Les Progrès du libertinage/06
LETTRE
De madame de Merville au révérend
pere Ignace.
Après deux mois de négociations,
de soins, tout enfin est conclu pour
le mariage de Laure ; c’est mardi prochain
qu’elle va jurer à un époux de
n’aimer que lui. Nos remedes ont fait
un merveilleux effet ; en vérité, le plus
adroit libertin la prendroit pour une
pucelle. Oh ! combien nous allons rire
aux dépens du mari !… Il lui a rendu
ici trois fois visite, et il en est enchanté ;
il lui fait des avantages considérables,
et je ne doute plus que l’affaire
ne se consomme à la grande satisfaction
de tout le monde.
Nous allons perdre dans notre communauté les deux plus aimables coquines ; sœur Ursule se marie aussi, et nous allons lui administrer les mêmes remedes qu’à sœur Laure, c’est-à-dire que nous allons la rendre toute neuve. Tu n’as plus qu’une fois à jouir ; après ce moment, sa boîte te sera fermée, et ne s’ouvrira plus qu’aux desirs d’un époux en bonne forme.
J’ai des reproches à te faire ; tu ne m’as point ménagée, et je suis dans le même cas de Laure : je suis enceinte.
Viens réparer ta faute, en redoublant ton ardeur.
Tu n’auras point d’autres reproches de moi que des caresses.
Adieu, mille fois adieu ; à ce soir.