Les Primitifs Espagnols

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LES PRIMITIFS ESPAGNOLS


I

LES PROBLÈMES — LES MOYENS D’ÉTUDE


L’ histoire de l’art n’a connu jusqu’à nos jours que trois écoles de peintres constituées et florissantes avant le XVIe siècle : l’italienne, la flamande et la germanique. Les vieux panneaux, avec ou sans fond d’or, qui se trouvaient dispersés hors d’Italie, de Flandre ou d’Allemagne, étaient partagés, un peu au hasard, entre Fra Angelico, Jean Van Eyck et Albert Dürer. Aujourd'hui, une nouvelle école de « primitifs[1] » a pris rang à côté de celles dont la renommée était consacrée. La France a revendiqué ses droits et retrouvé ses titres. Il est temps de rendre les siens à l’Espagne.

Une aventure toute récente, et qui a fait quelque bruit, doit mettre les historiens en éveil. Sir Julius Wernher, le grand collectionneur de Londres, possède un volet de triptyque, peint à l’huile sur fond d’or délicatement guilloché, qui a été vendu à Berlin. Le panneau fut étudié en 1905 par M. Herbert Cook ; il s’empressa de le publier dans la Gazette des Beaux-Arts[2].

C’est un grand saint Michel en armure, l’épée levée sur le dragon infernal, dont la queue frôle un petit donateur agenouillé aux pieds de l’archange. La merveilleuse finesse de la technique n’enlève rien à la bizarre et fière allure des silhouettes. L’archange a le type des figures imberbes de Rogier van der Weyden. Le monstre, énorme scarabée Goliath, dont la carapace couleur d’agate est incrustée de pierreries, annonce les féeries diaboliques de Jérôme Bosch. Les matières précieuses, perles, gemmes, cristal de roche, soies, velours, brocart, sont imitées avec cette exactitude dont les Van Eyck avaient découvert le secret, et qui semble faite pour tromper le toucher autant que la vue. Le métal de l’armure blanche est astiqué par le bon fourbisseur, et sur le corselet toute une ville se mire, avec ses clochers et ses tours. Ce sont virtuosités de Flamand. Mais qui, parmi les peintres des Flandres dont le nom et les œuvres nous sont connus, aurait imaginé l’inflexion gracieuse du corps juvénile qui ploie sous l’armure de parade, et le tumulte fanfaron du grand manteau claquant autour du chevalier comme un étendard de velours et de soie ?

L’œuvre, en effet, porte la signature d’un maître inconnu jusqu’ici. Sur un carré de parchemin déplié et comme jeté sur l’herbe fleurie, devant le donateur du triptyque, — sans doute quelque Michel, — un nom est calligraphié en caractères cursifs : Barlolomeus Rubeus. Au-dessus du nom, le sigle Ihs, une invocation de l’artiste ; après le mot Rubeus, un paraphe composé avec la lettre f, et qui est la griffe du peintre : fecit. Rien de plus : la patrie du maître demeure un problème. Ce nom latinisé, en quelle langue convient-il de le traduire ?

Si le tableau avait été découvert un an plus tôt, un connaisseur, quel qu’il fût, n’aurait sans doute guère hésité : devant une œuvre de pure technique flamande, mais plus nerveuse qu’un panneau de peintre flamand et plus agitée, il eût pensé à l’Allemagne. Une place provisoire aurait été cherchée dans l’histoire artistique des pays du Nord, et plus près de Wohlgemüth que de Rogier van der Weyden, pour un Meister Roth.

Mais, lorsque le Saint Michel, acheté à Berlin, entra dans la collection de Londres, érudits et critiques étaient encore émerveillés par le succès mondain et les révélations décisives de l’exposition du pavillon de Marsan, où le printemps de l’art français avait refleuri, après les siècles d’opulente moisson, comme en un « Salon d’automne ». M. Cook se souvint, en regardant le tableau de la collection Wernher, d’un panneau du musée Calvet, d’Avignon, qu’il venait de voir à Paris. En vérité, les deux œuvres n’avaient de semblable que le sujet qu’elles représentaient : Saint Michel combattant le dragon. Tout le reste différait de l’une à l’autre : technique, fond, coloris, composition et style. Le tableau de la collection Wernher est, il faut l’avouer, une œuvre bien autrement savante, vigoureuse et fière, que le tableautin d’Avignon. Cependant, ce rapprochement de hasard suffit à convaincre M. Cook que le Saint Michel de Londres était « un document d’art français primitif ». C’est le titre qu’il donna à son article, dont la conclusion fut que le Rubeus était un « maître Roux ».

Mais voici qu’une protestation vint de Barcelone. M. Casellas, rédacteur en chef d’un grand journal catalan et connaisseur d’art estimé, rappela, dans un article de la Veu de Catalunya[3], ce que les érudits anglais et français avaient oublié, si jamais ils l’avaient su : qu’il existait dans une salle attenante au cloître de la cathédrale de Barcelone un tableau donné en 1490 par un chanoine de l’église, Lluis Desplà, et signé, sur le cadre ancien, par un peintre de Cordoue, dont le nom semblait être la traduction en castillan de Bartolomeus Rubeus :

 : opvs.bartholomei.vermeio.cordvbensis[4].

C’est une Pietà, avec deux hommes en robe sacerdotale, à genoux devant la Vierge et le Christ : le chanoine donateur et un cardinal, saint Jérôme.

M. Cook voulut lui-même donner acte de la découverte de son contradicteur. Non content de faire amende honorable à Vermejo en lui rendant le Saint Michel de la collection Wernher, il se déclara prêt à lui donner le Saint Michel d’Avignon, cause innocente de la première attribution, et jusqu’à la tragique et mystérieuse Pietà de Villeneuve[5].

Cette invasion soudaine de l’art espagnol en Provence fut présentée par M. Dimier, partisan déclaré de l’italianisme classique, comme une défaite des primitifs français, qui pouvait être le commencement d’une déroute[6]. Henri Bouchot veillait, Il repoussa l’Espagnol au delà du Rhin. Dans un article très modéré, qui était une réponse à M. Dimier[7], il publia une gravure allemande du XVe siècle, un Saint Michel, d’allure impétueuse, qui ressemblait fort à l’archange de Rubeus. Fallait-il en revenir à l’attribution qui, dans l’état actuel des connaissances, paraissait la plus vraisemblable, et faire du peintre mystérieux quelque Franconien ?


Signature de Bartholomeus Rubeus
sur le Saint Michel de la collection de sir Julius Wernher.

Une gravure n’était pas une preuve. Les images de piété, achetées aux foires d’Allemagne, ont circulé en Espagne comme en Italie ; l’une de ces feuilles volantes a pu tomber sous les yeux du peintre de Cordoue.

Il manquait au savant français, comme au savant anglais, d’avoir étudié la pièce capitale du débat : l’œuvre signée par Vermejo, la Pietà de Barcelone. Lorsqu’on est en face d’elle, dans la salle capitulaire de la cathédrale, il faut la regarder longuement pour voir les figures ressortir à travers


L’Archange saint Michel avec un donateur.
Volet de triptyque, signé par Bartholomeus Rubeus.
Collection de Sir J. Wernher, Londres.

les couches de vernis jaune, sous la pluie des loches blanches laissées

par les éraflures de stuc, et parmi les taches sombres formées par les verts qui ont poussé au noir. L’œuvre apparaît virile et magistrale ; mais, en vérité, elle ressemble à peu près au Saint Michel de la collection Wernher comme un Bellini à un van der Weyden.

Doit-on attribuer le tableau de Londres et le tableau de Barcelone à deux artistes distincts ? Si le Rubeus n’est pas Vermejo de Cordoue, le voilà de nouveau sans patrie connue. Quelles raisons invoquer en faveur de l’Espagne ?

Il y en a plus d’une. Le Saint Michel de la collection Wernher provient de la région de Valence : le marchand de Berlin qui l’a vendu ne l’ignorait point. M. Cook l’a dit dans son dernier article. Je puis indiquer où le tableau se trouvait en 1900 : dans une église de Tous, bourgade perdue à une quinzaine de kilomètres d’Aleira, dans un des sites les plus sauvages de la vallée du Jucar.

L’Espagne, il est vrai, a été jadis un vaste musée de tableaux flamands, qui a enrichi de ses dépouilles la plupart des musées d’Europe. Pour attester que le Saint Michel a été peint en Espagne, une preuve matérielle est nécessaire : la signature vient la donner. Le nom de Bartolomeus contient une r à deux hampes parallèles, barrées d’un trait en croix (r perruña), qui est la lettre la plus caractéristique des écritures espagnoles du XVe siècle, et qui a passé dans l’alphabet des incunables castillans[8]. Rubeus, quels que fussent son pays d’origine et la patrie de sa famille, est un peintre qui a appris à écrire en Espagne. Faut-il l’appeler Bartolomé Rubio, ce qui voudrait dire en castillan Le Roux ? Doit-on préférer la forme catalane : Bartomeu Roig ?

Il est inutile de chercher. En dépit des apparences, Rubeus ne fait qu’un avec Vermejo. Le coloris, lorsqu’on passe du Saint Michel à la Pietà, semble très différent : il ne l’a pas toujours été. C’est le vernis grossier dont le tableau de Barcelone a été englué qui le voile d’un glacis ambré, dont le ton indécis rappelle à première vue l’atmosphère dorée des tableaux vénitiens. Les couleurs primitives avaient l’éclat des couleurs flamandes. Les plis anguleux et nets des deux simarres, l’une violet sombre, l’autre cramoisie, la douceur moelleuse des fourrures, petit gris ou hermine, l’arrangement du paysage, rochers, arbres et « fabriques », sont d’un artiste qui a connu et imité, comme Rubeus, des œuvres ou des maîtres du Nord. Le peintre de Cordoue insiste sur des accessoires ou des détails avec la minutie ingénieuse et puérile d’un Brugeois ; un vieux cavalier à barbe blanche sur un vieux cheval blanc passe entre les buissons, près de la tête de la Vierge ; un papillon insouciant s’est posé sur le sol nu, devant le saint Jérôme, à côté du lion endormi.

Le bréviaire que lit le cardinal a été copié et enluminé de grandes lettrines avec autant de soin que le livre d’Heures du donateur agenouillé devant le saint Michel de maître Rubeus. Les édifices de la ville qui se montre au loin, derrière la Croix, — tours dentelées comme des clochers flamands, coupoles plus semblables aux coupoles bizarres des Van Eyck qu’aux monuments moresques de l’Andalousie, — ont la silhouette des tours et des coupoles qui se reflètent sur la cuirasse de l’archange.

Un rapprochement, que viennent d’indiquer en même temps deux érudits espagnols[9], achèvera de prouver que le peintre du Saint Michel est aussi celui de la Pietà. Il existe, dans une des sacristies de la cathédrale de Séville, un petit panneau de technique et de style flamands, qui porte la signature d’un peintre andalou, Juan Nuñez. On y voit la Pietà devant la Croix, entre un saint diacre, qui est saint Vincent, et l’archange saint Michel. Le groupe de la Mère et du Fils n’a point la force tragique de la Pietà de Barcelone ; mais il est disposé à peu près comme le groupe qu’a peint Vermejo. Le fond du paysage et les architectures sont presque identiques dans le tableau de Séville et dans celui de Barcelone. Or, voici que le saint Michel, placé par Juan Nuñez à la droite de la Vierge, porte une targe ornée d’un umbo en cristal de roche, comme celle que présente au monstre le Saint Michel de la collection Wernher ; devant l’archange et la Vierge est agenouillé un donateur, un chanoine, aussi petit, par rapport aux saints, que le donateur peint par Rubeus. Le tableau de la cathédrale de Séville réunit, dans l’œuvre d’un artiste sans vigueur, une Pietà qui rappelle le tableau de Bartolomé Vermejo, et un Saint Michel qui rappelle celui de Bartholomeus Rubeus. Cette fois, il est difficile de douter que Rubeus ne soit la traduction de Vermejo. Peut-être apprendra-t-on par un document que Juan Nuñez a été l'élève du maître de Cordoue.


L’Archange saint Michel.
Panneau provençal, vers 1560. - Musée Calvet, Avignon.

Si Rubeus est Vermejo, il reste certain qu'entre le Saint Michel, dont la date est inconnue, et la Pietà de 1490, le peintre a vieilli et grandi. Il est probable qu’à son éducation flamande s’est ajoutée la connaissance de quelques œuvres italiennes. Rubeus avait signé en cursive gothique ; Vermejo signe en belles capitales antiques. Cependant, il est resté rebelle à cette grâce italienne, qui devait amollir les plus robustes parmi les étrangers. D’Hispano-Flamand, il est devenu Espagnol. Le portrait du chanoine Desplà, plus ferme encore que le profil du donateur agenouillé devant le saint Michel, ce portrait maussade, presque farouche, est plus proche d’un Zurbaran que d’un Memling ou d’un Bellini. Vermejo est Espagnol par son culte du cadavre divin, qu’il entoure à la fois d’horreur et de tendresse. Le sang s’est caillé sur les bras raidis, alors qu’ils étaient cloués à la croix ; et maintenant que le Christ repose sur les genoux de sa Mère, le flot immobile et noir semble remonter de la main trouée sur le bras pendant. Mais, en peignant le corps de son Sauveur, l’artiste a une pensée qu’aucun autre peintre, je crois, n’a exprimée, une pensée délicate et bizarre de nonne mystique : comme le pied livide du Christ va toucher le sol nu, il en sort, pour le soutenir, une main petite et fine, la main d’un ange de la Terre…

Ce peintre terrible et tendre, savant et puissant, qui a été sans doute le premier des grands peintres de l’Espagne, et qui était hier inconnu, on voudrait savoir quelle a été sa vie, quels ont été ses maîtres, ce qu’il doit à l’Andalousie, sa patrie, et peut-être à la Catalogne, où il a peint un chef-d’œuvre, comment il s’est formé, comment il s’est transformé. Le problème est à peine posé. Il faudra en poursuivre la solution au delà des Pyrénées. Bien d’autres problèmes et d’autres découvertes attendent là les chercheurs de « primitifs ».

Dans un pays qui n’a été dévasté par aucune révolution politique avant 1835, et qui n’a point connu les guerres de religion, les panneaux anciens n’ont eu à souffrir, pour la plupart, que du dédain ou de l’incurie. Ils sont encore nombreux, à coup sûr plus nombreux qu’en France. Les antiquaires s’en sont avisés : dans cette recherche comme dans d’autres, ils ont devancé les archéologues. S’il est facile de comprendre que le Saint Michel de Tous soit resté inconnu jusqu’au jour où il fut apporté à Valence, pour voyager à travers l’Europe, on peut s’étonner que les panneaux du grand polyptyque de la cathédrale de Ciudad-Rodrigo n’aient été étudiés


Cliché E. Bertaux.
La Pièta entre saint Jérôme et le chanoine Lluis Desplà.
Tableau achevé le 23 avril 1490 par Bartolomé Vermejo de Cordoue.
Salle capitulaire de la cathédrale de Barcelone.

LES PRIMITIFS ESPAGNOLS

425 par personne dans le cloître où ils étaient relégués avant de prendre place, vers 1805, à Richmond, dans la collection désir Frederick Cook. D'importants panneaux espagnols, qui viennent de Cologne et d'ailleurs, se trouvent aujourd'hui au Louvre, au musée des Arts décoratifs, dans la collection de M. Martin Le Roy : d'autres (dont l'un était signé par Pedro de Cordoue et daté de 14751) ont été vendus naguère à Paris, avec la collection Pacully2. Une Adoration des Mages, signée par le fils de Mestre Rodrigo 3, et que Passavant avait vue à Valence vers 1850, a passé au musée de South-Kensington;le même musée possède un gigantesque retable provenant de Catalogne. Si d'an- ciens tableaux flamands sont encore perdus dans les églises d'Espagne, il y a tout au moins un vieux tableau espagnol qui se trouve égaré dans une église des Flandres, et non l'une des moindres : la cathédrale d'Anvers. C'est un retable consacré à saint Michel et aux anges, qu'un marguillier de la cathé- drale acheta, il y a une vingtaine d'années, comme une oeuvre de l'école de Cologne. Les inscriptions peintes sur les banderoles que portent les anges sont en pur catalan 4. Ce qui reste de l'ancienne peinture espagnole dans les collections européennes n'est rien, sans doute, en comparaison de ce qui a été acheté au hasard pour l'Amérique. Un retable catalan de Saint Dominique a passé à New-York, dans le Musée Métropolitain; une étrange princesse d'Aragon, qui a les attributs de Sainte Engracia, patronne de Saragosse, est à Boston, dans la collection Gardner. Cepen- dant, jusqu'ici, «le primitif» espagnol n'a été exporté que sous l'étiquette de primitif flamand, ou bien comme une sorte de bibelot chargé d'or et compagnon des ivoires moresques, des émaux de Limoges, des ornements d'église, des tentures de procession, de tous les ouvrages précieux ou curieux qui sortent d'Espagne par caisses pleines, sans appauvrir sensi- blement les inépuisables réserves d'art ancien qu'a léguées à ce pays un passé prestigieux. S'il est des régions comme la Galice et les Asturies, qui, demeurées 1. Ce Pedro est l'auteur d'un grand retable, peint en 1475, et qui est resté dans une chapelle de la cathédrale de Cordoue,près du Mirliab de l'ancienne mosquée. 2. Les panneaux et bannières de la collection Schewitch étaient insignifiants. 3. Maître Rodrigo n'était connu jusqu'ici que par son fils. Je viens de retrouver une oeuvre signée de ce peintre valencien, à Valence même, dans l'église de San Nicolas, où le tableau était perdu dans un recoin obscur. C'est une Crucifixion, peinte dans les dernières années du xv° siècle. On peut lire sur un papier jeté à terre, au pied de la Croix : Rodrigus de Vcia me pinlavit. 4. Je dois ce renseignementcurieux et inédit à mon ami M. Sanpere y Miguel. LA HEVDE DE L'ART. — XX. 54 426 LA REVUE DE L'ART pour longtemps stériles après l'époque romane, ne semblent pas garder une seule peinture du xiv° ou du xv° siècle, il est des provinces, comme la Catalogne, où les moindres villages possèdent, soit un retable à comparti- ments multiples dans son encadrement gothique, soit quelque panneau isolé. Une ville déchue, Ségorbe, a conservé jusqu'à six grands retables du xvc siècle. On en trouverait bien d'autres dans les bourgades des environs de Valence. Parmi ces tableaux, dispersés et oubliés, beaucoup sont des ruines; quelques-uns sont intacts. Au milieu d'ouvrages misérables et enfantins se dissimulent des oeuvres superbes, qui seront un jour célèbres. De ces panneaux, les revues et les livres d'art n'ont mentionné jusqu'ici qu'un très petit nombre. C'est à peine si quelques-uns d'entre eux ont été étudiés par M. Garl Justi, l'historien de Velazquez, le clairvoyant explo- rateur de l'Espagne ancienne, dans des articles brefs et isolés, dont chacun, d'ailleurs, est un modèle de critique; il en a indiqué quelques autres dans l'importante introduction qu'il a écrite en 1900 pour le Baedcher d'Espagne. Le seul savant étranger qui ait esquissé une histoire sommaire de la pein- ture espagnole avant le milieu du xvi° siècle est M. PaulLefort. Les pre- mières pages de son remarquable précis 1 forment un répertoire de noms et défaits que des recherches plus approfondies ne rendront pas inutiles. Après ces deux vétérans, le seul qui ait tenté un essai du même genre est un avocat de Madrid, D. Elias Tormo y Monsô. Les conférences qu'il a données à l'Ateneo, et publiées en 1902 dans un recueil d'opuscules-, traitent de la peinture espagnole au xvi° siècle ; elles contiennent des indications précieuses pour le xvc. Ce sont là des pierres d'attente qui ne pourraient donner des points d'appui à une construction durable. Les matériaux manquent. Il faudra en arracher beaucoup à l'inconnu ; mais il convient d'abord de dénombrer et de peser ceux qui gisent à pied d'oeuvre. Quelle que soit l'école à étudier, la critique d'aujourd'hui réclame, pour connaître les artistes et les oeuvres, des éléments d'information qui sont de deux ordres différents. La recherche et la publication des docu- 1. La Peinture espagnole (Bibliothèque de l'Enseignementdes Beaux-Arts, publiée sous la direc- tion de M. Jules Comte). 2. Desarrollo de la l'inlura espahola del siglo XVI (Varios Esludios de Arles y Lelras, n" 1 et 2). Madrid, 1902. LES PRIMITIFS ESPAGNOLS 427 ments d'archives, comptes ou contrats, précise des noms et des dates. Ces documents sont lettre morte tant que le contact des oeuvres ne 1rs a pas LE CRHIST ET LES MARIES Panneau signé Pedro de Cordoba. Ancienne collection Pacully. vivifiés. Mais le tableau perdu dans une église de village est comparable au parchemin enfoui dans une armoire. Pour cesser d'être inédit, il faut qu'il 428 LA REVUE DE L'ART sorte de sa cachette en original ou en effigie. L'histoire de l'art a ses biblio- thèques, composées d'exemplaires uniques ou d'imprimés courants. Ce sont les collections publiques, expositions permanentes ; les expositions, collections passagères ; enfin, les recueils photographiques, collections portatives et expositions circulantes. Le concours de ces divers moyens d'information et de comparaison, dont certains sont des progrès récents, peut accélérer de façon nouvelle et vraiment moderne le travail de l'histoire. La meilleure preuve en a été donnée par l'Exposition des primitifs français, cette contemporaine des triomphes de l'automobilisme français. La course aux conclusions a pu sembler trop rapide. Mais la part faite de ce qui est resté en route, voyez le chemin parcouru et le but conquis! Les faits accumulés par un travail lent et obscur sont rassemblés tout à coup en un faisceau écla- tant ; le Louvre, pour prix de son concours, est enrichi rapidement d'oeuvres capitales ; la réunion des tableaux et des miniatures, dispersés après quelques semaines, est perpétuée par des publications monumen- tales ; un groupe d'artistes, connus à peine de quelques érudits, entre dans le rayon lumineux de la postérité. Les routes d'Espagne ne se prêtent point à de telles vitesses. De vastes régions de l'art ancien y sont encore privées de tous travaux d'accès. Parmi les cités historiques de l'Andalousie, Séville est la seule qui ait trouvé de nos jours un érudit, — Don José Gestoso y Pérez, — pour tirer des archives les noms de quelques peintres antérieurs au xvnc siècle '. La plupart des tableaux qui restent dans les églises des deux Castilles, ou qui ont été relégués dans les sacristies, y sont encore presque aussi inconnus qu'ils l'étaient du temps de Goya. Rien de plus inédit que les primitifs de la cathédrale de Burgos, panneaux d'un retable con- temporain de la prise de Grenade, où l'on voit un des Rois Mages, — le nègre, — porter au côté la plus authentique des « épées de Boabdil ». La suppression des monastères, en 1835, a bien été suivie d'un premier essai de centralisation des oeuvres d'art ancien. Le romantisme, en Espagne 1. Voir les notes réunies au mot pinlor dans le recueil intitulé : Ensayo de un Dicionario de los artifices que florieron en esta ciudad de Sevilla desde el siglo XIII hasta el XVIII (Séville, 1900); et les trois volumes de louvrage : Sevilla monumental y artistica (Séville, 1S89-1902). On trouvera des indications nettes et intéressantes dans l'essai de 1). N. Sentenach, la Pintura en Sevilla (Séville, 1885). LES PRIMITIFS ESPAGNOLS 429 comme partout, était curieux do panneaux « gothiques ». C'est pendant la guerre civile, qui fit tant de ruines parmi les monuments his- toriques et les mausolées royaux d'Espagne, que des primitifs fla- mands, comme le Triomphe de l'Eglise sur la Synagogue , fuient lires des sacristies. Quelques pri- mitifs espagnols les accompa- gnèrent à Madrid. Panneaux et toiles furent entassésdans les salles de l'Académie de San-Fernando : une commissiony choisit un grand nombre d'oeuvres, qui, transpor- tées dans un des couvents sup- primés, celui de la Trinidad, y formèrent le premier Musée na- tional d'Espagne. La curiosité de quelques érudits se porta sur les panneaux si longtemps oubliés. En 1852, l'Académie de l'Histoire achetait pour ses collections le grand triptyque du monastère aragonais de Piedra, daté de 1390, produit merveilleux et unique en son genre du mariage de l'art chrétien et de l'industrie musul- mane. En 1867, un musée archéo- logique était créé à Madrid. Il recueillit quelques tableaux du xvc sièclequi provenaientd'Aragon. En 1872, le musée du Prado devint le Musée national : les tableaux du musée de la Trinidad y trouvèrent asile. Dans le vaste palais, les vieux peintres des retables d'Avilaet de Tolède furent traités en parents pauvres Cliché E. Bertaux. L'ARCHANGE SAINT MICHEL. Détail d'un retable dans la chapelle épiscopale de Ségorbe. 430 LA REVUE DE L'ART par les grands de la peinture espagnole, les Velazquez et les Murillo. Leurs panneaux, logés, les uns dans les petites salles dites d'Alphonse XII, où la plupart d'entre eux restent attribués aux écoles flamande et allemande, les autres à l'entrée de la grande galerie, où ils font antichambre, obtiennent à peine un regard des visiteurs, qui se hâtent vers les oeuvres fameuses. M. Lefort est à peu près le seul qui leur ait fait la charité d'une citation ou d'une vignette. En dehors de Madrid, la seule ville de l'Espagne centrale dont le musée contienne aujourd'hui des panneaux archaïques est l'ancienne capitale, Valladolid. Ces tableaux restent inconnus, au premier étage du palais de Santa Cruz, tandis que les sculptures polychromes du rez-de- chaussée comptent parmi les oeuvres les plus célèbres de l'art espagnol. Les panneaux castillans n'ont point été admis à figurer dans les publica- tions volumineuses que le gouvernement a commencées avec pompe et laissées inachevées : les Monumentos arquitectonicos et le Museo espanol de antigùedades. On ne trouvera, dans le désordre des gravures et des chromolithographies qui accompagnent les recueils officiels, que des tableaux de l'Académie de l'Histoire et du Musée archéologique, qui représentent les premières écoles d'Aragon. Le privilège accordé aux oeuvres de cette région n'est sans doute point dû au hasard. C'est un peintre aragonais, D. A'alentin Carderera, qui avait été chargé de présider à l'inventaire des monastères supprimés. Artiste et savant, il s'acquitta de sa mission avec un zèle d'apôtre. En parcourant, crayon à la main, les églises et les couvents les plus éloignés des routes, il réunit les matériaux des deux volumes de l'Iconografia espanola, publiés de 1855 à 1864, et qui conservent, dans leurs gravures, la silhouette de plus d'un monument aujourd'hui mutilé ou détruit. Carderera forma encore, avec les documents graphiques qu'il ne put faire reproduire, des porte- feuilles abondamment garnis, et, avec quelques panneaux anciens décou- verts en Aragon après l'inventaire, une collection petite et précieuse. Il fut le Gaignières de l'Espagne. Les estampes et les dessins qu'il avait réunis et qui formaient un cabinet royal, furent acquis par la Biblio- thèque nationale de Madrid. Quant aux tableaux, Carderera lui-même les • légua en 1880 à sa ville natale, Huesca, où ils forment un musée provin- cial, dans la plus grande salle d'un palais délabré, dont l'écusson gigan- tesque est celui de Charles-Quint. LES PRIMITIFS ESPAGNOLS 431 L' exemple donné par les recherches de Carderera n'a été imité par personne dans lu région centrale de l'Aragon. Les peintres primi- tifs de Saragosse restent ano- nymes, à l'exception de quel- ques-uns qui sont ailes travailler dans d'autres villes. Aucun pan- neau digne d'une mention ne ligure parmi les curiosités du petit musée archéologique qui vient d'être formé dans les bâti- ments d'une école, non loin de la basilique del Pilar. Deux capitales seulement ont contribué, par d'importants travaux collectifs, aux recherches qui doivent éclairer les origines de la peinture espagnole : ce sont deux villes de l'ancienne couronne d'Aragon, Valence et Barcelone. Dès 1802, un religieux de la Merced, Fray Agustin de Arqués Jover, avait formé, à Valence, un recueil de documents d'archives relatifs à des peintres, sculpteurs et architectes, dont un bon nom- bre étaient antérieurs au xvi° siècle. Le manuscrit du religieux, que Céan Bermùdez connut trop tard pour l'utiliser dans son Dictionnaire, ne fut publié qu'en 1870'. Un digne émule du P. Jover, le chanoine D. Roque Chabâs, qui, en réorganisant les archives ecclé- 1. Pari). M. H. Zarcos del Valle, dans la Colleccion de Documentai ineditos para la llistoria de Espaha, t LV. Cliché E. Bertaux UN DES ROIS MAGES. Détail d'un panneau de la fin du xve siècle. Cathédrale de Burgos. 432 LA REVUE DE L'ART siastiques de Valence, a fait succéder au plus déplorable chaos l'ordre le plus méticuleux, a tiré de ses parchemins quelques actes notariés dont la seule publication faisait sortir du néant quelques-uns des épi- sodes les plus brillants de la première Renaissance. Il a été suivi par deux employés supérieurs de la municipalité, l'archiviste D. Luis Tramoyeres y Blasco, et le secrétaire D. José Maria Burguera, qui ont trouvé des textes notables. On peut regretter que des travaux de cette importance soient restés dissimulés dans une revue d'érudition, — l'Archivo, — publiée à Dénia, tirée à petit nombre et devenue presque introuvable, ou même dans des almanachs et des journaux dont personne ne peut deviner l'existence. Au moins les visiteurs de Valence peuvent-ils aisément passer en revue toute une série de panneaux peints de la fin du xive siècle au commencement du xvic siècle, qui se trouvent divisés en deux groupes : l'un est resté dans la cathédrale, où triomphe sur le maître-autel le colossal retable peint par deux disciples espagnols de Léo- nard de Vinci, et où une suite de tableaux anciens sont pendus aux murs de la sacristie du trésor, au-dessous des archives, séjour favori du bon chanoine D. Roque; l'autre occupe deux petites salles du Musée pro- vincial, qui a été aménagé en 1892 au milieu d'un cloître désaffecté et qui a pour directeur D. Luis Tramoyeres. Le travail qui était commencé à Valence dès les premières années du xix" siècle, et qui se continue au xxe, a été entrepris plus tardivement en Catalogne : il y a été poussé plus vite et mené plus loin. Cette province active a fait des progrès aussi rapides en archéologie qu'en industrie, et par des moyens analogues. Barcelone a été. dans l'Espagne moderne, la ville des expositions. Dès 1807, elle organisait une exposition rétrospec- tive, où figurèrent des tableaux espagnols du xvc siècle, dont quelques-uns furent gravés pour l'album publié l'année suivante. Des sections archéo- logiques furent formées dans l'Exposition générale de la ville en 1872, et dans l'Exposition universelle de 1888; cette dernière fut beaucoup plus riche en tableaux des plus anciennes écoles d'Espagne que ne devait l'être, en 1892,1a fameuse Exposition colombienne de Madrid, où les panneaux du xvc et du xvi° siècle, flamands pour la plupart, disparaissaient au milieu des tapisseries et des orfèvreries. A Barcelone, des panneaux plus ou moins vermoulus avaient été envoyés par les évèques, les chapitres, les Cliché Laurent. VOLET D'UN TRIPTYQUE DE 1390, PROVENANT DU MONASTÈRE ARAGONAIS DE PIEDRA. Collections de l'Académie de l'Histoire, à Madrid. LA REVUE DE L ART. — XX. 55 434 LA REVUE DE L'ART corporations et les collectionneurs mêmes, qui commençaientà rechercher pour leurs galeries des peintures à fond d'or. Près des tableaux « go- thiques », une série retenait l'attention par son étrangeté barbare : c'étaient les peintures «romanes », les tablas romanicas, venues de Vieil. La petite ville pyrénéenne, où se ravivait la flamme du patriotisme catalan, n'avait pas moins fait que la grande cité maritime pour l'an- cien art « national ». A peine la première exposition rétrospective de Barcelone était-elle fermée, qu'en 1868, Vich en ouvrait, une seconde. Dans la génération qui suivit, un prélat opulent et impérieux, D. José Morgades y Gili, s'occupa de rassembler à Vich un trésor d'art ancien, en dépouillant, pour le plus grand profit de l'histoire, les églises de son diocèse et de quelques diocèses voisins. Les prémices de la collection furent exposées à Barcelone en 1888. Le 7 juillet 1891, le musée archéolo- gique et artistique de Vich était inauguré dans une dépendance du palais épiscopal ; là, quatre mille objets d'art, réunis en quelques années, for- maient un ensemble dont un syndicat d'antiquaires eût offert plus d'un million. L'évêque qui avait improvisé ce musée sut trouver, pour ache- ver et continuer son oeuvre, un organisateur et un conservateur digne de lui. Ce fut un jeune prêtre. Mosén José Oudiol, qui, après avoir rédigé en trois mois un catalogue de 550 pages (publié à Vich en 1893) et avoir entrepris un manuel d'archéologie catalane', aborda l'étude des archives ecclésiastiques de Vich. Les découvertes qu'il y a faites ont accru déjà l'importance historique d'une collection, où des panneaux, peints depuis le xi° siècle jusqu'au xve, forment une série absolument unique dans toute l'Europe occidentale. L'initiative de l'évêque de Vich provoqua une émulation féconde. Manresa, Lérida, Solsona, voulurent avoir leur petit musée épiscopal, et celui de Manresa, tout au moins, réunit quelques panneaux dignes d'étude autour du merveilleux devant d'autel, brodé dans la première moitié du xve siècle par le Florentin Geri di Lapo. A Barcelone même, une place fut faite dans les musées des beaux-arts, qui occupaient l'un des palais de l'Exposition de 1888, pour une suite de tableaux anciens, dont quelques- uns remontaient, comme les tablas de Vich, au xie et au xnc siècle. Ils furent exposés dans deux salles jumelles qui dépendent, l'une du musée 1. Ce manuel a été publié en 1902. LES PRIMITIFS ESPAGNOLS 435 municipal, l'autre du musée provincial. Celle dernière a reçu le retable de l'ancienne chapelle des conseillers de la ville, peint en 1445 par Luis Dalmau ; tiré des archives de la Casa consistal, il s'offre aujourd'hui à l'étude en pleine lumière '. Une nouvelle exposition d'art ancien, ouverte à Barcelone en. 1902, permit de mesurer les progrès que les efforts collectifs avaient réalisés en quelques années et dans une région limitée. Cette fois, il s'agissait d'une exposition toute catalane ; la cour et les grands seigneurs de Madrid n'avaient point été priés. Cependant, les panneaux envoyés par la ville, les églises et les collectionneurs, étaient Lien plus nombreux qu'en 1888: ils tapissaient maintenant des salles entières. D. Ramôn Casellas, l'un des organisateurs les plus actifs de cette manifestation, pouvait, avec un orgueil légitime, parler, dans la Veu de Calalunya, de la « peinture gothique catalane ». L'exposition de 1902 n'attira point les amateurs et les érudits du Nord : elle eut le malheur de coïncider avec l'exposition de Bruges, qui fut le rendez-vous européen des savants, des fervents et même des indif- férents. Une fois de plus, les primitifs flamands ont fait tort aux primitifs espagnols. Mais la Catalogne possédait des hommes qui n'avaient nul besoin des collaborations étrangères. La Junta de Bellas Artes, qui avait organisé l'exposition, forma, pour lui assurer des résultats durables, un plan, que le comité de l'Expo- sition des Primitifs français n'a sans doute pas connu, mais dont il n'a pu dépasser l'ampleur et l'excellence. La publication d'un album de luxe fut décidée, et un concours public fut ouvert entre des mémoires qui devaient avoir pour sujet l'une des sections de l'exposition. Malheureu- sement, comme il arrive assez régulièrement en Espagne, les interventions officielles, bien loin d'amener l'exécution de ces projets, les achemi- nèrent, par un voyage de carton en carton, jusqu'aux bords du fleuve d'oubli. L'album, pour lequel de magnifiques planches ont été tirées en 1. Un musée archéologique avait été ouvert à Barcelone dès 1834. En 18T9, il fut transféré dans l'ancienne chapelle du palais des rois d'Aragon, dédiée à sainte Agathe. Ce transfert incorpora au musée le tableau qui se trouvait sur l'autel de la chapelle désaffectée: c'est' le retable qui avait été donné par don Pedro de Portugal en 1464, alors qu'il avait usurpé la couronne d'Aragon. Le retable de la chapelle royale est une oeuvre encore plus importante pour l'histoire de la peinture catalane que le retable de la chapelle des Conseillers. noir et en couleur, n’a pas encore paru. Le mémoire couronné n’a pas été publié par la commission. Heureusement, l’auteur, D. Salvador Sanpere y Miquel, a trouvé un éditeur. La librairie de l’Avenç vient de mettre en vente son travail, qui comprend deux volumes in-8o, très abondamment illustrés, et qui porte ce titre nouveau : les Quattrocentistes catalans.

C’est le premier essai d’ensemble qui ait été consacré à une province de l’ancienne peinture espagnole. L’écrivain est un historien qui, dans le cours d’une longue et laborieuse carrière, a fouillé en tous sens les archives de Barcelone. Il ajoute nombre de documents inédits à ceux que Puiggari avait réunis dès 1870 au sujet des artistes catalans du XVe siècle et à ceux qui ont été découverts à Vich par Mosén Gudiol. Robuste et toujours alerte, il a parcouru à nouveau, escorté d’un jeune photographe, D. A. Màs, le pays que pendant trente ans il n’avait cessé d’explorer, depuis la riviera de Tarragone jusqu’aux Pyrénées. Enfin, accoutumé depuis longtemps à faire chaque année des séjours dans les musées et les bibliothèques des divers pays d’Europe dont il connaît les langues et où il compte des amis, il a pu, avec une autorité qu’il est presque seul à posséder en Espagne, réclamer une place pour l’école catalane, à côté des écoles du XVe siècle dont la critique moderne reconnaît la personnalité.

En rassemblant autour de ce livre solide les résultats dispersés des recherches qui ont été entreprises hors de la Catalogne, et en cherchant par soi-même avec conscience et foi, il est possible aujourd’hui, non point d’écrire une histoire de la peinture espagnole avant le XVIe siècle, mais tout au moins d’esquisser quelques chapitres de cette histoire. C’est ce que je voudrais tenter ici.

E. BERTAUX 
 (À suivre.)
  1. Je conserve ce mot à la mode, comme un titre qui a le don d’attirer la curiosité, et sans me dissimuler ce qu’il y a d’arbitraire, pour ne pas dire pis, à qualifier de « primitifs » un Kilippo Lippi, un Van Eyck, un Fouquet.
  2. Année 1903, 3e pér., t. XXXIII, p. 303-304.
  3. Una taula d’un pintor d’aqui, atribuida al art francès (supplément du numéro du 3 août 1905).
  4. L’inscription est assez longue ; la voici complète : Opus Bartholomei Vermejo Cordubensis impensa Ludovici Despla Barcinonensis archidiaconi absolutum XXIII Aprilis Anno salutis christianae MCCCCLXXXX.
  5. Chronique des Arts, octobre 1903, p. 269 ; Burlington Magazine, novembre 1905, t. VIII, p. 129.
  6. Les Arts, novembre 1903.
  7. Les Arts, décembre 1903.
  8. Conrad Haebler, Tipografia Ibérica del siglo XV. La Haye-Leipzig, 1902, nos 45 et 46, etc.
  9. D. S. Sanpere y Miquel, dans l’ouvrage sur les Quattrocentistes catalans, dont je parlerai plus bas (t. II, p. 112), et D. Elias Tormo y Monsó, dans la nouvelle revue la Cultiva española (1re année, fasc. III, p. 519).