’acceptant, oublièrent de la ressentir, finirent par s’en accommoder. L’habitude est une seconde nature. Depuis longtemps les Nagas ont oublié de s’indigner qu’on les ait assimilés aux lépreux : ils gesticulent, aboient à demi cachés derrière quelque haie, mendient la pitance qu’on jette et n’osent la ramasser que lorsque le passant s’est éloigné déjà. On prétend que l’ignominie peut aller plus loin, et que les jungles de Tchittagong sont le repaire de hordes tombées plus bas que beaucoup d’animaux, lesquelles ne connaîtraient plus l’association permanente des mâles et des femelles pour l’élève des petits[9]. Mais de cette assertion il est permis de douter jusqu’à production de témoignages circonstanciés.

Altière théorie que celle de fonder la domination sur la prédominance intellectuelle et morale ! Mais, quelque grand que fût leur orgueil, les Indous n’eurent jamais la pleine et entière conscience de l’absolue supériorité qu’ils affichaient : leur haine et leur mépris s’aiguisaient toujours de quelque crainte. Ils se figuraient que les indigènes, tous sorciers, redoutables par leur alliance avec les démons du sol, maléficiaient les gens, enguignonnaient et maraillaient le monde, pompaient à distance la force et la santé, se muaient en garous, cobras et crocodiles. Nul ne leur aurait ôté l’idée que le tigre, mangeur d’hommes, que le serpent qui pique mortellement, n’étaient pas de ces maudits et scélérats, se déguisant en bêtes pour faire leurs mauvais coups : « Les perfides, dit un livre sacré, ont l’œil féroce, soutireur de vie. » Comparés aux possesseurs de la vraie religion et de la véritable science, ces misérables n’étaient sans doute que « les fous adorateurs de dieux insensés » ; — mais si la rougeole et la petite vérole obéissent à leur signe ? La peste, le choléra, la petite vérole, sont de terribles divinités ! Maint luthérien achète la protection d’un bon-dieu local, la faveur d’une notre-dame catholique, maint Indou croit opportun de se propitier telle ou telle divinité rurale, qui cousine avec les enfants du sol. Les tourbes d’esprits et de démons sont incomparablement moins puissantes que l’auguste Siva ou le sublime Vichnou, mais infiniment plus rapprochées des mortels ; il n’est que sage de les ménager.

Ainsi une Brahmane a vu mourir ses enfants l’un après l’autre. — Pourquoi ? — On n’en sait rien. La faute en est peut-être à un Korégar, à une Birhore qui les a mégardés, à quelque démon du voisinage. La pauvre mère donne le jour à un autre petit. — Que fera-t-elle pour le garder en vie ? — Cette « bien née », cette femme orgueilleuse de son lignage, qui, en temps ordinaire, ne toucherait pas avec des pincettes à une de ces Korégares, la fait prier respectueusement de vouloir bien la visiter, la supplie de la prendre en grâce, la presse d’accepter du riz, de l’huile, quelques pièces d’argent, et enfin lui tend son nourrisson pour qu’elle le prenne dans ses bras et le mette au sein. La sauvagesse se laisse toucher, détache un de ses anneaux de fer, le passe au poignet du petiot, s’écrie à haute et intelligible voix : — « Enfant, tu t’appelleras Korégaret ! » Elle fait teter l’innocent, le rassasie et le rend à la mère. Par l’adoption simulée, par le lait, par le nom, elle a fait sien l’enfant brahmane, l’a incorporé à sa tribu et mis sous la protection des divinités korégares.

Autre exemple : Un pauvre diable d’Indou ne peut se guérir d’une maladie ou se croit poursuivi par la déveine et la malechance. Pour y remédier il emplit d’huile une jarre, y jette de ses cheveux et rognures d’orteils, puis regarde longtemps son image réfléchie sur le liquide[10]. Il porte cette huile ou ce ghi à un sauvage, qui l’avalera jusqu’à la dernière goutte et sera récompensé pour la peine. L’opération, lointainement apparentée avec notre saint mystère de l’Eucharistie, effectue un transport de substances, transmue l’Indou en Korégar, le Korégar en Indou. Par l’infusion des poils et des rognures d’ongle, par la figure se mirant, l’huile se sature d’énergie vitale, s’imprègne d’âme, passe dans un autre corps, dans un autre sang. Dorénavant, le Korégar sera le répondant d’un brahmane, autre lui-même, le cautionnera vis-à-vis des démons de la Korégarie.

Gràce à ces superstitions, les missionnaires chrétiens ont eu la joie de voir leur Christ triompher sur tous les dieux rivaux et bongas, qui avouent sans détour ne pouvoir rien contre les hommes d’Europe, les fusils anglais les privant de leurs meilleurs moyens. Pour se débarrasser de leurs sorciers, toujours gênants, nombre d’indigènes réclament le saint baptême, se convertissent à Jésus, bien qu’ils n’osent le prier dans leur propre langue. C’est le renouvellement du miracle que Moïse opéra devant le Pharaon : les verges jetées par les magiciens se transformaient en serpents, mais la verge de Jéhovah se faisant dragon engloutissait vipères et serpenteaux[11].

Mais n’insistons pas sur les côtés exceptionnels de la situation : il est incontestable que les Brahmanes avaient si bien élargi et développé leur supériorité qu’ils pouvaient la croire éternelle. Ils disaient le fossé infranchissable, ne fût-ce qu’en raison de l’impossibilité à l’engeance soudra, repue de nourriture inférieure, d’égaler jamais la race si bien nourrie et formée d’aliments de choix. Suivant la théorie qu’ils avaient mise en cours, la caste n’était pas seulement un fait extérieur, mais l’expression du tempérament, la différence des natures. Servi par une législation sévère et rigoureusement appliquée, le système a certainement contribué à la formation de types distincts ; ce qui n’était, à l’origine, qu’un avantage peu marqué, devint à la longue disproportion évidente, affectant les chairs et les muscles, même les os du squelette.

Ces particularités ethniques, que nous constatons et signalons, sans vouloir les diminuer, on s’étonne de ne pas les voir fixées plus profondément. Ainsi on a fréquemment observé que les Moundahs semblent partager avec le caméléon la faculté de prendre la couleur de l’entourage, et, dans les villages mixtes, leur teint se confond presque avec celui des Indous. Les Ouraonnes pâlissent, dès qu’elles ont fait un court séjour, comme domestiques, dans les maisons européennes[12]. En même temps que les cantons se civilisent, le type s’améliore et s’embellit ; la taille, il est vrai, reste petite assez longtemps, mais les traits s’adoucissent, et, comme les gens sont d’un naturel jovial, le visage prend bientôt une expression agréable. Les missionnaires, très compétents dans l’espèce, ont noté plus d’une fois qu’une alimentation plus régulière, une habitation plus salubre, un travail modéré et soutenu, embellissent promptement le corps et le facies ; les enfants surtout prennent meilleure tournure. Aux physiologistes de prononcer sur la question.

L’ignorance forcée dans laquelle ces aborigènes ont croupi si longtemps, n’a pas eu non plus l’effet désastreux qu’espéraient leurs ennemis. Les castes ultimes, il est vrai, les plus misérables des hordes, sont affolées et abruties, mais le grand nombre ne paraît pas détérioré dans les œuvres vives. L’intelligence, quoique limitée et restreinte à un petit nombre d’objets, reste saine et susceptible de développement. Nous comparons l’Indou à l’arbre fruitier que des horticulteurs ont soigné pendant de longues générations, lentement développé et ennobli. Appartenant à la même famille, les sauvageons croissent dans la forêt, ne donnant que fruits aigres et coriaces, mais les racines sont vigoureuses, le bois jeune ; il suffirait de quelques bonnes greffes pour transformer le produit. Ainsi des Kolhs et Khonds. Les classes supérieures, les nations civilisées, s’endorment facilement dans le luxe, versent dans l’immoralité, le factice et le convenu, dans le byzantinisme sous toutes ses formes, dans la sénilité niaise et vaine. Mais les classes dites inférieures, mais les nations incultes sont, de par les nécessités de l’existence, contraintes à toujours agir, toujours travailler et par suite à se tenir dans les limites de la réalité et d’un certain bon sens. Les missionnaires déclarent que la jeunesse de leurs écoles, pourvu qu’on sache la prendre, se montre accessible à l’instruction, et que deux ou trois générations la mettraient au niveau des enfants brahmanes.

Nous ne prétendons pas trancher la question ; il nous suffit d’en avoir indiqué les termes. Une certaine école scientifique s’est trop hâtée de proclamer immuables les types dont la constance pourrait fort bien n’être motivée que par la fixité relative du milieu. Les conditions générales d’alimentation, de climat et d’habitat, loin d’être primordiales, ne sont que contingentes et accidentelles, et varient facilement. On représentait les types comme coulés en bronze : ne seraient-ils qu’un masque complaisant qui s’adapte à des chairs plastiques, à un squelette relativement flexible ?

Mais assez de théories, assez d’hypothèses ; rentrons sur le terrain des faits constatés.

Si les qualités morales l’emportent vraiment sur l’instruction et sur les facultés intellectuelles, nos barbares Khonds sont, en somme, fort supérieurs aux civilisés leurs voisins. Véridiques et sincères, ils ne daigneraient échapper à un péril, obtenir quelque avantage au prix d’un mensonge ou seulement d’une inexactitude volontaire. Que de fois les juges anglais ont à regret fait exécuter de braves gens, contre lesquels ne se dressait que leur propre témoignage ! Ils s’étaient dénoncés et livrés, avaient raconté les faits avec une franchise absolue, une exactitude scrupuleuse, mettant leur point d’honneur à ne rien taire de ce qui pouvait leur être préjudiciable. Quelle différence avec ces Bengalis, fourbes incomparables, artistes en dissimulation ! Une des rares erreurs de Stuart Mill a été d’avancer[13] que les non-civilisés se complaisent dans le mensonge, semblent incapables de dire vrai. Certes, nous ne contesterons point que la vraie civilisation se développe parallèlement à la sincérité et à la justice ; mais le grand philosophe se fût exprimé autrement, si son séjour aux Indes l’avait mis en contact avec les Gonds et les Khonds, avec les Malers, Birhors, Sonthals et autres, qui tiennent la vérité pour sacrée et ne contractent pas d’engagement qu’ils ne remplissent. Nulle offense plus grave que celle de suspecter leur parole, insulte qu’ils lavent dans le sang, et, s’ils ne peuvent tuer l’offenseur, ils se tueront eux-mêmes. Ces Sourahs, ces Poulayers, respirent la candeur. Ceux qui les traitent de « rebut et d’ordure », les disent incapables de rien imaginer, incapables d’inventer quoi que ce soit en dehors de l’exacte réalité[14].

Avant d’être entamés par la civilisation, avant d’avoir subi la conquête anglaise, ces sauvages se distinguaient par une virile fierté, une joyeuse indépendance, ne rendaient compte à personne de leurs faits et gestes, ne payaient redevance ni à chef, ni a gouvernement, ni à propriétaire ; chacun avait l’entière jouissance de sa personne, de sa maison et de son champ. Indépendance complète, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Nul ne les avait conquis ; depuis vingt siècles, leur peuple n’avait jamais courbé la tête devant aucun étranger : noble orgueil qui se lisait dans leur attitude et leur physionomie. Ils évitaient toute parole obséquieuse, toute politesse qui eût pu paraître humiliante ; pour saluer, ils se bornaient à lever la main. Le plus jeune disait : « Je vais à mes besognes. — Va ! » répondait l’ancien.

Le trait le plus agréable de leur caractère est encore l’affection mutuelle. Les civilisés de la plaine se donnent pour passe-temps les procès qu’ils s’intentent, ils se provoquent devant les tribunaux sous des prétextes futiles ; dans leurs duels judiciaires, ils rivalisent de menteries et perfidies. Mais chez les Kolhs et les Khonds, autres mœurs. Rares d’homme à homme, les querelles sont encore plus rares d’homme à femme. L’époux qui se permettrait de blâmer sa moitié devant le monde, de la menacer, voire de l’insulter, soulèverait la réprobation, exciterait l’indignation générale. Il n’en faudrait pas tant à l’épouse pour la faire se détruire ; trop souvent il a suffi d’un reproche discret pour provoquer un empoisonnement ; une parole ironique, un compliment mal compris, et plus d’une s’est pendue. Elles se figurent que l’âme du suicidé revient tourmenter l’offenseur : idée qui a cours dans l’Inde entière, dans l’extrême Orient, et qui a certainement inspiré aux Japonais leur pratique bien connue du harakiri.

Dalton dit de ces sauvagesses qu’elles gagnent les cœurs par des manières franches et ouvertes, une naïve gaieté. Frayant dès leur enfance avec l’autre sexe, elles n’ont rien de la pruderie des Indoues et des musulmanes, élevées dans une réclusion rigoureuse, pruderie qui par moments fait place à des propos grivois et abonde en sous-entendus obscènes. On vante, au contraire, les grâces décentes des fillettes Hos ou Moundah, des petites Larka… Patience ! Bientôt la civilisation les guérira de cette barbarie, les corrigera de leur ignorance.

Jusqu’à la seconde moitié du présent siècle, les Khonds abominaient toute espèce de commerce, ne voulaient faire usage d’argent ni de monnaies, rejetaient les coquillages comme moyen d’échange ; au lieu de mesurer en espèces la valeur des choses, ils les supputaient en « vies », même les objets inanimés, même les haches, riz et farines. Quels arriérés !

Aucun peuple ne pousse plus loin la religion de l’hospitalité. De ce chef ils en remontrent aux Bédouins, aux Arabes du désert. Pas d’honneur qu’ils ne rendent à l’hôte, pas de complaisance qu’ils ne lui témoignent, mettant sa vie avant leur vie, son honneur avant leur honneur. « L’hôte, avant l’ami, même avant l’enfant ! » dit un de leurs proverbes. Dès que se montre un étranger, quelque misérable soit-il, les chefs de famille viennent le saluer, lui offrent gîte et repas ; il séjournera tant qu’il lui plaira : jamais invité n’a été renvoyé, jamais on ne lui a fait sentir que sa présence devenait gênante. Ils étendent l’hospitalité jusqu’aux Dombangous, basses castes et populations déchues qui les entourent ; ils les traitent avec bonté, les font asseoir à leurs festins, les défendent envers et contre tous, les protègent comme s’ils appartenaient à leur communauté.

On les a vus étendre leur hospitalité jusqu’à des tribus entières. En certaine fête, il arriva qu’on se prit de querelle, et qu’après rixe sanglante un clan fut écharpé, mis en déroute. Poursuivis, la lance au poing, chassés de leurs hameaux, sans asile, délogés de leur héritage, les fugitifs allèrent frapper aux portes qui avaient été les leurs, et s’adressant à ceux qui les avaient mis à mal :

— « Nous sommes dépourvus de tout. Veuillez nous donner l’hospitalité.

— Entrez et soyez les bienvenus ! »

Et tous maintenant de cohabiter sous le même toit, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois ; les vaincus nourris, abreuvés, vêtus, servis par les vainqueurs. Cela dura toute une année. À la fin, les hébergeurs, n’y pouvant plus suffire, entrèrent en pourparlers :

— « Si vous vouliez reprendre vos maisons ? reprendre vos champs ? Si vous vouliez bien nous rendre votre amitié[15] ? »

L’asile accordé aux ennemis n’est point refusé aux criminels ; et, chose forte a dire, le meurtrier a cherché et trouvé refuge chez le père de l’homme qu’il avait tué. Cette hospitalité héroïque, ils la donnent quand ils savent qu’elle sera funeste, même à leur patrie. Exemple, la grande guerre de 1833 qui mit fin à leur indépendance. La Compagnie des Indes exigeait des fugitifs qu’on lui refusait :

— « Mais réfléchissez donc ! Vous étiez de nos amis jusqu’ici. Ne nous obligez pas à montrer que nous sommes les plus forts. Vos champs seraient dévastés, vos bourgades incendiées, vos guerriers mitraillés. Et, si l’on en vient jusque-là, dures seront les conditions que nous imposerons aux survivants.

— Il ne sera pas dit qu’un Khond ait forfait à l’honneur, et qu’il ait livré le malheureux qui était venu l’implorer. »

On en vint aux mains. Les barbares — c’étaient des barbares — se défendirent avec une bravoure que ne pouvaient trop admirer les Anglais. En plus d’une rencontre, ils se firent tuer jusqu’au dernier. Finalement, les fugitifs indous furent livrés, mais par des lndous, les Khonds restant inébranlables dans leur fière et généreuse loyauté.

« Pendant une campagne de deux mois, dit Hunter, ils montrèrent une énergie indomptable. Décimés à la fois par la peste, par la famine et l’épée, il ne s’en trouva pas un dont faiblit le dévouement à la cause publique. Et quand les patriarches, trahis et livrés, encore par des Indous, furent condamnés à mort, avec quel admirable courage, quelle touchante résignation, quelle simple dignité, ils subirent une mort ignominieuse devant leurs habitations saccagées ! »

Dirons-nous, par contraste, comment respectent le droit d’asile certaines nations qui se targuent de marcher à la tête du progrès et volontiers se proposent en exemple au monde[16] ?

Tels étaient les sauvages qu’on avait dépeints sous les plus noires couleurs. En 1820, lorsqu’il envahit le Colehan avec ses troupes, le major Roughsedge s’attendait à trouver des jungles : il débouchait dans un pays ouvert, légèrement ondulé, soigneusement cultivé. Les villages s’abritaient sous les tamarins et mangotiers ; les maisonnettes se cachaient sous le feuillage des citrouilles et concombres.

Du costume, nos autochtones se soucient médiocrement ; ils tiennent pour suffisants un mouchoir, un mauvais chiffon, quelque méchante lanière d’étoffe, une mince ceinture ; les femmes se contentent d’une écharpe qu’elles enroulent une ou deux fois autour du corps ou des épaules, et qui leur retombe sur les seins. Ce qu’on économise sur la vêture, on le reporte sur l’ornementation. Tatouage discret, consistant en points de couleur, et traits sur le front, le nez, le menton ou les bras. Fleurs dans les cheveux, colliers, bracelets, chevillets, graines coloriées, dents et coquillages, anneaux de laiton, et surtout de fer, les seuls que Manou ait permis. Elles ont profité et même abusé de la permission. Kolhes et Khondes, rivalisant avec les Guinéennes et les Achantisses, s’annoncent de loin par un cliquetis de chaînes, par un jingli jinglo de ferrailles, plus lourdes que le boulet d’un forçat. Les Pandjas, hommes et femmes, se chargent de huit à dix kilogrammes de cuivre ; et l’on affirme qu’en certains districts les belles chancellent sous leur quincaillerie. Le capitaine Sherwill eut un jour la curiosité de peser les affiquets et colifichets dont une demoiselle sonthal avait affublé sa personne : la balance accusa 34 livres. Les Dchouangues, qui tenaient, comme tant d’autres, que le tatouage est de tous les costumes le plus léger, le plus économique et même le plus élégant, qui le regardent comme un meilleur préservatif contre les rhumatismes que les camisoles de flanelle, les Dchouangues avaient conservé jusqu’à ces derniers temps le tablier de feuilles auquel Ève a donné son nom. De même les Couroumbas du Malabar, les Dchantchous du Masoulipatam, les Weddahs de Ceylan[17]. Cela choquait les ladies de Calcutta. Elles remontraient que Sa Gracieuse Majesté la reine Victoria ne pouvait tolérer que telles de ses sujettes ne portassent qu’un collier de graines, plus une ramée par devant et une autre par derrière. La vice-reine des Indes décréta que le scandale finirait ; le christianisme et la civilisation supprimèrent l’innocente nudité dans les jungles d’Orissa. La chose mérite d’être racontée :

En 1871, une compagnie, sur le pied de guerre, prit position et appela toute la tribu à l’ordre. Devant l’estrade du capitaine, dix-neuf cents individus défilèrent et ployèrent le genou. Roulements de tambours. Manœuvre en quatre temps, six mouvements. Quatre caporaux et deux sergents procédèrent, toujours au nom de Sa Pudique Majesté, à la toilette du beau sexe. Le premier estampillait la femme agenouillée, la marquait au front d’une tache rouge, lui instillait la première pudeur. Elle se relevait, faisait quelques pas, et le deuxième galonné lui mettait la main sur l’épaule et arrachait le feuillage antérieur, — inclinez-vous devant la vertueuse souveraine qui préside aux levers de Saint-James ! Le troisième pioupiou débarrassait la sauvagesse du feuillage postérieur, et toute cette verdure était jetée dans un feu allumé exprès. Le quatrième passait à la pauvrette un jupon, le cinquième le lui bouclait autour des reins, le sixième voyait à ce qu’elle passât la porte. Enfant de la nature elle était entrée, civilisée elle sortait, ayant dépouillé la sauvagerie et revêtu la cotonnade de Manchester.

Il n’y a que les simples pour dire que « l’habit ne fait pas le moine ». À preuve nos Khonds. Tant qu’ils croient aux faux dieux, ils tirent vanité de leur chevelure, qu’ils nouent en panache ; mais, dès qu’ils ont embrassé la religion seule véritable, les missionnaires leur coupent la houppette, en signe qu’ils ont jeté bas le vieil homme et qu’ils participent au céleste héritage[18]. Sans qu’il eût été besoin de faire intervenir les baïonnettes, les Hosses de Singbhoum, renonçant spontanément à la mode antique, avaient compris qu’une pièce de madras est plus souple, plus décorative, et surtout plus voyante que les branchages, dont elles se troussaient naguère dans la frétillante danse, dite du Coq et des Poules. L’ancien costume avait aussi ses avantages ; par moments, on le regrettait. Les fluctuations du marché ayant fait hausser l’article tissus et nouveautés, les belles déclarèrent net aux importeurs que, s’ils ne revenaient aux premiers prix, elles reprendraient l’ancienne mode, et, comme on les savait femmes de parole, elles obtinrent gain de cause.

Les cabanes sont toujours recouvertes de chaume, et même le code Manou ne permettait pas d’autre toiture. Elles affectent fréquemment la forme de ruche. Les parois consistent en clayons de bois enduits de boue, construction des plus primitives. L’habitation renseigne promptement et exactement sur la civilisation des gens et le confort auxquels ils sont parvenus. Jugés à cette mesure, les Mags du Bengale ne seraient pas haut classés dans l’échelle sociale, bien qu’ils perchent en un poulailler à un ou deux étages, formé par des bambous attachés à des pieux ; au rez-de-chaussée les cochons domestiques. Ne brilleraient pas non plus les Pandjas de Djeypour, qui, avec des bâtons enduits d’argile, enclosent des bauges dans lesquels ils entrent en rampant et se tordant. L’espace intérieur est trop étroit pour qu’un homme, même de petite taille, s’y étende de son long ou se tienne debout, le taudis n’ayant guère qu’un mètre de haut, nous dit-on. Père et mère, enfants et adultes, s’encaquent et s’empaquettent, cuisent à l’étuvée, émettant des transpirations qui nous épouvanteraient, mais qui ne troubleraient guère des Chinois[19] ; s’il est vrai qu’ils se mettent à douze dans une chambre de vingt pieds carrés, pour manger, boire, travailler et dormir. Ne se distingueraient pas davantage par la somptuosité des demeures, les Dchouangs, qui, récemment encore, n’employaient que le silex pour armes et outils, n’avaient aucun mot pour le fer ou le métal. Les Dchouangs ou « Ceints de feuilles » couvrent aussi de ramures leurs huttes ; elles occupent une superficie qu’on assure ne pas dépasser cinq à six mètres carrés : pour nos fermiers, chenil médiocre, porcherie insuffisante. Encore se partagent-elles en deux compartiments : le garde-manger, le penum des pénates antiques, et le dortoir, où mioches et filles dorment sous les yeux des parents. — Les garçons ? Ils couchent ailleurs. Dchouangs, Gonds, Ouraons, Koukis, Nagas, nombre d’aborigènes qui habitent depuis les Vindhyas jusqu’aux monts Garos et Khassias, construisent des baraques[20] que nous appellerons des « garçonnières ». Y habitent les éphèbes qui se brimadent pour faire apprentissage d’homme ; y habitent aussi tous les adultes non mariés. C’est le plus beau, le spacieux bâtiment du village, le palladium et le sanctuaire de la tribu. On y garde les tambours, gongs, et tamtams, les reliques des ancêtres, les armes de prix, les trophées de chasse ; c’est aussi le prytanée où les étrangers et tous hôtes sont traités avec l’hospitalité généreuse qui distingue les peuples pauvres.

Quant aux filles, le plus souvent, elles couchent scus l’œil même des parents ; car elles sont une propriété de rapport, qui peut se vendre assez cher, si elle n’appelle les voleurs et ne s’enfuit avec eux. On les loge aussi chez des veuves. Les Khonds, Malers et Koupouirs ont des « filleries[21] », — pour employer un terme emprunté au phalanstère de Fourier, des vestalats, — parfois attenant à la garçonnière ; le plus souvent, l’un et l’autre établissements occupent les extrémités du village. À la tête du bataillon féminin marche une virago, duègue intrépide et robuste, armée d’une longue gaule, pourchassant les garçons et les tenant à distance. On trouverait semblables institutions chez les Herrnhouters d’Allemagne, et en certaines communautés religieuses d’Amérique. Les jeunesses se visitent, se contrevisitent, entreprennent des expéditions, se donnent fêtes et banquets, dansent, content fleurette, — en attendant le mariage.

Ne pouvant pas épuiser tous les sujets, nous serons bref sur le chapitre des institutions communales, tout intéressantes qu’elles seraient à étudier dans leur simplicité primitive.

Le gouvernement que les tribus indigènes se sont donné pourrait être rangé au même droit, et parmi les autoritaires et parmi les démocratiques. La démarcation n’est pas rigoureuse entre le pouvoir du chef et celui du peuple ; le peuple se confond avec le chef et le chef avec le peuple. Tel chef se gère en autocrate, en Rey netto, tel autre en simple exécuteur de la volonté publique ; l’un se pose en tyran, l’autre en despote éclairé, celui-ci en monarque constitutionnel, celui-là en roi d’Yvetot. Quoi qu’il en soit, la communauté est fort respectée par son chef, quand elle est petite, d’autant plus qu’elle est petite. Cela s’explique. Dans les hordes composées de dix à cent familles, chaque adulte compte pour sa personne ; tout mâle forme à lui seul une fraction du public ; ni sa voix ni ses bras ne sont à dédaigner ; son opinion, ses désirs et sentiments seront toujours pris en considération dans les conseils du chef, les délibérations du sénat et de l’assemblée populaire. Mais que pèse, que peut peser une monade humaine dans les nations modernes, dans ces États monstres, composés de dix, vingt, trente, cinquante ou cent millions d’âmes ? L’individu, absorbé dans la masse, n’est plus qu’un grain de sable, qu’une goutte dans l’étang. Ce que perdent les particuliers est gagné par le pouvoir central, quelque nom qu’on lui attribue, monarque, protecteur, président, doge ou stathouder. Seul, le roi ou empereur compte vraiment en son État ; il est un être réel, en face de ses sujets dont la valeur n’est qu’abstraite et conventionnelle. La cité barbare, peuplée de citoyens effectifs, constitue un organisme vivant. Son mécanisme, composé essentiellement du peuple et de son chef, se complique bientôt d’un facteur intermédiaire : le Sénat, lequel se met à la remorque de celui-ci ou de celui-là. Les préférences de cet organe politique se tournent vers le chef qu’il s’applique à absorber, en attendant qu’il entreprenne le peuple. Selon les circonstances, le gouvernement se transformera en aristocratie militaire, oligarchie féodale, magma de gros censitaires, syndicat d’exploiteurs privilégiés de la fortune publique. Que viennent brocher par-dessus les sorciers, prêtres et faiseurs de pluie, brouillant temporel et spirituel, parbrouillant les affaires d’en haut et d’ici-bas, la petite tribu sera bouleversée par les mêmes complications qui agitent et troublent les États faisant grande figure sur la scène du monde.

Nos Khonds tendaient à se grouper en nation. Déjà se constituaient des confédérations formées de tribus qui se membraient et s’articulaient, contractaient des alliances offensives et défensives, obéissaient à un conseil suprême composé des chefs respectifs. Sitôt qu’elle fonctionne, pareille confédération oblige ses ennemis et rivaux à former des combinaisons opposées, mais de même ordre. Après de vaillantes campagnes, après de terribles batailles, dans lesquelles gagnants et perdants se couvrent de gloire, les vaincus sont rendus tributaires, et, pour les maintenir dans la soumission, les vainqueurs restent sous les armes, serrent les rangs, s’astreignent à la même discipline que pendant la bataille, et, après quelques générations, le groupe national a gagné de la consistance et généralement adopté la forme monarchique. En Khondie, le chef habite au centre du village, dans la maisonnette qu’ombrage le grand cotonnier planté par le prêtre. L’arbre est la demeure aérienne du saint patron, le temple de la divinité protectrice ; sa croissance et sa vigueur réagissent sur la population dont il est le symbole. Les indigènes sont notés pour l’attachement qu’ils portent à leurs chefs de clan, qu’ils n’ont aucune raison de redouter, aucune de jalouser. Patriarcale est l’idée qu’ils se font du pouvoir comme soutien de la justice, défenseur de la propriété, arbitre des conflits. Les différends sont portés devant le conseil des notables, qui prononcent l’arrêt, puis mangent du bon et boivent du meilleur aux dépens de la partie perdante. À la mort du cacique, ils acclament son successeur, le fils aîné le plus souvent, à moins qu’un frère ou tout autre individu ne soit jugé plus digne. Quand les gouvernants ne se montrent pas trop au-dessous de leur tâche, le peuple que l’inconnu n’attire point, et qui innove le moins possible, le peuple s’en tient volontiers à la famille régnante. Les Khonds vénèrent un Dieu Terme. Chaque année, les clans s’assemblent sur une montagne, aspergent de sang le sommet, implorent du Dieu Soleil qu’il les maintienne tels qu’étaient leurs aïeux, le supplient de leur donner des enfants semblables à leurs pères, Tels quels, ils se trouvent parfaits.

Plusieurs tribus ont pris carrément, — honnêtement, allions-nous dire — la profession du vol ; elles ne s’en cachent point ; leurs hommes brigandent sur les chemins et détroussent les gens en bonne conscience.

Le pays nous appartenait. Des conquérants nous l’ont arraché. Les alléger, maintenant, de quelque bagatelle, où serait le mal ? Nous aurons beau faire, nous ne rentrerons jamais dans notre bien !

Curieuse circonstance : certains s’engagent comme policiers et gendarmes, louent leurs services pour surveiller, sur les routes et le long des clôtures, les agissements de leurs pères, les allées et venues de leurs oncles, frères et cousins : ce qu’ils font sans faiblesse et avec une exactitude irréprochable. Les familles se disjoignent, les membres tirent au hasard ; les uns pour braconner, les autres pour faire le métier de garde champêtre. Pourvu qu’ils gagnent leur vie, ils n’imaginent point qu’il y ait vertu à défendre la propriété, crime à l’attaquer ; deux avocats plaidant, l’un pour la veuve, l’autre contre l’orphelin, n’y mettent pas plus de bonhomie, Pas de sot métier, pourvu qu’il nourrisse son homme. Nul qui les blâme en un pays où les Brahmanes déclarent bonnes toutes les religions, pourvu qu’on les suive, ordonnent que chacun continue le métier de ses pères ; voleurs et pillards pour commencer[22].

Douanier ou contrebandier, il n’en chaut pas davantage au paysan de nos frontières, qui, pour une bouffée de tabac, donnerait l’économie politique et tous les économistes, la doctrine et les doctrinaires. Maraudeur et filou, il fait bon l’être, alors que jeune, souple, hardi, entreprenant, on est dans la plénitude des moyens physiques ; mais il vaut mieux vaquer à la répression, se retirer dans les fonctions officielles, quand l’âge mûr vous fait moins agile et ingambe, plus prudent et avisé, et quand on connaît, pour les avoir pratiqués soi-même, les trucs et cautèles des coureurs de blocus. Il est dans l’idéal, c’est-à-dire dans la destinée vraiment normale du brigand, de finir commissaire. Pourraient en témoigner les Arnautes, les Palikares, et l’illustre Vidocq. Ils se font la main à leurs risques et périls, et quand ils sont passés maîtres, l’administration les engage. C’est parmi les Bhils et les Poligars, les Koukies et Paharias que le gouvernement anglais recrute de préférence les bataillons de police[23].

Les Bhils des monts Vindhya, de même que les Maravers de la province de Madoura dans le Tinevelly, se sont donné la double spécialité du policier et du truand ; ils inquiètent les routes et les pacifient. Joseph Prudhomme leur emprunta le fameux sabre, avec lequel il défend nos institutions, et les détruit au besoin. Il sortait de leurs rangs, Jean Hiroux qui rabrouait un gendarme incivil : — « Hé ! le tricorne, respect à l’ancien ! De quoi donc vivrait la maréchaussée, n’étaient ceusses de la pègre ? » On les voit donc s’enrôler dans la police urbaine et la garde rurale, s’entremettre comme veilleurs de nuit, geôliers, informateurs, espions et délateurs. Ils fournissent au village indou un de ses fonctionnaires principaux, le manker ou garde champêtre, qui garantit contre la maraude, moyennant la jouissance d’un champ communal ou le paiement d’une subvention prélevée sur les récoltes. En cas de vol, — les mauvaises années fournissent de nombreuses déprédations, — au manker d’en deviner l’auteur, de l’amener à restitution ou de le produire en justice. Ce fonctionnaire a pour fonction d’être incorruptible et de sévir avec une impartiale justice contre les fraudeurs, fussent-ils membres de sa propre famille. Volontiers deux frères prennent le même champ d’opérations, ils pillent et filoutent de concert, se montrent habiles à faire du dégât, jusqu’à ce qu’on trouve intérêt à engager les services de l’un pour se protéger contre les entreprises de l’autre[24]. Le nouveau garde rural devient responsable, et s’il est empêché de chasser lui-même aux délinquants, il déléguera la partie matérielle de la besogne à un de ses limiers. Chasseurs de père en fils, ils examinent le lieu du délit, distinguent des marques et signes imperceptibles pour d’autres, trouvent l’empreinte du pied suspect. Cette empreinte[25], ils la mesurent avec précision, la reportent sur un bâtonnet auquel ils ont recours dans les cas douteux. Si la piste conduit à un autre village, le traqueur avise le collègue et lui remet le bambou marqué, qui souvent passe en plusieurs mains avant que le coupable soit découvert. Les services du traqueur sont particulièrement requis quand il s’agit de retrouver des animaux que les voleurs ont détournés et emmenés. En rase campagne, et sur une bonne route, la passée ne serait pas difficile à suivre ; mais quelle perplexité aux portes des bourgs, aux passages par lesquels ont piétiné des troupeaux ! La dernière empreinte est recouverte d’un caillou, montrée aux notables de l’endroit. Ceux-ci ont intérêt à prouver que la piste ne s’est pas arrêtée chez eux ; ils aident à reprendre la recherche à l’autre bout du village. Des limiers sagaces ont fini par retrouver l’objet après avoir parcouru 3 à 400 kilomètres[26]. Mais si les traces viennent à se perdre dans la forêt ou la jungle, si elles s’effacent dans son village, le manker est tenu pour responsable et rembourse le dégât sur ses honoraires. Il a le droit en tout temps de résigner ses fonctions, même de s’établir voleur et de spolier les propriétés qu’il protégeait la veille. Certains subviennent à l’insuffisance de leur traitement en cumulant les professions de gendarme et de maraudeur ; pendant douze heures, ils sauvegardent les propriétés ; pendant douze autres, ils vont fourrager aux entours.

N’est-ce la qu’une particularité locale, qu’une singularité ethnique ? Ces Bhils si corrects, ces Maravers en partie double, nous montrent, pris sur le fait, le principe de l’autorité et le mécanisme de l’institution judiciaire, fondés, non pas sur un sentiment de moralité abstraite, comme enseignent les professeurs, mais sur l’intérêt. À un moment donné, le grand nombre trouve avantage à se garantir contre le vol et le meurtre en payant une prime d’assurance aux individus qui font profession de brigandage : honnêtes gens désireux de s’entendre avec le bon public. Esquissons à grands traits une histoire du Contrat social plus vraie que celle de Rousseau ; reproduisons en ses grandes lignes l’établissement de l’administration politique et civile :

Un gaillard, homme de tête et de poigne, avise un rocher qui commande un défilé entre deux fertiles vallées ; il s’y installe et se fortifie. L’occupant fond sur les passants, en assassine quelques-uns, pille et dépouille le plus grand nombre. Il a le pouvoir, donc il a le droit. Les voyageurs auxquels il déplaît d’être mis à mal restent chez eux, ou font un détour. Resté seul, le brigand réfléchit qu’il mourra de faim, s’il n’entre en arrangement. Que les piétons reconnaissent son droit sur le chemin public, et ils franchiront le mauvais pas en payant péage. Le pacte est conclu, et le seigneur s’enrichit.

Voilà qu’un second héros, trouvant le métier bon, s’incruste sur le roc en face. Lui aussi tue et rapine, établit ses droits. Il rogne ainsi le revenant-bon du collègue, lequel fronce le sourcil et grommelle dans son donjon, mais réfléchit que le nouveau venu a forte poigne. Corsaire contre corsaire ne font pas leurs affaires. Il se résigne à ce qu’il ne saurait empêcher, entre en pourparlers ; on payait au premier, on paiera quelque chose au second : il faut que tout le monde vive !

Survient un troisième larron qui s’installe à un autre tournant de route ; du haut de son échauguette, lui aussi annonce qu’il prélèvera sa part. Cette prétention offusque les aînés, qui comprennent fort bien qu’ils seront frustrés de leur revenu, si on demande trois sous au voyageur qui, n’en ayant que deux à donner, restera chez lui plutôt que de risquer sa personne et ses bagages. Nos économistes, façon Cartouche et Mandrin, se jettent sur l’intrus, le houspillent et le malmènent, le forcent à déloger. Puis, ils réclament deux liards, en surplus, juste rémunération de la peine qu’ils ont prise à chasser le spoliateur, légitime récompense du mal qu’ils se donnent à empêcher son retour. Les deux sires, devenus plus riches et puissants que jamais, s’intituleront désormais « Maîtres des Défilés, Surveillants des Routes Nationales, Défenseurs de l’Industrie, Parrains de l’Agriculture », toutes appellations que le peuple naïf répète avec délices, car il lui plaît d’être rançonné sous couvert de protection, de payer large tribut aux détrousseurs qui ont du savoir-vivre.

C’est ainsi, — admirez l’ingéniosité humaine ! — c’est ainsi que le brigandage se régularise, s’étend, se développe, se transforme en mécanisme d’ordre public. L’institution du vol, qui n’est point ce qu’un vain peuple pense, fit naître la propriété et la police. L’autorité politique, qu’on nous donnait, hier encore, comme émanation du droit divin et bienfait de la Providence, se constitua petit à petit par les soins des routiers patentés, par les efforts systématiques de malandrins, hommes d’expérience. Les gendarmes ont été formés et éduqués par les braves qui, munis d’un bâton noueux, rôdaient à la lisière de la forêt, et criaient au marchand : « La bourse ou la vie ! » L’impôt fut l’abonnement, la prime que servirent les volés aux voleurs. Joyeux et reconnaissants, les rapinés se mirent derrière les chevaliers du grand chemin, les proclamérent soutiens de l’Ordre, de la Religion, de la Famille, de la Propriété et de la Morale ; les sacrèrent Gouvernement légitime. Ce fut un touchant accord.

Les populations khondes sont exogames, c’est-à-dire ne permettent le mariage qu’entre individus de clans différents. Elles prohibent, comme entachée d’inceste, toute union entre « co-gentiles », la punissent de mort, quelque éloignée que soit la ramification, et quand même un des conjoints ne serait entré dans la famille que par adoption. Le mariage khonde, fort étudié par Mac Lennan, nous présente un échantillon bien conservé du rapt officiel, que Manou appelle « coutume des Rakchasas » et définit : « la capture violente d’une fille qui pleure et crie au secours. » Mais ces cris et pleurs ne sont plus que comédie ; après négociations et longs marchandages, la fille est remise contre lourde somme qu’il faut avoir comptée avant l’enlèvement, qui a toujours lieu après un banquet et au milieu des danses. Au plus gai de la fête, les oncles maternels des futurs conjoints, — rappelons que dans le droit primitif ils ont la tutelle des enfants à l’exclusion du père, — les oncles imaginent de charger sur leurs épaules, jambe de-ci, jambe de-là, qui son neveu, qui sa nièce ; ils piaffent et caracolent : — « Messieurs, n’oubliez pas que je sons à cheval ! » comme disait le capitaine dans le Petit Faust.

La fille emportée à califourchon sur les épaules, cette gesticulation éminemment symbolique du rapt, n’est point d’occurrence accidentelle ou isolée. Nous la constatons en divers pays éloignés les uns des autres, et en particulier chez de nombreuses tribus africaines. Comme par une fantaisie subite, les danseurs échangent leur charge, et celui qui a pris la fillette décampe brusquement. Une rumeur s’élève ; l’assistance se partage en deux camps ; il pleut des horions, mais le parti brigand donnera les derniers coups. Un prêtre, loué pour la circonstance, accompagne les ravisseurs, pour écarter de la route les mauvais sorts. Sur les ruisseaux traversés il tend un fil, pont magique à l’intention des esprits protecteurs, qui font conduite à la jouvencelle jusqu’en sa nouvelle demeure ; sans cette précaution, ils ne sauraient traverser les eaux courantes[27]. Ils ne lui diront pas adieu pour toujours ; de temps à autre, ils retraverseront les passerelles, regarderont la femme allaiter son nouveau-né sur le seuil, lui donneront une bénédiction qu’elle reconnaîtra par quelques poignées de riz ; elle ne peut davantage, parce que son culte appartient aux pénates de l’homme qui s’est emparé de sa personne ; son adoration s’adressera aux lares du clan qui l’a ravie.

L’enlèvement simulé, modeste affaire chez les Kolhs du Tchota Nagpour. Les amies de la bru jettent des mottes à la tête des assaillants qui répondent par des quolibets, des agaceries et propos ironiques ; la dispute finit en éclats de rire. Se voyant si mal défendue, la fille ne résiste pas longtemps, s’abandonne après quelques démonstrations de violence, finit par sourire aux vainqueurs, et tout le monde va prendre un bain fraternel dans la rivière voisine. Le jeune homme prend une cruche déposée là tout exprès, et la cache dans les roseaux : — « Cherchez la belle, cherchez ! » L’autre ne manque pas à la découvrir, puis la musse à son tour « — « Trouvez, beau jouvencel, trouvez ! » Il n’a garde de se montrer plus maladroit qu’il ne faut, et cette cruche pleine, il la met sur les épaules de la jeune personne, qu’il fait mine de pousser quelque peu rudement hors du ruisseau, puis, de propos délibéré, il lui marche sur les talons, la saisit par le bras ; mais sa main se fait bientôt caressante, et il ralentit son allure. Tandis qu’elle trottine, il décoche une flèche entre la cruche et le bras qui la soutient : « Avance sans crainte, mon arc te fait chemin libre ! » Quand elle arrive à la flèche, de l’orteil et du premier doigt elle la ramasse délicatement, l’offre avec une révérence au maître et protecteur qui remercie par un signe de tête[28]. Rapt tourné en idylle.

Les Gonds non plus ne veulent pas s’échauffer. Quand la fille est enlevée, ses frères et cousins font semblant de ne pas y prendre garde, mais les sœurs et camarades attaquent bravement, crient qu’elles feront lâcher prise aux insolents :

Nous étions trois filles,
Filles à marier :
Nous nous en allâmes
Dans un pré danser.
Dans le pré, mes compagnes,
Qu’il fait bon danser !

Nous nous en allâmes
Dans un pré danser ;
Nous fîmes rencontre
D’un joli berger.

Il prit la plus jeune,
Voulut l’embrasser ;
Nous nous mîmes toutes
À l’en empêcher…

Mais voilà, ces malandrins, moins timides que le petit berger de la chanson, font mine de sauter sur les bonnes amies ; celles-ci, pour ne pas être elles-mêmes faites prisonnières, battent en retraite.

Chez les Ouraons, le combat finit en danse, comme il avait commencé. Après avoir échangé leurs pupilles califourchu-califourchant, les oncles se prennent d’une querelle qui se passe en entrechats et finit par des gigotements de réconciliation. Aux jeunes gens qu’on a bien frottés d’huile, on présente une lampe allumée, symbole de l’amour conjugal dont l’époux entretiendra la flamme. Le jeune homme appuie, lui aussi, son orteil sur le talon de l’accordée, laquelle se renverse en arrière, la tête sur l’épaule de son amant, qui, avec une goutte de son sang, la marque au front d’une tache rouge : acte solennel, annoncé par la décharge d’une arme à feu. Des draps tendus cachent le groupe, autour duquel les guerriers choquent leurs lances, histoire de mettre en fuite les démons qui rôdent, cherchant qui dévorer. Les beaux-parents présentent la « coupe d’amour », emplie d’une liqueur fermentée ; les conjoints y font tournoyer le doigt, boivent chacun la moitié. Ces trois symboles : la coupe de communion, la marque cramoisie, l’orteil vainqueur, on les retrouve dans toute cette région de l’Inde, et, s’il ne fallait se restreindre, nous indiquerions plus d’un trait similaire dans les rits matrimoniaux de nos pays. Quand les idées se confondent, nous étonnerions-nous que les signes se répètent ?

Les enlèvements peuvent être autres que fictifs quand des parents « trop chérant » s’obstinent à demander de leur article un prix que les amateurs déclarent exagéré. Au marché de Singbhoum, des jeunes gens bien armés se précipitent sur une fille : « La belle, il faut nous suivre ! » Bon gré, mal gré, ils l’entraînent au pas de course et gagnent le large. Le public s’abstient de toute intervention matérielle, mais il applaudit si le gars et la garse sont bien découplés et de belle tournure. Nantis de l’objet convoité, — beati possidentes, — les ravisseurs rouvrent les négociations sur de nouvelles bases, et force est aux parents d’en rabattre.

Trois jours après son enlèvement, la Sabine fuit le toit conjugal et se réfugie chez les parents qui l’ont vendue. L’époux arrive et redemande son bien, l’épouse pleure et crie, tape, mord, égratigne et finit par suivre ce brigand d’homme — à son corps défendant, bien entendu, car le monstre s’est fait accompagner d’une bande tapageuse, qui se donne de grands airs menaçants ; — il faut céder, car, si on les poussait à bout, qui sait les extrémités auxquelles ces chenapans pourraient se livrer ? En définitive, toutes les convenances ont été observées, la jeune femme a fait étalage de sentiments filiaux, et le jeune mari s’est montré épris de sa conquête, tout farouche et mal subjuguée qu’elle paraisse.

Une loi salique, aussi juste et intelligente que celle qui régissait naguère le beau royaume de France, interdisait à la Khonde de détenir aucun avoir, par la raison : « Inapte à défendre, inapte à posséder. » Forclose de la propriété, par suite déchue de tout droit, la femme ne disposait pas même de sa personne, puisqu’elle avait été capturée et emmenée de force. Mais il importe peu que la propriété soit déniée à qui peut s’emparer du propriétaire. La fille d’Ève n’y a point manqué, et, malgré l’orteil brutal qui lui a raclé le talon, elle n’est rien moins qu’une esclave, et nous la voyons arbitre des disputes, juge de paix, conseillère toujours écoutée en affaires privées et publiques, admise même aux conseils de la tribu avec voix consultative[29]. On la voit en communications incessantes avec les femmes des rajahs, traitant ensemble des intérêts publics. À leur tour les rajahs, quand ils voulaient gagner des alliances, enrôler des auxiliaires, dépêchaient des chargées d’affaires, prises dans leurs sérails, belles ambassadrices que les patriarches et les guerriers écoutaient avec complaisance. L’ennemi les eût trouvés intraitables, mais devant la beauté ils rendaient les armes.

C’est l’exogamie bien comprise qui donne à la Khonde sa haute position de conciliatrice. Son père et son beau-père se rencontreront sur un champ de bataille ; ses frères et ses beaux-frères échangeront peut-être des coups de hache ; mais elle sera toujours admise à panser les blessures de celui qui est frappé, à baiser les lèvres pâlissantes. Elle sera la première à suggérer la paix, la plus ardente à la recommander, la plus habile à la faire conclure.

Achetée à deniers comptants, troquée contre des objets mobiliers, cette femme devait être une esclave : c’est une maîtresse. On l’a vendue cher et bien cher, on prendra garde de ne pas la détériorer. À mesure que le rapt se transforma en achat, la question d’argent prédomina ; par suite, les convenances particulières du jeune homme furent subordonnées à celles des parents qui soldaient. Consultant leurs préférences, ils se donnaient une bru à leur dévotion, se procuraient ménagère entendue et forte au travail. Afin de se prémunir contre les déceptions, ils la prenaient de quatorze à seize ans, âge auquel la fille de ces cantons est déjà formée de corps et de caractère. Et, pour que le fils n’eût pas la prétention d’en faire à sa tête, on le mariait quand il n’avait que dix à douze ans ; Tonton le chargeait à cambelarge sur la nuque : « Et hop dada ! et hop dada ! nous allons enlever une demoiselle, hop dada ! Et nous la donnerons à Toto, hop dada, hop dada ! » La comédie de l’enlèvement ayant été menée à bonne fin, le petit homme attendait la consommation du mariage, que papa retardait toujours, pour des raisons à lui connues. Cependant on ne nous dit pas que le père khonde fasse exactement comme les Reddies de Tinevally, les Vellalah de Coimbatore et comme tant de moujiks russes, lesquels prennent la peine de dresser au joug et d’instruire dans la physiologie conjugale la grande fille qu’ils ont mariée au « gosse » et laquelle, en attendant épousailles officielles, mène le petit mari tambour battant. Au jour des noces, on fera remise à l’époux de sa femme et de plusieurs enfants grandelets[30]. Pendant les années d’apprentissage, Khondet s’habitue à marcher sous la direction de Khondette, sa légitime et sa prétendue tout à la fois ; et, quand il aura enfin le droit de parler en maître, pourra-t-il rattraper l’avance qu’elle a sur lui de quelques années ?

L’épouse est si peu traitée en esclave que, après six mois de cohabitation, le droit lui est reconnu de planter là le mari qui n’a pas su plaire. S’il lui prend fantaisie, elle s’en va pour ne plus revenir. En certains endroits, on lui permet de partir, qu’elle soit grosse ou non des œuvres de son mari ; elle emmène ses enfants en bas âge, sauf au père de les réclamer quand ils auront grandi. Ailleurs, on y met moins de complaisance ; elle ne peut quitter étant enceinte, ou avant d’avoir sevré le nourrisson ; mais on ne lui fait aucune difficulté si elle est restée sans enfants. En tout état de cause, le père de la malcontente est tenu de rembourser jusqu’au dernier sou qu’a payé le mari divorcé. En réintégrant la maison paternelle, la jeune personne déclare par le fait reprendre son ancienne condition de fille. Mais si elle entend convoler en secondes noces, elle n’aura plus besoin de se faire enlever. Cent individus adultes fournissent une moyenne de soixante-quinze célibataires, tous tenus de la recevoir à bras ouverts si elle demande hospitalité. Si l’homme qu’elle distingue se dérobe aux avances, le clan tout entier répond pour lui, se déclare l’hôte de la belle, lui donne bon gîte et le reste, jusqu’à ce qu’elle se déclare satisfaite. Souvenir de polyandrie.

Dans le cours de sa carrière conjugale, la Khonde qui se respecte a exercé son droit de mutation trois, quatre ou cinq fois. Rare anomalie, — la réciproque n’est point admise pour le mari. S’il veut s’adjoindre une concubine, qu’il obtienne le consentement de sa légitime. Ne pouvant, comme sa compagne, arguer de l’incompatibilité d’humeur, il ne saurait divorcer qu’en cas d’adultère notoire, d’inconduite flagrante ou prolongée de la part de madame, à laquelle l’opinion est loin de tenir rigueur pour quelques coups de canif dans le contrat. S’il la surprend en conversation criminelle, toute voie de fait lui est interdite. Ce serait une honte, s’il frappait la femme, lui manquait d’égards ou seulement insultait l’amant. S’il use de rigueur, il exclura l’infidèle de son foyer pendant un jour ou deux, jusqu’à ce que l’autre ait soldé l’amende : un cochon, douze têtes de bétail, prix fixe et connu d’avance. Après encaissement, l’époux qui ne se tiendrait pas pour indemne, passerait pour ombrageux et difficile à vivre. En quelques endroits, cependant, le point d’honneur exige que, sans attendre la remise des dommages-intéréts, l’amant et le mari se prennent aux cheveux, se secouent gaillardement devant une impartiale assemblée qui applaudit aux bons coups. Toutes armes autres que les naturelles sont alors interdites ; entre frères, concitoyens et cogentiles, coups de poing et coups de pied doivent suffire. D’ailleurs il n’y a pas eu adultère à proprement parler : un cousin a pris la place qui appartenait à un autre cousin, mais tout s’est passé en famille. Après le duel, Paris et Ménélas se complimentent réciproquement, s’asseyent à un banquet auquel Belle Hélène a donné ses soins. Même coutume existait naguère en Mingrélie[31], où un cochon d’amende faisait aussi les frais de la réconciliation. L’épouse khonde gagne en considération si l’accident se renouvelle de temps à autre : autant de galants prouvés en justice, autant de titres d’honneur. Des matrones morigènent de jeunes femmes, disent en se rengorgeant : « Moi, ma petite Sophie, à ton âge, j’avais déjà fait payer l’amende à celui-ci et à celui-là… » Si décente de maintien, si réservée en ses propos qu’elle n’ose dire : « mon mari », mais emploie la circonlocution : « le père de mes enfants », elle ne craint pas d’en faire porter à ce père-là. Bagatelle en Khondie, où la doctrine de la filiation paternelle en est encore à se consolider. En pareille matière, deux ou trois siècles comptent pour peu de chose, et le temps coule avec une lenteur paresseuse. Ici, le ménage individuel ne s’est pas encore retranché derrière les murs de la vie privée ; la communauté mâle n’a point fait l’entier abandon de ses droits régaliens sur la personne de chaque femme et sur sa progéniture. Le fond de l’institution matrimoniale est encore polyandrique, résultat de la rareté des épouses, motivée elle-même par la rareté des subsistances.

Quand les liens du mariage individuel sont tellement relâchés, il ne faut pas demander compte sévère des pratiques imaginées par les bons paysans pour la prospérité des champs, l’heureux croît de la céréale et l’engrangement d’une moisson opulente. On nous vante Cérès la législatrice, Déméter qui a moralisé notre espèce ; nous le voulons bien, ce qui n’empêche que les « Mystères de la Bonne Déesse » ont partout, même dans le Nouveau Monde[32], commencé par être des orgies difficiles à décrire. Nos Khonds n’en font pas autant que les Thotigars de l’Inde méridionale, lesquels exigent que leurs femmes se donnent à tout venant, afin que la terre, prenant bon exemple, fasse germer les graines déposées dans son sein. À l’époque des semailles ont lieu des festivités qui rappellent celles de la Mylitta babylonienne, celles où les filles d’Israël honoraient Astarté en se prostituant sur les aires à dépiquer le froment[33]. Ces Thotigars élèvent aux bords des routes, ici une tente, là une paillote qu’ils jonchent de fougère, et qu’ils garnissent de rafraîchissements. Sous ces abris les époux installent leurs moitiés, vont eux-même racoler les passants, et, s’il le faut, les engagent avec instance : « Procurez le bien public, l’abondance du pain ! » En matière de foi, inutile de discuter.

Ajoutons que chez nos Khonds et divers Kolariens, l’adultère, — mais faut-il employer si gros mot pour si fragiles mariages ? — l’adultère est de droit, quand se présente un tueur de tigres, auquel des honneurs presque divins sont rendus. Au retour de son heureuse chasse, il est entouré par toutes les femmes du bourg et des alentours, dansant et chantant :

« Qui le tigre a tué aura la plus belle, la plus belle ! »

Combien alors qui se croient la plus belle ! Et quelle famille ne serait heureuse et fière d’avoir un rejeton issu du tueur de tigres !

Puisque nous vendons nos filles, vendons-les « cher », disent les producteurs. Prouvons la noblesse et la distinction de notre progéniture en la plaçant à haut prix. Singbhoum établit le cours moyen pour une demoiselle de bonne maison à quarante têtes de gros bétail, livrables sur l’heure. Donnant donnant, prenez ou laissez. Notre fille attendra ; elle est honnête, préfère le célibat au déshonneur de ne pas être vendue son prix. Tant pis pour les vierges montées en graine et laissées pour compte ; tant pis pour les jeunes gens timides et paresseux au rapt. Mais, quoi qu’ils disent, les parents sont peu flattés que leur fille ne trouve pas preneur ; ils s’indignent quand un voleur, s’adjugeant une « renchérie », fait mine de payer en coups de bâton. Comment remédier à cet inconvénient ?

Pour désencombrer le marché, tout en maintenant les prix, les pères de famille raréfient la marchandise ; pratiquant l’infanticide sur une large échelle, ils diminuent l’offre pour faire monter la demande. Ces sauvages possèdent leur cours d’économie politique, façon Mac Culloch et Ricardo. Que d’ennuis, cependant, dans cette industrie ! La chose achetée a des jambes, demande que l’acheteur lui agrée ; sans remords, la volage lâche un premier mari, court à un second. Le beau-père sera actionné en restitution. Mais il n’a plus la somme, l’a déjà fricotée en tout ou en partie. Sans doute, le vendeur est armé d’un droit de répétition contre son nouveau gendre ; mais celui-ci, tenant déjà le précieux objet, n’est aucunement pressé d’en donner l’argent. Pourtant, il promet de s’exécuter ; mais au moment où il va solder, voilà que la jeune femme — inconstante comme tant d’autres — s’acoquine à un troisième, et, qui sait ? à un quatrième… Pour surcroît de difficultés, les époux appartiennent à des tribus différentes, lesquelles, d’un moment à l’autre, peuvent entrer en collision. Un de ces maris à crédit est tué en guerre, — elles sont fréquentes et meurtrières, — adieu la créance ! Bien que les tribus répondent des dettes que contractent leurs membres, plus d’un a été ruiné par le fait d’une fille trop avantageusement vendue. Décidément, le commerce est trop aléatoire ; il vaut mieux y renoncer. Ces honnêtes éleveurs n’ignorent pas que les peuplades voisines, qui se défont de leurs sujets féminins à un prix purement nominal, sont à l’abri de ces inconvénients : bagatelle reçue, bagatelle rendue. Mais les patriarches de répondre : « Nous ne sommes pas gens à troquer nos filles contre un morceau de pain. »

En conséquence, certains clans aristocratiques ne produisent plus que des mâles et importent les femmes nécessaires ; tout au plus laissent-ils vivre l’aînée, s’il y a projet d’alliance avec une haute maison étrangère. Parcourant tels et tels villages, Macpherson voyait de nombreux garçons, et de fillettes peu ou point ; il estimait qu’en moyenne on supprimait les deux tiers ou les trois quarts des naissances féminines.

Cependant la « voix du sang » parfois se faisait entendre. Les petites malheureuses n’étaient pas toujours immolées de parti pris ; volontiers, on leur laissait quelques chances de salut, sauf à rejeter sur les dieux la responsabilité des morts. Les prêtres ou djannis, les astrologues ou désauris, tiraient l’horoscope au moyen d’un livre : ils jetaient le poinçon avec lequel, pour écrire, ils égratignent les feuilles de palmier ; le passage touché décidait de la vie ou de la mort. — La mort ?… Les parents prenaient l’innocente, la bariolaient de raies rouges et noires, l’introduisaient dans un grand pot neuf qu’ils bouchaient et couvraient de fleurs, — notre esthétique enjolive jusqu’à l’assassinat, — portaient le tout dans la direction du vent désigné comme menaçant ; ils enfouissaient la marmite, saignaient un poulet par dessus, puis il n’était question de rien.

On l’a déjà remarqué plusieurs fois : l’infanticide féminin est plus répandu chez les nobles races que chez les pauvres et les misérables. Les Radjpoutes aussi, peuple aristocratique et guerrier, qui a plusieurs traits communs avec les Khonds, fatigués de se ruiner en cadeaux de noces à leurs sœurs ou à leurs filles, auxquelles ils envoyaient une dot magnifique, même quand on les leur avait enlevées[34], avaient imaginé de noyer les pauvres créatures dans un bain de lait tiède. Elles demandaient du lait, eh bien ! on leur en donnait du lait. Du lait tiède, remarquez-le ; car on eût manqué de cœur à les asphyxier dans un liquide froid au toucher. Où la sensibilité va-t-elle se nicher ?

Faisons taire l’indignation qu’excitent ces actes dénaturés. Les primitifs, ne disposant que d’insuffisantes ressources alimentaires, ne croyant pas que les nouveau-nés aient une âme dont il vaille la peine de parler, font peu de cas des avortements et des infanticides. Et combien de civilisés, dans l’Inde, en Chine et même ailleurs, qui regardent comme un malheur la naissance d’une fille ! Combien l’exposent ou la font mourir de faim lente ! Une secte doctrinaire a préconisé la pratique malthusienne, la disant un acte de haute prévoyance domestique. Que de réponses absurdes et cruelles a provoquées le problème Social ! Les filles qu’on marierait difficilement dans leur rang, leur caste ou leur fortune, les peuples chrétiens et les nations bouddhistes les « mettent en religion », s’en débarrassent en les cloîtrant dans des couvents. Mais les non-civilisés préfèrent les tuer d’emblée : c’est moins hypocrite. Et les Khonds d’ajouter qu’ils ont à contre-balancer la consommation d’hommes qu’emportent les incessantes guerres et les combats renouvelés.

Infanticide à part, les parents montrent affection et tendresse pour leur progéniture. Soucieuse d’être mère, d’un garçon s’entend, — la jeune femme importune les divinités pour qu’elles bénissent son ventre. Si la grossesse se fait attendre, elle va pèleriner au confluent de deux ruisseaux ou rivières, où un prêtre l’asperge en prononçant des paroles sacramentelles. Longtemps à l’avance, elle s’inquiète du nom que le sort réserve à l’enfant, nom qui sera celui d’un des grands-parents, car les aïeux s’arrangent à renaltre dans la famille. À la moisson ou autres travaux urgents, la mère s’attache le nourrisson au dos et le trimballe, ajoutant cette fatigue à celle de la faucille. Mais a-t-elle vraiment la simplicité de croire ce qu’enseignent les théologiens et astrologues de l’endroit ? Que le Dieu Soleil, ayant constaté les funestes effets produits par la passion sexuelle, ordonna de limiter le nombre des femmes ? Que les laisser vivre toutes, rendrait impossibles la paix et l’ordre social ? Que moralement et intellectuellement, elles sont inférieures aux seigneurs et maîtres, qu’elles savent pourtant si bien manier ? Que par la femme, plus sujette au mal, le péché entra dans le monde ?

Les âmes des morts reviennent, dit-on, dans leurs familles, où elles renaissent de génération en génération. Mais la réception d’une âme n’est pas définitive avant la « nomination » qui a lieu sept jours après la naissance. Si l’enfant reçoit le nom de Paul plutôt que celui de Pierre, l’ancêtre Paul renouvellera son bail à l’existence, et Pierre patientera encore. S’il s’agit d’une fillette et qu’elle soit mise à mort dans la première semaine, l’âme comprendra, sans qu’il soit besoin d’insister davantage, que la famille ne veut plus de sa personne ; Elle ira se caser ailleurs, se faire adopter par une autre peuplade. Ainsi diminuera le stock d’âmes féminines au profit de l’élément masculin. En vertu de ce raisonnement, quelques Chinois de Hekka et de Canton tuaient les filles sitôt nées, ou même leur coupaient nez et oreilles, les écorchaient, dit-on, pour les dissuader de renaître dans le sexe inférieur. Des enragés s’en prenaient encore aux mères qu’ils accusaient de complicité avec la misérable créature[35].

Par suite des suppressions opérées, les survivantes faisaient prime sur le marché matrimonial de Khondie, jouissaient d’une haute considération dans les relations publiques et privées. On affirme — est-ce vrai ? — qu’elles s’entétèrent plus que leurs maris à garder la coutume cruelle.

Pour se délasser des travaux agricoles, nos indigènes s’adonnent aux plaisirs de la chasse ; après avoir manié la pioche et la charrue, ils soupirent après les terribles excitations de la guerre, qui sort de l’habitude quotidienne et secoue violemment. Ce besoin d’émotion, ils le passent d’abord en ivresse, en danses échevelées, mais, par intervalles, le tempérament exige davantage. Alors ils croient indispensable de se mesurer avec des rivaux de leur taille : histoire de montrer force et vaillance, de raviver l’orgueil, et de rafraîchir l’éclat de l’antique gloire. Se tuer entre frères, instinct de haute animalité. Bien que les races inférieures soient douées pour la plupart d’énormes pouvoirs de prolification, elles ne multiplient pas outre mesure, étant la proie les unes des autres et des espèces supérieures. Celles-ci déborderaient si elles ne se faisaient concurrence à elles-mêmes, si elles ne veillaient avec une rigueur inflexible et une sévérité cruelle à ne pas dépasser un certain niveau. Au début de son existence, l’animal de haute lignée, faible encore et exposé à mille périls, paye à la mortalité le tribut qu’exigent la croissance, l’acclimatation, les divers apprentissages. Belle victoire déjà que d’arriver sain et sauf à l’âge adulte. Immense succès que d’avoir surmonté mille et mille attaques dont chacune pouvait être fatale : patentes et latentes, directes et indirectes, visibles et invisibles. Après avoir triomphé du monde entier pour ainsi dire, surgit le plus grand des périls : la lutte contre égaux, les combats contre les camarades, contre le frère, autre moi-même. Ces petits d’une même portée ont prospéré. En d’excellentes conditions ils vont mesurer leurs forces ; le plus robuste accomplira le grand acte physiologique, et perpétuera l’espèce. « Au plus fort la plus belle ! » La guerre est un fait primordial, un article organique de la charte octroyée par la nature aux populations primitives. La lutte fouette le sang, réveille les énergies endormies, supprime les faibles par la mort immédiate ou par la mort indirecte, en ce sens qu’ils ne se reproduiront pas. Fêtes et banquets, autant de prétextes à rixes et batteries ; les mâles, façonnés d’un plus grossier limon que les femelles, semblent ne pouvoir mieux s’amuser qu’à coups de poing, de pied, de pierres, de bâton. Encore au commencement de ce siècle, en plusieurs cantons de l’Irlande, des Galles anglaises et de la Bretagne française, les adultes se donnaient, les dimanches après midi, la satisfaction de s’enivrer, puis de s’entre-cogner. Au Velay, dans l’Aragon aussi, en mainte autre province, il était beau de dégainer le couteau, de le brandir, puis d’envelopper une partie de la lame avec le mouchoir : « Ohé ! ohé ! Qui des gars veut goûter de ma pointe ? À deux pouces de fer ? À trois pouces, à quatre pouces ? Qui en veut du joujou ? Qui en veut ? En avant les amateurs ! »

Les populations sauvages de l’Inde et de l’Indo-Chine ont aussi leurs luttes héroïques. Une ou deux fois par an, les mâles se rassemblent ; pour se dégourdir, ils se prennent aux cheveux, se houspillent, se bousculent de la belle façon, n’employant à ce jeu que les armes données par mère Nature, armes mortelles parfois. Mais nos Khonds, passionnément adonnés au métier des armes, tiennent cet amusement pour grossier, dépourvu de dignité : « Jeux de mains, jeux de vilains. » Écoutons leur légende :

« Jadis nous ne faisions pas mieux. Comme aux singes, comme aux tigres et aux ours, ongles et dents nous suffisaient ; on jouait aussi des cailloux et du gourdin.

« Mais les Dieux, dans leur bonté, nous firent présent du fer. Un des leurs se donna à nous, le dieu Tigre, Loha Pennou, Maître de la Guerre, Génie de la Destruction, qui un jour sortit de terre, sous forme d’une tige d’acier.

« En premier, le fer ne touchait créature vivante sans la tuer soudain ; mais les Dieux, toujours complaisants, enlevèrent quelque chose de son poison, disant : Fer, tu tueras mais pas toujours ! De ceux que tu auras mordus, tous ne mourront pas, quelques-uns languiront, quelques autres guériront.

« Redoutable est toujours la vertu du fer. Qu’un prêtre enterre sous un arbre le couteau du Grand Tigre, l’arbre dépérira, l’arbre mourra. Qu’il jette son couteau dans une rivière, et la rivière tarira.

« Au dieu altéré il faut du sang. Son propre prêtre lui est immolé après quatre ans de loyaux services. Il faut à Loha beaucoup de sang ; aussi a-t-il institué la guerre, ordonnant qu’elle fût notre plus noble occupation.

« La guerre, l’éternelle guerre, est la santé du peuple. Pour alimenter la guerre, Dieu permit, Dieu ordonna de la couper de trêves, de l’entremêler d’armistices, pendant lesquels on cultive le sol et l’on procrée des enfants qui à leur tour se battront et s’entre-tueront. »

Tout village, tout groupe de hameaux possède un bosquet où ni femme ni enfant n’ont droit d’entrer : il est sacré au dieu de la guerre, qui préside aux batailles entre Khonds et étrangers, mais non pas aux rixes qui peuvent éclater entre clans de même tribu. Loha, dieu du fer, s’est mué en un vieux couteau. Aux trois quarts enfoncé dans le sol, il émerge lentement quand une bataille se prépare, et rentre dans la lame quand assez de sang a été versé. Le prêtre surveille d’un œil attentif la hauteur du couteau, les mouvements de ce baromère délicat ; car la divinité, si on tardait à la satisfaire, se vengerait en se faisant tigre dévorant, ou épidémie dévastatrice. Sur l’avis qu’en donne l’homme des autels, les anciens se rassemblent et délibèrent suivant les règles : « Loha s’est-il vraiment réveillé ? Est-il inquiet, pour sûr ? Est-il en colère ? Et contre qui se battre ? »

Les guerriers apportent les armes et l’attirail militaire devant leur Mars-Apollon, auquel ils offrent un poulet au riz arrosé d’arrak, joli petit ordinaire que le dieu consomme ; après quoi le djanni l’apostrophe :

« Ô dieu ! nous avons tardé à nous mettre sur le pied de guerre. Avons-nous oublié quelqu’une de tes prescriptions ? Avons-nous attendu trop longtemps, pensant qu’il fallait laisser grandir nos jeunes gens, qu’il fallait nourrir notre monde ?

« Quoi qu’il en soit, ton auguste volonté se manifeste par les déprédations du tigre, par les fièvres et les ophtalmies, les ulcères qui rongent et les rhumatismes qui affligent.

« Nous obéissons, Seigneur !

« Voici nos armes. Solides, elles le sont déjà ; fais-les aiguës et tranchantes. Dirige nos flèches, dirige les pierres de nos frondes.

« Élargis les blessures qu’elles feront aux ennemis : et si leurs blessures se ferment, que restent la faiblesse et l’impotence ! Mais que nos blessures à nous guérissent aussi promptement que sèche le sang tombant à terre !

« Que les armes hostiles soient fragiles comme les siliques de l’arbre karta, mais que nos haches, puissantes autant que les mâchoires de l’hyène, écrasent les os et broient les chairs !

« Que nos hommes de petite taille abattent des géants !

« Fais, ô dieu ! que dans la bataille nos épouses soient fières de porter le manger aux braves comme nous ! Que les tribus étrangères, admiratrices de nos exploits, nous offrent leurs filles !

« Aide-nous à piller les villages, à razzier les bœufs, à piller du tabac ! Que nos femmes aient pour leur part des vases de cuivre ! Joyeuses, elles les porteront à leurs parents.

« Assiste-nous, ô Dieu ! assiste aussi nos alliés, en retour des nombreux poulets, porcs, brebis et bœufs que nous t’avons offerts.

« Quelle est notre requête ? Que tu tiennes la main à l’exécution des ordres par toi donnés. Que tu nous protèges comme tu as protégé les héros nos ancêtres.

« Exauce, ô dieu, exauce ! Loha, divinité guerrière, que le fer reprenne en nos mains sa vertu primordiale ! Que nous devenions riches, grâce à son tranchant ! Devenus riches, nous t’enrichirons, ô notre protecteur et ami ! »

Sur ce, les guerriers reprennent leurs armes fadées par le contact avec l’autel, et les brandissent au-dessus de leurs têtes. De nouveau le prêtre impose silence, récite la liturgie du Fer :

« Au commencement, le Dieu de Lumière créa les montagnes, créa les fleuves, créa les ruisseaux, créa les plaines, créa les forêts et les rochers, créa le gibier, créa les animaux domestiques. Après quoi il créa l’homme, et après l’homme le Fer.

« Mais l’homme ignorait encore les usages du Fer.

« Une femme, Ambali Baylie était son nom, vivait avec ses fils, deux guerriers… Un jour, ils parurent blessés et la poitrine ensanglantée. Elle demanda : — Qu’avez-vous, les enfants ?

« Et les garçons de répondre : — Avec les gens de là-bas on s’est amusé avec des feuilles de glaïeul, on s’est chatouillé les côtes.

« La mère pansa les plaies et dit : — Fi du glaïeul ! laissez là le glaïeul, mes enfants !

« Quelques jours après, les fils revinrent, tout hérissés de pointes épineuses ; ils en étaient couverts, comme un mouton de sa laine. Derechef Ambali guérit les égratignures.

« Et dit : « Il est peu séant de se battre de la sorte. Au pays des Indous, allez chercher du fer, forgez-le en haches et pointes de flèche, courbez en arc le bambou, ornez vos têtes de plumes, cuirassez-vous de peaux, et toiles, allez à la bataille.

« La bataille aiguise les esprits, affermit les cœurs. Par suite, vous aurez des tissus, du sel et du sucre, et vous apprendrez à connaître d’autres hommes, d’autres manières. »

« Les fils et les petits fils d’Ambali allèrent donc à la bataille, mais presque tous y restèrent. Les survivants revinrent et dirent : « Mère, nous t’avons obéi ; mais que de morts ! Devant le terrible tranchant du fer, il est impossible de subsister. »

« Et Ambali Baylie de répondre : « Il est vrai, dans le fer n’entra aucune goutte de pitié. Mais, vous autres, chauffez-le au feu de forge, battez-le avec un marteau et modifiez la barbelure de vos flèches ! »

« Ce qu’ils firent, et, depuis, le fer ne fait plus périr tous ceux qu’il frappe. Nonobstant, il défend les limites sacrées, protège notre avoir et nos droits. »

Après une pause, le prêtre crie à l’un des groupes : « Aux armes ! aux armes ! Je vais de l’avant ; marchez ! »

Guidée par l’homme du Dieu, une bande pousse jusqu’à la frontière de la tribu qu’on a résolu d’attaquer. Une flèche est lancée par delà les limites ; les hommes bondissent après. D’un arbre qui croît sur le sol ennemi, les messagers coupent un rameau, l’emportent. Symboles parlants, et qu’on peut dire universels, puisqu’on les trouve chez des populations aussi dissemblables que les Nagas, les Romains et les Moundroucous de l’Amérique Méridionale[36]. De retour au sanctuaire, le djanni entoure cette branche de peaux et de chiffons ; à deux branchilles simulant les bras il attache des armes ; puis il abat, devant l’autel, le mannequin représentant l’ennemi et accoutré en guerrier.

« Ô Dieu de Lumière, et toutes autres divinités, témoignez que nous avons exécuté toutes les prescriptions ordonnées.

« Donc, Dieu de la Guerre, abstiens-toi de nous visiter sous forme de tigres, de fièvres et autres fléaux !

« En toute justice, la victoire nous est due.

« Écoutez, ô dieux ! nous demandons, non point d’être garantis de la mort, mais de n’être point estropiés.

Couvrez-nous de gloire, ô dieux ! et n’oubliez point que nous sommes les neveux des héros, vos illustres amis ! »

Ces préparatifs terminés, il reste à notifier la déclaration de guerre, car la loyauté exige que l’ennemi ait le temps de s’armer, de prendre toutes mesures défensives ; d’accomplir les cérémonies qui captent la faveur des Immortels, et par suite le succès. Chaque côté promet à Déméter une victime humaine, et à Mars-Apollon larges lampées du sang des boucs et des poulets.

Le chef du village dépêche de jeunes messagers qui courent aux endroits désignés. Brandissant un arc et des flèches, ils font savoir aux hommes de l’autre tribu qu’on les attend en tel endroit, au soleil levé. Les interpellés répondent par des remerciements et des félicitations, récompensent les hérauts comme s’ils eussent été porteurs d’une heureuse nouvelle.

Au jour indiqué, les guerriers se présentent au rendez-vous dans leur plus bel accoutrement, lavés et parfumés comme pour la noce ; ils ont tressé leur chevelure, piqué dans leur chignon des plumes qui se balançent au vent, hautes et fières autant que fut jamais panache sur chevalier casqué. Les femmes arrivent avec des cruches d’eau et des corbeilles d’aliments, car la mêlée sera rude et pourra durer plusieurs jours. Prennent place comme spectateurs les vieillards, auxquels l’âge ne permet plus d’entrer dans la lice ; ayant participé à maintes de ces fêtes, ils conseilleront et encourageront fils et neveux. Le signal de la mêlée est donné par le parti agresseur, qui au milieu du champ jette un drap rouge, — on fera à la terre un manteau sanglant. — Les djannis frappent dans la main : Une, deux, trois… Allez-y gaiement !

La bataille est une succession de combats singuliers, coupés de repos et de repas, entremêlés de défis et dialogues, à la façon des héros d’Homère. Les spectateurs jouissent des passes d’armes ; on dirait une représentation de gladiateurs ; c’est un jeu, mais un terrible jeu. Les horions de tomber en grêle ; les guerriers, autant de bûcherons au travail dans un taillis d’hommes. Superbes coups de hache, charmantes feintes, élégants écarts, gracieuses passes et ripostes, beaux donnés et beaux rendus ! Les femmes d’applaudir, les femmes dont la présence est tenue pour indispensable. Épouses, sœurs et mères, essuient la sueur qui découle des fronts sanglants, rafraîchissent les levres altérées, massent les membres fatigués ; leurs mains caressantes apaisent les poitrines que l’effort fait palpiter.

Sur le premier qui tombe sans vie, prémices de la bataille, tous se précipitent pour tremper leur hache dans son sang ; en quelques instants, son corps est chapelé. Qui a la chance de tuer son opposant, sans avoir été blessé lui-même, tranche le bras droit du mort et le porte au prêtre, pour qu’il en gratifie Loha. À la vêprée, on voit souvent un petit tas de bras sur l’autel : une trentaine d’hommes ont péri d’un côté, une vingtaine de l’autre ; davantage ont été blessés. On ne s’en tient pas toujours là, et, quand les choses se font grandement, on recommence le lendemain et jours suivants, jusqu’à ce que tout un parti soit hors de combat.

C’est, en effet, moins une bataille qu’un tournoi, qu’une joute en champ clos. Chevaliers plutôt que soldats, les Khonds ignorent la tactique, négligent les marches, contremarches et mouvements tournants, mais ne se ménagent, ne s’épargnent point ; se tuent en famille, moins ennemis que rivaux.

Toutefois, les plus réjouissantes choses finissent par lasser, les plus jolies par durer trop longtemps. Les premières pour en avoir assez sont les femmes, exposées à perdre l’un par l’autre et leur propre père et le père de leurs enfants. Prises, comme le veut la loi, dans un clan autre que celui de leur nouvelle famille, plus d’une assiste au duel entre son frère et son mari, les admirant également, tremblant également pour leurs jours. Comme les Sabines d’autrefois, elles interviendront pour réconcilier. Elles communiquent librement avec les deux camps, comme font aussi, dans les montagnes d’Assam, les Katchou Nagasses, qui, quelque guerre que se livrent leurs maris, n’interrompent pas leurs petites visites et leurs affaires quotidiennes. La neutralité est reconnue de celles qui voient s’entre-tuer époux et pères, frères et amis d’enfance ; on ne trouve pas mal qu’au lendemain d’une bataille elles mélangent les regrets et les pleurs. À elles de s’entremettre et de se concerter pour la paix, et, au moment propice, de faire agir une tierce tribu qui s’interpose et envoie des hérauts pour crier : Assez ! c’est assez !

D’ordinaire, on répond : — Nous n’avons pas voulu la guerre ; c’est Loha qui l’a exigée ; s’il veut qu’elle continue, les flèches partiront malgré nous.

— Sans doute, répliquent les pacificateurs. Mais, si Loha est satisfait, tenez-vous pour contents. Nous allons le consulter. Que l’un et l’autre partis envoient chacun deux hommes, pour être témoins de sa réponse. »

Le djanni apporte du riz, y fiche une flèche prise au sanctuaire d’Apollon Loha. — La flèche reste droite ? Que la guerre suive son cours ! — La flèche s’incline et tombe ? Que la paix soit conclue !

Cependant les belligérants demandent un nouveau signe. Pourquoi pas ? Le prêtre convoque tout le monde devant l’autel, invoque le dieu :

— « Ô Loha ! tu avais décidé la guerre. Pourquoi ? Nous l’ignorons.

« Voulais-tu préserver entière notre vaillance, qui eût pu se détériorer dans l’inaction ? Voulais-tu empêcher nos ennemis de devenir trop forts ? Voulais-tu nous soustraire à la paresse et à l’indolence ? Voulais-tu honorer tes amis par une belle mort ?

« Peut-être les forgerons, les tisserands et les distillateurs t’avaient incité à nous jeter dans une guerre qui leur a valu gains et profits.

« Le gibier des jungles, les fauves se sont-ils plaints qu’une plus longue paix leur serait fatale ?

« Les abeilles, les oiseaux ont-ils craint d’être exterminés par nos chasseurs ? Les bœufs sont-ils fatigués de porter le joug, de traîner la charrue ?

« Avais-tu quelque autre raison à nous inconnue ? Quoi qu’il en soit, pour ce qui nous concerne, nous en avons assez, et nous aimerions que la paix nous fût rendue, si tel est ton bon plaisir.

« Qu’il te plaise nous faire connaître ta volonté ! »

Dans un plat, le djanni verse maintenant de la graisse fondue, allume une mèche. Si la flamme s’élève haute et droite, Loha veut continuer la guerre ; mais si la flamme s’incline, Loha accepte qu’on se réconcilie.

Contre-épreuve : un œuf est dressé sur un plat de riz. Comme pour la flèche, selon qu’il restera debout ou qu’il tombera, le dieu sera pour la guerre ou la paix :

« Loha, si tu veux que la guerre se poursuive, donne-nous une force qui dure jusqu’à ce que les armes échappent aux mains du dernier adversaire.

a Si tu veux la paix, ton service n’en souffrira pas. Mais, alors, agis sur les cœurs pour que la paix soit loyale et sincère. Sonde les âmes de nos ennemis, sonde les esprits de leurs dieux, découvre le fond de leurs pensées.

« S’ils désirent la tranquillité autant que nous-mêmes, nous danserons la danse de la paix, et nos pieds soulèveront une poussière qui de trois jours ne retombera sur le sol. »

Il suffit, et l’on entame les négociations. Elles aboutissent. Le prêtre convoque les deux tribus et entonne une de ses longues litanies :

« Que la multitude assemblée prête l’oreille !

« Voici comment les hostilités surgirent. Loha avait dit : Qu’il y ait guerre !

« Loha entra dans les outils, qui d’instruments de paix se changèrent en armes offensives. Il se f‍it tranchant de hache, se f‍it pointe de flèche.

« Il entra dans ce que nous mangions, dans ce que nous buvions, tous ceux qui burent ou mangèrent furent emplis de fureur, et les femmes, amies de la paix pourtant, attisèrent le feu au lieu de l’éteindre.

« L’amour, l’amitié f‍irent place à la haine et la discorde ; une grande guerre s’ensuivit.

« Maintenant Loha a eu ce qu’il voulait, la terre s’est engraissée de sang. Assez maintenant !

« Que s’émoussent les armes, et que s’éteigne la colère ! Que reviennent l’amour et l’amitié !

« Loha, veuille maintenant tourner tes pas ailleurs, et toi, Déesse du Croît, regarde-nous avec faveur et fais que notre peuple prospère et multiplie ! »

Le prêtre alors asperge l’assistance avec une boue bénite, mélange d’eau consacrée et d’une terre prise dans une fourmilière ou dans une termitière.

Sitôt le traité conclu, les combattants de la veille se précipitent à la danse de la Paix, gigotent, sautent et tressautent avec un entrain qui, s’exaltant jusqu’à la frénésie, emporte les dernières rancunes, les ressentiments mal ef‍facés. La réconciliation est réputée donner au cœur la joie la plus intense qui se puisse éprouver au monde. Cette extase, Loha l’a inspirée, il serait impie de la réprimer, irrespectueux de la modérer. Après s’être démené pendant trois à quatre heures, on n’a pas trop de quinze jours pour se remettre de la fatigue.

Pour le Khond, homme conscient de sa noble destinée, il n’est plus belle occupation que la guerre et l’agriculture. Il méprise toutes les industries qui se praliquent par assis, tous les métiers dans lesquels on vieillit à son aise. La charrue le repose des combats, et les combats le restaurent après les labeurs de la charrue. Chez ce peuple singulier, la guerre ne coupe pas court aux relations entre familles et tribus ennemies, aux galanteries et aux demandes en mariage. Même les noces ne sont pas ren- voyées à la conclusion de la paix; les belligérants sus- pendent les massacres pour se rencontrer à des fêtes et réjouissances où ils se traitent avec courtoisie et s’amusent, semble-t-il, avec une parfaite insouciance, pour s’entr’égorger le lendemain avec autant de férocité que de bonne humeur. Cruels, ils le sont, mais non pas méchants: ils ont le meurtre gai. Ce qu’il faut attribuer à la bonne foi parfaite avec laquelle ils attribuent la mort et la victoire à l’intervention immédiate et person- nelle de leurs divinités, seules tenues pour responsables.

Assurément, les tribus khondes comprennent la guerre autrement que nous. Ils en font laccomplissement d'un rite religieux et d’un devoir moral, grâce auquel la popu- lation masculine prend du ton et du nerf, grâce auquel les dieux se gorgent du sang, du précieux sang humain, dont ils se montrent si souvent altérés.

Semblablement, les anciens Mexicains s’envoyaient de temps à autre un message : « Nos dieux ont faim. Venez, les amis, et entre-tuons-nous pour leur donner à man- ger. » Ainsi, en 1454, lors de la grande famine, les prêtres se plaignirent, au nom des Immortels, que les prison- niers, procurés par les expéditions lointaines, arrivaient trop fatigués et amalgris pour être appétissants aux dicux. En conséquence, les libres républiques d’une part, et les trois royaumes d’aütre part, convinrent qu'ils Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/371 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/372 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/373 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/374 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/375 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/376 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/377 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/378 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/379 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/380 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/381 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/382 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/383 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/384 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/385 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/386 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/387 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/388 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/389 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/390 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/391 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/392 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/393 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/394 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/395 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/396 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/397 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/398 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/399 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/400 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/401 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/402 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/403 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/404 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/405 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/406 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/407 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/408 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/409 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/410 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/411 Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/412

  1. Beverley.
  2. Campbell. Cependant Beames, une autorité en la matière, conteste cette étymologie : « M’est avis, dit-il, que la connexité qu’on a voulu établir entre le Kolh et couli est purement imaginaire. »
  3. Caldwell.
  4. Bassia latifolia.
  5. Le déral.
  6. Koragars, Walhouse.
  7. Non aryen, apparenté au tamil et telougou (Beames).
  8. Dubois, Mœurs de l’Inde.
  9. Faulmann, Die Entwickelung der Schrift.
  10. Walhouse, Journal of the Anthropological Institute.
  11. Grundemann, Kleine Missions Bibliothek.
  12. Zeitschrift für Ethnologie, 1874
  13. Essays, 51.
  14. Shortt, Hill Ranges.
  15. Macpherson.
  16. Écrit au moment où la France a failli livrer Hartmann à la Russie.
  17. Samuelles, Journal of the Asiatic Society, 1856.
  18. Grundemann, Kleine Missions Bibliothek.
  19. Journal des Missions évangéliques.
  20. Appelées dhangar basa, djirgal, dchom herpa, doum couria, mandar ghar.
  21. Dhangarin basa.
  22. Journal des Missions évangeliques, 1838.
  23. Rowney.
  24. Elliot, Greenhow.
  25. Khoj.
  26. Elliot, The native races of the North-Western provinces of India.
  27. Lewin, Hill Tracts. Même croyance chez les Karènes et chez maint campagnard d’Europe. Chez les Mosquitos de l’Amérique centrale, le mort qui veut rester en communication avec les siens, demande que de sa tombe à la maison on tende une ficelle au-dessus des marais et courants d’eau, des ravins et précipices. Hellwald, Naturgeschichte des Menschen.
  28. Dalton.
  29. Rowney.
  30. Shortt, Neilgherry Tribes.
  31. Chardin, R. P. Zampi.
  32. Par exemple, la Fête de la Récolte chez les Muyscas, etc.
  33. Osée, ix, 1.
  34. Elliot, Races of the N. W. provinces of India.
  35. China Review.
  36. Spix und Martius.