Les Princesses d’Amour/XV

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Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 283-293).

XV

LA CEINTURE DE SOIE


« Je vais t’attendre, mon bien-aimé, dans un séjour inaccessible, où mon amour sera hors d’atteinte.

« Mon jeune corps, qui fit tes délices, je dois le sacrifier, pour te garder mon âme.

« Laisse couler tes larmes, au souvenir de ses voluptueuses grâces, si tôt détruites :

« Puis, lève les yeux, vers ce qui survit, et souris-moi, à travers les nues. »

L’Oiseau-Fleur, termine ainsi, un long poème, son testament d’amour. Pour elle, tout est fini. Le terme de sa liberté est atteint. À la fin de cette journée, on doit lui présenter l’amant nouveau, qu’elle ne peut éconduire, qu’en lui offrant une morte. Tout a été minutieusement fouillé chez elle, on a enlevé les objets pouvant tenir lieu d’armes, même les épingles de métal, destinées aux coiffures ; mais elle a su dissimuler le poignard, présent nuptial du jeune prince. Elle n’a pas voulu se frapper avec une autre arme.

— Tâche de le lui faire parvenir, quand il sera rougi de mon sang, dit-elle à Broc d’Or ; il l’essuiera de ses lèvres et le remerciera de m’avoir aidée à tenir mon serment.

— Le prince ne vous survivra pas, répondit la suivante, pas plus que moi-même ; et le seigneur Yamato mourra aussi. Toutes ces existences sont en votre main ; c’est pourquoi je vous conjure, de ne pas hâter d’une seconde le dénouement terrible, de le retarder, au contraire, jusqu’aux dernières limites.

— Tu espères donc encore ? Chère folle. Il eut fallu des années, au seigneur Yamato, pour retrouver, peut-être, quelques indices de mon origine. Qu’a-t-il pu faire, sans aucun renseignement, à travers tout l’empire ?… Va, la mort m’enveloppe déjà ; je le sens au froid qui coule dans mon sang, et à un grand calme, qui me vient, après ces mois d’anxieuse attente. Mais je te défends, à toi, de mourir ; tu vivras, pour exécuter mes derniers désirs, porter mes adieux au prince adoré, et me pleurer avec lui.

Broc d’Or ne répondit ; rien mais ses sourcils froncés, et ses yeux fixes, disaient l’obstination de sa volonté.

L’Oiseau-Fleur enferma son poème, et une longue lettre, dans un joli coffret, qu’elle ferma, à l’aide d’une ganse de soie savamment nouée.

Plusieurs oïrans vinrent la voir. Ko-Mourasaki devinait la résolution de mourir, et son silence approuvait. Jeune Saule, elle, était d’avis qu’il fallait se résigner au sacrifice, l’infidélité ne tuant pas l’amour chez l’homme, mais l’excitant, au contraire. Les autres, préoccupées par leurs propres intrigues ou par leurs intérêts, ne semblaient pas avoir conscience du drame, dont le dénouement était tout proche.

La nuit tomba. Les kamélos montèrent, pour habiller la princesse. Elles portaient la riche toilette de l’entrevue, le kimono magnifique, en satin violet clair brodé de tortues d’or, que Hana-Dori n’avait pas revêtu depuis le soir de ses noces éphémères.

— Cela me plaît de mourir dans ces vêtements-là, dit-elle à l’oreille de Broc d’Or.

Celle-ci faisait mentalement une prière fervente à la déesse Benten, dont la statuette d’or brillait, dans un angle, à la lueur de la petite lampe, tout en habillant sa maîtresse, avec des mains rendues maladroites par un tremblement invincible.

Elle ne parvenait pas à attacher la ceinture souple, qui retombe par devant ; elle fit un double nœud, là où il ne fallait qu’une boucle.

— Laisse donc, disait l’Oiseau-Fleur, il va falloir l’ôter, tout de suite, car, puisque certainement je suis de noble sang, je mourrai de la mort des nobles, en m’ouvrant le ventre, glorieusement.

Les kamélos ne s’en allaient pas, la toilette achevée ; il fallut patienter, car on devinait, parmi elles, des espionnes de la Cigogne-Danseuse.

Tout à coup, le bruit d’une arrivée se fit entendre au rez-de-chaussée, on criait Stansiro (prosternez-vous), ce qui indiquait un seigneur d’importance.

— Descendez toutes, ordonna la princesse aux servantes, d’un ton qui ne souffrait pas d’objection.

— Vite, vite, Broc d’Or, continua-t-elle, dès quelles furent parties ; défais ma ceinture.

La lame du poignard luisait déjà hors du fourreau mais la ceinture résistait ; s’acharnant, de ses mains fébriles, Broc d’Or ne parvenait qu’à embrouiller davantage l’enchevêtrement du nœud. L’Oiseau-Fleur s’efforçait de l’aider, en trépignant d’angoisse. Des larmes emplirent ses beaux yeux.

— Au cœur ! alors, au cœur ! gémit-elle, puisque la noble mort m’est refusée.

Elle leva le bras… mais, avec un cri de joie, Broc d’Or le retint. Dans l’écartement du panneau, brusquement ouvert, Yamato venait d’apparaître.

Il vit la situation, et, tout tremblant d’épouvante et de bonheur, il se jeta aux genoux de l’Oiseau-Fleur, et prit le pan de sa ceinture, qu’il porta à son front.

— Noble princesse d’Ako, bien digne de votre naissance, dit-il, je vous salue, en pleurant.

Un vieux seigneur, parut à son tour, laissant voir derrière lui toute une escorte. Il demeura stupéfait d’admiration, en face de la jeune femme, si pâle et si belle, presque pâmée, dans la secousse qui la rejetait, si soudainement, de la mort, au bonheur.

— Vous voyez, monseigneur, disait Yamato, que je n’exagérais rien. Deux secondes de plus, tout était fini. Plutôt que d’être infidèle, votre noble fille allait se donner la mort.

— Êtes-vous donc mon père ? demanda l’Oiseau-Fleur, toute tremblante.

— Non, mon enfant, pas encore, dit-il ; mais je le serai si vous voulez. Vous êtes la seule survivante, de cette illustre famille que nous croyions éteinte. Il n’y a plus aucun doute ; vous êtes bien la princesse d’Ako, que des malfaiteurs ont enlevée ; je m’en suis convaincu, par une enquête minutieuse.

— Trop minutieuse, et qui a failli tout perdre ! chuchota Yamato à Broc d’Or.

— J’ai racheté vos domaines confisqués, continua le prince ; mais, puisque vous êtes vivante, je les usurpe, moralement. Je puis vous les rendre, par héritage, en vous adoptant pour ma fille. Il faut, pour cela, votre consentement. Dites, voulez-vous de moi, pour père ?…

La princesse d’Ako se jeta aux pieds du vieux seigneur en sanglotant. Il la releva doucement et lui dit avec bonté :

— Sèche vite cette rosée de larmes, ma fille, et souris au joli nom, qui est le tien : Rosée de l’Aube.

Broc d’Or frappait ses mains l’une contre l’autre.

— À quoi tient la destinée ! s’écria-t-elle. Si ma maladresse n’avait pas embrouillé le nœud de cette ceinture, ce ne seraient pas des larmes de joie, que nous essuierions, à présent, sur nos joues. La minute, passée en efforts, pour dénouer ce qui ne se dénouait pas, voilà ce qui a donné le temps, au bonheur, d’arriver !


FIN