Les Principes et les Mœurs de la République/Les mœurs républicaines/VII

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VII

le dévouement à la chose publique.


Le despotisme développe l’égoïsme et refoule l’esprit public. Lorsque l’État est entre les mains d’un homme qui en dispose à son gré et ne laisse à ses sujets d’autre rôle que celui d’obéir et de servir, quel intérêt ceux-ci peuvent-ils prendre à la chose publique ? Il ne leur reste qu’à chercher dans la jouissance personnelle un dédommagement à leur servitude. Ils s’arrangent pour satisfaire leurs appétits le plus largement possible et par tous les moyens, jusqu’au terrible lendemain que le césarisme ne manque jamais d’amener, mais auquel ils ne songent guère. La république, au contraire, qui est, comme son nom même l’indique, le gouvernement de la chose publique par les citoyens eux-mêmes, en les appelant tous à prendre part à ce gouvernement, développe en eux par là même l’esprit public et refoule l’égoïsme. Mais c’est ici le cas de répéter ce que nous avons dit précédemment d’une manière générale : il faut qu’à leur tour les mœurs lui viennent en aide. Il faut que les citoyens s’accoutument à subordonner et à sacrifier au besoin leurs intérêts personnels aux intérêts publics ; il faut qu’ils se rendent capables de désintéressement et de dévouement. S’ils se montraient avides de places, s’ils ne voyaient dans les fonctions où ils peuvent être appelés qu’un moyen de fortune, s’ils ne savaient comprimer leur esprit de personnalité et dominer leur ambition, si, en un mot, ils avaient plutôt en vue dans tous leurs actes leur chose propre que la chose publique, la république serait perdue. Aussi est-ce une grande erreur aux partisans du régime républicain de présenter le principe de l’intérêt personnel comme la base de la morale ; c’est nier l’essence même de la vertu républicaine, comme de toute vertu en général. Sans doute le gouvernement républicain est de tous celui qui, bien organisé et bien dirigé, est en somme le plus favorable aux intérêts particuliers de chacun, et il est parfaitement légitime d’en faire ressortir ce côté ; mais il faut aussi parler aux citoyens un autre langage que celui de l’intérêt personnel, il faut faire comprendre et pratiquer la vertu de l’abnégation et du sacrifice patriotiques, le dévouement à la chose publique, si l’on veut élever leurs âmes à la hauteur des institutions républicaines et donner à ces institutions un inébranlable appui. Sans cette vertu, la république sera la proie de toutes les convoitises et de toutes les ambitions intestines, et les plus solides remparts ne la protégeront pas contre les conquérants du dehors.

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