Les Progrès du libertinage/04
LETTRE
Du révérend pere Ignace, à très honorable
dame de Merville, abbesse
de ......
Ma chere sœur, ma tendre amie,
je suis pénétré du vif intérêt que vous
prenez à la conservation des jours
d’un individu obscur, qui ne chérit
l’existence qu’autant qu’elle peut vous
intéresser. Oui, le plus beau jour
de ma vie fut celui où j’entrai dans
vos bonnes graces. Sans vos bontés
que serois-je ? Un malheureux reclus,
rejetté de la société, honni de la
multitude, et obligé d’éteindre moi-même
des feux que vous alimentez
par vos charmes. Ah ! croyez, que tant qu’il me restera un souffle de
vie, il sera consacré à celle qui fait
mon bonheur si généreusement. Dès
ma jeunesse, abandonné de mes parens,
je n’eus que le parti du cloître
à prendre. Il s’en faut que mes desirs
ayent été consultés… Mais enfin, si
pendant quinze ans j’ai gémi de mon
esclavage, aujourd’hui je bénis des
chaînes, que vous avez su rendre
légeres et agréables.
Adieu. Demain, je compte dans vos bras, vous donner des preuves de mon entier rétablissement.