Les Principes et les Mœurs de la République/Les mœurs républicaines/IV

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IV

l’amour de l’égalité.


L’amour de l’égalité n’est pas moins essentiel dans une république que celui de la liberté. L’égalité a beau être inscrite, à côté de la liberté, dans la constitution d’un pays, ce pays ne sera pas vraiment républicain si elle n’est pas aussi dans le cœur et dans les mœurs des citoyens, si les uns cherchent à se distinguer des autres par des titres et des décorations, s’ils affectent des airs de supériorité blessants pour ceux que la nature ou la fortune n’ont pas aussi bien dotés, s’ils étalent un luxe écrasant, si, enfin, au lieu de chercher à faire oublier la distance sociale qui peut exister entre eux et leurs concitoyens, ils l’accusent insolemment. Cette vanité est tout l’opposé de l’amour de l’égalité, par conséquent de l’esprit républicain. D’un autre côté, cet amour n’est pas celui d’un nivellement brutal qui égaliserait toutes les conditions, effacerait toutes les différences et confondrait toute la société dans un même néant. Il accepte les distinctions qu’on ne pourrait supprimer sans attenter à la liberté, et il n’exclut ni la reconnaissance due aux services éclatants, ni le respect du talent bien employé. L’amour de l’égalité n’est pas la haine de toute supériorité. S’il chasse la vanité, il ne repousse pas moins l’envie, cette plaie des démocraties qui appelle aussi le despotisme. Le malheur est que le premier de ces vices, en se produisant chez les uns, excite ou envenime le second chez les autres. Voulons-nous prévenir les explosions de l’envie, gardons-nous des étalages de la vanité, et donnons à nos mœurs le cachet du véritable amour de l’égalité ?